“Caleeeeeeb tu viens jouer aux barbies avec moi ?”
“Cette petite va me rendre dingue.”
“Toi tu fais Stacey et moi je fais Barbie. Stacey c'est la copine de barbie, elle est brune, elle est crooo jolie mais c'est barbie la plus belle.”
“Pitié mec, me laisse pas ici.”
“J'te revaudrai ça Caleb, promis.”
“T'as interêt parce-que là c'est ...”
“Caleeeeeeb !!!”
“ ... de la torture.”

La soirée dans anciens élèves. Une institution à Savannah, peu importe l'établissement dans lequel vous avez étudié, vous y avez tous participé au moins une fois dans votre vie. Moi c'est ma première fois et je me demande encore ce que je fou là. J'avais toujours réussi à bosser ce soir là les années précédentes mais mes camarades de classe m'ont pris de cour cette année et je me retrouve, entre deux plateaux de petits fours, entrain d'écouter Madame Linderman - ma prof d'histoire - me raconter à quel point elle peut s'éclater en étant à la retraite. Cette année, la soirée des anciens élèves se déroulait sur le rooftop d'un bar super branché au coeur de la ville. Autant la soirée pouvait être chiante, autant la bouffe était bonne et la vue aussi. “Alors Presley, votre femme n'a pas pu venir ce soir ?” me fit un ancien professeur en s'imiscant dans le petit groupe d'amis qui s'était formé dans un coin du rooftop. “Oh euh, je ne suis pas marié.” lui dis-je en portant mon verre de whisky pour avaler une gorgée. “Mais vous avez une fille non ?” Je n'ai jamais compris pourquoi c'était si difficile, pour certaines personnes, de comprendre que l'on pouvait être père de famille à trente-deux ans mais pas marié pour autant. Les mêmes questions fusèrent tout au long de la soirée et je n'avais qu'une envie, m'en éclipser le plus rapidement possible.

Au moment ou je m’apprêtais à tirer ma révérence, une voie que je n'avais pas entendu depuis quatorze ans me parvient aux oreilles. C'était impossible. Mes yeux scrutèrent la foule à sa recherche. Je devais surement rêver, un trop plein de whisky me brouillait les idées. J'allais me rendre à l'évidence que j'avais du l'imaginer et puis mes yeux tombèrent sur elle. Celle qui hantait mes rêves depuis mes dix-huit ans. Celle qui m'avait broyé le cœur sans que j'en puisse recoller les morceaux cassés. Celle qui m'avait plaqué après lui avoir fait l'amour, sans se retourner, sans remords. C'était impossible. Le pincement au bras que me prodigua un pote d'enfance m'indiqua que ça n'en était pas un. C'était réel. “Hey mais c'est pas Emily Hayes là bas ?” Si c'était elle et c'était bien la dernière personne que je m'attendais à voir ici. La dernière personne que j'avais envie de voir. Quelle soirée de merde.

Pas d'article à rédiger, ni de pression pour rendre ton bout de papier à temps. Cette soirée était la tienne et tu allais faire la fête jusqu'au bout de la nuit, en retrouvant tes anciens amis de classe et les professeurs qui t'ont donné envie d'aller toujours plus loin dans tes études. De toute façon, tu étais toujours la première à faire la fête, à danser, et même à chanter. Armée de ton verre de Whisky Coca, tu discutais avec une ancienne camarade de classe qui te demande. « Alors qu-est-ce que tu es devenue pendant 14 ans ? » Prenant une gorgée de ta boisson alcoolisée, tu réponds sans réfléchir. « Je suis devenue journaliste pour un magazine de musique à Boston pendant quatorze années. J'ai dû revenir à Savannah pour des problèmes familiaux. » Ta connaissance avec laquelle tu parlais n'arrêtait pas de fixer un garçon. Curieuse, tu voulais savoir de qui il s'agissait. Ni une, ni deux, tu te mets à l'observer et ta gorge se serre petit à petit jusqu'à ne plus pouvoir sortir un mot. « Et bordel de merde »

Les mots sortaient tout seuls de ta bouche. Quand tu étais tendue, stressée ou énervée les mots d'oiseaux sortaient tout seul. Clairement, tu étais perturbée et troublée en même temps. Tu n'arrivais pas détacher son regard malgré les mètres qui vous séparaient. Malgré quatorze ans sans l'avoir vu et quelques années plus tard, tu l'avais reconnu. C'était Presley ton premier amour. Tu l'avais quitté pour aller étudier à l'université de Boston. Tu l'avais fait à contre coeur, mais il a fallu que tu le fasses pour toi et lui. Sinon tu aurais été malheureuse et aurait fait de sa vie un enfer tellement que tu es chiante. Cela faisait quelques secondes, voir des minutes que tu n'arrêtais pas de le fixer. Là, tu avais besoin d'un bon remontant et d'aller dehors pour te remettre de tes émotions. Passant devant Monsieur Scott en le soutenant du regard, tu prends deux verres pour le prix d'un, direction la sortie de l'endroit pour aller à l'extérieur prendre l'air frais. Ton petit cœur n'arrêtait pas de battre à mille à l'heure. Tu ne te sentais pas prête de l'affronter, du moins pas ce soir. D'un côté oui, comme ça, tu te sentirais plus légère. Les mots n'arrêtaient pas de se mélanger dans ton cerveau, ne sachant pas par où commencer. Avalant un verre d'une seule traite dans le but de te donner du courage, espérant qu'il n'allait pas venir te demander des comptes maintenant. Il avait toutes les raisons du monde de t'en vouloir. Oui tu l'avais plaqué soudainement. C'était il y a 14 années en arrière. Jamais tu n'aurais cru que tu avais en quelques sortes gâcher sa vie amoureuse en ayant une répercussion sur ses futures d'histoires d'amour.

