« À la fin de la semaine, s’il ne se réveille pas, il faudra discuter avec sa femme et sa famille… » Discuter pour quoi ? Qu’allait-il se passer avec ma personne si je ne me réveillais pas ? Quel jour de la semaine étions-nous ? Combien de temps restait-il avant qu’ils aient cette fameuse discussion ? J’aurais grandement aimé poser toutes ces questions, ou au minimum, avoir confirmation comme quoi je ne m’imaginais pas ces propos, que j’avais contact avec le monde réel d’une quelconque façon, parce que rien, absolument rien ne pouvait me le certifier. Puis, ce fut encore le silence, le noir, et je me perdis une nouvelle fois. Où étais-je ? Pourquoi n’arrivais-je pas à ouvrir les yeux, à bouger mes jambes, mes mains, rien de tout cela ? Pourquoi les voix me parvenaient de loin ? Que je n’arrivais pas à y répondre ? Chaque fois que je cherchais à faire un sens à tout cela, brièvement, je revoyais encore et toujours, les phares de cette voiture arrivant de côté, venant me frapper de plein fouet tandis que notre véhicule à Maia et moi était encore en train de dévier sur la chausser à toute vitesse. J’entendais un cri, puis un bruit sourd et après, le tout revenait dans la noirceur, complètement. Puis, je voulais sursauter, je voulais vérifier si tout allait bien, mais encore une fois, je n’y arrivais pas, et je cessais de lutter, puis je retombais endormi, ou du moins, encore plus endormi qu’avant. Voilà ce qu’était devenu ma vie depuis un temps que je ne savais pas estimer. Six semaines, si j’avais bien compris certains propos ? Je ne saurais même pas le confirmer. Mais une chose était certaine, c’était que je n’en voulais plus, de ce mode de vie, je voulais lutter, et chaque fois, je ne trouvais pas le courage, et visiblement, ce n’était pas là que j’allais le trouver.

Quelques heures après - ou plutôt, après un temps que je n’aurais pu estimer - une nouvelle voix se fit entendre, cette fois-ci plus près, moins formelle, plus brisée. La voix de Maia ? Non, ce n’était pas elle. La voix de ma femme, je pourrais la reconnaître entre mille, qu’importe les circonstances, qu’importe si elle était en train de pleurer, s’exclamer de joie ou me hurler dessus, comme elle le faisait avant que les phares n’arrivent sur nous… Mais cette voix, elle demeurait familière, probablement celle d’une de mes soeurs. Ces derniers temps, souvent, je l’avais entendue, mais toujours prisonnier d’une force que je ne comprenais pas, jamais je n’avais pu lui répondre. Mais jamais je ne l’avais entendue aussi triste, aussi désespérée, tellement que je me sentais mal. Je voulais vraiment faire quelque chose, lui dire que je ne dormirais pas pour toujours, que je voulais pas me réveiller, que je ne voulais pas arriver au bout de la semaine sans rien faire. Mais encore une fois, ouvrir les yeux ne fut pas possible, parler encore moins. De toute façon, parler n’avait jamais été mon premier réflexe, et ce n’était pas ainsi que ça le deviendrait. Normalement, que ce soit avec mon épouse ou avec mes soeurs, j’aimais bien le contact humain, quand c’était nécessaire. Et là, je me disais que la moindre des choses, c’était serrer la main de ma soeur dans la mienne. La volonté était là, mais contrairement aux fois précédentes, cette fois-ci, lorsque je bougeai les doigts, je crus sentir quelque chose; ses mains à elle. Comme si je voulais m’en assurer, je refermai mes doigts un peu plus, sans toutefois exercer de force, parce que je n’y arrivais pas. Puis, par-dessus mes paupières, une lumière aveuglante vint remplacer le noir habituel, devenant soudainement dérangeant, si bien que je grimaçai, ce qui me donna l’impression de briser une statue de marbre dans laquelle mon visage était enfermé. Tentant alors de me détourner de cette lumière qui m’embêtait, je tournai légèrement la tête tant bien que mal, sans toutefois ouvrir les yeux pour autant dans un premier temps, mais conscient à présent que là, tout de suite, je ne m’imaginais plus quoi que ce soit, que je n’étais plus prisonnier de mes rêves, de mon propre corps, même si cela ne voulait pas dire que je saurais dire où j’étais et ce qui était en train de se passer.

