Sois belle Anca, sourit Anca, sois aimable Anca. Jolie fille et du vent dans le cerveau, sourire jusqu’aux oreilles et tant pis si c’est faux. Elle tire sur sa jupe, trop courte. L’uniforme, elle déteste ça, la chemise trop serrée, le collant trop transparent. Y a rien de classieux dans cet ensemble, et pourtant elle fait de son mieux. Elle ferme la bouche, laisse ses cheveux tomber en cascade comme pour cacher le décolleté. Son père la traiterait de salope sans hésiter. Comme toutes les filles qui trainent dans ce bar, aucun doute là-dessus. Elle l’entend déjà hurler, la forcer à se couvrir, à cacher les formes qu’elle ne peut plus nier depuis un moment déjà. Elle est femme quand Lucian voudrait qu’elle reste enfant. Et elle aussi. Parfois. Souvent. Redevenir la gamine de dix ans, celle qui se jetait dans les bras de Sergheï ou de Valerian, capable de se réjouir pour un oui ou pour un non. Sauf qu’elle est partie la gamine, depuis longtemps maintenant, y a plus qu’Anca, perdue entre adolescence tenace et l’âge adulte qui refuse de la laisser marcher droit. C’est des coups partout, dans le cœur et dans le crâne, c’est le destin qui s’acharne, comme une blague hilarante pour les autres. Ouais.
Anca tu me remplace pour les commandes j’ai besoin d’une pause. Elle a même pas le temps de protester que la blonde qui lui sert de collègue lui refile son plateau et se dirige vers les vestiaires. Anca fait tourner le plateau un instant, hésitante. Elle n’était pas censée servir ce soir. Deuxième jour d’essais on l’avait mise au bar pour voir ce qu’elle valait. C’était sa dernière chance. Dernier bar qui avait bien voulu d’elle, qui avait bien voulu accepter le fait qu’elle ai besoin de repos à certains moments, récupérant encore de l’ouragan, le ventre souvent douloureux quand elle forçait trop sur les muscles. Y a un frisson qui la parcourt quand elle repense à la barre de fer planté dans son ventre, frisson qui se propage un peu partout et elle décide de se mettre en marche pour chasser les mauvais souvenirs.
Elle n’aime pas servir. Du moins pas dans les bars. Elle n’aime pas le regard des gens sur son corps, elle n’aime pas devoir communiquer avec ce genre de population. Les hommes. Surtout les hommes. Depuis toujours mais surtout depuis Jemmy. Elle a peur qu’il débarque ici à l’improviste et qu’il la voit entrain de servir un autre gars et qu’il se fâche ; Pour un oui, pour un non. Elle sait plus vraiment quoi faire avec lui et y a l’impression de marcher sur des œufs pour pas le blesser qui lui colle à la peau. Mais elle à pas le choix. Du moins c’est ce qu’elle se dit. Parce qu’elle est comme ça Anca, trop aveugle, incapable de lever la tête pour voir plus loin que le bout de son nez, elle s’enferme dans des bulles masochistes préférant souffrir que de plutôt faire un véritable effort. Jusqu’au jour où elle craquera. Comme elle l’a fait il y a déjà sept ans.
« Allez ma grande » qu’elle murmure à elle-même, fixant sur son visage un sourire factice qu’elle maitrise maintenant à la perfection. Et sans attendre elle se dirige vers la zone de sa collègue pour commencer à prendre les commandes. Première table, Anca rejette ses cheveux en arrière, ne perd pas son sourire, elle regarde sans vraiment regardant avant de s’exclamer « Messieurs ? Vous avez fait votre choix ? » ptêtre qu’elle aurait du s’y prendre à deux fois. Ptêtre qu’elle aurait du mieux regardé. Ptêtre alors qu’elle l’aurait vu assis sur le canapé en face. Juste en face. Avec ses cheveux bouclés. Fantôme du passé et elle qui ignore les signaux de l’IMF, elle se contente de crisper un peu plus ses doigts sur le métal du plateau en attendant leur réponse.