Une sonnerie le tira du nuage nébuleux dans le lequel Llewyn se trouvait. Ouvrant mollement une paupière, la lueur blanchâtre du jour agressa ses rétines. Lumière accrue le forçant à ouvrir les yeux. Une brume épaisse dansa devant ses pupilles, franchissant pas à pas la barrière de son esprit encore tout ensommeillé. L'espace d'un instant à peine, il en vint à se demander qui il était, mais surtout où se trouvait-il ? Incapacité de trouver une réponse sur l'instant. Trop d’une mauvaise défonce avec un vieux whisky qui traînait dans le placard. Une vilaine douleur lui vrilla la tête, comme pour souligner que oui, ce paradis artificiel n'y était certainement pas pour rien dans cette perte soudaine de repères. Dans un grognement sourd, - digne de Cro-Magnon - il pivota sur le côté – pensant certainement pouvoir réduire l'effet lumineux bien trop ardant pour lui –, sa jambe butta mollement contre un obstacle, avant qu’il ne se casse la figure par terre. Le choc fut aussi violent pour sa tête, qui était déjà mise à mal par sa gueule de bois, que pour le reste de son corps. La sonnerie retentissait toujours, là quelque part dans les tréfonds du nuage cotonneux dans lequel il se trouvait. Un nouveau grognement s’échappa de sa gorge. Qu’on le laisse crever tranquillement en paix. Il arriva à se rendormir durant quelques minutes, là sur le sol du salon. C'est en ouvrant à nouveau les paupières qu'il arriva à visualiser où est-ce qu'il se trouvait, à savoir juste à côté du canapé. Et la sonnerie s'élevait toujours dans les airs, celle de son téléphone portable. Tant bien que mal, il arriva à se traîner jusqu'à la table basse et à tâtons il essaya de trouver l'objet en question qui ne s'arrêtait plus de sonner. Finalement, il arriva à mettre la main dessus. Toujours à même le sol, Llewyn décrocha « Bonjour M. Bridges, je suis le proviseur du lycée de votre fille. Je me permets de vous appeler afin de vous faire part d’un accident qui vient de survenir. En effet, votre fille s’est battue avec une de ses camarades après lui avoir envoyé son plateau repas à la figure. » Llewyn laissa filer quelques secondes avant de répondre d'une voix pâteuse tout en se frottant les yeux de sa main disponible « Vous devez faire erreur... vous devez vous tromper de Bridges... Lucy n'aurait jamais fait ça ! » Il y eut un blanc de quelques secondes avant que le proviseur ne reprenne la parole « Il n'y a pas d'erreur sur l'élève, il s'agit bien de Lucy Bridges. Pouvez-vous venir au lycée en fin de matinée ? ». L'Anglais ne trouva pas la force de répondre par l'affirmative, seul un grognement lui échappa et puis il lança le téléphone au loin, après avoir raccroché au nez du proviseur. Sa vie entière était une farce en ce moment, tout partait à la dérive et il tentait de survivre alors que les éléments semblaient se déchaîner de plus en plus. S'il s'était alcoolisé plus que de raison la veille, c'est parce que ses doutes au sujet de Lullaby venaient de se révéler exacts. Rien que de penser qu'elle avait pu coucher avec un autre homme lui donna la nausée. Difficilement, il arriva à se relever et attrapa la bouteille de whisky sur la table basse. Il ne restait qu'un fond, qu'il avala d'une traite.

Pas le temps de s’apitoyer sur son sort, il devait se rendre au lycée. Encore défoncé de la veille il passa rapidement par la case douche et se changea aussi, même s'il aurait préféré rester là, à noyer son chagrin dans les fonds de bouteille. Il devait au moins faire un effort pour Lucy et tenter de donner le change. En titubant - plus à cause de sa jambe, enfin il ne savait plus trop à cause de quoi il ne marchait pas très droit en fait – il se dirigea vers l'arrêt de bus. Une fois dans le véhicule, les gens le regardèrent étrangement, ce qui n'était certainement pas bon signe. Le premier qui aurait le malheur de lui faire une remarque aurait le droit à un bon coup de poing dans la tronche. Son taux d'alcoolémie certainement encore énorme le désinhibait légèrement, d'ailleurs il remarqua qu'il n'avait plus son alliance et il eut beau chercher, il n'arriva pas à se souvenir où est-ce qu'il avait pu la mettre. Quelle importance de toute façon ? Tant bien que mal – puisqu'il n'avait plus vraiment besoin de sa béquille à présent pour marcher – il se dirigea vers le bureau du proviseur. La secrétaire l'accompagna jusqu'au bureau où Lucy se trouvait. Présentations d'usage avec le proviseur dont il n'arriva pas à retenir le nom. En voyant le visage égratigné de cette dernière Llewyn eût un raté. « Mais bon sang Lucy qu'est-ce que t'as fichu ? Laisse moi deviner... t'as appliqué à la lettre le conseil dénué de bon sens de ta mère... Elle en manque vraiment pas une elle... » Ce n'était pas le sujet et pourtant il rejeta la faute sur celle à qui il avait envie d'arracher la tête.