La voix que j’avais cru entendre, je l’entendis de nouveau, mais cette fois-ci, elle ne fut pas seule, ou du moins, pas seulement accompagnée d’une main qui serre la mienne. Sans que je n’aie le temps de comprendre ce qui se passait, je me sentis soudainement quelque peu bousculé, comme si on voulait m’étouffer, mais je ne paniquai pas, parce que je n’eus pas la force de le faire. Complètement las, complètement perdu, je réagissais à peine, non pas que je ne voulais pas, mais parce que je n’y parvenais pas. Alors que la dite personne était en train de célébrer limite mon réveil, me concernant, je me demandais encore de qui il s’agissait, parce que je ne l’avais pas vue, parce que je n’avais pas eu la présence d’esprit de totalement reconnaître sa voix. Sachant que je me devais de me faire une idée, je m’efforçai finalement d’ouvrir les yeux, pour constater que je ne voyais pas grand-chose, puisqu’ils étaient particulièrement secs. Je m’obligeai à les fermer, puis les ouvrir de nouveau, dans l’espoir de voir un peu mieux, mais ce fut encore un regard flou que je posai sur une tête blonde qui me demandait désormais comment j’allais. Heureusement, je la reconnus comme étant ma soeur, mais après, était-ce Skylar ou Maisie ? Malheureusement, je ne me souvenais pas de ce qu’elle avait dit plus tôt, et je n’étais pas suffisamment alerte pour la distinguer comme j’avais l’habitude de le faire. Me concentrant alors sur ce qu’elle m’avait demandé, tant bien que mal, je tentai d’ouvrir la bouche pour parler, mais rien ne sortit. Je tentai de déglutir, mais probablement en raison de la présence du respirateur artificiel qui me rendait dans les narines, je n’y parvins pas. Devrais-je demander un verre d’eau ? Pouvais-je en boire un ? Ne sachant trop rien, je fis avec ce que j’avais, et avec peine et misère, je parvins finalement à dire:  « Mal… » Enfin, j’aurais voulu dire que j’avais mal partout, que j’avais la sensation d’un troupeau de buffles m’était passé sur le corps, que j’avais soif, que j’étais confus, mais je savais que je n’aurais pas la force de tout dire cela, pas dans l’immédiat, en tout cas. Mais pourquoi avais-je mal ? Que s’était-il passé ? Tentant désespérément de trouver une réponse, je laissai mon regard se promener dans ce qui me semblait être une chambre d’hôpital, vu sa décoration austère, inexistante. Cette chambre, j’y étais seul, en compagnie de mon aînée pour le moment, et personne d’autre… Pourquoi ? Depuis combien de temps étais-je là ? Où était passée Maia ? Soudainement, l’image de la voiture qui nous fonce dessus, de son cri de stupeur, de l’impact, me revint à l’esprit, et paniqué, je commençai à sentir les larmes me monter au yeux, stressé à l’idée de devoir associer cette vision d’horreur à l’absence de ma femme. Mais comment pouvais-je le demander ?  « Ma… Maia… ? » Je m’étais essayé de dire quelque chose, mais c’était au final tout ce qui était sorti, et c’est tel un gamin vulnérable, probablement similaire à celui que Skylar avait vu la première fois que j’étais arrivé à la maison, que je tournai la tête vers ma soeur, cherchant désespérément des réponses à toutes mes questions non-dites.

