No wonder the word cancer and cancel look so similar. C’est probablement la pire sensation que de voir tout s’écraser autour de soi, de sentir se dérober sa place lorsque l’on croyait que tout était fini, derrière nous. Surtout quand on a appris combien la vie était précieuse, à chérir et qu’on essaye depuis d’entraîner les autres dans cette conscience des bonheurs quotidiens. Mais maintenant, c’est l’exact opposé. Serena va entraîner les autres dans une sphère éloignées de toutes ces choses. Et c’est difficile à accepter. Atrocement difficile. De leur faire revivre ça. Encore. À Ace et sa famille surtout. Parce que peut-être, quelque part caché dans les remous de son coeur, elle s’en doutait... que le cancer était revenu. C’est ce qui la retenait de venir à ce rendez-vous pour entendre le médecin s’excuser. Pour une fois, elle ne voulait pas écouter. Mais il a fallu que son cousin insiste, l’y traîne avec la plus douce des idées que de conforter la rémission. Ils ont ce quelque chose de naïf tous les deux quand ils s’y mettent. Ça a failli fonctionner. Mais la sentence a sonné. Métastases déployées. Une date approximative de péremption. Et la liste des non-solutions, des moments-compresses qui ne feront que retarder l’inévitable. Serena a décroché à partir de là. Préférant commencer à rayer de sa tête ce qui tombait en morceaux. Sa boutique de fringues et quelques prochains grands voyages. Le chemin tracé en zigzag devant vient de s’annuler. Le sentiment que son avenir est quelque part derrière elle mais qu’il va falloir qu’elle se trouve quelques buts en attendant que. Va falloir s’occuper et s’organiser. Ace la rappelle à l’ordre. Elle n’écoute pas. Mais elle sourit les lèvres scellées. Et elle n’ose pas le regarder. Pas tout de suite. Les mots vont lui manquer, le coeur plein, la parole vide, alors que le blabla de son médecin lui parvient de plus en plus distinctement. Les mots protocole et urgence s’emmêlent sous couvert de vouloir éviter trop de souffrance, de détérioration. Mais Serena coupe court. “Est-ce que vous pouvez me laisser le temps de digérer tout ça ? Et je vous dirais ce que je veux.” Ce qu’elle sait déjà. Qu’il est hors de question qu’elle passe les derniers mois de sa vie enfermée ici, le corps accroché à... peu importe quel cocktail chimique ils imagineront. Pour un sursis de plus ? Elle ne voit pas l’intérêt de revivre tout ça. Et son ton sembla sans appel. Comme le reste de ses gestes rassemblant ses affaires pour sortir de là. Peut-être que Serena s’en doutait, mais peut-être aussi que la déflagration balancée avec cette confirmation ne l’a pas encore atteinte. Juste un frémissement, une grippe plus marquée autour de son sac et de sa veste qu’elle serre un peu plus contre elle... Comme si ça allait l’aider à rester droite sur ses deux jambes, à ne pas tomber. Surtout aussi parce qu’elle sait que dès qu’ils seront hors de l’hôpital, elle devra faire face aux émotions d’Ace. Elle sait avec quelle honnêteté elles vont surgir hors de lui. Elle sait combien il était frustré il y a quatre ans de ne pas pouvoir être plus présent. Il était déjà aux États-Unis. Elle était en Italie. Elle sait qu’il regrette, s’en veut peut-être alors qu’il n’y a aucune raison. Leurs visio skype représentaient déjà une bulle d’air parfaite, un microcosme unique qu’il faisait éclore au milieu de sa chambre aseptisée. Elle ne pouvait pas espérer autant. Elle ne pouvait pas demander plus à l’époque. Ça sera pareil. Elle ne supportera pas de les voir espérer pour rien. Oh god, ses parents… Ses pas se suspendent une seconde au milieu du hall de l’hôpital. “Dis rien à mes parents s’il te plaît… Je le ferais.”, qu’elle souffle, la voix nouée. Elle se crispe incertaine, un frisson vient fâcher sa peau. “Ça va aller, Ace...”, qu’elle tente pour couper court. Encore. Le rassurer sans le regarder, comme si ça allait fonctionner. Mais il faut qu’elle sorte d’ici. Qu’elle s’éloigne. L’air devient acide. Et elle a soudainement besoin de fuir. Alors elle trace, vers la voiture de son cousin, ou pas, elle a oublié. Rythme vif dans ses grandes enjambées, cherchant certainement à annuler, écraser, les dernières minutes qui viennent de s’écouler. Elle ne veut plus y penser. Et faire comme ces dernières semaines : ignorer la terreur cachée dans son être.

