J'avais fini à plus de minuit le travail au bar hier, des jeunes voulant fêter la fin d'année comme il fallait sans doute. Mais les heures supplémentaires quand je devais commencer le lendemain à sept heures, j'avais un peu de mal. La nuit ayant été courte j'avais enfilé un jean troué au possible avec des vielle basket et le t-shirt du refuge. Comme d'habitude rien à manger à la maison, mais j'aurais du m'en douter, il ne manquait plus qu'à espérer trouver un vieux truc rassit en salle commune pour essayer de commencer la journée. Ce qui fut le cas, merci à cette madeleine oublié sur une étagère. La journée allait-être compliqué, trois absent, on était juste assez pour couvrir les deux ailes du refuge. Et j'allais m'amuser avec les chiens aujourd'hui. Commençant par en sortir quelques uns dans un enclos plus grand, je les laissais s'amuser un peu avant de nettoyer les cages. Ramasser, nettoyer, stériliser. Et ce avec chaque cage. Sortir, ramasser, nettoyer, stériliser. Et ce avant qu'on ouvre si possible. C'était presque impossible à faire seule en trois heures, c'est sans doute pour cela que j'avais préféré retarder l'heure de la nourriture. Il n'y avait jamais foule à 10 heures et c'est pour cela que je pus faire le tour des gamelles sans trop de pression. À 11 heures, tout avait été fait, mais je devais maintenant faire l'inventaire de tout et appeler nos fournisseurs, ce qui pouvait prendre une éternité. Transpirante au possible, j'étais loin d'être à mon avantage quand à 13 heures je reçus un appel talkie pour me dire qu'on avait une visite chez les chiens et que la personne avait été envoyé vers ces derniers.

« Ok, j'arrive. »

Répondis-je en regardant toujours mes feuilles. J'aurais d'ailleurs du regarder devant moi, car je finis par rentrer en collision avec le visiteur qui m'envoya presque aussitôt par terre. J'aurais aimé que le sol soit fait en autre chose que du béton pour le coup.

« Désolé, je ne vous avez pas vu. »

Soufflais-je en me redressant et découvrir le visage de notre visiteur. Sérieusement ? Me redressant alors, j'esquissais un sourire gênée avant de poser mes feuilles sur un chariot.

« Salut. »

Déclarais-je simplement. J'étais toujours pas à l'aise avec lui et je n'arrivait pas à savoir ce qui pouvait vraiment le faire venir ici, car je le voyais très mal prendre soin d'animaux. Enfin, sans doute une préjugé.

Cela faisait un moment que l'idée me trottait dans la tête. Je ne vivais plus chez mon père depuis quelques temps, ne supportant plus sa greluche de copine, qui me le rendait bien, de toutes façons. Il me payait donc un loft dans le quartier chic. C'était grand, c'était lumineux, c'était tranquille. Et c'était vide. Un peu trop vide pour moi seul en fait. C'était sympa pour organiser des fêtes avec les potes, mais cela n'occupait pas la plus grande partie de mon temps non plus... Alors je me disais... Pourquoi pas ne pas prendre un animal ? L'adoption de Mitaine par Quinn et Luka n'était pas étrangère non plus à cette idée, mais j'étais plus canidés que félins. Et si j'étais plein aux as et que j'aurais pu, sans problèmes, acheter un animal de race qui coûtait 1000 dollars, l'idée m'était venue de plutôt aller voir dans un refuge et de sauver un des pensionnaires d'un sort pas très enviable. Et en plus, je savais qu'il y avait une certaine rouquine qui y bossait.

Je décidai de m'y rendre en début d'après midi. J'avais enfilé un jean basique, des baskets, un T shirt quelconque. Rien qui ne me démarque des autres visiteurs. Je pouvais entendre les chiens japper dans leurs cages. Franchement, ça foutait le bourdon cet endroit. Si j'avais caressé l'idée d'emmener Quinn avec moi pour lui demander son avis et lui faire plaisir, j'avais renoncé et j'avais eu raison. Parce que ce n'était pas vraiment un endroit pour elle. Cela lui aurait foutu les boules, sans aucun doute. Déjà moi, ça me déprimait. On me laissa faire un petit tour, m'assurant que quelqu'un allait s'occuper de moi et je déambulais donc parmi les animaux qui se jetaient contre les grillages, dans l'espoir d'attirer l'attention et de sortir d'ici sans doute. Combien de chiens avaient été maltraités dans le lot au juste ? Je repérai quelques chiens, qui se démarquaient des autres. En fait, j'aurais presque voulu tous les prendre pour les sortir de là. J'étais un sale con, mais j'aimais bien les animaux. Je prenais soin de mon cheval par exemple. C'était mon père qui avait toujours refusé qu'on prenne un chien ou un chat, parce que c'était sale et bruyant.

Je me redressai tout juste alors que je m'étais accroupi pour caresser un chien, même si c'était déconseillé quand on me percuta. Je trébuchai mais me retins aux barreaux alors que la personne, elle était envoyée au tapis.

« Pardon, je... »

Je m'arrêtai net alors que j'avais tendu la main pour l'aider à se relever, avisant la chevelure cuivrée reconnaissable. Aleksandra... Génial. C'était parfait. Elle me salua quand même. Ah, on dirait qu'elle avait mis un peu d'eau dans son vin.

« Salut. »

Je passai un main dans mes cheveux, tout en esquissant un petit sourire d'apparence embarassé, avant d’enchaîner :

« Je savais pas que tu bossais ici. »

Un mensonge, mais elle n'était pas censée le savoir hein ? Je n'avais pas envie qu'elle calcule que je m'étais renseigné exprès. J'étais plutôt content de la voir de nouveau. Étrangement. Alors que nous n'avions absolument rien en commun, hormis nos amis.

« T'as arrêté de faire serveuse ? »

Elle n'en avait pas le droit, elle n'était même pas majeure et ça, je le savais. Et elle avait paniqué en se rendant compte que je pouvais lui causer des ennuis à ce sujet.

J'étais tendu, c'était un fait, il faut dire que je n'avais pas vraiment prévu de le voir aujourd'hui. Si bien qu'une fois mes dossiers posé, l'entendre affirmer qu'il ne savait pas que je puisse travailler ici eut un peu l'effet de me tendre davantage. Il mettait suffisamment mon autre activité en danger. J'avais besoin de ce travail, j'avais besoin de protéger mon frère, de le soigner. Me retournant donc pour lui tourner le dos, j'essayais de cacher ma nervosité lorsqu'il me demanda si j'avais arrêté de faire la serveuse. Pourquoi mentir dans ces cas là ? Il lui suffirait de retourner au bar pour savoir que je n'avais rien arrêté et qu'il s'agissait donc d'un double emploi. Faire vibrer sa corde sensible ? Il n'en avait aucune, sauf en présence de Quinn, mais tout le monde redevenait humain face à elle.

