Cela fait désormais quelques jours que Sarah est revenue travailler à l'hôpital. Les rumeurs ne cessent de courir, sur son compte. Pourquoi est-elle partie aussi longtemps ? C'est la question qui revient le plus. Certains pensent au burn-out, d'autres à des choses plus saugrenues. Sarah fait mine de rien, comme si elle n'entendait pas leurs remarques. Elle prend son café seule, comme une petite malheureuse. Elle marche dans les couloirs, le gobelet à la main. Elle va certainement aller voir un de ses petits patients, un gamin adorable auquel elle s'est attachée. Elle guette l'heure quand même, sachant que du travail l'attend à la maison, avant d'enchaîner avec sa nuit au club. Elle ne prend pas beaucoup de temps pour elle, entre deux... Et là, elle voit un grand blond, censé être inconnu au bataillon. On dit bien censé. Elle, elle le reconnaît tout de suite. C'est l'homme de ce soir-là, celui qui l'a soignée. Il a effacé le sang, pensé les plaies, limité les dégâts. Elle serait probablement restée inerte sur le trottoir du club, s'il ne l'avait pas aidée. Au petit matin, elle a pris la fuite, incapable de l'affronter, par honte. Parce qu'il sait forcément ce qu'elle faisait dans ce club... Il n'y a pas trente six options. Il s'était montré si doux avec elle... C'est tout ce dont elle avait besoin, après avoir subi un moment d'une violence incomparable, tout ça parce qu'elle venait de se refuser à un client. Parce qu'elle ne peut pas aller aussi loin, c'est inimaginable. Et là, il arrive tout droit, face à elle. Elle reste bouche bée, l'espace de quelques secondes... Et d'un coup, elle fait volte-face. Elle se met à courir, lâchant son gobelet presque vide au passage. Panneau sol glissant qu'elle ne voit pas... Et elle s'étale de tout son long, sur le sol fraîchement nettoyé à la serpillière. Elle est ridicule, encore une fois... Tout ça parce qu'elle voulait l'éviter, mettre autant de distance entre eux que possible pour qu'il n'en parle pas. Elle ferme les yeux, se pinçant la lèvre. Elle tente de retrouver un semblant de dignité, en essayant de se redresser. Elle ne le regarde pas, elle ne veut surtout pas affronter son regard... Rongée par la honte, de toutes parts. Elle laisse ses cheveux retomber sur ses yeux, comme si ça pouvait l'aider à disparaître un peu. Elle ne dit pas un mot. D'autres rient, patients comme personnel hospitalier. Tout ce qu'elle veut, c'est que le sol s'ouvre sous ses pieds.

Spoiler:

Quelques jours de repos que tu pensais passer avec Mina, qui ont finalement été un tête à tête entre les derniers cartons et toi, et te voilà de retour au travail à l’aube. Le temps d’un café à la cafétéria, tu lis les premières pages du journal du jour, avant de te mettre au boulot. Tour des chambres à l’heure du réveil de tes petits patients. Tu ne te presses pas, tu veux t’assurer qu’ils aient tout ce qui leur faut, si ce n’est la santé. Tu prends même le temps de changer quelques pansements. Une tâche que l’on attribue généralement aux infirmières, mais que tu prends plaisir à faire à leur place. Et puis, la paperasse. C’est certainement ce qui te plaît le moins, mais c’est indispensable dans ce travail. Installé dans une salle, au calme, tu fais une petite mise à jour des patients que tu as vu ce matin. Tu es rigoureux, alors lorsque tu remarques une incohérence, tu n’attends pas pour aller vérifier auprès de la personne responsable. Dans un couloir, tu retrouves l’interne qui a rempli les dernières lignes du dossier de ton patient. Vous discutez jusqu’à ce que tu perdes son attention et que des rires se mettent à retentir. Ton regard se pose alors sur une jeune femme, qui semble avoir glissé sur le sol humide. Tu fronces les sourcils, pas certain de bien voir et pourtant si. C’est bien elle. La jolie inconnue secourue sur un trottoir, à quelques mètres d’un nightclub. Tu ne pensais pas la recroiser de sitôt et encore moins en blouse blanche. Un instant, ton regard se perd sur elle et puis, les rires de l’interne à côté de toi, te sortent de tes pensées. « Ceux qui n’ont rien à faire ici, circulez ! Y a rien à voir ! » Tu réagis sévèrement. On est à ton étage et même si tu n’es pas là depuis bien longtemps, tu sais déjà te faire respecter. Les rires cessent, le personnel se met en mouvement et les patients se taisent, tandis que tu t’approches de la jeune femme. Tu lui tends une main pour qu’elle se relève, prenant soin d’utiliser la gauche, sachant que son poignet droit est encore fragile. « Vous allez bien ? » Lui demandes-tu, histoire de t’assurer qu’elle ne s’est pas fait mal. Et puis, tes yeux se posent sur la poche de sa blouse, où figure son nom. Tu le découvres, bien que la jeune femme ne soit pas une totale inconnue. C’est donc elle, ton interne. Tu ne savais pas que c’était aujourd’hui, qu’elle revenait. On t’avait seulement informé qu’elle était absente et qu’on t’en donnait une autre, en attendant. L’autre se trouvant au bout du couloir, là où tu l’as laissé. « Bon retour parmi nous, Docteur Mulligan. J’me présente, Henry McGinness, nouveau chef de la pédiatrie. » Léger sourire pour la mettre à l’aise, t’es pas sûr que ça fonctionnera, mais t’essayes.

