“ The past was always there, lived inside of you, and it helped to make you who you were. But it had to be placed in perspective. The past could not dominate the future.” ”
C’est toujours la même rengaine, à chaque fois qu’elle passe en caisse. La carte glissée dans le lecteur, les dents qui viennent mordre l’intérieur de sa joue, tandis que ses doigts se croisent et qu’elle espère que le terminal ne viendra pas hurler HUMILIATION en bipant, trahissant ses finances restreintes. Elle prie, aussi et quand les points noirs sur le fond verdâtre viennent clignoter « Paiement autorisé », elle laisse échapper un léger soupir de soulagement et se reprend automatiquement, souriant à la jeune femme à peine plus âgée que Madalina, de l’autre côté du tapis roulant. Elle attrape ses sacs pleins de courses et elle la salue, avant de partir. Elle aime pas faire les courses, Iulia, il y a toujours cette crainte de ne pas pouvoir payer tout ce dont ils ont besoin à la maison, ou alors que la banque lui ait enlevé ce privilège de pouvoir se servir d’une carte de crédit sans le lui notifier, tout ça parce qu’elle est constamment dans le rouge. Est-ce de sa faute ? Un peu. Même si elle se décarcasse du matin au soir au travail, il y a plusieurs bouches à nourrir à la maison, certes, Mihail et Madalina lui donnent parfois un coup de main, c’est elle-même qui s’est tiré une balle dans le pied en voulant faire plaisir à sa fille. C’est en lui payant ce voyage pour son anniversaire qu’elle a dynamité ses économies et percé son compte en banque de milliers de trous que ses trop peu nombreuses heures de travail ne parviennent à remplir. Alors, elle ne partage pas avec eux ses craintes et ses problèmes, parce qu’elle les connaît : ils seraient tous les deux bien capables de culpabiliser et de s’assommer sous plus de travail encore pour l’aider. Mais ça, c’est son rôle à elle, travailler. Eux, il faut qu’ils finissent leurs études, qu’ils décrochent un diplôme qui leur permettra d’avoir un travail correct qui leur assurera des fins de mois au-dessus de zéro. Qu’ils ne finissent pas dans la même situation que l’aînée des Popescu. De toutes manières, ces deux-là, en addition avec Tereza, sont sans doute les plus prometteurs de la famille. Parmi les neuf, y a en au moins deux qui peuvent avoir un futur. Madalina, même si elle a commencé sa vie au plus bas, elle s’en sort vraiment bien. Il n’y a pas à dire, c’est vraiment la fierté de sa maman, ce petit bout de jeune femme.
Tandis que Iulia redescend les couloirs de cette grande galerie marchande comme ils savent le faire si bien aux Etats-Unis, et malgré ses maigres finances, elle ne peut s’empêcher de regarder dans les vitrines des magasins. Ses vêtements, c’sont toujours les mêmes, elle n’en a pas beaucoup depuis qu’elles ont tout perdu dans l’ouragan. Ils fatiguent, mais elle ne peut pas se permettre d’en acheter des neufs, encore moins dans ce genre d’enseignes. Alors, elle se contente juste de regarder et de lorgner sur les jolis chemisiers à motifs hors de prix ou les pantalons qui coûtent trois fois son salaire. Peut-être qu’elle en trouvera des semblables dans des boutiques type friperies. Alors, plutôt que se faire du mal comme ça, elle tourne les talons et elle trace. Sortir au plus vite, prendre le bus et rentrer. Compter ce qui lui reste jusqu’à la fin du mois et demain, repartir travailler, encore pour son salaire de misère. Elle s’approche des escaliers, quand elle le voit. Au moment où ses yeux se posent sur lui, elle se fige et blêmit. Elle ne l’avait plus vu depuis avant son incarcération. Lui. Răzvan. Plus grand, plus carré que dans ses souvenirs. Puis, c’est l’aigreur qui lui monte au nez, ça lui pique, un peu comme de la moutarde et elle fronce les sourcils. Elle se retourne et prend une autre direction. Il l’a vue, elle en est certaine. Mais elle ne veut pas lui parler. Pas le voir. Y a tout qui remonte, qui l’étouffe. La rancoeur, la rage, la haine, la détresse, les appels au secours dans le vide, la douleur et la solitude. Tout qui se mélange et s’assemble pour former une chimère difforme qui lui grignote le coeur et la gorge. Il ne faut pas qu’il la suive. Elle se précipite alors vers l’ascenseur, massacrant les boutons comme si ça allait le faire venir plus vite et une fois les portes ouvertes, elle s’y glisse. Dos contre le fond, elle soupire. Les portes commencent à se refermer. Ouf.
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