✧ 01 ses parents ne s’aiment plus. c’est comme ça. il paraît que ça arrive tous les jours. pourtant, elle l’avait pas vu venir, cici. ça lui a foutu les larmes aux yeux, le cœur en rage. on s’aime qu’un instant, et elle croyait qu’on aimait pour toujours. c’est compliqué, pour cici, l’amour. elle a jamais trop compris, elle s’est contentée de le lire, elle a cru le vivre à tous les coins de rues, sautée à l’ombre d’une ruelle dans ses soirs les plus noirs, à défendre le jour des valeurs qu’elle a perdues y a si longtemps. cici, merde. qu’est-ce qu’il reste de vrai autour de toi ? des objets de valeur qu’on éclate sur le marbre, le plancher qui craque au petit matin, le feu qui brûle au creux de tes reins et ton cœur qui s’arrête de battre, de temps en temps.
  ✧ 02 elle est persuadée d’être féministe, le revendique carrément sur tous les réseaux sociaux et à chaque débat de chaque soirée. en vérité, c’est juste une putain de white feminist qui a pas compris le principe du mouvement et qui se permet quand même de traiter les meufs de pute en public, et de dire des phrases du style « non mais elle se respecte pas » dès qu’une meuf sort un peu du droit chemin sur lequel on l’a foutue depuis sa naissance. tss. ce serait marrant de savoir ce qu’elle dirait d’elle-même, si elle se voyait.  
  ✧ 03 elle possède un diadème. un vrai. même qu’elle se le fout sur la tête des fois. genre, pour sortir. à des soirées. sérieux. c’est un véritable accessoire, elle est princesse, elle est royale et elle le fait savoir. alors, c’est un cadeau d’anniversaire, et puisqu’il a coûté assez cher, elle le sort pas non plus souvent. faudrait pas risquer qu’elle se le fasse piquer. faudrait surtout pas risquer d’en faire trop, rien qu’une fois c’est déjà bien assez.
 ✧ 04 le boulot, le vrai, le labeur, elle a aucune idée de ce que c’est. elle a jamais postulé à rien, et la seule fois de sa vie où elle a décroché un stage d’été, c’était par un piston de son père et on l’a un peu obligée. elle prend tout ça très au sérieux, cici, dès qu’elle y est, même si avant elle est pas vraiment motivée. au final, elle arrivait quand même la première, partait la dernière, et faisait son travail à la perfection. elle a fait ça deux mois. et elle s’est dit « plus jamais ».
 ✧ 05 ciara fait partie de ces filles qu’on touche avec les yeux pour ne pas les abîmer. beauté fluette, apparence délicate, et tout le tralala. on n’ose pas l’approcher. jusqu’à ce qu’on ose trop l’approcher. ciara  fait partie de ces filles qu’on piétine et qu’on déchire, qui les rend fous, dès qu’elle les laisse entrer. beauté marquée, apparence de dure à cuire, qu’elle veut se donner. ciara, sans le savoir, elle allume des étoiles dans les yeux des idiots qui croient qu’ils ne sont pas dignes d’une fille pareille ; qu’elle est trop bien pour eux. elle les laisse croire qu’ils ont raison, s’en persuade un peu elle-même.
 ✧ 06 ciara n’a aucune notion de l’argent. vraiment. aucune. elle ne sait pas estimer la valeur de quoi que ce soit qui ne soit pas un sac lancel ou des lunettes prada. bon, c’est caricaturé. elle sait donner des fourchettes, quoi. des fourchettes larges. elle ne comprend pas ce que vivent la grande majeure partie des gens de classe moyenne. et, oui, elle vient d’une famille qui a toujours voté républicains, qu’elle a suivi aussi, jusqu’aux dernières élections ; où elle a voté hillary. vous savez : parce qu’elle est féministe. lol.