EXORDIUM.

Llewyn était peut-être encore légèrement – beaucoup - éméché de la veille, sachant qu'il en avait rajouté une couche en prenant à jeun un fond de whisky en guise de petit déjeuner, mais il arrivait encore à reconnaître quand on se payait sa tête. Et là c'était clairement le cas. Il n'était plus la victime, il n'était pas à la place de Lucy, le proviseur n'allait certainement pas rejeter la faute sur lui. Il croyait quoi, qu’il pouvait l’intimider comme ça parce que sa fille était victime de harcèlement et qu’on finissait toujours par stigmatiser les victimes ? Ce n'était très certainement pas de la faute de l'Anglais et peut-être pas non plus de celle de sa fille, si ce merdeux de première n'avait pas été capable de faire son boulot. Après tout, c'est à ça qu'il était payé, assurer le bon fonctionnement de son établissement, tout en gardant un œil sur les élèves, afin de les protéger, au lieu et en place de quoi il avait l'air de s'en moquer royalement au vu de son discours. Encore un bureaucrate payé à ne rien faire. Et puis de quel droit il se permettait d'affirmer si oui ou non Lullaby était à blâmer dans l'histoire, lui aussi lui était passé dessus ? Cette dernière pensée l’énerva de plus belle. Révolté comme jamais et remonté à bloc, c'est en s'étranglant à moitié, et avec les yeux qui manquèrent de lui sortirent des orbites , que Llewyn commença à prendre la parole. Il ne manquait pas d'air ce con. L'Anglais s'approcha du directeur, peut-être d'un peu trop près, en le pointant du doigt et en déblatérant à toute vitesse et son accent commençait à ressortir, une preuve de plus qu’il s’énervait « Je vous demande pardon ? Parce que c'est à moi de rendre des comptes maintenant ? Mais vous servez à quoi au juste ? Vous n'êtes même pas capable de remarquer quand une de vos élèves se fait harceler et c'est à moi de me justifier, parce qu'elle a manqué une semaine de cours tout ça pour éviter le pire... On marche sur la tête là clairement !! », il s'approchait de plus en plus du directeur, à présent complètement désinhibé et il s'en fichait complètement de ce que ce type pouvait bien penser. « Qu'est-ce qui vous pose problème ? Laissez-moi réfléchir... votre connerie peut-être bien ! Et qu'est-ce que vous en savez-vous hein, espèce de macaque si elle n'est pas à blâmer ? » En fait il s’en fichait complètement de la réponse de ce type. D’ailleurs il n’écouta pas ce qu’il lui répondit, mais peut-être qu’il n’avait rien trouvé à rétorquer. Il se tourna alors vers sa fille pour lui dire « Bon viens Lucy on s'en va, nous n’avons rien à faire ici… Monsieur le directeur a sans doute mieux à faire que dispenser des leçons de vie aux parents… il doit sans doute continuer la sieste qu’il a commencé dès le réveil et qui ne se terminera que ce soir ! » en somme il ne lui restait sans doute rien à faire hormis se tourner les pouces. Il neigeait sous le scalp de Llewyn, en temps normal jamais il ne se serait permis un tel discours envers quelqu’un, mais l’alcool aidant, tout ce qu’il pensait était en train de ressortir. Il amorça alors quelques pas en direction de la porte du bureau, il n'avait pas la tête à écouter les excuses bidon du directeur ni son petit sermon à deux francs six sous. Comme quoi, venir trouver ce foutu directeur quelques jours plus tôt avait vraiment eu son effet. L’ironie de la chose franchement. Quelque part c'était quand même bien fait pour la camarade de Lucy qui avait mangé un plateau repas... en pleine figure.

EXORDIUM.