« Non, je travail ici la journée et la bas la soirée. »

Déclarais-je simplement. Je n'avais presque jamais de temps pour moi, et c'était pour une bonne raison. Soupirant alors, je lui fis à nouveau face, m'avançant vers lui avant de lui dire, droit dans les yeux.

« T'as peut-être les moyens de te payer ce que tu veux, mais c'est pas mon cas. Je peux pas perdre mon travail, je peux en perdre aucun des deux. »

Et si jamais il disait quoi que ce soit à mon patron, je risquais fort de perdre ma plus grosse source de revenu, on ne pouvait pas payer les hôpitaux avec des rêves. On pouvait simplement le faire avec de l'argent, et surtout du cash me concernant. Si je perdais ça… M'avançant vers lui, je lui pris la main avant de le tirer à ma suite vers un endroit plus isolé, un endroit loin des oreilles indiscrètes, il n'y aurait personne là ou j'allais, nous n'étions pas assez nombreux. Je m'étais arrêté devant un chien, préparant un alibi si jamais on venait à nous surprendre, mais j'en doutais, le coin des chats étant toujours plein à craqué. Moins contraignant un chat.

« Si tu comptes profiter de l'occasion pour me faire chanter, vas-y, mais ne me fait pas perdre mes travail. »

Déclarais-je la gorge noué. J'avais peur de ne pas pouvoir le protéger, d'avoir la mort de mon frère sur la conscience. J'avais peur. Et j'étais sans doute prête à tout pour qu'il ne lui arrives rien. Même à répondre à ses demandes les plus stupides. Ma dignité et mon amour propres n'avait pas la moindre importance à mes yeux par rapport à la vie de mon frère. Quand à l'hypothèse qu'il vienne ici par hasard pour un animal ? J'avoue ne pas vouloir réellement la concevoir. J'avais bien trop à perdre avec ces derniers mots et un mec comme lui ne devait pas aimer les animaux.

Ma première impression n'était donc pas erronée. Aleks n'avait pas d'argent. Je m'en étais douté à ses fringues ou sa façon de ne pas vraiment prendre soin d'elle, contrairement aux nanas que je pouvais croiser sur le campus et en particulier celles qui faisaient partie d'une confrérie. Elle... Elle n'avait que 17 ans, elle n'allait plus à l'école et elle bossait comme serveuse la nuit après s'être tapée la journée au refuge. Il lui restait combien de temps pour elle au juste ? Mine de rien, j'étais admiratif. Parce que je le reconnaissais volontiers, je n'avais jamais eu besoin de bosser pour gagner quoique ce soit. Mon père était un connard indifférent, mais un connard plein aux as qui continuait d'alimenter le compte en banque de son rejeton. Et j'en profitais bien. La question que je me posais, c'était pourquoi elle devait bosser autant. Pour qui ? Juste pour subvenir à ses propres besoins ? Ou bien pour aider sa famille ? Finalement, je ne savais rien de sa vie. Et elle ne savait pas grand chose de la mienne. Nous avions mal démarré tous les deux, surtout par ma faute d'ailleurs, même si elle montait sur ses grands chevaux pour pas grand chose. C'était juste un baiser, un pari stupide certes, mais si elle avait été hideuse, je ne me serai pas lancé là dedans non plus.

« Tu ne comptes pas tes heures on dirait. Tu te reposes quand ? »

J'avais failli demander quand elle s'amusait, mais je craignais une réponse glaciale à ce sujet alors qu'elle allait me toiser et me juger immature et stupide. Et je n'aimais pas spécialement être traité ainsi. Son mépris et son indifférence au Nouvel An m'avaient bien emmerdé. Heureusement, cela n'avait pas duré et elle s'était détendue au fil de la soirée. Elle avait au moins fait semblant pour Quinn.

« Pour être exact, mon père a les moyens de me payer ce que je veux. »

Parce que moi, je n'avais rien en vérité. Je me contentai de taxer mon vieux et voilà. Autant rendre à César ce qui était à César, non ? Passer un peu plus ou un peu moins pour un gamin pourri gâté de toutes façons... Son opinion était déjà faite. Et je n'avais pas honte de ce que j'étais. Elle me prit alors la main, me prenant en même temps au dépourvu, avant de m'entraîner un peu plus loin. Loin des regards et des oreilles indiscrètes. Mais qu'est-ce qu'elle fichait au juste ? Et pourquoi est-ce que j'étais soudainement déçu de constater qu'elle m'avait entraîné là pour parler et non pour autre chose de plus amusant ? Comme si j'attendais quoique ce soit de la part de cette fille. Ridicule. Cela dit, j'ouvris de grands yeux surpris quand elle me parla de chantage.

« Quoi ? »

Après la stupéfaction, vint la colère. Non mais... Elle me prenait pour qui au juste ? Oui, bien sûr que je pouvais jouer au connard mais pas au point d'aller persécuter une nana pour obtenir je ne savais quoi ! Merde, mais quelle opinion elle avait de moi au juste. Je serrai les mâchoires, alors que mon expression changeait sensiblement. J'avançai au point de l'acculer contre le cage, alors que je posai mes deux mains de chaque côté de son visage, la bloquant ainsi et la surplombant de toute ma hauteur, me forçant à baisser les yeux pour lui parler, oscillant entre la colère et l'ironie mordante :

« Et pourquoi je te ferais chanter au juste hein ? Qu'est-ce que je pourrais exiger de toi en contrepartie, Aleksandra ? Pas de l'argent, c'est certain. »

Alors quoi ? Son corps ? Elle pensait que je pouvais faire pression sur elle de cette façon pour coucher avec elle ? C'était franchement un stratagème auquel je ne m'abaisserais pas. Je pouvais avoir les filles que je voulais, pas besoin de devoir user d'un odieux chantage pour ça. Merci pour mon amour propre.

« Et bien, je t'ai fait une sacrée impression pour que tu puisses penser que je n'ai que ça à faire de te faire perdre ton job. Tu n'as rien dit à Quinn sur notre première rencontre et de cela je te remercie, j'ai pas besoin de te faire chanter. Maintenant que les choses sont claires, je voudrais bien trouver un chien à adopter, si tu le permets. »

« De deux heures à 6 heures dans le meilleur des cas. » répondis-je presque aussitôt. Je n'avais pas de temps à perdre, l'argent était trop rare et difficile pour que je dorme ou autre. Un jour j'allais finir par m'écrouler de faim, et de fatigue, mais ce n'était pas encore pour maintenant, je devais me battre encore et toujours pour lui. Il rectifia au passage ce que j'avais pu dire. J'allais devoir m'excuser d'avoir mal jugé le garçon alors qu'il était clair que c'était papa qui payait tout ? Sa vie devait-être terriblement compliqué. Levant les yeux au ciel, j'avais fini par l'attirer un peu plus loin au calme. Je ne devais pas perdre mon travail, je ne pouvais pas. Et j'étais prête à tout pour ça, du moins je croyais. Car lorsque son regard changea et qu'il avança vers moi, je sentis tout courage disparaitre. Les jambes de plus en plus tremblante à mesure qu'il avançait. La réalité commençait à se mêler au passé alors que, comme avant, j'étais incapable de faire quoi que ce soit. Adossé contre les barreaux d'une cage, je sentais l'acier mordre mon corps alors qu'il s'approchait toujours plus, posant ses mains de chaque côté de mon visage. Je tremblais, j'étais paniqué, les yeux s'humidifiant presque alors qu'il reprenait. Je l'écoutais à moitié, si bien que même lorsqu'il conclut j'eus du mal à faire le lien. Il voulait quoi ? Un chien ? Fermant les yeux je déglutis avant de me laisser glisser le long des barreau pour me défaire de son emprise. Les jambes cotonneuses, le coeur battant bien trop vite, je tentais de me reprendre, non sans difficulté.