 ✧ 07 cici a pété un câble y a environ deux ans. la pression familiale. les diktats de sa société à deux balles. toutes les merdes qui se sont enchaînées. elle s’est retrouvée à plusieurs reprise le nez dans la farine, la fumée dans le gosier, à inhaler des bongs ou à cramer des cuillères. cici la droguée. elle a longtemps fait le yoyo, ces meufs qui vous disent « j’suis pas accro ». alors que si. à un moment, elle a stoppé. elle sait plus trop comment, elle sait plus trop pourquoi. et puis elle a replongé. à cause de. enfin. c’est un sujet sensible.
 ✧ 08 elle est pas si bête, vous savez. c’est pas facile d’être elle. c’est facile d’être personne, hein, c’est vrai, mais cici elle a déjà un pied dans la tombe, elle s’en rend même pas compte. elle est pas heureuse. elle s’accroche à des trucs à la con, elle se dit ça ira mieux avec ça, un pas de plus vers le bonheur, mais c’est stupide, ça marche pas. et puis, c’est un cercle vicieux. parce qu’elle croit qu’elle pourrait atteindre le salut, avec lui, mais elle a tort, cici, elle voit pas qu’y a pas d’avenir, alors elle s’en sort pas.
 ✧ 09 elle traverse actuellement une période « bella swann » après qu’edward l’ait quittée comme une malpropre. vous avez, quand elle se met constamment en danger juste pour qu’il vienne la sauver. sinon, faut revoir ses classiques. ben cici, c’est pareil, sauf qu’elle a pas d’edward. elle court après les sensations, chaque fois un peu plus fortes, chaque fois un peu plus dangereuses, chaque fois plus proche de clamser. elle va crever, faut l’savoir. comme tout le monde, certes, mais elle ce sera beaucoup plus tôt.
✧ 10 son frère a quitté le foyer familial. papa et maman continuent de faire bonne figure à l’extérieur, chambre à part en dedans. eliott, il en a eu marre des apparences, il a jamais été comme les autres, lui, il a pas peur. d’être lui-même. pas celui qu’on voudrait qu’il soit. ça lui manque, à ciara, de l’entendre gueuler contre les codes ; de lui parler, et de voir son sourire, dès qu’elle se laissait un peu aller. y a quoi à faire, maintenant qu’il est plus là ? elle voudrait partir aussi, ciara, mais pour aller où ? des fois elle se dit que leur argent est plus important que leur amour, alors elle reste pour ça.
 ✧ 11 elle joue la djette à ses heures perdues. c’est un kiffe qu’elle s’est fait y a quelques mois, elle s’est acheté une table de mixage et elle a tâtonné. elle s’en sort pas plus mal qu’un autre, mais faut dire que c’est surtout le style qui lui plaît. le casque sur une oreille, les fringues qui brillent. c’est aussi sûrement un peu pour se la péter. et parce que ça énerve sa mère, qui aurait sans doute préféré qu’elle joue de la harpe, la conne.
 ✧ 12 cici l’amoureuse. elle y peut rien, c’est comme ça ; elle est amoureuse. bon, alors. faut remettre les choses à leur place. elle vient tout juste de se l’admettre à elle-même, c’est pas demain la veille qu’elle lui dira, à lui. par contre, à cici, faudrait qu’on lui dise que c’est pas ça, l’amour. ça, c’est de l’addiction. c’est mauvais, c’est malsain, ça la consumme et elle pense que ça lui fait du bien. que si son cœur bat à tout rompre, ça peut être qu’un bon signe. que même s’il tape trop fort, il va pas se briser pour autant.
 ✧ 13 elle sait pas faire la cuisine, genre, du tout. même pas les pâtes. même pas des trucs crus sur lesquels on a juste une sauce à foutre ; ça aussi elle trouvera le moyen de le louper. non, vraiment, faut pas compter sur elle pour survivre en cas d’apocalypse, entre la peur de se péter un ongle, et l’incapacité totale à nourrir qui que ce soit, elle sera la première à partir, c’est clair.
