- Maman, j'te prend ta voiture c'est urgent ! Qu'elle gueule, la voix emprunte d'un stress flagrant. Elle pique les clés sur le comptoir du motel et fonce sur le parking en courant, le cœur battant. Y a la voix de Nora au téléphone qui raisonne dans sa tête. J'suis en garde à vue ; viens me chercher. Et Mads accoure, sans hésiter. Sans repenser à leur dernière entrevue. Y a son amie enfermée entre quatre murs, pour des raisons obscures, et ça la rend folle. Elle n'y comprend rien et ne sait plus si elle doit s'inquiéter ou pas. Est-ce que c'est grave ? Qu'est-ce qu'elle a fait ? Y aura des suites ? Elle a des ennuis ? Ça l'affole un peu, parce qu'elle est dans le flou et que du coup, elle imagine le pire. La portière de la voiture claque et elle démarre en trombe, les pneus qui crissent salement sur le bitume et sa mère qui hurle par-dessus, fâchée de voir sa fille conduire comme une sauvage. Mais Mads s'en fout, elle n'entend pas. Elle est concentrée sur ce qu'elle doit faire, sur l'endroit où elle doit aller. Elle file sur la grande rue, pour rejoindre le centre-ville. Le poste de police où croupit Nora. Depuis combien de temps elle est là-dedans ? Elle ne le sait même pas. L'entrevue au téléphone fut brève. Nora lui a demandé de venir la chercher, Mads a accepté, elle lui a indiqué le montant de caution et fin de l'histoire. Elle jette un coup d'oeil à son sac à main qui traine sur le siège passager, avec les billets verts qui dépassent un peu. Ceux qu'elle garde dans une boite à chaussure sous son lit et qu'elle gagne au black avec ses filatures foireuses. Elle mettait de côté, pour pouvoir aller voir son père à l'autre bout du pays lors de son prochain gros concert. Tant pis. Les urgences avant les plaisirs. Elle se gare dès qu'elle trouve une place et quitte la voiture pour rapidement remonter le trottoir jusqu'au poste de police. Elle bouscule les gens devant elle et se précipite au niveau de l'agent à l'accueil. - Je viens cherc.. - Attendez votre tour mademoiselle. Elle s'étrangle à moitié, furieuse. Elle fusille l'agent du regard, les poings serrés et recule de deux pas pour laisser terminer la personne qui était déjà là. Elle fulmine sur place, impatiente, nerveuse. Ils sont lents putain. Il sont beaucoup trop lents. Elle a l'impression d'attendre 3h alors que ça ne dure que 10 minutes. Dix minutes de trop. Quand c'est enfin à elle, elle agresse à moitié l'homme tant elle est énervée et speed. - Je viens chercher Nora Caldwell ! L'homme fouille dans ses papiers, vérifie, puis appel un de ses collègues qui emmène Mads dans une pièce à part. Après un peu de paperasse et l'argent de la caution donné - non sans un regard désapprobateur de la part de l'officier face à la liasse de billets - l'homme la ramène à l'accueil. - Je vais la chercher. Mads croise les bras et reste plantée là, pas très à l'aise. Quand enfin Nora apparait, y a son cœur qui bondit. Elle n'a pas super mine et surtout, elle a le visage dans un sale état. Mads fronce les sourcils et la dévisage, perplexe. Elles se retrouvent face à face, sans un mot. Et d'abord, y a le souvenir de leur dernière entrevue qui refait surface, la faisant se braquer légèrement. L'amertume et la rancœur qui prennent le dessus. Et puis, y a les reproches de Nash sur son comportement lorsqu'ils se sont disputés qui s'ajoutent à leur tour. Peut-être qu'il a raison finalement. Peut-être qu'elle pourrait faire des efforts. Au moins de temps en temps. Dans des situations comme celle-là par exemple. Et Mads finit par abdiquer, soupirant bruyamment. - Putain, Nora. Y a l'inquiétude et les nombreuses années d'amitié qui finissent par s'imposer. Les bras de Mads qui se décroisent et qui viennent entourer son amie. Étreinte brève mais chaleureuse, autant qu'elle en est capable en tout cas. Elle la relâche mais ses mains viennent se poser doucement sur les joues de Nora, pendant qu'elle détaille l'état de son nez et les ecchymoses qui ont fleurit autour. La colère grimpe. - Qui t'as fait ça ? Qu'elle demande, furieuse. Qui a osé faire ça ?