« Grand chien, petit chien ? Chiot ? Adulte ? Urgence adoption ? »

Demandais-je la voix visiblement tremblante. Essuyant les larmes qui avaient perlé sur mon visage, je pris une grande inspiration avant de reprendre, le regardant à moitié en réalité.

« Les urgences sont les chiens présent ici depuis plus de trois mois et n'ayant toujours pas eu de visite, ils vont se faire euthanasier dans les jours qui viennent en l'absence d'adoption. »

Prenant une feuille avec un support et un papier, je lui tendais avant de reprendre.

« Je te laisse remplir ça, c'est pour savoir si tu peux adopter un animal, si tu connais ce que ça engage et si tu compte bien t'en occuper. On doit le donner à tout le monde. »

Ajoutais-je à la fin. Il pourrait mal le prendre. Car visiblement penser qu'il puisse être suffisamment odieux pour être un psychopathe était le vexé. Mais c'était un fait, il était grand, très grand même, musclé, il pourrait m'envoyer à terre et m'y laisser sans que je puisse faire quoi que ce soit. Mais à présent, s'était le peur qui régnait, plus que le reste. Baissant bien rapidement les yeux, j'attendais sa réponse. Plus vite je lui trouverais un chien, plus vite il partirait. C'était évident non ?

Il y avait quand même quelque chose d'admirable chez cette frêle demoiselle. Parce que 4h de sommeil toutes les nuits, c'était peu et je comprenais mieux son teint trop pâle et son aspect négligé. Enfin négligé... Disons qu'elle privilégiait le confort et le pratique aux tenues plus sophistiquées et au maquillage. Au moins, avec une fille comme ça, il n'y avait pas de triche sur l'emballage. Elle était déjà au naturel et elle était mignonne sans aucun artifice. Elle était époustouflante quand elle prenait soin d'elle. J'avais eu un aperçu au nouvel an dans sa robe noire qui soulignait son corps mince, avec une légère touche de maquillage pour mettre en valeur sa bouche et ses yeux. Cette fille m'intriguait. C'était pour ça que j'étais venu dans ce refuge particulier, joignant la nécessité à l'agréable. Enfin agréable... Cela l'aurait été si elle n'avait eu des paroles fort peu engageantes me concernant. Elle me pensait vraiment capable de trucs révoltants. Et malgré moi, je me mis en colère, la surplombant et la piégeant d'une voix doucereuse et vibrante de colère. C'était stupide. Surtout quand je la vis se ratatiner brutalement et son visage perdre le peu de couleur qu'il avait déjà.

Un peu plus et elle allait se mettre à pleurer. Ma colère s'envola devant cette manifestation brutale de vulnérabilité. Euh... d'accord, j'étais plus grand qu'elle et je pouvais lui en coller une sans qu'elle ne puisse répliquer, mais quand même. Elle ne pensait pas sérieusement que j'allais lui faire du mal... si ? Je n'étais pas si impressionnant que ça et je n'avais jamais levé la main sur une femme. Sur des mecs ouais,c 'était comme ça que j'avais rencontré Luka d'ailleurs, en pleine baston (et je perdais d'ailleurs), mais pas les femmes. Même si ma mère était une salope qui préférait s'amuser que d'élever son fils et que les conquêtes de mon père n'ouvraient les cuisses que pour son fric, je ne méprisais pas les représentantes de l'autre sexe au point d'aimer les cogner.

Encore moins quand elles semblaient si fragiles et prêtes à se briser. Elle me rappela Quinnie, sans que je ne sache vraiment en quoi. Et merde. Elle avait eu peur. Vraiment peur. Alors soit elle était impressionnable, soit elle me prenait pour un sacré connard, soit j'avais réveillé des souvenirs déplaisants. Elle s'échappa et je la regardais, les bras ballants, interloqué de sa réaction, alors qu'elle essayait de sauver les apparences en se concentrant sur les animaux à adopter et en me débitant son baratin habituel. Elle était mauvaise actrice en tous cas. Elle ne savait pas masquer ses émotions. Et moi, je me sentais idiot. Et dans une situation inconfortable de remords. Foutue nana. Je récupérai ce qu'elle me tendit, avant de murmurer :

« Je ne voulais pas te faire peur, Aleks. »

Je m'éclaircis la gorge avant de reprendre, à voix basse :

« Je sais pas quelle idée tu as de moi, mais je ne fais pas chanter les gens, je n'obtiens pas ce que je veux par la force et je n'ai jamais brutalisé une femme... »

Moi qui était venu pour tenter de rattraper le coup, c'était loupé sur toute la ligne. Je repris avec humeur :

« Et franchement, ça me blesse que tu puisses avoir une aussi mauvaise opinion de moi, simplement parce que j'ai été con avec mes potes. Je pensais qu'après la soirée du nouvel an, tu aurais compris que je n'étais pas que ça, mais visiblement, je me suis trompé. »

Je baissai les yeux sur le questionnaire et commençai à le remplir.

« Et je sais dans quoi je m'engage et ce que cela implique. Montre-moi les urgences adoption. »

Je lui rendis son papier, avant de reprendre, sincère :

« Comment tu fais pour bosser là en sachant que certains vont être tués... »

C'était horrible. Non, je n'avais pas un cœur de pierre. Pas avec les animaux en tous les cas. Et elle, elle devait être du genre super sensible quand même. Elle devait se faire du mal à chaque fois qu'un de ses pensionnaires recevait l'injection létale. Je frissonnai rien que d'y songer.