 ✧ 14 elle vient de s’inscrire à une salle de boxe. ça doit faire partie de son programme d’émancipation de la tunstall mania, elle prépare sûrement son ralliement au club des badass de savannah. pour le coup, on peut pas lui reprocher : elle l’a dit à personne, elle veut pas que ça se sache, elle le fait juste pour elle. elle a fait une leçon, jusque là. alors, clairement : elle est nulle. mais ça la défoule, ça la détend et ça lui fait du bien. c’est un des seuls trucs – le seul truc, même – qu’elle abandonne pas face à la difficulté. qui sait. c’est peut-être le début du mieux.
 ✧ 15 cici n’a jamais tort, petite poupée autoritaire. elle dicte, elle décide. et quand c’est faux, c’est qu’on a mal compris. elle ne quémande pas, part aussi vite qu’elle est arrivée. c’est la reine des sorties dramatiques, et du sourcil levé. cici l’incorrigible, la dictatrice. à l’école, on avait peur d’être son ennemi, et puis elle a grandi, on a eu peur d’être son ami. cici pourtant y a personne qu’elle déteste plus qu’elle-même, et peut-être que personne le sait. elle s’oublie dès qu’elle peut, la nuit lui apporte un peu de répit, mais ça dure jamais assez longtemps. cici a peur du jour qui se lève, maintenant.
 ✧ 16 elle a rencontré tate quand ils étaient encore gamins. d’aussi loin qu’elle se souvienne, ils ont toujours été voisins, et ont jamais vraiment pu se saquer. ça devait sûrement partir de leurs familles, avant eux, enfin, paraît que ça remonte à loin. tate et malika. ils se regardaient de travers, se tiraient les fringues et les cheveux quand les parents regardaient pas. ils ont pas vraiment évolué depuis. ça s’tire toujours les fringues et les cheveux, juste pas pour les mêmes raisons.
 ✧ 17 elle s’est déjà trémoussée sur une barre de pôle dance, une fois où, dans une soirée à laquelle elle s’était laissée traîner de force, où elle avait trop bu ; beaucoup trop. quand on est ivre, on est persuadé qu’on excelle dans tout ce qu’on entreprend ; alors cici elle croyait dur comme fer qu’elle leur en foutait plein la vue, qu’elle débordait de sensualité, qu’elle maîtrisait la barre comme personne ; elle avait tort, mais personne a vraiment osé lui dire le lendemain.  
 ✧ 18 elle aime l’orage et la pluie battante, cici, les intempéries des soirs d’été qui viennent éclater les vagues contre les pierres brutes, les tempêtes et les ouragans, sans doute un peu parce que ça lui ressemble. elle aime le déluge, c’est ça. les eaux qui viennent tout inonder, tout effacer, les éclairs qui frappent et qui réduisent en cendres ce qu’il reste de vivant, de présent, de connu. elle aime les ciels qui grondent, et les terres qui tremblent, les vents qui se lèvent, et les océans déchaînés. ça lui rappelle qu’on est pas grand chose, et qu’on est tout aussi puissants.
 ✧ 19 ciara veut des gosses. beaucoup. une grande famille. une belle famille. pas comme la sienne. une famille qui s’aime et se soutient. elle a déjà le nombre, le sexe, les prénoms. elle a tout tracé. alors ouais, ça fait un moment qu’elle y pense un peu moins, mais c’est toujours dans un coin de sa tête. et des fois, peut-être un peu trop souvent, quand elle pose les yeux sur tate suffisamment longtemps pour oublier la brute, et juste caresser ses traits saillants du regard, c’est avec lui qu’elle voit tout ça. faudrait être marteau. elle l’est sans doute.
 ✧ 20 y a les ténèbres qui l’envoûtent, qui l’embrument, elle est au bord et elle vacille. c’est qu’une question de temps, poupée de papier, on t’a assez cramée, assez déchirée, ciara, on te reconnaît pas. y a une noirceur qui grandit en elle, elle la guette mais elle l’accepte, elle y peut plus rien. y a rien qui va, tout qui fout l’camp, et l’obscurité qui la condamne, y a plus de lumière cici, le soleil s’est éteint, sérieux, il reste plus rien. elle se sent mieux dans le noir, de toute manière. les migraines s’épuisent et la musique l’enveloppe, elle plonge et y a personne pour la sauver, puisque personne n’en a rien à foutre.