Automne 2011, banlieue ouest de Savannah, Georgie. Il resserre un peu sa main autour du verre, le liquide brun dansant au rythme des tours qui lui fait faire. Il n’accorde même pas un regard à l’homme qui lui parle, Bob –Robert c’était ce voisin un peu discret, le même genre de voisins avec le cœur sur la main, qui t’offre ses bons services, t’invite pour son barbecue ou te prête sa tondeuse sans même râler, tu vois le genre ? Il s’était installé dans le quartier à peu près en même temps que nous, je me rappelle de sa femme, et puis je me rappelle aussi l’avoir vu saoul plus d’une fois. Le pauvre homme avait doucement sombré dans l’alcool après la mort de leurs fils. Et malgré tout ça, Bob restait le plus gentil des hommes-, et pourtant il sait que Bob a raison quand il lui dit ces choses-là, quand il lui dit de prendre la bonne décision. « Je peux pas faire ça à Madison...» Il ne l’appelait Madison que dans les moments grave, que quand il avait une bonne raison de perdre son temps à l’appeler par son prénom. Il avale une grande gorgée du liquide ambré, amer et chaud. Il lui arrache la gorge au passage, grimace. Il n’a jamais aimé l’alcool fort. Bob lui, boit son nectar sans mal, avec habitude et nonchalance. Il se redresse un peu pour l’observer de l’autre côté du bar. « Richard, qu’est-ce que tu feras quand ce sera Madison qui la trouvera en train de se vider de son sang dans la baignoire ? », il savait pourtant qu’il avait raison, comme tous les autres qui croyaient bon de conseiller la famille Pearce. Il savait qu’il n’avait plus que cela à faire, qu’il devait prendre cette décision. Et il se rappelait avec nostalgie les bon moment, un gout de regret en bouche, le sentiment d’avoir raté le coche quand tout a changé. Elle n’a pas toujours été comme ça Michelle, pas toujours eut cet air désespérément triste sur les lèvres, pas toujours eu envie d’en finir. Michelle et Richard c’est une de ces histoires qui commence adolescent. le même quartier, le même lycée, et puis un amour naissant. Les prémices d’une belle histoire –de celles que l’on raconte dans les livres pour les petites filles-, un couple heureux, un mariage, et bientôt un enfant. Le seul, l’Unique. L’enfant roi, l’enfant messie. L’enfant attendu, le prophète qui offre une nouvelle vie. Michelle elle avait toujours le sourire quand elle est née la belle héritière, c’est après que tout a chaviré, que tout a foutu le camp sans que l’on puisse récupérer la situation ou même tenter de faire quelques choses contre ça. Parce que Richard n’a rien vu venir, les crises de paniques, les pleurs et les idées noir. Il n’a rien vu venir, pas même la première tentative de suicide, celle où il l’avait retrouvée inconsciente dans la salle de bain, les bras tailladé. Il n’avait rien vu arrivé, et même si ça avait été le cas, Richard n’était pas sur de pouvoir affronter ça, de pouvoir lutter contre les idées noires de sa femme, de pouvoir y changer quelques choses. Et il regrettait amèrement les moments sereins passer en famille, les dimanches après-midi, les longues balades en vélo, les soirées film. Il savait à cet instant, il savait qu’il était aux prémisses d’un tournant. Madison n’avait que 6 ans, et plus rien ne serait plus comme avant.

Printemps 2016, banlieue ouest de Savannah, Georgie. C’était une de ces journées où il faisait une chaleur à crever. Une de ces journées qui te faisait presque regretter de ne pas être en hiver, de ne pas avoir de vent, ou même de la pluie. Pourtant t’étais une fille du soleil toi, t’aimais la chaleur des jours d’été et le parfum du goudron trop chaud. Tu quittais la ville étouffante, traversant les banlieues pleines de vie pour rejoindre le garage de ton père. Papa était là, comme à son habitude, dans sa cote bleue, les mains pleines de cambouis, la barbe de quelques jours lui entourant le visage. Tu t’avançais, discrètement sans faire de bruit, croisant juste son regard, lui rendant le demi-sourire qu’il t’offrait. Un baiser sur sa joue et tu prenais place sur le petit tabouret à roulette qui traînait là. « Alors, t’as passé une bonne journée ? », que tu lui demandes en te balançant sur les roulettes. Il se redresse papa, un peu plus difficilement qu’avant, tu l’avais bien remarqué depuis ces dernières années, que tout devenait plus dur, plus fatigant. Il acquiesça, silencieux. Il n'était pas bavard papa, il n'aimait jamais trop parler, surtout pour ne rien dire, surtout quand ce n’était pas nécessaire. Il était quelques fois tout l’inverse de toi, un peu plus discret, un peu plus silencieux, un peu plus « ours mal