Il venait de murmurer qu'il ne voulait pas me faire peur, déglutissant, j'avais préféré le laisser prendre la planche pour essayer de me reprendre moi. Je tremblais encore lorsqu'il reprit en m'affirmant que si il n'avait aucune idée de ce que je pouvais penser de lui, il n'était pas ce genre de mec à faire chanter les gens, ni a vouloir obtenir ce qu'il veut par par force, ni même en brutalisant quelqu'un. Le pire c'est que je le savais, mais, mais depuis ce soir là, je ne le voyais pas plus profond qu'un autre mec riche, beau et qui en avait conscience. Toutefois il était blessé que je le pense ainsi, et ce simplement car il avait été con avec des potes. Il avait fini par espérer que le nouvel an puisse changer les choses, mais il s'était trompé. Moi aussi, ou pas. Peut-être l'arrogance avait parlé, mais il n'avait rien fait pour changer ça. J'avais préféré garder le silence, même lorsqu'il affirma comprendre ce qu'impliquait l'adoption d'un animal, j'avais prit le papier sans lui jeter un regard. M'avançant vers les cages ayant une pancarte noir, je finis par lever les yeux vers lui lorsqu'il me demanda pourquoi je bossais ici en sachant que certains allaient mourir. « Car j'espère que ça n'arrive pas ? Car j'ai envie de leurs donner l'amour qu'ils méritent sans les ignorer ni les mépriser. Car ils méritent qu'on croit en eux, qu'on essaient de les sauver. »

Soufflais-je en m'abaissant vers une cage, laissant le chien s'avancer et me lécher les mains, la queue battante. M'arrachant un sourire, je finis par me tournais à nouveau vers lui.

« Si personne se s'arrête, on peut pas voir qu'ils sont si doux. Et tout ceux qui ont une pancarte noir sont de fidèle compagnon qui ne finiront pas l'année. »

Mon sourire avait fané alors que j'essuyais mes mains sur mon t-shirt. Il était sale et plus à ça près. M'adossant à une cage, je reportais mon regard vers lui, je n'avais ni haine, ni colère, ni même de peur, juste de la tristesse.

« Mon frère est à l'hôpital depuis plusieurs mois déjà, son état est critique. Ma mère préfère boire et se droguer plutôt que de sauver son fils. Je suis la seule à pouvoir le sauver, à pouvoir payer l'hôpital. J'ai mit ma vie entière de côté, j'ai accepté l'idée de ne pas faire d'étude, de vivre de petit boulot toute ma vie, j'ai arrêté de manger normalement pour économiser le moindre centime juste pour lui. Car il mérite que quelqu'un s'occupe de lui. Et la seule fois ou j'accepte un écart, ou je me laisse croire qu'avoir quelqu'un pourrait être bien, que je peux plaire aux gens, qu'ils veulent bien passé du temps avec moi, je tombe sur toi. Toi qui semble irréel, trop parfait pour être honnête et qui fait s'emballer le coeur d'une lycéenne. Tu vis pas ma vie, t'es même à l'opposé de ma vie, et si t'as des problèmes, c'est pas les mêmes. T'es peut-être super avec Quinn et Luka, l'ami parfait que je reconnais avoir vu, mais avec moi, tu m'as prit pour un simple jeu, tu m'as donné de l'argent en pensant que ca soulagerait le fait d'avoir été prise pour une fille stupide. Tu fais des pari avec de l'argent Zak, t'as une vie normal et tu pari de l'argent. Tout ça semble normal pour toi, sans gravité, mais t'as aucune idée de ce que j'ai traversé. Ma mère est une droguée, t'as idée de ce qu'une droguée peut faire pour sa came ? T'as une idée de ce que c'est de vivre avec une épave ? Je suis sincèrement désolé d'avoir pu te blessé, mais j'ai aucune raison de vouloir m'accrocher à toi Zak. J'ai été un jouet avec lequel t'es obligé d'être gentil car nous avons des amis en commun. Point. À aucun moment je représenterais un intérêt pour toi car j'ai rien à donner, à offrir à un mec comme toi. Et ça je l'ai bien comprit. Alors arrête de vouloir me faire accepter l'idée que t'es un mec bien Zak. »

Déclarais-je d'une traite. J'avais du contenir mes larmes en parlant de mon frère, et je ne savais pas pourquoi j'avais fini par lui dire ça. Mais j'avais besoin qu'il arrête de croire que ce n'était rien. J'avais besoin d'être forte et il m'avait fragilisé.

« Tu t'es pas trompé, t'as juste pas comprit. »

Pour le pourquoi il m'avait fait peur à ce point loin, il s'agissait d'une autre histoire dont il n'avait pas besoin de connaitre la fin.

La réponse d'Aleks n'avait rien d'étonnant en fait. Celle fille avait bon cœur, c'était évident. Et du genre à davantage se soucier des autres que d'elle-même... Tout mon contraire. Donner de l'amour à des animaux qui risquaient de mourir. C'était se faire du mal. Combien de pensionnaires sauvés sur tous ceux qui étaient condamnés ? C'était admirable. Ou stupide. Au choix. Tout dépendait du point de vue. Personnellement, je n'aurais pas pu m'engager là dedans ; j'évitais soigneusement de m'attacher à quoique ce soit, cela évitait de se faire du mal après tout. Si je ne tenais à personne, personne ne pouvait me blesser. Ou me trahir. Cela me passait au dessus de la tête et ne m'affectait pas. Sauf qu'il y avait bien quelques personnes pour s'infiltrer quand même... Luka. Quinn. Leur opinion comptait énormément. Les décevoir n'était pas envisageable. Et maintenant, il y avait cette rouquine squelettique qui me méprisait et devant laquelle je voulais me racheter sans trop savoir pourquoi. Pour Quinn sans doute.

Je l'observais alors qu'elle laissait un chien lui lécher tranquillement la main, muet. Qu'est-ce que je pouvais répondre après tout ? Je hochai juste la tête à son affirmation sur ces chiens promis à l'euthanasie, le cœur serré. Je n'étais pas totalement insensible non plus. Cela me touchait le sort de ces bêtes. J'étais sans doute plus ouvert aux animaux qu'aux humains. Elle se redressa pour me regarder et là... Ben, elle me sécha littéralement sur place en fait. Et elle réussit même à me faire culpabiliser à me faire sentir minable... Et je détestais vraiment ce sentiment... OK, elle avait eu une pauvre vie. Une mère droguée, un frère dans le coma avec des soins médicaux hors de prix qui la faisaient se tuer à la tâche... Et moi, j'avais du fric à revendre. Pas besoin de bosser pour quoique ce soit.

« Et bien... Prends ça dans la gueule Zak. »

J'avais soufflé ces mots après un long silence, le temps d'assimiler ce que tout ça impliquait... Qu'est-ce qu'une mère camée faisait pour payer sa drogue ? Elle se prostituait ? Elle vendait tout ce qu'elle avait ? Elle faisait bosser sa fille et elles vivaient dans la misère ?

« Très bien. Je m'excuse. Sincèrement. Je suis un connard de fils de riche inconséquent et immature. Je suis désolé que cela soit tombé sur toi. J'ignorais ton histoire. Comme j'ignore celle des gens que je côtoie ou que j'aborde. Mais tu as tort de penser que tu ne peux pas plaire... Je ne serais pas allé vers toi si tu ne me plaisais pas, Aleks. Et je me sens pas obligé d'être gentil avec toi parce qu'on a des amis en commun. J'ai envie d'être gentil avec toi... Que tu me vois autrement que comme le connard qui a gagné un pari stupide sous les rires gras de ses copains. »

C'était difficile de s'excuser en fait. Surtout que je l'avais mauvaise.

