Cette journée était paisible, tranquille peut-être même trop tranquille. Pas du genre méfiant, ça te gênait pas plus que ça mais peut-être que ça devrait. Peut-être que c’était annonciateur d’une catastrophe, de l’apocalypse ou pire d’un rebondissement machiavélique. Pourtant t’étais tranquillement accoudé à la caisse du geek store, discutant tranquillement par sms avec ta chère et tendre – oui elle était disponible – ce qui était assez rare donc autant dire que tu en profitais à fond. Tu étais du genre à prendre ce que la vie te donnait, aussi bien le bon que le mauvais. Paraît que ça forge le caractère les mauvaises expériences… mouais autant dire que t’as un caractère bien forgé alors. Mais ce genre de proverbe ça précise jamais. Quel genre de caractère ça forge ? T’es pas sûr qu’il y est une règle universelle qui s’applique à tous. Pas que ça soit gênant, au contraire mais parfois tu te posais ce genre de questions existentielles. Ça doit être la preuve que la journée est vraiment très trop tranquille. Soudain – et oui au bout d’un moment il se passe quelque chose, sinon on va vraiment s’ennuyer ahah – la porte du geek store s’ouvre laissant tinter la petite cloche. C’est une idée de Carmen pour donner un côté rustique et familial à la boutique. Parce qu’au geek store, on est chaleureux et on y sent bien. Oui t’as répété le slogan, prêt à le dégainer à chaque moment. Oui Carmen t’as obligé et t’as envie de garder ton job. Tu lèves la tête pour voir qui rentre et tu reconnais de suite Felix. Tu l’aimes bien Felix mais aujourd’hui t’as pas spécialement envie de le voir en fait. Hier la 2B était en grand forme et quand ils sont en grande forme, de manière générale, ils aiment bien s’en prendre à toi. en plus t’as eu le malheur de passer devant chez eux alors que la porte ouverte (à croire qu’ils guettaient ton arrivée ce qui ne serait pas si surprenant que ça). Bref, c’était pas si méchant quand t’y penses mais il n’empêche que t’avais pas besoin de ça. et des fois, tu entends la voix de ta grand-mère dans ces moments-là qui te dit « Défend toi Benjamin, te laisse pas faire par ces petits morveux. » alors tu culpabilises quelque peu. C’est vrai, elle a raison au fond Francine, tu devrais pas être si gentil. La vie l’est pas elle mais c’est pas dans ta nature de répliquer, d’envoyer chier ou ne serait-ce que de hausser le ton parce que ça te plait pas. Non toi t’es du genre à sourire à une insulte, à être serviable envers et contre tous ou même aider alors qu’on te traite comme un chien. Ils sont rares les moments où tu t’énerves, c’est que vraiment t’es pas d’humeur ou que ça fait longtemps qu’on te travaille au corps. Et en général c’est vraiment pas beau pour les autres comme pour toi. On se souviendra que tu t’es peté la main une fois que t’étais énervé et que t’as donné un coup dans un mur. Et forcément comme t’as pas l’habitude – ta main non plus – tu t’es tué et les gens en face se sont bien marrés. Leçon : ne jamais utiliser la violence, elle se retourne (toujours) contre toi.

Bref, focus sur maintenant, aujourd’hui, le geek store et Felix qui vient de rentrer. Tu dis rien, t’attends de voir ce qui va se passer. Il finit par venir devant le comptoir. Hum, tu louches sur les deux cafés dans ses mains mais tu reviens vite sur son visage. Tu inspires une grande bouffée avant de dire : « Bonjour. Que puis-je faire pour vous ? » Voilà, normal, comme un client lambda. Autant dire que là, c’est le max de méchanceté dont t’es capable. Ouais, tu sais bien que dans deux secondes, vous allez reparler comme des potes et hier sera déjà un lointain souvenir mais bon pour la face, histoire de faire genre, fallait bien que tu répliques à minima (aka du mieux que tu peux).