Bordel de merde. Bordel de putain de merde. Autant j'ai pris l'habitude de ne pas dire de gros mots à voix haute - fille de cinq ans aux oreilles bioniques oblige - autant c'est une ribambelle de gros mots qui dégouline dans mon cerveau. Qu'est-ce qu'elle foutait là ? Après quatorze ans sans aucun signe de vie, sans un appel ou même encore un sms, elle réapparaît comme par magie. Et quelle apparition ... J'ai eu à peine le temps de poser mes yeux sur elle avant que cette dernière ne disparaisse à l'extérieur mais ces quelques secondes m'avaient suffit. La douleur dans ma poitrine s'était ravivée et en pendant un instant, un court petit instant, ma colère s'était transformée en amour pour elle. J'avais beau essayer de me prouver le contraire, cette blondinette me faisait toujours autant d'effet. Et après toutes ces années sans elle je ne pouvais simplement pas tourner le dos et faire comme ci je ne l'avais pas vu. Je scrutais la foule des yeux en sortant sur le toit-terrasse. Je la cherchais elle quand mon regard s'arrêta sur une tête blonde prêt de la rambarde. Mon sang ne fit qu'un tour, mes pensées suivirent le même rythme. Cette nana arrivait encore à me rendre dingue après toutes ces années. Je franchis les derniers mètres qui me séparai d'elle avant d'attraper son bras et de la forcer à me faire face. Je n'avais donc pas rêver, c'était bien elle. Et putain qu'est-ce qu'elle était belle.  “Qu'est-ce que tu fous là ?” lui sifflais-je entre les dents, le regard haineux.

Je voulais lui hurler dessus, lui dire de m'expliquer, lui demander pourquoi elle été revenue, la gifler, la secouer, l'insulter. Le plus dur dans tout ça c'est que mon cœur m'indiquait tout le contraire. J'avais envie de l'enlacer, de l'embrasser, de lui caresser les cheveux, de lui dire à quel point je l'aimais encore, à quel point elle m'avait manqué. Parce-que au fond de moi, et même si je ne l'avouerai jamais à voie haute, j'avais cette nana dans la peau. Même après m'être fait jeter comm un putain de chiffon, je n'avais pensé qu'à elle. “Alors quoi, la fille prodige est de retour au bercail ?” lui dis-je en le regardant droit dans les yeux, ma main serrant un peu plus son avant bras pour la maintenir face à moi. “Qu'est-ce que tu fous là Emily, hein ?” C'était quoi mon putain de problème à moi ? Pourquoi je pouvais pas lui tourner le dos et faire comme ci elle n'existait pas ? Pourquoi j'étais pas parti avant de la croiser ? Elle n'est plus rien pour moi maintenant. Elle n'était plus rien pour moi depuis ces quatorze putain d'années alors pourquoi elle me faisait autant d'effets à cet instant ?

Le fait de le revoir là il y a quelques instants te faisait quelque chose que tu pensais avoir oublié. Toi qui penser avoir tourné la page. C'est tout le contraire. Revoir Presley à quelques centimètres de toi cela te faisait presque du bien. Tu ne pouvais pas expliquer cette sensation. Des papillons dans le ventre à la limite d'avoir des crampes. Oui, tu avais refait ta vie, tu avais eu des relations longues qui n'ont pas toujours été roses avec un homme qui t'a trompé sans remords. L'air frais du vent te faisait reprendre doucement ton esprit tandis que tu t'agrippais à la rambarde de toutes tes forces pour faire passer les émotions fortes. Oui, tu espérais qu'il n'allait pas te demander des explications. Soudain, tu sens des doigts se refermaient autour de ton bras t'obligeant à lui faire face. Malgré les années passées, tu pouvais encore le reconnaître rien qu'au toucher. En te faisant tourner, il avait vidé un des verres qui étaient encore pleins. La boisson alcoolisée avait glissé le long de ses chaussures. Ne prenant pas la peine de t'excuser puisque ce n'était pas de ta faute, mais de sa faute. En l'entendant dire ce que tu faisais là, tu laisses un gros blanc en le fixant dans les yeux. Tu voulais dire quelque chose, mais rien ne sortait de ta bouche. Ta gorge était serrée comme si aucun son ne voulait sortir de tes cordes vocales.