— C'est rien. Tu parles. Bien sûr que ce n'est pas rien. Suffit de voir la tête qu'elle fait pour le savoir. Mais Mads n'insiste pas, elle ne dit rien, se contente de l'enlacer, parce qu'au fond, c'est un peu plus facile que de parler. Et elle sent Nora qui s'abandonne contre elle, la tête sur son épaule, le poids de son corps qui pèse sur le sien, les bras fatigués qui pendant le long de ses flancs. Et ça lui fait mal à Mads de la sentir dans cet état. C'est rare de la voir aussi usée. Elle qui d'ordinaire n'est qu'une boule de nerfs ambulante. Toujours les yeux assassins et la voix qui porte pour mieux claquer dans l'air. Alors oui, ça lui fait comme un pincement au cœur de la voir si fragile. On dirait une petite fille. Mais ça ne dure pas longtemps. Moment de faiblesse passager qu'elle surmonte aussi vite qu'il est apparu. Les poings qui se serrent alors que Mads l'interroge. Elle voit la fureur qui revient s'allumer et crépiter ardemment au fond de ses prunelles sombres. Et ça la rassure, de voir qu'elle n'a rien perdu de son éclat et de sa force de caractère. Au fond, c'est comme ça qu'elle l'aime. Sûrement que si Nora avait été une fille douce et discrète, ça n'aurait jamais marché entre elles. — C’est juste un connard au bar. j’vais le crever comme un chien. Et Mads fronce les sourcils. Au bar ? Y a ses yeux qui s'échappent des siens une seconde, le temps pour elle de réfléchir brièvement, avant de demander. — Au bar ? Attend, personne n'est intervenu ? Et Nash et les autres, ils étaient où ? Et les autres clients ? Voilà, elle bouillonne elle aussi. Les dents qui se serrent et la rancœur qui lui saute à la gorge. Tous des cons. Et elle aurait aimé être là ce soir, pour filer un coup de main. Pour intervenir. Pour ne pas laisser un con l'abimer et la police l'embarquer. Nora finit par se reculer et elle n'insiste pas, laissant ses bras revenir à leur place initiale. Et y a son regard qui glisse sur la tenue de Nora et qui soulève tout un tas de questions. Qu'est-ce qu'elle fout sapée comme ça putain ? — J’étais pas sûre que tu viennes. Leurs regards qui s'accrochent encore une fois. Cette incapacité qu'elles ont à communiquer simplement. A dire les choses telles qu'elles sont. Toujours à se cacher derrière des sous-entendus codés, en espérant simplement que l'autre comprendra. Et le pire, c'est que ça marche. Elles se comprennent, parce qu'elles fonctionnent de la même façon. Mads qui hausse les épaules de façon nonchalante. — Arrête de dire des conneries. A croire que c'est plus simple que de dire merci et de rien. Y en a pas une pour rattraper l'autre. Quoi qu'il en soit, ça lui parait foutrement évidement à Mads d'être venue. On ne tourne pas le dos à plus de dix ans d'amitié pour une sombre dispute. Aussi douloureuse fut-elle. — J’te rembourserai. Dis-moi combien ça t’as coûté et j’te rembourserai tout, t’as pas à t’en faire pour ça. Mads qui lève un peu les yeux au ciel et qui lui emboite le pas pour quitter cet endroit maudit. — Ouais, on en parlera plus tard t'en fais pas. Y a peut-être un peu plus urgent dans l'immédiat que les questions d'argent. Mads croise les bras lorsqu'elle la regarde renfiler ses chaussures. Elle garde le silence trois secondes et puis, il faut que ça sorte. — Bon. Pourquoi t'es habillée comme ça ? C'est pas Nora ça. Les talons, la robe, le maquillage, même la coiffure. Et elle ne pige pas trop ce qu'il se passe ou ce qu'elle doit comprendre exactement. — Ça va aller pour marcher ? J'suis garée pas loin. Qu'elle dit, tout en pointant distraitement du doigt la direction qu'elles doivent prendre pour regagner sa voiture. Elle a l'impression d'avoir raté un épisode et c'est assez perturbant.