J’aurais voulu pousser un soupir de soulagement au moment où ma soeur en vint à me dire que Maia allait bien, mais je n’y parvins pas, ma gorge étant trop sèche pour que je fasse quoi que ce soit susceptible de l’irriter davantage. Mais qu’importe, l’essentiel était que j’étais rassuré, que l’absence de mon épouse n’était pas due au fait qu’elle aussi, elle était dans une chambre d’hôpital, ou pire encore, qu’elle ait perdu la vie dans cet accident. Si c’était arrivé, ça, clairement, je ne m’en serais jamais remis, jamais je n’aurais été capable de me le pardonner, qu’importe ce qui s’était passé avant cette fameuse soirée, avant l’impact qui m’avait mis dans ce coma qui avait duré longtemps. Je ne savais pas combien de temps, mais assez longtemps pour que je sente que je sois incapable de bouger. Mais si elle allait bien, pourquoi n’était-elle pas à mon chevet ? Il ne devait pas être une heure complètement déraisonnable si ma soeur était là… Perturbé, je ne fus pas en mesure de poser la question toutefois, puisqu’une personne du personnel médical arriva. Là, je dus admettre que la présence de ma soeur fut encore plus bienvenue, puisque ce fut elle qui put parler à l’infirmière plus que moi. Tout ce que j’eus à faire, ce fut d’acquiescer que je ne dirais certainement pas non à un verre d’eau, même si ce n’était pas la seule chose que je voulais. Je voulais savoir ce qui m’empêchait de bouger, ce qui me donnait l’impression d’être si affaissé, écrasé. Je voulais savoir où était Maia, je voulais savoir quand je pourrais sortir, si je pourrais retourner travailler en septembre, mais rien de tout cela, je ne sus le demander. Au moins, l’infirmière sembla vouloir aider concernant le verre d’eau, puisque quelques instants après, elle revint avec une bouteille avec une paille, certainement pour que je n’en renverse pas partout. Puis, elle le déposa sur la table de nuit à côté, puis quitta, me laissant alors seul avec Skylar alors que celle-ci me faisait part de son intention de dire à tout le monde que j’étais éveillé. J’espérais seulement que « tout le monde » signifiait mes proches, soit ma famille et ma femme, mais je ne m’y opposai pas, commençant à réaliser que sûrement ça avait inquiété certaines gens. Cependant, étais-je prêt à les voir pénétrer dans ma chambre en masse ? Pas vraiment, pour tout dire, d’où le fait que je secouai la tête et que je m’efforçai de lui dire:  « Non, attends… » En gros, je voulais lui dire d’attendre un peu, que je sois plus réveillé, que je sache ce qui en était me concernant, que je sache au moins quel jour nous étions. Bref, que je retrouve un peu mes repères, avant d’être bombardé de questions auxquelles j’aimerais avoir au moins quelques réponses et ne pas commencer à paniquer ou ne rien dire. Et d’abord et avant tout, je voulais être en mesure de me sentir mieux pour parler, alors sans attendre plus longtemps, je voulus prendre la bouteille d’eau, mais je n’y parvins pas, non pas parce que la distance était trop grande, mais parce que ma main ne semblait pas être capable de la prendre, comme si je ne savais plus viser alors que pourtant, c’était chose normale. Je tentai une nouvelle fois, et je heurtai le vide. Puis, la troisième fois, je touchai à la bouteille, mais je ne parvins pas à la tenir entre mes doigts, la faisant tomber sur le côté. Heureusement, le bout permettait que le tout ne se renverse pas, mais cela ne me l’apportant pas, j’eus un moment de panique, alors je dis:  « Je n’arrive pas à la prendre ! » Comme si cela était trop de mots pour que je le suppose, je me mis ensuite à tousser sans me contrôler, et ma toux fut si creuse qu’elle m’apporta de nouveaux des larmes aux yeux, faisant un cocktail qui me fit baisser les bras, faisant en sorte que je me recalai dans l’oreiller, fermant les paupières pour me retenir de me mettre à pleurer, désespéré de ne pas savoir ce qui était en train de m’arriver.