« Tu sais quoi ? Je suis pas habitué à me sentir aussi minable, bravo, t'es douée pour faire culpabiliser les gens. T'as raison, ce que j'ai pu vivre, c'est rien comparé à ce que tu vis. Je suis désolé pour ton frère... Ça doit être dur. Qu'est-ce qui lui est arrivé ? »

J'avais enfoncé les mains dans les poches de mon jean, ne la regardant plus vraiment en face. J'avais perdu de ma superbe pour le coup. Elle faisait vraiment chier. J'aurais du ironiser un truc, lui balancer une vacherie sur son côté pauvre petite Cendrillon exploitée, mais... Cela ne m'était pas venu à l'esprit sur le coup. Je ne me serais pas comporté autrement avec Quinn...

Je n'eus pas envie de commenter ses premiers mots, sans doute car j'étais toujours dans cet état second, entre la douleur et la colère. Et puis il s'excusa, accusant le coup d'une façon qui aurait pu me faire repartir. Son excuse était de ne pas connaitre l'histoire des gens. Ne serait-il pas plus simple de les respecter alors ? De ne pas partir du principe qu'ils étaient tous une donnée négligeable ? De ne pas jouer avec eux pour ne pas les blesser. Il était bien plus immature et inconséquent qu'il n'aurait pu l'imaginer. Fronçant légèrement les sourcils lorsqu'il expliqua pourquoi il était venu vers moi, il affirma ne pas se sentir obligé d'être gentil à cause de Quinn. Il voulait que je le vois autrement, que je ne le juge pas pour son pari. Comment il voulait ? Il avait fait suffisamment de chose allant dans ce sens. Il n'était pas habitué à se sentir aussi minable ? Sans doute cela lui apprendrait que la vie n'est pas une donnée avec laquelle l'on peut joué, pas plus que les sentiments des autres. Je n'affirmais pas qu'il n'avait rien vécu de difficile, le simple fait qu'il soit comme ça était un signe d'une éducation particulière. Mais il n'avait pas cherché à s'en défaire comme moi je l'avais fait. Lorsqu'il s'exprima sur mon frère, mon premier réflexe fut de serrer les poings. Il n'avait aucune idée de ce que cela pouvait représenter. Et puis, sa dernière question serra ma gorge, m'arrachant une larme.

« On a jamais réellement su… Ma mère devait aller le chercher, mais elle a oublié, c'est moi qui l'ai trouvé par terre, en sang. Il avait déjà perdu connaissance… Je savais que je devais rien lui confier et j'ai préféré favoriser ma bourses pour la fac que lui. »

Soufflais-je alors que ma gorge se nouait un peu plus.J'aurais du aller le chercher. Ça aurait tout évité. J'aurais été là.

« C'est ma faute si il va mourir… Je savais, je savais qu'elle pouvait le détruire… Elle avait déjà réussi… C'est... »

J'avais mal, ma poitrine me faisait mal, j'avais l'impression de mourir un peu plus de l'intérieur et ça je pouvais pas le cacher. J'étais resté calme, j'avais gardé mon calme, mais le masque venait de tomber. J'étais à bout, j'étais fatigué, affamé, j'étais épuisé par la situation, par le fait de devoir garder la tête haute. Je ne pouvais plus garder tout ça. J'en cachais la moitié à Quinn, car elle n'avait pas à vivre ça. Sans doute était-ce la une des raisons qui me faisait perdre tout contrôle de moi-même devant lui. Les larmes brulaient mes joues alors que des sanglots m'étouffaient petit à petit. J'avais besoin d'air. J'avais besoin de me calmer. Me retournant contre la cage. Je tenais un barreau fermement dans chaque mains, cherchant à garder pied pour me reprendre. Et puis, mes jambes devinrent cotonneuses, Glissant le long des barreaux, j'étais accroupi face à un chien qui semblait vouloir m'aider. Le front contre le métal, j'essayais de reprendre mon souffle, de me calmer, mais à chaque fois je repartais de plus belle. Pourquoi j'avais si mal à la poitrine, pourquoi tout était si douloureux, et pourquoi je devais vivre ça devant lui ? Pourquoi ? Je n'arrivais plus à respirer. Lâchant les barreaux, je me retournais pour m'asseoir, portant une main sous mon cou pour chercher à me calmer.

« J'arrive… J'arrive plus à respirer. »

Soufflais-je entre deux sanglots m'arrachant la poitrine. Je devais me reprendre, je devais le faire… Les yeux grand ouvert, je fixais le sol, tremblante. J'avais su parler de mon frère à bien des gens, mais c'était aujourd'hui que j'atteignais ma limite…

Je me serais attendu à ce qu'Aleks me balance encore un truc dans la tronche, genre : ouais, mais tu ne sais jamais ce qu'a vécu la personne en face de toi, je suis pas la seule à avoir des soucis. Genre, sois gentil, arrête de jouer avec les gens, tu peux les blesser. Oui, bien sûr. Je savais bien que j'étais pas sympa avec les nanas et qu'elles devaient souvent chialer alors que je ne les rappelais pas, voir que je les envoyais chier méchamment quand elles ne comprenaient pas le message. Et pourtant, Aleks ne dit rien. L'envie ne lui en manquait peut-être pas, mais elle demeura muette, se focalisant surtout sur ma question concernant son frère, qu'elle semblait aimer terriblement. J'étais fils unique, je ne connaissais pas vraiment cet amour fraternel... Même si je pouvais imaginer mon état si quelque chose arrivait à Quinn, qui était comme une petite sœur dans mon esprit. Je sentis sa culpabilité quand elle parla de favoriser son avenir, plutôt que son frère. Mais il avait quel âge au juste ? Cela ne devait pas être très vieux. Aleks était encore jeune. Quelques mois ? Et là... Et là, elle fondit en larmes. Et je me retrouvais comme un con à la regarder pleurer, totalement désemparé, saisi aussi, parce cette ouverture brutale des vannes. Je regardai autour de nous, gêné.

Et je faisais quoi moi, maintenant, hein ? J'esquissai le geste d'aller vers elle, avant de m'arrêter net en me demandant si elle allait seulement me laisser approcher. J'étais un sale con qui jouait avec la vie des autres, non ? Alors pourquoi est-ce qu'elle me laisserait la réconforter ? Mais... C'était un peu comme si je voyais Quinn dans cet état. Il n'y avait pas à réfléchir. Avec Quinn, c'était naturel. Je serais déjà en train de la serrer dans mes bras et de lui susurrer que tout irait bien, que j'étais là et qu'elle pouvait compter sur moi. Je ne pouvais pas faire ce genre de promesse à Aleks, on se connaissait à peine...