Tu ne répondais pas tout de suite à sa question, te contentant de le dévisager chaque partiel de son visage. Le moins que tu pouvais dire, c'était que le temps l'avait sacrément embelli en gardant sa petite bouille toute mignonne. Si Monsieur Scott pouvait savoir combien de fois tu l'avais essayé de l'appeler, rédiger des textos qu'ils avaient terminés dans les brouillons parce que tu n'avais pas eu le courage. Le courage d'appuyer sur le bouton appeler et ou envoyer. En sentant ses phalanges se renfermaient un peu plus sur ton bras, tu grimaces. « Presley, tu fais mal lâche-moi. » Tu ne lâchais pas tes yeux en voulant être plus forte que lui. « Si tu veux savoir pourquoi je suis retour au bercail comme tu le dis si bien, c'est que j'ai dû enterrer mes parents. Putain, tu es vraiment trop con. » Tu ne voulais pas qu'il ait de la pitié de toi, mais tu voulais être franche avec lui comme tu l'as toujours été. Il ne pouvait pas savoir, mais tu ne voulais pas lui en dire plus. Pour qu'il te lâche le bras, tu balances alors le reste de ta boisson au visage. Une fois en dehors de son emprise, tu commences alors à faire les cent pas. C'était un sujet bien douloureux vu que c'est événement qui s'est passé récemment. En voyant une inconnue avec un verre qui semblait être fraîchement pris, tu l'attrapes et le bois d'un trait. Tu n'attendais pas à ce que l'homme de trente-deux ans te prenne dans les bras. De toute façon, tu avais bien affronté cette douloureuse épreuve toute seule. Les effets de l'alcool commençaient à te monter à la tête puis s'avance vers l'infirmier. « Et ouais, tu ne t'y attendais pas à ça à me revoir ici. Allez va s'y lâches toi maintenant, dis-moi tout ce que tu as sur le cœur. Je t'en prie. » Dis-tu en t'approchant dangereusement de lui tandis que le brun aux yeux marron reculait tandis que tu avançais jusqu'à le bloquer sur la rambarde. Ton doux minois était proche de lui mais pas trop pour viser ses yeux et guetter chaque réaction de ton premier amour.

Je lâchai le bras d'Emily et finit par mettre mes mains dans les poches. Les yeux fermés, j'intimidais à mon cœur et à mon cerveau de se calmer. Inspiration, expiration. Je ne devais pas la laisser m’atteindre de la sorte. Elle ne devrait plus rien me faire. Sa présence devrait m'être complètement indifférente. Je voudrais être assez fort pour la regarder dans les yeux et lui dire que je m'en fou. Lui dire qu'elle n'est plus rien pour moi aujourd'hui comme je n'étais rien pour elle avant. Je voudrais être assez fort pour la regarder dans les yeux et lui dire qu'elle aille se faire voir. Et puis je me rappelle son rire. Je me rappelle ses yeux qui pétillaient quand elle me voyait arriver vers elle. Sa main qui attrapait la mienne chaque fois que nous marchions ensemble. Son grognement mignon quand je la réveillais le matin. J'avais cette nana dans la peau, quoi que je fasse, quoi je dise, elle s'était fait une petite place, s'était nichée dans un coin de ma tête et ne me quittait plus. Même après tant d'années. Même après qu'elle m'est quittée. “Je ... j'suis désolé.” J'étais con de la provoquer ainsi, de lui faire une scène ici. Elle avait ce don de me rendre cinglé, de me pousser dans mes retranchements. Elle savait que je détestais ça mais là, maintenant, elle s'en fichait parce-qu'elle commençait à exploser. Ma tête de mule. Je savais que ses parents été décédés quelques mois plutôt. Savannah été peut-être une ville de taille conséquente, les nouvelles allaient aussi vite que qu'une Charlie sous sucreries après 16h. Depuis je me demandais quand elle allait refaire surface, parce-que c'était obligé qu'elle revienne. Sa maison, leurs affaires, ses souvenirs ... Et comme un abruti, trop aveuglé par le fait de la revoir ici ce soir, j'en avais totalement oublié les raisons. Abruti.

“Tu sais quoi ? Laisse tomber.” fis-je en rouvrant les yeux. Inspiration, expiration. “Fais c'que tu veux, ça ne me regarde pas. Juste ...” Elle est là, totalement inconsciente de l'effet qu'elle arrive encore à produire sur moi. Chaque fois que je la regarde c'est comme ci toutes ces années n'avaient pas eu lieu. Comme ci je pouvais encore nous imaginer, ensemble, allongé dans l'herbe à deviner la forme des nuages. Je la dévisage, mon mes yeux plongeant dans les siens à la recherche d'une quelconque explication silencieuse. J'aimerais être capable de lui tourner le dos mais je dois savoir. Je veux savoir. Alors j'esquisse un pas vers elle et je lui pose la question qui m'a tant hanté depuis quatorze ans. La question qui me hante toujours. “... pourquoi ?”