Depuis son retour, des rumeurs ne cessent de circuler sur elle... Elle les entend, même si elle fait mine de rien. Le pire, ce sont les autres internes, qui imaginent des raisons plus tordues les unes que les autres, au sujet de son absence. Elle n'est pas très intégrée, avec eux, parlant davantage aux médecins et aux infirmières. Et puis... Vient le moment où elle voit un homme, qu'elle ne s'attendait pas à voir. Celui qui a joué le rôle d'un ange gardien, cette nuit-là. Celui-là même chez qui elle a dormi quelques heures avant de prendre la fuite. En blouse blanche. Il doit travailler ici, en plus... Mais elle n'a pas le courage de l'affronter, voulant fuir aussi vite que possible. C'est ce qu'elle fait, mais le sol humide l'empêche d'aller plus loin. Tout ce qu'elle espère, c'est qu'il ne remarquera rien, mais c'est raté. Les autres se mettent à rire, et il voit bien vite quelle est la source de leur hilarité. Pendant ce temps-là, elle veut seulement disparaître, devenir invisible... Détestant l'idée de s'être ridiculisée devant lui. Il la regarde, mais elle garde les yeux rivés sur le sol. Tout ce qu'elle espère, c'est qu'il ne fasse rien, qu'il se concentre sur ce qu'il faisait avant. Encore une fois, il lui accorde de l'importance, ordonnant au personnel de s'en aller. Elle ne se fait pas d'illusion, ce n'est probablement pas pour elle, mais pour que le service retrouve son calme. Il n'y a plus un bruit, quelques secondes plus tard, et chacun reprend ses activités. Ses joues s'empourprent un peu plus, sans qu'elle n'ose redresser la tête. C'est là qu'apparaît une main, dans son champ de vision... Celle du blond. Elle se pince la lèvre, gênée, et attrape doucement la main qu'il lui tend. Elle se redresse alors, s'y accrochant un peu plus pour ne pas déraper de nouveau. Elle se déporte du passage glissant, et il lui demande si elle va bien. « Oui oui... » souffle-t-elle, trop perturbée de l'avoir devant elle pour penser de manière cohérente, lâchant sa main un peu brusquement. Elle était persuadée qu'elle ne le reverrait jamais, et l'avoir devant elle... C'est autre chose. C'est même encore pire ensuite... Quand il se présente comme étant son chef. C'est son chef, et il sait tout de cette vie, qu'elle mène la nuit. Elle a terriblement honte, d'autant plus. Elle ne sait même pas si elle peut lui faire confiance, quand bien même il a pris soin d'elle cette nuit-là. Est-ce qu'il sera capable de tout garder pour lui ? Est-ce qu'il pourrait utiliser ce qu'il sait pour faire pression sur elle ? Son sourire ne la calme pas. Elle est même bien incapable de le lui rendre, la lèvre toujours pincée entre ses dents. « Merci mais... je... J'ai du travail. » bafouille-t-elle. Elle se détourne de lui, regardant partout en cherchant une issue à ce cauchemar... Parce que c'en est un. Personne ne sait, à l'extérieur du club... Et ça ne doit pas changer.