Elle s'accroupit, se mettant à hoqueter. À, en plus d'être sensible à sa détresse, j'étais carrément inquiet. Je ne réfléchis plus et m'accroupis près d'elle. Elle me faisait une crise de panique, là non ? Je m'emparai fermement de son menton ; la forçant à se focaliser sur moi.

« Hey, Aleks, regarde-moi. Regarde-moi. Concentre-toi sur ma voix. C'est le chagrin qui t'étouffe... Tu dois faire une crise de panique ou un truc de spasmophilie, j'en sais rien, mais il faut que tu te calmes, ma belle. »

J'étais très sérieux et étrangement calme. Je me doutais qu'elle n'était pas en train de vraiment étouffer. C'était juste une sensation désagréable qui la faisait paniquer. Mais si je paniquais moi aussi, ce serait pire. Et je n'étais pas du genre à m'emporter non plus, à me laisser déborder par mes émotions. J'étais plutôt du genre cérébral et rationnel.

« Respire doucement. Viens. »

Doucement, je l'attirais à moi, la prenant dans mes bras et caressais doucement son dos.

« Concentre-toi sur le mouvement de ma main, cale ta respiration dessus. »

J'allais tout doucement, essayant de suivre ma propre respiration, relativement calme. Elle me semblait terriblement fragile ainsi abandonnée dans mes bras. Une fois dépourvue de sa volonté, elle n'était qu'une frêle poupée de porcelaine, facile à briser. Cette fille avait un courage exceptionnel. Et elle me donnait terriblement envie de la protéger... De lui dire à elle aussi que tout irait bien.

« C'est pas ta faute, Aleks... C'est celle de ta mère. Les mères devraient protéger leurs enfants... pas les abandonner. »

J'avais l'impression de mourir tellement j'avais mal, tellement je me sentais brisé. Mon corps tremblait tant la douleur se faisait trop présente. Mon menton finit par se relever sans que je ne réalise qu'il était à mon niveau, étouffant un hoquet de douleur sous ses doigts, je fus pendant quelques instant comme une biche en plein fard, incapable de bouger. Il ne m'avait pas fait mal, simplement, la surprise avait pendant quelques secondes paralysé mon cerveau. Le regarder ? Me concentrer sur sa voix ? Ma poitrine se contracta à nouveau avant que je ne ferme les yeux sous la douleur. Je n'arrivais pas à me calmer, je n'arrivais pas à le faire. Accrochant mes mains sur ma poitrine, j'essayais de stopper la douleur tout en bougeant la tête à la négative, je ne pouvais pas le faire. Je n'arrivais pas à respirer. Il m'attira alors contre lui, un sanglot plus fort s'arrachant de ma gorge pour venir s'échouer contre lui. Je me fichais pas mal maintenant d'avoir perdu mes moyens face à lui, en fait j'avais bien trop peur de ne pas réussir à me calmer, de finir par mourir et de pas réussir à le sauver. Sans doute sa voix devait-elle aider en cet instant, m'empêchant de penser que tout ça était bien ridicule. Lorsqu'il posa sa main dans mon dos, je sentis une vive chaleur me traverser la peau, comme un couteau qui, en traversant la chair, rappellerait combien il était froid. C'était un peu l'inverse à cet instant. Ca chaleur plus que ses gestes me forçait à rester avec lui, à suivre ses mouvements. Et même si pour l'instant, l'idée de respirer correctement était à proscrire, je songeais un peu moins à cette douleur. Je finis alors par m'accrocher à lui. Pleurant contre lui, la tête sur son torse alors que lentement, sa respiration commençait à calmer la mienne, à la faire revenir. J'aurais sans doute pu tiquer à ses mots, en déduire des choses, mais en cet instant j'étais incapable de penser quoi que ce soit. J'étais juste figé, secoué par la douleur de tout ça. Je ne sais pas combien de temps il fallut pour que j'arrête de pleurer, ni le temps qu'il prit pour que je respire enfin normalement. À vrai dire j'étais accroché contre lui, tétanisé par tout ce qui venait d'arriver. La douleur était toujours là, sourde, comme à son habitude lorsque ma voix, encore nouée, finit par traverser la barrière de mes lèvres.

« J'y arrive plus, et si j'y arrive plus, je vais l'abandonner une deuxième fois et… »

Une larme coula, puis une deuxième, c'était définitivement trop pour une fille de mon âge. Fermant les yeux pour réfréner l'envie de céder à nouveau, je déglutis difficilement, prenant conscience de ce qui venait de se passer. J'aurais pensé qu'il serait partie, ou qu'il se serait contenté d'une tape dans l'épaule avant de rebrousser chemin, mais il était là. Il m'avait aidé. J'avoue que je n'avais pas le courage de lui lancer quoi que ce soit d'acide. Pas plus que j'en avais envie de le fond. Il m'avait vu m'écrouler, je n'avais plus rien à sauver.

« Merci. »

Finis-je par dire simplement. Lâchant son haut pour me frotter les yeux, j'avais peur de constater à quel point j'avais pu lui pleurer dessus, peur de connaitre aussi le prix de tout ça. J'étais vidé, épuisé par tout ça, et toujours noué par ma douleur. Elle était chaque jours un peu plus forte, j'allais devoir le reconnaitre, et je craignais de ne pas savoir en faire plus. Pour son bien j'aurais du prévenir les services sociaux, mais j'avais bien trop peur de le perdre pour de bon…

« Je comprends Quinn. »

Finis-je par soufflé la voix étouffé. J'étais incapable de bouger pour être honnête. J'avais l'impression d'être au bord du gouffre, tenu uniquement par une corde brulante et rassurante qui pouvait céder à tout moment. Ainsi dangereux pouvait-il être, il était rassurant. Apaisant aussi, à moins que ce soit simplement la première forme d'autorité et d'humanité que je rencontrais depuis longtemps. Hormis Quinnie bien sur, mais Quinn était maintenu loin de tout ça, elle ne méritait pas plus de nuage dans son paysage. Pas plus que lui en toute honnêteté.

Je l'avais attirée à moi. Aleksandra était collée contre moi, s'abandonnant totalement à mon étreinte et pleurant à chaudes larmes contre mon torse. Et je me sentais tout couillon. Je ne l'expliquais pas mais... Sa détresse me touchait en plein cœur et me nouait la gorge. Je n'aurais pas du y être si sensible. Cette fille n'était rien pour moi. Sa tristesse n'était pas la mienne. J'étais venu prendre un chien au départ, pas consoler une gamine qui avait les nerfs trop fragiles ! C'était sans doute ce que j'aurais pu dire à une nana qui m'aurait gonflé et m'aurait prit pour un mec sensible et compréhensif. Mais aucun de ces arguments, aucune de ces paroles lapidaires ne franchit mes lèvres, par que le cœur n'y était pas. Je me voyais pas l'abandonner là et repartir, alors qu'elle était complètement ravagée de chagrin et broyée par la souffrance. Mine de rien ben... j'étais pas si insensible que ça.