ne montre pas tes faiblesses. jamais. c’est ce qu’il se répète alors qu’il est venu accompagner serena à son rendez-vous à l’hôpital. ne montre pas que c’est elle, ta faiblesse. parce qu’il a peur. pour sa cousine. la sensation d’avoir du mal à respirer, l’angoisse qui le tenaille de savoir si elle va bien. si elle va continuer d’aller bien. et puis le médecin annonce la couleur. au début il ne comprend pas. après tout, il n’est pas habitué au baratin des docteurs, à leur discours incompréhensible qu’ils s’efforcent de rendre accessible, en vain. il se contente de garder un air sérieux, impassible. et face à l’absence de réaction de serena il commence à comprendre. à réaliser que les choses vont mal. il produit alors un effort monumental pour ne pas décrocher des paroles du médecin, car lui, l’hyperactif a juste envie d’en finir. de se lever de cette chaise, de foutre un coup de pied dedans, un coup de poing dans le mur. de chercher un exécutoire pour déverser toute la frustration qu’il ressent en cet instant. pourquoi elle ? pourquoi pas lui ? injustice. il pourrait crier au scandale, hurler sur ce fichu docteur qui s’efforce de prendre des gants avec eux, de lui exposer les solutions qui s’offrent à elle. il esquisse un léger sourire. il existe donc des options, des alternatives à ce pessimiste diagnostic. il jette un regard en coin à sa cousine. il s’aperçoit qu’elle n’écoute pas, qu’elle est dans ses pensées sans doute un peu sonnée par l’annonce qui vient de lui être faite. mais ace la rappelle à l’ordre, parce qu’elle doit entendre qu’elle a le choix. que des solutions s’offrent à elle. qu’elle peut et doit encore y croire. il ne peut pas en être autrement de toute façon. serena dévie le regard, comme honteuse. il ne cherche pas à lui faire détourner le regard vers lui. il veut lui laisser le temps de faire le premier pas vers lui. et puis soudain elle prend la parole, elle veut mettre fin à l’entretien. ace n’arrive pas à comprendre ce qui l’a fait réagir aussi soudainement. alors le mince espoir qui s’était emparé de lui glisse furtivement ailleurs. il reprend son air impassible, ce masque de façade qui tente de feindre le calme. alors qu’en fait tout est tourbillon en lui. un mélange entre de la colère et de la tristesse. et puis toujours cette angoisse, celle de perdre serena. de la voir lutter contre quelque chose de trop grand pour elle. et puis il pense à elle, à ce qu’elle doit ressentir. il n’arrive pas à imaginer une seule seconde ce qui peut se jouer dans sa petite tête blonde. elle range d’un geste rapide ses affaires avant de quitter la pièce. il la suit sans rien dire, faisant simplement un signe de tête au médecin en guise d’au revoir. elle avance dans le couloir, elle a l’air terriblement paumée, et elle n’a jamais semblé aussi frêle qu’il voudrait pouvoir la porter sur ses épaules pour éviter qu’elle ne se brise davantage. elle s’arrête brusquement et ils évitent de se rentrer dedans à une seconde près. « je... non, je leur dirais rien. » il répond car ça lui semble logique qu’elle ait elle-même envie d’affronter ses parents. il a envie de la prendre dans ses bras, pour la réconforter, et puis surtout pour ne plus voir son teint blafard et ses yeux emplis d’une profonde tristesse. elle ajoute que ça va aller, comme pour le rassurer lui. il aurait pu rire de cette phrase s’il ne se sentait pas aussi impuissant. il tend le bras vers elle, mais elle décide de reprendre son chemin, de le laisser à la traine. il ne tente même pas de la rattraper. elle a sans doute besoin d’un moment pour réaliser, synthétiser. elle ne peut pas aller bien loin, c’est lui qui l’a amenée ici. alors quand ils arrivent près de sa voiture sur le parking de l’hôpital, il la force à le regarder, parce qu'elle doit arrêter d'éviter. « tu sais que je suis là. » il lance sans préambule. au moins c’est dit. il est là. pour parler, pour rigoler, pour chahuter, pour chanter, pour danser, pour crier. « mais serena, tu vas te battre n’est-ce pas ? » parce qu’il n’est plus très sur ace. il n’a pas l’impression de voir la serena déterminée et combative qu’elle était alors qu’il était à Savannah et elle en Italie. « parce qu’autrement... enfin, non. t’as pas le choix. » les derniers mots sortent avec moins d’assurance qu’il ne le voudrait. il se sent un peu perdu, il aimerait tellement être le pilier, le roc. et à chaque fois il se surprend à se faire bêtement rattraper par ses émotions.