Coffee says "I'm sorry" so much better than words ☾ Parfois, tu sais pas trop si t'adores la 2B ou si tu la hais viscéralement. Tout ce que tu trouves à dire à leur propos, à votre propos puisque t'en fais partie, c'est que c'est un groupe d'handicapés sentimentaux qui, non contents de se faire du mal entre eux, font aussi du mal aux autres qui, pour le coup, n'ont rien demandé. Enfin tu crois. Benjamin, le petit-fils de la vieille peau du quatrième, il a pas demandé à naître dans cette famille, et il a certainement pas demandé à être le souffre-douleur de toute une colonie de jeunes adultes irresponsables et immatures. Quand t'y repenses quand même, le choc que ça vous a fait quand vous vous êtes rendu compte que vous devriez être pires ennemis, même pas capables de vous parler sans vous taper sur la gueule. T'es sûr que ça aurait fait marrer Rhoan. Heureusement que Benjamin est pas rancunier, sinon c'en aurait été fini de tes Marvel à prix cassés. N'empêche que la dernière connerie des 2B t'a torturée toute la nuit, toute la journée, en boucle dans ta tête de bon samaritain d'ordinaire incapable de faire du mal à qui que ce soit sans une bonne raison. Mais c'était ça ou Nur te tapait sur la tête avec son bouquin de médecine. Autant dire que le choix a été vite fait. Du coup, dès ton service au café fini, tu t'appliques pour préparer la boisson préférée de ton ami ? ennemi ? tu sais pas trop, et tu files en direction du comic store. La cloche tinte au-dessus de ta tête dans un carillon joyeux qui contraste avec ta mine penaude alors que tu t'avances jusqu'au comptoir, une tasse en carton dans chaque main. Tu le vois inspirer un grand coup et un vent de panique te secoue, les yeux écarquillés le cœur battant t'attends la sentence qui tombe bientôt de sa bouche. « Bonjour. Que puis-je faire pour vous ? » Ouch. Tu t'y attendais, mais tu peux pas empêcher une grimace de s'afficher sur ton visage alors que t'esquisses un léger mouvement de recul. Ca fait mal, ça blesse ton ego ta confiance ton cœur, mais tu sais qu'au fond, t'es déjà pardonné. Parce que t'as du café, parce que tu lui fais tes yeux de chien battu, parce que t'es Felix. « Je, euh... J'suis désolé, ok ? » Tu lui tends une tasse avec écrit Hawkeye dessus. « Tiens. C'est pour toi. » T'es gauche Felix, tu sais pas exprimer tes sentiments, dire ce que tu penses, ce que tu ressens. Mais t'espères que c'est assez, qu'il voit à quel point c'est honnête, sincère. Vraiment.

