Il marche comme un cadavre.
Techniquement, il devrait donc ramper, mais il se contente de tanguer. Ses mains tremblent, ses yeux vrillent, il se sent plus mort que vivant.
Du moins, il aimerait l'être en cet instant.
C'est allé plus vite que d'habitude, cette fois. Une rave de celles qu'il ne connaît que trop bien, les lumières des stroboscopes et lui parmi la foule, Alice qui tire sa main puis qui la lâche, une fille ou deux à son bras et on tente de poser une pilule sur sa langue. Il a fait non de la tête, cette fois. Non, car il n'avait pas besoin de ça. Non, car il s'était promis d'arrêter, et qu'il lui arrive parfois d'avoir un semblant de volonté. Il ne veut pas retourner en squat, sur les matelas trempés de substances obscures, les yeux blancs et les tempes trempées de sueur, des mains inconnues sur ses hanches. Tu vaux mieux que ça. Tu ne deviendras pas comme ça.
Il serre les poings, donne des coups de pied dans le sable et c'est comme si tous ses muscles étaient douloureux
la tête, surtout
surtout la tête, ouais.
En face de lui y'a la mer, ou un tsunami, des fantômes qui crient, il sait plus très bien. Il a du mal à respirer, Rhoan. Ça fait trop longtemps qu'il a rien pris.
Il aurait du dire oui.
Il s'allonge (ou plutôt, il tombe) sur le sable et tâche ses fringues, celles qui ont eu l'air de coûter cher mais qu'il a trouvé au fond d'un bac de seconde  marque. Il s'allonge et regarde ses doigts filtrer la lumière de la lune, ils sont deux puis trois puis le double puis il ne compte plus, il n'arrive plus à compter, il perd le fil, des spasmes agitent son corps tout entier. Merde. Pathétique. Et pourquoi il est parti de cette putain de fête, d'ailleurs?
Il n'arrive plus à penser, dans sa tête la scie sauteuse.
Et c'est le noir complet. Ou le blanc. Même ça, il a oublié comment les distinguer.
Peut être que la mer l'avalera au petit matin.

C'est quand sa tête commence à tourner qu'il entend la voix. Inconnue, soluble au milieu du bruit des vagues. Peut être qu'il est déjà mort ? Mais la voix est trop douce pour l'accueillir en enfer, et il ira certainement pas au paradis. De toute façon, il crache sur la religion, depuis longtemps. Son cul s'enflamme sur le banc des églises.
Il ouvre les yeux.
Silhouette devant lui comme un mirage.
Il sursaute.
Trop près l'ombre, très près, comme pour veiller sur lui, mais il ne veut pas qu'on le surveille. Il est à deux doigts de crever, mais ça c'est tous les jours. Il aime pas qu'on l'aide, Rhoan, même dans toute sa détresse.
« AH MAIS T'ES QUI ? »
un bond dans le sable qui envoie des grains partout, et ses muscles tremblent toujours autant, alors il a du mal à parler. Il discerne un visage doux, inquiet peut être. C'est bizarre d'être inquiet pour quelqu'un qu'on connaît pas, non ? Rhoan sait pas, il a jamais compris comment les humains fonctionnent. Ou peut être qu'il le connaît ? Et que Rhoan l'a oublié. Il oublie tout, tout le monde, les visages et les gens en général. Ceux qu'il a baisé et ceux qu'il a brisé. Il le regarde d'un air méfiant.
« Tu veux quoi ? »
maintenant un peu plus loin, il peut replier ses genoux contre sa poitrine. Ça lui donne l'air innocent, mais il ne l'est pas. Là, dans cet état là, il est tout juste inoffensif en attendant que tout explose, un volcan en sommeil.
« J'suis armé hein fais gaffe ! »