léché ». Vous vous entendiez bien, vous n’aviez pas besoin de mot la plupart du temps, vous aviez juste besoin de vous observer. Et papa il te regarde, avec ces yeux de père qui voit sa petite fille grandir trop vite. « Tu sais, le fils des voisins… Comment il s’appelle déjà… Conrad ? Cooper ? », tu ricanas un peu, le corrigeant. « Connor », tu le connaissais bien Connor, t’avais fréquenté les mêmes écoles que lui depuis toute petite. Connor c’était ce genre de mec au physique de gros bébé, la peau lisse, les cheveux blonds, Connor avait vite grandi, te dépassant bien longtemps avant ta puberté. Connor était un garçon gentil, discret et maladroit, plutôt bon à l’école. C’est tout ce dont tu te souviens de Connor, vous aviez laissé le temps vous séparer. « Ouais, Connor… Il vient d’être accepté à Harvard ! », ça ne t’étonnait pas, Connor avait toujours voulu faire de grandes études. Ce qui t’étonnait plus, c’est que ton père s’intéresse à Connor et à ses futures études. Tu ne savais pas vraiment pourquoi il te parlait de cela, ni ou il voulait en venir. « Et toi ? Tu as envoyé des dossiers ? », postuler dans des universités, choisir de ton avenir. Non. Non pas vraiment. Parce que tu n’en as pas envie, parce que tu sais pas vraiment ce que tu feras demain, dans une semaine, plus tard. Tu te pinces un peu la lèvre, cherchant les mots pour lui annoncer que tu ne seras jamais une grande avocate, médecin, ou astronaute. « En réalité… J'ai pas envoyé de dossier. Je pense pas aller à l’université papa », tu voudrais lui dire que tu rêves d’autre chose que des bancs de l’école. Tu l’observes un peu, cherchant dans ses yeux les moindres signes qui te prouveraient qu’il n’a pas honte de toi. « J’ai mis un peu d’argent de coté, je pense qu’on va voyager un peu avec les filles… », la voiture, les copines, et traverser le pays, de long en large, de haut en bas. Tu l’observes encore un peu, de plus en plus inquiète face à sa réaction. Il est muet ton père, et tu ne sais pas si c’est une bonne chose. « J'savais que tu ne serais pas médecin », il t’offre un clin d’œil, reprenant son travail sur la voiture ouverte devant lui.

Printemps 2017, Grand Canyon, Arizona. « Derrière le grand canyon, tout droit jusqu’au étoiles », La carlingue de la voiture est brûlante, chauffer par les rayons d'une belle journée d'été. Tu remontes tes jambes le long de ta poitrine, posant ton menton sur ton genou, une clope à la main. Il n’est partie que depuis quelques heures et pourtant il te manque déjà. Tu le sais, tu le sens, même si tu repousses au plus loin le sentiment qui se forme dans ta poitrine, le petit pincement qui te gratte la gorge, qui te rend mélancolique et te donne un soudain besoin de réconfort. Tu soupires, las de tout cela, las de le voir partir, puis revenir, de jouer ce petit jeu. Et pourtant tu ne dis jamais non, tu ne donnes jamais le point final à cette partie entre vous. Tu tires encore sur ta clope, scrutant l’horizon, les champs de maïs à perte de vue. Tu veux pas rentrer, t’es bien là, loin de la ville, loin de la civilisation, des gens pressés. T’es bien là, loin de tout, libre de tout. T’as plus à te soucier de tout ça, de ce que tu feras plus tard, en rentrant, quand tu seras adulte. Être adulte. Ça te parait tellement loin, tellement abstrait. Tu ferme les yeux un moment, captant les derniers rayons de soleil, avant qu’il ne se couche. Tu sens sa présence, la silhouette fine qui s’avance vers toi, qui prend place à tes coter. Juste la présence, une âme qui se frotte à la tienne, qui pose sa tête contre ton épaule. Rien que vous, le silence qui vous entoure. Tu rouvres les yeux, lui tend la clope qui te consume entre tes mains. « T’es triste ? », qu’elle te demande en se redressant un peu, t’observant. Tu tourne la tête vers elle, l’observant, lui rendant son sourire. « Nan », non t’es pas triste, juste un peu déçue, juste un peu mélancolique. Tu a ce coup de blues qui te donne envie de jouer un morceau sur ta guitare, ou fumer un joint allongé dans l’herbe. Mais tu ne fais rien de tout ça, tu ne fais rien de tes mains, juste attraper une mèche de ses cheveux qui traîne là, la repoussant derrière son oreille. « T'es belle Adel… », et t'es presque subjugué par tant de beauté, presque muette devant son visage si lumineux. Ça te rend heureuse de voir quelques choses de si beau, ça te donne du baume au cœur, ça te donne des papillons dans le ventre, une douce chaleur qui t’envahit. Et tu te surprends à regarder ses lèvres roses, ses lèvres si douce. Tu voudrais bien y goûter. Tu voudrais bien l’embrasser.