T’aperçois sa grimace. C’est peut-être horrible à dire mais t’apprécies de la voir. Ça montre que ta parole a eu l’effet escompté. Faut pas oublier que toi aussi hier, t’as fait la grimace. C’est de bonne guerre. Mais bon la grimace est vite surpassée par son regard. Ah ce fameux regard, celui qui ferait fondre les cœurs les plus durs. Y a pas à dire, Felix, il est mignon. Aucune ambiguïté derrière cet adjectif. Toute façon, toi t’aimes Graziella, tu vois que Graziella et même, Felix n’est pas du tout ton style, principalement parce que c’est un homme. Bref, c’est pas le sujet du jour. Tout ça pour dire que Felix c’est le genre de personne qui inspire confiance, qu’on a envie d’aider et dont on se dit qu’il ferait pas de mal à une mouche. Du coup, c’est difficile d’en vouloir à un garçon de ce type. « Je, euh... J'suis désolé, ok ? » Et pour accompagner son propos, il te tend le café. Et y a écrit « hawkeye » dessus. C’est trop… mignon. Vous voyez que le mignon plus haut prend tout son sens avec des petites attentions comme ça. « Tiens. C'est pour toi. » Bon, ça t’aurait pu deviner. Non mais parce que s’il amène un café avec écrit « hawkeye » dessus à quelqu’un d’autre, là tu serais vraiment furax. ça se fait pas ! C’est ton surnom et c’est pas celui de quelqu’un d’autre. Sauf celui du personnage originel bien sûr. Tu fixes Félix quelques instants avec le regard le plus neutre dont t’es capable même si plus les secondes défilent, moins t’arrives à garder ce visage dur. C’est en partie dû à l’appel de caféine. Tu prends le gobelet en disant : « Je le prends parce que du café froid c’est pas bon. » Gros dur va ! Mais toute façon, on sait bien qu’une fois le café pris, c’est dans la poche. D’ailleurs te voilà en train de boire une gorgée. Oh ça fait du bien. T’en bois une deuxième, histoire de bien en profiter. « Merci pour le café, j’apprécie. » Petit sourire et ça va déjà mieux. L’atmosphère est déjà plus détendue. « Excuses acceptées. » « Faisage de gueule » terminé. Surtout que t’avais un truc à montrer à Felix et tu peux pas le faire si vous êtes fâchés. Mais maintenant que tout va mieux, t’as plus besoin de te retenir. « Bouge pas, j’ai un truc à te montrer. » Tu poses ton café et file dans l’arrière-boutique. Tu fouilles un peu dans les cartons avant d’en sortir une boîte contenant une figurine. Tout content toi, tu la ramènes dans la boutique et la pose devant Felix. « Regarde-moi ça. Direct, j’ai pensé à toi. » T’attends la réaction de Felix parce que dans cette boîte qui paye pas forcément de mine, il y a une figurine fraîchement reçue il y a trois jours. Mais c’est pas une figurine de n’importe qui ! Ah non, c’est une figurine, du seul, de l’unique, du préféré de Felix. Le tisseur de toile, bien sûr Spider-Man.

Coffee says "I'm sorry" so much better than words ☾ Il te regarde dans les yeux pendant quelques secondes qui durent une éternité. Tu te sens mal à l'aise sous son regard inquisiteur. Il bouge pas, il dit rien, t'es même pas sûr qu'il respire. Tu t'apprêtes à prendre la parole pour briser ce silence malaisant quand il se saisit de la tasse en carton. « Je le prends parce que du café froid c’est pas bon. » Tu sais qu'il fait son nounours bourru, que dans deux secondes ce sera pardonné, remplacé par un sourire, mais tu peux pas t'empêcher de déglutir. T'aimes pas être pris en faute, t'aimes pas te fâcher avec les autres et encore moins tes amis, t'aimes pas cette situation et tu pries pour que tes souffrances s'abrègent au plus vite, même si tu les as amplement méritées. Il prend une gorgée, puis deux, pendant que toi tu tournes ta tasse dans tes mains, essayant de toutes tes forces de ne pas te balancer sur la plante de tes pieds. Il faut évacuer ta nervosité, certes, mais pas en te tortillant sous son regard.

Il te sourit enfin, et tu sais que tout va bien. « Merci pour le café, j’apprécie. Excuses acceptées. » Ton éternel sourire en coin reprend sa place sur ton visage et tu soupires, soulagé. Tu savais en rentrant que tu serais pardonné, tu le savais et pourtant ça t'angoissais de te dire qu'il pourrait ne pas te pardonner. Te tourner le dos te laisser décider qu'il en a marre. Tu baisses la tête vers ton café. T'as pas envie de le perdre, en fait. Benjamin, pas le café. « Bouge pas, j’ai un truc à te montrer. » T'ouvres la bouche pour répliquer, mais il est déjà parti dans l'arrière-boutique, donc tu te contentes de boire ton café avant qu'il ne refroidisse. Comme l'a si bien dit Benji, le café froid, c'est dégueu. « Regarde-moi ça. Direct, j’ai pensé à toi. » Tu relèves la tête vers lui, puis la baisse vers le comptoir où il vient de déposer... « Putain. » C'est un souffle un soupir inaudible, mais c'était ça ou un couinement absolument ridicule de fangirl de quinze ans. T'as encore quelques bribes d'honneur, tu comptes pas les laisser partir si facilement. Tu plantes ton regard incrédule dans celui de Benjamin. « Tu l'as reçue quand ? Elle coûte combien ? Je peux regarder ? »