Appareil photo en main, elle soupire, râle et traîne des pieds alors que cet idiot rentre encore dans un Dunkin Donuts. Il va la rendre dingue. Genre, vraiment dingue. Elle a la sale impression qu'il passe sa vie là-bas. Qu'il passe sa vie à traîner en fait. Et a ne rien faire du tout. Il ne fait que errer, à gauche, à droite. Il rentre dans des boutiques, n'y fait strictement rien, en ressort, prend le bus, dans un sens, puis fait le tour d'un parc avant de reprendre le bus dans l'autre sens. Elle n'y comprend rien. Au départ, elle a cru que c'était une mauvaise blague. Elle a cru qu'on se fichait d'elle. Mais la soit disant Allison qui l'a embauchée lui avait assuré que non. Elle lui avait dit qu'elle était convaincue, parce qu'elle avait des preuves matérielles qui laissaient difficilement place au doute. Parce qu'il cachait son téléphone quand il était dessus et ne le laissait jamais sans surveillance. Et qu'elle avait bien vu la photo de la bimbo s'afficher sur son écran un jour, alors qu'elle l'appelait. C'est vrai que c'était des signes qui ne trompent pas. Mais Mads peinait à croire que ce mec, d'un ennui mortel, visiblement chômeur, puisse avoir une relation secrète. Surtout avec une "bimbo". Tout au plus une relation secrète avec un chat errant qu'il viendrait nourrir tous les jours, mais ça s'arrêtait là. Ce type était le mec le plus ennuyeux qu'il lui ait été donné de connaître. Mais elle prenait sur elle, pensait au fric qui allait tomber ensuite. Et elle qui a toujours tenu en horreur les infidèles qu'elle a pu suivre, cette fois-ci.. Oui, juste pour une fois, elle voudrait presque que ce soit vrai. Histoire de mettre un peu de piquant dans cette filature abrutissante. Elle avait beau eu dire et répéter à cette foutue Allison que son mec était réglo, qu'elle ne risquait rien vu ce qu'il faisait de ses journées, elle ne voulait pas lâcher. Tant qu'elle n'avait pas la photo avec la bimbo, elle devait continuer. Et Mads en venait presque à se dire qu'elle allait mettre au point un plan pour pouvoir avoir une photo où ce type serait avec une blondasse, histoire de mettre un terme à tout ça. Et tant pis si ça brise un couple. De toute façon, il n'a pas d'avenir leur couple. Entre ce paumé qui zone toute la journée et l'autre cinglée qui veut désespérément une preuve de l'infidélité de son copain, ils ne vont pas aller loin. Appuyée contre un arbre, Mads attend simplement qu'il ressorte de sa fichue boutique. A contre cœur, elle se remet à le suivre de loin, blasée. Et quand elle le voit ralentir en arrivant à la hauteur d'une grande blonde, elle y croit. Appareil en main, prête à appuyer pour immortaliser l'instant, elle sourirait presque d'excitation. Mais non. Il passe son chemin et reprend une allure normale. — Foutu con. Qu'elle grogne. Et puis, il s'arrête sur un banc pour manger son donut. Et il prend son temps. Putain qu'il prend son temps. Elle trépigne sur place, elle n'en peut plus. Elle veut rentrer chez elle et passer à autre chose. Boudeuse, elle le quitte du regard un instant, pour venir s'installer sur le rebord de la vitrine d'une boutique, fixant ses yeux sur le ciel bleu au-dessus d'eux. Même les nuages qui passent sont plus trépidants que ce fichu abrutis. Et d'un coup, y a une voix qui s'élève à côté d'elle. Elle sursaute légèrement et en tournant la tête, elle le voit. Il est là, tout souriant, planté à côté d'elle. Elle sursaute une seconde fois, plus violemment, se redressant brusquement. — Putain ! Qu'elle lâche, prise de court, un peu affolée. Alors ça, elle ne s'y était pas attendu. Toute crispée, mal à l'aise, contrariée et irritée, elle le fusille du regard. Allison ne va pas être contente. — Qu'est-ce que tu veux toi ? Qu'elle lui grogne dessus, agressive. Est-ce qu'il a remarqué qu'elle le suivait ? Depuis des jours ? Est-ce qu'elle est si mauvaise que ça ? Y a ses doigts qui se referment durement autour de son appareil et elle se sent terriblement conne, là, debout devant lui avec cet appareil douteux entre les mains. Elle déglutit et recule légèrement, les lèvres closes, un peu pincées, et le regard assassin, comme pour le dissuader d'oser quoi que ce soit. Allez mec, tais toi, ravise toi et rentre chez toi. Ou chez ta "bimbo". Ouais, la bimbo c'est bien.