Son silence face à sa question est plus qu'éloquent et Mads sent la rage venir brûler ses veines. Quelle bande de cons. Leur bar est l'exemple même du bar mal fréquenté et ils osent s'absenter et laisser Nora toute seule face à ces déchets alcoolisés ? Elle a beau être forte et ne pas avoir peur, elle n'a pas l'avantage du nombre. Et s'ils avaient décidé de se mettre à plusieurs contre elle, dieu seul sait comment ça aurait pu finir. Et cette idée lui tord les boyaux. Elle voudrait appeler Nash sur le champ et le traiter de gros con, d'inconscient et d'irresponsable. Mais elle ne pipe pas mot, elle ne surenchérit pas. Une vieille habitude entre elles, ne pas se mêler des galères de l'autre. Parce qu'elles sont toutes les deux suffisamment grandes pour le faire elles-même. Et de toute façon, elles n'ont jamais supporté que l'autre se mêle de ce qui ne la regarde pas. Même si, au final, ça ne les arrête pas toujours. — J’ai perdu un pari. J’préfèrerais qu’on en parle pas. Et Mads ne peut pas s'empêcher de hausser un sourcil. A part contre Nash ou Sil, elle ne voit pas bien contre qui elle aurait pu perdre un pari. Mais du coup, ça insinuerait que ces deux enfoirés savaient pertinemment dans quelle tenue elle allait devoir se pavaner dans le bar. Mads ferme les yeux et inspire en silence, cherchant à se contrôler pour ne pas faire de réflexions à ce sujet, alors qu'elle n'a qu'une envie : les étrangler tous les deux. Mais elle voit bien que ce n'est pas le moment de parler d'eux, de parler de ça. Alors, Mads tente autre chose. Elle se radoucit, contient sa colère et, lui lançant un petit sourire taquin, elle lâche. — Je n'savais pas que Nora Caldwell pouvait perdre. Regard complice, avec pour seul but de la soutenir un peu, de l'aider à retrouver sa fière allure, son menton relevé et son regard de tueuse. Malheureusement, le trottoir en décide autrement et c'est un échec total. Avant même qu'elle n'ait le temps de réagir, Nora bascule, glisse et se retrouve le cul au sol, mouillée. Le premier réflexe de Mads est de s'arrêter et de s'assurer que tout va bien. Elle se redresse et recule d'un pas quand Nora se met à râler et envoie valdinguer ses chaussures à plusieurs mètres de là. Et là, c'est plus fort qu'elle. Mads vient se mordre les lèvres et s'efforce de regarder ailleurs pour ne pas se mettre à rire, malgré l'envie qui la démange. Elle en vient même à quasiment retenir son souffle, consciente qu'elle ne ferait qu'alimenter la colère de Nora en se laissant aller. Et celle-ci ne tarde pas à la griller. — Te gêne surtout pas. Mads inspire un grand coup, sentant qu'elle perd le contrôle. Elle toussote et se tourne à nouveau vers elle, venant s'accroupir à son niveau. — Mais non. Tu.. Elle étouffe un éclat de rire. — Tu t'es fait mal ? Et finalement, c'est plus fort qu'elle. Elle lâche tout et se met à rire de bon cœur, devant la mine contrite de Nora. La situation est trop cocasse pour se retenir plus longtemps. Nora a des allures de petite fille boudeuse et c'est aussi hilarant qu'attendrissant. — Allez, viens. Elle se redresse, toujours en train de rire et lui tend la main pour l'aider à se remettre sur pieds. Elle retire sa veste et la donne à Nora pour qu'elle puisse la nouer autour de sa taille afin d'avoir un peu plus de longueur que sa mini-robe ne lui en offre pour pouvoir cacher ses fesses. — Tu sais ce qui te remonterait le moral ? Une vengeance, en bonne et due forme, contre ceux qui ont gagné le pari. Elle hoche la tête de bas en haut pour appuyer ses propos. — C'est tout ce qu'ils méritent. Et elle est motivée à lui prêter main forte si besoin. A elles deux, elles peuvent être terribles. Et puis, rien de tel que faire le mal pour se réunir à nouveau et oublier les disputes passées.