Le coeur infiltré. C’est comme si cette satanée chimio était déjà là, en train de se répandre dans son corps pour tout cramer. Elle sait qu’elle ne devrait pas penser ça de ce qui est censé être son remède, mais elle ne peut pas s’en empêcher. Les souvenirs des brûlures dans ses veines la première fois, il y a quatre ans, parfois, c’est comme si c’était hier. Ce truc qui envahit, qui ronge et grignote tout sur son passage. Déjà à l’époque, ça lui avait fait mettre ses principes de côté de se laisser intoxiquer, de se laisser souffrir. Pour ce que ça a servi en plus… Ce truc chimique ne peut pas vaincre la nature, même si celle-ci tombe comme un rideau sombre, décline comme tout soleil face à l’horizon. Elle le sait maintenant. Tu sais que je suis là. La voix de son cousin la tire de force hors de ses pensées. Et elle tente un sourire en acquiesçant. Bien sûr qu’elle sait. C’est comme un appel, elle ne résiste pas, faut qu’elle le prenne dans ses bras. Parce qu’elle aussi elle est là. Encore un peu. “Je sais.” C’est son merci. Merci d’avance. Merci tout court. C’est précieux alors que ça vibre comme du cristal dans son être. Le geste tendre est devenu fragile. L’inverse de ce qu’il lui demande quelques secondes après. Mais Serena, tu vas te battre n’est-ce pas ? C’est vif et impétueux. Presque autoritaire dans ses oreilles. Mais il est trop sensible Ace. Sa voix dégringole juste après. Parce qu’autrement... enfin, non. t’as pas le choix. Moins assurée. En proie aux craintes. C’est normal. Surtout avec ce besoin constant de protéger. Il est du genre chevalier et bouclier, Ace. Riley le sait plus que personne. Sa petite soeur aussi. C’est ce qui fait son charme, ce qui fait fondre comme du chocolat au soleil. Parce que c’est un coeur tendre. Et elle frémit en se reculant légèrement pour le libérer de son étreinte et river ses yeux aux siens. Elle frissonne quand son myocarde se rétracte sur lui-même en ressentant le manque de son absence. Ce qu’il va me manquer… Elle retient un haut-le-coeur, ravale sa salive, cherchant à compenser le vide causé par le trou noir en formation dans son coeur. Mais en fait non, parce que tu ne ressentiras plus rien Serena. Les dents du bonheur aux abonnées absentes malgré la courbe qui se trace doucement sur ses lèvres. “Bien sûr que si j’ai le choix...” C’est soufflé. Tristement pathétique. Elle en baisse même les yeux. “Mon cancer revient Ace. C’est un signe. Je ne suis pas sûre de pouvoir me battre.” Ni même de devoir. En même temps, les devoirs, ça n’a jamais été sa tasse de thé. Et puis, ça doit être le karma. Ça veut bien dire ce que ça veut dire. Elle a fait son temps ici. Elle a eu un sursis même. Elle a eu la chance de se rapprocher de son cousin, de rencontrer de nouvelles personnalités. Caïn, Robin, Jael, Tereza, Madame, Bambi, Chief… Et d’en retrouver d’autres. Barbra, Ike et Léo. Vraiment. Elle a eu sa chance. Elle devrait plutôt dire merci au lieu de sentir cette amertume couler dans ses veines et sous sa peau, figer ses traits et les faire descendre au fond de la terre. Et déjà y a la nostalgie d’une vie qu’elle n’aura plus qui s’apprête à déborder. Mais cette fois, son coeur se tait. “J’ai froid. Tu me ramènes.” Pour ne pas en dire plus. Pour qu’il ne comprenne pas totalement. C’est horrible dans un sens. Ça ne lui ressemble pas, de se retenir, de ne rien dire ou de ne dire les choses qu’à moitié. C’est pas elle. Mais elle n’a plus à l’être non ? Elle n’arrive pas à voir comment être. Elle n’arrive juste pas. Elle sait pas. Elle sait plus. Plus de gravité, elle claque encore, s’écrase encore. Elle fait plus l’poids -peut-être même qu’elle l’a jamais fait finalement. Elle perd son rire, sa légèreté et sa chaleur petit à petit. Elle se meurt. C’était peut-être écrit ainsi. Et pendant une seconde, elle se demande si Robin l’a senti avec ses pierres. ‘Terriblement mortelle’ que Caïn lui avait dit. Il ne se rendait pas compte à quel point il visait juste. Le tatouage qu’il lui a fait il n’y a même pas trois semaines se plante brutalement dans son dos. Ce trait de vie marqué à l’encre le long de sa colonne vertébrale, il a eu totalement raison de lui faire faire des détours et des cassures. Il n’aurait juste pas dû poursuivre la cavalcade jusqu’à ses reins. Il aurait dû s’arrêter au milieu. Elle connaît beaucoup trop de fantaisistes. Et maintenant, elle te dise quoi tes cartes, Caïn ? Serena vacille… pose sa main sur le capot du véhicule pour se retenir de céder à la pensée suivante, qui serait de courir chez Caïn et de lui demander de veiller sur ceux qu’elle aurait dû chérir encore un peu. Mais elle se l’interdit illico -ça, ça serait vraiment injuste. Et là tout de suite, dans l’engourdissement de cette nouvelle, de cette idée... Les rêves, sa vie lui filent un peu plus des mains comme ces fils qu’elle tisse d’ordinaire. Elle ne peut plus faire de promesses non plus. Elle en est incapable. Surtout pas à Ace, surtout pas à la famille. Et pour la deuxième fois de sa vie : Serena hait cet instant. “Tu sais… c’est que ça devait se finir comme ça.” Annonce à la volée avant de grimper dans la voiture. L’univers auquel elle croit fermement, les énergies qui murmurent en coulisses, toutes ses idéologies trop hippies lui disent que c’est ça finalement.