« Tu ne l'as pas abandonné... Et tu ne l'abandonneras pas. Mais faut te ménager, faut souffler parfois. Tu tiendras pas le coup si tu ne fais pas attention à toi. »

Si jeune et déjà écrasée de responsabilités. Et de culpabilité aussi. Alors que je ne saisissais pas bien ce qu'elle pouvait se reprocher. D'avoir voulu saisir sa chance dans la vie ? De quitter une famille de merde ? N'importe qui aurait fait pareil. Elle se détacha un peu et me remercia. Ce qui me fit hausser une épaule.

« De rien. »

Qu'est-ce que je pouvais répondre de plus à ça, hein ? Je baissais les yeux sur mon t shirt, avisant les traces de ses larmes.

« Merde, mais tu gardes ça en toi depuis combien de temps ? »

Parce qu'il y en avait des larmes. Cela faisait un moment qu'elle n'avait pas du ouvrir les vannes. Je ne me souvenais plus de la dernière fois où j'avais pleuré. Sans doute quand j'étais tout gamin. Cela remontait à loin. Depuis... Je n'avais jamais reversé une larme. La tristesse, je la transformais en colère, en rancœur, et en petites piques assassines. Et là, je cillai quand elle ajouta qu'elle comprenait Quinn, me demandant ce qu'elle entendait par là.

« Euh... C'est sans doute pas le moment, mais... Tu veux dire quoi par là ? »

J'étais franchement perplexe. Elles avaient parlé de moi ? Oui sans doute. Quinn avait du dire que j'étais un mec sympa. Mais à part ça ? J'étais curieux aussi, de savoir ce que ma petite Quinnie pouvait bien penser de moi et ce qu'elle pouvait dire à ses copines à mon sujet. Cela venait contredire mon attitude générale, mais bon... Aleks avait pourtant pu voir comment je me comportais avec Quinn et Luka. Lors de Nouvel An, j'avais été moi-même, sans fards. Mais elle avait été sur la défensive toute la soirée, m'évitant et évitant mon regard, se montrant juste polie. Allait-elle changer d'avis après cet abandon total, cette vulnérabilité totalement exposée à ma vue ?

« Il a quel âge ? Ton frère... »

J'étais bien curieux, mais elle semblait tellement sûre qu'elle devait le protéger que je l'imaginais plus jeune qu'elle.

Bien sur que je l'avais abandonné, sinon comment justifier ce qui venait d'arriver. Enfin ce qui était arrivé. Je ne pouvais plus avancer comme ça, du moins mon esprit s'y refusait en réalité. J'avais craqué, je m'étais effondré, et je finirais par glisser au fond d'un gouffre que je ne voulais pas connaitre pour lui. Seulement, qui s'en occuperait si j'arrêtais ? Personne. Sans doute n'aurais-je plus la moindre force lorsqu'il ouvrira les yeux, mais je lui offrirais une chance de partir. D'avoir une véritable vie, pas comme notre mère pas comme moi. Être une artiste ne m'aurait pas donné une meilleure situations, mais j'aurais pu m'exprimer, ici, je finirais serveuse, sans avenir, et sans jamais assez d'argent pour espérer s'en sortir. Je serais une idiote de plus ayant brulé son argent pour quelque chose qui ne lui était pas vitale à elle. Sauf que si il mourrait, je n'irais pas bien loin.

« J'arrive pas à le faire, y'a genre tellement de chose à payer et pas assez de temps pour se reposer. Quand j'ai payé l'hôpital, c'est l'électricité, plus le chauffage, puis le bus quand je peux vraiment plus prendre mon vélo, et après c'est la nourriture, ça s'arrête jamais. J'ai même pas assez d'argent pour prendre un abonnement de téléphone, je vis avec une carte de cinq dollars… »

De quoi recevoir les appels, mais rarement les passer. Finissant par le remercier d'avoir été la, j'étais silencieusement désolé pour ce qui venait de se passer. Il n'aurait pas du voir ça et lorsqu'il demanda depuis combien de temps je gardais ça en moi, j'eus un rire étouffé en m'essuyant les yeux.

« Depuis que j'ai sept ans. »

J'en disais sans doute beaucoup trop, mais il ne pourrait rien tirer de ça. Je comprenais ce que Quinn disait à présent. Je comprenais ce qu'elle pouvait ressentir pour lui et pourquoi elle lui faisait confiance. Il était un peu brute lorsqu'il était dehors, mais avec eux, il changeait. Ne comprenant pas ce que j'avais pu dire, j'avais fini par baisser les yeux. Ce n'était plus de la fierté, ni même de l'arrogance à présent, plus de la gêne. Celle de reconnaitre clairement qu'il ne méritait pas ce que j'avais pu dire, enfin si, son comportement avait été con, mais j'aurais du apprendre à le connaitre, tous comme il aurait du le faire.

« Que t'es quelqu'un de bien, de… Différent ? »

Répondis-je pas vraiment sur de moi. J'avais essayé de me relever, m'attachant aux barreau d'une des cages lorsqu'il me posa une question qui fit flancher mes jambes. Ignorant la douleur de mes genoux claquant sur le sol, je déglutis en répondant, tremblante à nouveau.

« Quatorze ans, enfin il vient de les avoirs. »

Passer son anniversaire dans le coma… Il méritait tellement plus, plus que ça. Si je ne pouvais pas le sauver moi, alors je devrais me résoudre à le laisser grandir ailleurs, avec des gens pouvant prendre soin de lui. Je devrais arrêter d'être égoïste tout simplement.

C'était... bizarre. Bizarre de cotoyer la misère humaine de si prêt, sans même s'en apercevoir. Aleks devait être encore plus pauvre que Luka et Quinn. Parce qu'elle devait payer des trucs qui dépassaient l'entendement. Parce qu'à 17 ans, elle n'aurait jamais du avoir à se charger de tout cela. Que c'était le rôle des parents. Mon père était un sale con, mais au moins, son argent servait à pourvoir à mes besoins les plus élémentaires. Et il y en avait tellement que je pouvais même prétendre au superflu. J'étais un gamin capricieux et pourri gâté et je le savais. J'en jouais même. J'avais du fric et je ne m'en cachais pas, ce qui pouvait agacer. Cela n'avait jamais dérangé Quinn et Luka. Et quand j'étais arrogant, ils ne se gênaient pas pour me faire redescendre sur terre avec des commentaires bien sentis. Et Zak, le petit con friqué s'effaçait, pour réapparaître avec ses potes friqués de la fac, dans sa confrérie élitiste.

Et à côté de ça, il y avait des gens comme Aleks, qui ne pouvaient pas joindre les deux bouts, qui n'avaient même pas la thune pour se payer le bus... Et je détestais ressentir ce pincement de culpabilité. Parce que c'était stupide, je n'avais rien à me reprocher. J'avais eu de la chance, pas elle. Enfin chance... Si grandir sans mère et avec un père absent indifférent en était une quoi. Sans doute plus qu'elle. Et qu'est-ce que je pouvais bien répondre alors qu'elle m'expliquait pourquoi elle ne pouvait pas se ménager ? Rien...