Tu viens tout juste d’arriver et parcours les rues de la petite ville de Savannah. Tu redécouvres. Une dizaine d’années se sont écoulées depuis ta dernière visite et elle a bien changé. Le soleil s’est couché, les réverbères ont pris la relève et toi tu t’es un peu perdu. Tu as bien des qualités, mais le sens de l’orientation n’en fait pas partie. C’est là que ta route croise celle de la jeune femme, pour la toute première fois. Elle est allongée sur le sol, le visage bien amoché, son corps tremblant. Tu ne sais pas ce qui lui est arrivé, ni pourquoi, bien que sa tenue et le club devant lequel tu viens de passer te mettent sur la voix, mais quoi qu’il en soit, tu te précipites vers elle pour l’aider. Tu ne réfléchis pas, c’est instinctif. Elle est dans un piteux état, tu dois l’aider. Elle refuse d’aller à l’hôpital. Tu insistes une fois mais tu vois bien qu’elle ne cèdera pas alors, finalement, tu décides de la conduire jusque chez toi. Tu la portes à ta voiture, rebroussant chemin. Retrouvant ton chemin comme par miracle. Passant encore devant ce club. Le genre d’endroit où tu ne mettras jamais un pied, bien trop respectueux de la femme pour aller en voir se déshabiller contre quelques billets. Loin de toi l’idée de juger ces femmes. Elles ont toutes leurs raisons pour faire ce travail. Tu refuses seulement d’être l’une d’elles. Chez toi, à Tybee Island, tu déposes la jeune femme sur le canapé. Elle n’est pas bien bavarde, alors de tout ce temps passé à la soigner, tu n’en apprendras rien. Ni sur elle, ni sur ce qui lui est arrivé. Mais tu en prendras quand même soin. Largement équipé, tu as de quoi soigner jusqu’à son poignet cassé. Tu lui fais un plâtre et panse ses plaies après les avoir désinfectées. Doucement, elle s’assoupit et tu la laisses faire. Tu déposes une couverture sur son corps, pour qu’elle n’ait pas froid et tu t’éclipses avec tout ton matériel. Tu rejoins ta chambre une fois que tu as tout rangé. Tu te doutais que le lendemain, elle ne serait peut-être plus là et en effet, elle ne l’est plus. Des jours et des semaines passent, sans que tu puisses l’oublier. Vous ne vous êtes rien dit et pourtant, elle t’a marqué. Son regard, sans doute. Sa beauté que tu as su déceler derrière les blessures, aussi. Il y avait quelque chose de différent, chez cette fille. Mais tu t’es fait à l’idée, tu ne l’as reverrais peut-être jamais. Tu es pourtant passé plusieurs fois devant ce club où tu penses qu’elle travaille, dans l’idée d’aller vérifier qu’elle allait bien. Mais t’as jamais eu la force d’y entrer, sans doute par peur de l’y trouver. Pensée contradictoire, mais parce qu’intimement, tu espères autant la revoir qu’elle ait arrêté. Et voilà que trois jours après ton dernier arrêt devant ce club, tu la retrouves à l’hôpital. Non pas en tant que patiente, mais habillée d’une blouse blanche, comme la tienne. Tu n’en reviens pas. Tu n’as pas encore revu son visage, que tu sais que c’est elle. Des chevelures rousses comme la sienne, ça ne court pas les rues. Une nouvelle fois, tu viens à son secours, alors que les autres s’amusent un instant de sa chute. A croire que cela devient une habitude pour vous, de vous rencontrer dans ce genre de situation. Tu redécouvres alors son visage et son magnifique regard. Tu pourrais t’y perdre, si seulement elle te regardait, mais elle évite. Après que tu lui aies demandé si elle allait bien, elle te dit que oui. Physiquement, elle dit peut-être vrai, mais tu vois bien qu’elle est mal à l’aise en ta présence et que ça ne va pas. Tu tentes donc de détendre l’atmosphère, en te présentant. Peut-être qu’en faisant comme de rien, elle se sentira plus en confiance. Mais ça à l’effet inverse. Tes mots la font instinctivement fuir, du moins, elle essaye. « J’ai déjà fait le tour des chambres. Mais les résultats du scan du petit Nathan sont arrivés. Allons-les voir. » Tu tentes de la retenir, tout en restant professionnel. Tu ne montres rien, tu te contentes juste de prendre les devants, sans lui laisser d’autres choix que de te suivre. Le hasard a voulu que cette fille que tu as secourue dans la nuit et dont tu penses connaître le secret, soit aussi interne dans ton service. C’est ainsi et vous allez devoir faire avec. Tu t’adaptes vite, tu sais que tu sauras faire la différence entre la fille de ce soir-là et l’interne. Mais tu vois déjà que ce ne sera pas son cas, alors tu décides de la conduire à l’écart, pour avoir une petite discussion avec elle. Histoire de mettre les choses au clair, avant d’aller plus loin dans votre collaboration. « Comment va votre poignet ? J’ai une opération dans une heure et j’aimerais que vous m’assistiez. Vous vous sentez prête ? » Demandes-tu, pour faire la discussion sur le chemin, non sans t’en inquiéter d’une façon aussi intime que professionnel. Après tout, tu te rends compte que tu as dû soigner le poignet d’un futur médecin, avec peu de moyens.