Quand voudrais-je que le reste de ma famille débarque pour venir me voir, éveillé cette fois-ci ? Franchement, je ne savais pas trop. Je me sentais tellement confus, tellement perdu, tellement faible que tout ce que je voulais, c’était ne pas voir qui que ce soit, prendre du temps à moi pour mettre les choses au clair et une fois que ce serait chose faite, là, je serais prêt à les recevoir, même si je ne saurais pas quoi leur dire, même si je ne serais pas de bonne conversation, même si je ne savais même pas si je serais en mesure de les prendre dans mes bras ou quoi que ce soit du genre. Et puis, quand je pensais au fait que Maia pourrait franchir cette porte pour venir me voir, qu’il me faudrait lui parler, interagir avec elle, c’était pire. Que pourrais-je lui dire ? Me sentais-je prêt à finalement la confronter sur ce qui s’était passé, sur ce qui avait provoqué cet accident en bout de piste ? Je ne le savais pas trop. Je ne savais pas si je voulais lui parler, si elle voulait me parler, et confronter les gens, en temps normal, ce n’était pas fait pour moi. Mais d’un autre côté, même si je ne savais pas depuis combien de temps j’étais dans le coma, il m’avait suffi de voir la réaction de ma soeur pour comprendre que cela faisait assez longtemps pour que tous s’inquiètent, tous veuillent me voir ouvrir finalement les yeux. De ce fait, j’en venais à me dire qu’il était égoïste de les faire attendre bien longtemps. Inévitablement, je me sentais pressé, mais j’en vins rapidement à la conclusion que je n’étais pas prêt, vraiment pas. Je décidai alors de retarder le moment en ne passant quelconque commentaire, préférant me concentrer sur le fait de prendre cette bouteille pour apaiser la sensation de sécheresse qui envahissait ma gorge. Prendre une bouteille et boire, c’était un geste banal, quelque chose que je faisais en temps normal sans trop me poser de questions, mais visiblement, dans mon état, ce ne l’était pas. Pourtant, je pensais voir clair, comment cela se faisait-il que je n’étais pas capable de viser correctement ? Que se passait-il avec mes mains ? Que se passait-il avec moi ? En panique, désespéré d’être si dépendant des autres, je dus laisser mon aînée me rassurer, même si je n’étais pas convaincu que mon état était tout à fait normal. Ce simple geste pouvait peut-être sembler énorme après être sorti du coma, mais si j’y étais parvenu du premier coup, le peu de forme physique que j’avais n’aurait pas changé, j’avais l’impression. Quelque chose clochait, c’était sûr et certain, mais ça, je ne le dis pas à ma soeur, parce que j’étais persuadé que j’avais besoin d’être conforté, qu’il fallait que je tente de me convaincre que tout irait bien avant d’affronter la dure réalité qui m’attendait. Ce fut difficile, mais je parvins à ne pas la contredire, me taire, et finalement prendre la bouteille pour y boire, m’assurant de la tenir à deux mains, même si j’eus l’impression à tout moment que j’allais la lâcher, sans m’expliquer pourquoi. Mes doigts étaient crispés, et le pire, c’est que je ne sentais pas que j’y mettais quelconque force. Malgré tout, je fis un effort, et je pris de longues gorgées d’eau qui me firent le plus grand bien, même si je dus m’arrêter à un moment donné pour m’assurer que je n’allais pas m’étouffer ou quelque chose du genre. J’éloignai donc la bouteille de ma bouche dans un soupir de soulagement, sentant pour la première fois probablement un semblant de bien-être, même si j’étais bien loin de me sentir tout à fait à l’aise. Au moins, je le fus assez pour finalement regarder ma soeur, plus calme, pour la première fois depuis mon réveil, et lui dire:  « Me… Merci… » Puis, sur ce, je décidai de garder la bouteille sur le lit, histoire de ne pas prendre le risque de faire une autre catastrophe comme précédemment. Tentant de m’apaiser, même si je détestais être dans un tel flou, j’inspirai profondément une fois, deux fois, puis quand je me sentis prêt, je reposai ma tête sur l’oreiller, puis je regardai ma soeur, lui demandant, sans être trop convaincu de mes propos:  « On… On est quel jour ? Qu’est-ce qui s’est passé depuis… ? » Puis, me rendant compte que ces questions n’étaient pas suffisantes, j’ajoutai:  « Je… Je suis perdu. Tu penses que… tu pourrais m’éclairer… ? » J’aurais voulu prononcer le nom de ma soeur au même moment, mais à la regarder, certainement parce que j’avais encore l’esprit trop embrouillé, je ne savais même pas à qui je parlais. Et honteux, parce que jamais je n’avais eu de souci à distinguer mes soeurs, même si elles étaient jumelles identiques, je baissai le regard, tentant quand même s’approcher ma main de celle de mon aînée, comme si je m’avouais vaincu et que je comprenais que j’avais vraiment, vraiment besoin d’être réconforté.