Je me raidis quand elle répondit qu'elle gardait tout ça en elle depuis... 10 ans. Son frère n'était pas dans le coma depuis tout ce temps. Il y avait autre chose... Sa vie n'avait pas été facile. Qu'avait-elle du gérer depuis un si jeune âge ? Je n'en savais pas suffisamment sur elle pour ça, mais sa mère ne s'était pas occupée de ses enfants... Décidément. Un point en commun. Sa mère était une alcoolique et une droguée... Comment avait-ils vécu ? Comment avait-elle acheté sa came ? Je ne posai pas la question. Nous n'étions pas intimes.

« Depuis que tu as 7 ans... Personne n'a jamais pris soin de toi ? »

Sans doute pas. Et je ressentais le besoin de faire cela pour elle... Comme j'avais envie de prendre soin de Quinn. Pourquoi elle ? Elle n'était pas la première nana avec des problèmes. Sauf que d'ordinaire, je ne laissais pas le temps aux filles de me parler de leur vie. Je n'en avais rien à foutre. Alors pourquoi est-ce que c'était différent avec Aleks ? Parce que c'était une copine de Quinn ? Ouais, probablement. Cela ne pouvait être que ça. Elle réveillait une fibre protectrice chez moi qui n'existait pas avant de rencontrer Quinnie.

D'ailleurs, Aleks y fit allusion. A mon changement de comportement. A ce que Quinn pouvait aimer chez moi et pourquoi elle m'adorait et me faisait confiance. Je lui demandais des détails. Ce qu'elle, elle voyait pour affirmer cela. Et je fus ravi qu'elle me dise que j'étais quelqu'un de bien. Différent, sans aucun doute.

« Ouais... Je suis pas un sale con tout le temps. En même temps... Impossible de l'être avec Quinn... Elle donne trop envie de la protéger. »

Je marquai une pause, ajoutant à mi-voix :

« Comme toi... »

Je me raclai la gorge, osant demander des détails concernant son frère et je m'accroupis dés qu'elle tomba au sol.

« Merde, pardon, j'aurai pas du... Tu t'es fait mal ? »

Dans le coma à 14 ans... Ce n'était pas juste. La vie n'était pas juste.

« Tu veux que je te trouve un truc à boire ? A manger ? T'es beaucoup trop pâle... »

Je me raidis inconsciemment à sa question, si des gens avaient prit soin de moi, du moins à leurs manières. En commençant par me donner à manger, ou en m'achetant des choses lorsque je n'hurlais plus, lorsque je me laissais faire. Et puis il y avait eu cette femme qui m'avait écouté, qui nous avaient faire partir, et puis il y avait Quinn, Luka, qui étaient là, qui m'accueillait sans poser de question. Mais je savais que sa question n'était pas là. Personne pour m'élever. Aucun véritable parents. « Luka est sans doute celui ayant agit avec le plus de maturité dans ma vie. Mais je suppose que le fait de me nourrir n'est pas ce que tu attendais. », répondis-je avec le plus de détachement possible. Mais il n'était pas celui que je pensais, du moins j'entrevoyais ce que Quinn aimait tant chez lui. Lui disant alors, je me mettais dans une position que je n'aurais pas cru lui exposer un jour. Je n'aurais jamais dévoilé la moindre faiblesse à Zak normalement mais là… Il n'était pas toujours un sale con, en vérité, il était impossible de l'être avec Quinn, qui pourrait l'être avec Quinn ? Il ajouta alors qu'elle donnait trop envie de la protéger. J'allais répondre que je comprenais, car j'agissais de la même façon, mais il me vola ma voix en ajoutant quelque chose qui serra mon coeur. Je n'aurais pas cru, ce pincement, je n'en voulais pas, mais pourtant, il était là.

« Euh, je… »

Je ne l'aurais pas laissé entendre ça normalement. Je n'étais pas une chose fragile à protéger. En fait si, totalement, mais pas par lui, enfin… Essayant de me redresser, je finis par retomber, avec plus de violence encore lorsqu'il me posa une question sur mon frère. Quoi qu'il puisse dire, quoi que je puisse penser, il me faisait mal. Pas Zak, mais mon frère. La situation, le fait qu'il soit là à cause de moi, j'avais beaucoup trop mal. Zak se baissa lui aussi. Se mettant à mon niveau avant de jurer et de s'excuser. S'inquiétant même de mon état, il semblait sincère. Tout comme il semblait vraiment s'inquiéter. Chose bien trop étrange à mon gout. Je n'avais pas l'habitude de recevoir la moindre attention. Quinn ayant déjà fait foi d'exception. Alors le voir agir comme ça… J'étais bien plus perdu que je ne l'aurais cru. Un sentiment étrange qui me poussa à tendre le bras vers lui, d'abord hésitante, puis un peu franchement, pour glisser mon bras autour de sa nuque. Essayant de ne pas le faire tomber, je fis simplement la première chose qui m'était venu à l'esprit. Quinn m'avait un peu transformé. Elle m'avait poussé à oser, même lorsque je n'étais pas sur. Je venais de prendre Zak dans mes bras, sans pleurer ce qui était une première pour le signaler. Un contact qui ne fut pas bien long, par inconfort, et manque d'habitude.

« Merci. »

Soufflais-je lorsque je repris mes distances pour essayer de me remettre debout. J'avais mal au genoux, réellement, mais c'était de toute évidence un coup et j'allais m'en remettre. J'avais ignoré sa question. Faim, j'avais toujours faim, pâle, je l'étais tout autant. Je ne mangeais de toute façon pas assez, mais je ne me voyais pas lui demander quoi que ce soit, il en avait déjà beaucoup fait.

« Je vais simplement boire au robinet. »

Finis-je par dire pour ne pas le laisser penser d'autre chose. Même si Zak était loin d'être stupide. Marchant lentement vers l'évier, je sentais mes jambes prêtes à céder à tout moment. J'avais beaucoup trop poussé cette semaine, et bien plus encore durant les dernières minutes. Je n'étais en sois pas en état de travailler, mais cela devenait tellement habituel que je ne m'en offusquais même plus. Non, j'ignorais. Arrivé à l'évier, je m'y tenais fermement avant d'ouvrir un robinet et de boire directement, plus je buvais, moins j'avais l'impression d'avoir faim. Ça me ferait sans doute tenir jusqu'à ce qu'il parte. M'arrêtant alors, je fermais le robinet, pour me retour et revenir avec un semblant d'énergie censé faire illusion.

« On devait pas te trouver un chien ? »

Éviter le sujet, éviter d'être plus fragile, éviter de ressentir le besoin d'être avec lui, il était devenu bien trop rassurant et, je ne pouvais pas me permettre de penser à moi.