La bienséance ne s'appliquait plus ici, dans le bureau du directeur. Llewyn se fichait parfaitement du qu'en-dira-t-on, c'était d'ailleurs le dernier de ses soucis et il s'en tamponnait l'oreille avec un bâtonnet de surimi. Le père de famille n'écouta même pas la réponse du directeur, puisqu'il se doutait fortement que ce ne serait qu'un concentré de connerie. Pour lui, tout était de la faute de cet homme qui se tenait là, juste devant lui, ainsi que des professeurs, qui étaient tous trop occupé par leur petit monde et petite vie pour vraiment se rendre compte que ce qui se passait entre les murs de cet établissement. Tous les ans, tous les mois, tous les jours des élèves comme Lucy se faisaient brutaliser par leur camarade et cela n'inquiétait absolument personne. Llewyn était bien placé pour savoir comment cela se passait.  Que fallait-il pour que le corps enseignant réagisse enfin ? Que l'un des élèves en vienne au suicide ? Quelques mots du directeur parvinrent tout de même à franchir la barrière de la matière grise de l'Anglais. Surveillance, raté, faute, bornes... Des mots insignifiants de sens . Le directeur essayait juste de sauver ses fesses et éviter là un procès. Llewyn n'était certes pas dans un état normal, mais il voyait clair dans le jeu du directeur. Il n'ajouta d'ailleurs rien de plus, ne voulant pas rentrer plus en profondeur dans le jeu de ce dernier. Le Londonien le trouva d'ailleurs presque comique avec sa bonté d'âme quant à la sanction qu'il appliquait sur Lucy et quelle sanction allait-il appliquer au juste auprès des harceleurs ? Aucune sans aucun doute. C'était tellement facile. Llewyn était persuadé que Lucy n'avait fait que se défendre après tout ce qu'elle avait enduré. Certes la réponse était un tantinet démesurée, mais après tout sa camarade retiendrait peut-être la leçon suite à cet incident. Le brun suivit sa fille dans le dédale de couloir où il était passé quelques minutes plus tôt. Ils croisèrent en chemin l'élève aperçue lors de leur sortie au zoo. Effectivement Lucy n'y était pas allé de main morte. Il avait peut-être légèrement minimisé les dégâts. Il se retourna alors vers Lucy, retrouvant un brin de lucidité « Pas de quoi... tu m'expliques maintenant ce qu'il s'est passé, et pourquoi cette gamine se retrouve avec la tête amoché comme ça ? » Il n'y avait pas la moindre agressivité dans le ton, il voulait juste comprendre ce qui avait réellement poussé sa fille à agir de la sorte. A la question de cette dernière il se contenta de hocher la tête avant d'ajouter « On en parlera plus tard, pour le moment je veux savoir ce qu'il t'as pris ! ». Ils avançaient assez rapidement, comme s'ils étaient tous deux pressés de sortir de cet endroit malsain.

EXORDIUM.

Lucy ne s'en tirait pas si mal que ça, avec seulement deux jours d'exclusion, surtout après avoir agressé sa camarade. Llewyn avait sans nul doute minimisé la gravité des faits, mais après tout il avait une bonne excuse. Ce n'était pas tous les jours après tout que l'on découvrait par soi-même les tromperies de celle qui partageait votre vie depuis 20 ans. Ce n'était certainement pas une bonne raison pour arriver dans un état pitoyable au lycée de sa fille, mais peu importe. Il gérait la situation aussi bien que possible. Llewyn trouvait qu'il ne gérait pas si mal que ça au final. Peut-être parce qu'il savait malgré lui ce qui se tramait dans son dos. Les soupçons était présents depuis plusieurs semaines déjà. Cela n'avait fait que confirmer ses doutes. Toutes les excuses à la  mord moi le nœud employées par Lullaby, tous les sms qui arrivaient à des heures impossibles... Tout ça il l'avait bien remarqué, il n'était pas né de la dernière pluie. Non effectivement il était loin d'être dupe et avait vu clair dans le petit jeu de sa femme depuis belles lurette. Ce qu'il lui fallait c'était une preuve tangible des agissements de cette dernière, pour en avoir le coeur net. La vision venait de lui être rendue après vingt ans. C'était assez moche d'en arriver à ce point. Suite à la question posée à Lucy, cette dernière se montra presque agressive, ce qui n'était pas dans ses habitudes. Chose qui le surprit. Une fois de plus elle lui prouvait par ses paroles que c'était elle l'adulte de la maison. D'un côté elle n'avait pas tord de lui faire remarquer que c'était débile de venir dans un état pareil la chercher à l'école. "Elle t'as traité de débile... Je vois ! Tu te sens comment maintenant que tu lui as fracassé la figure ? Mieux j'espère, parce que c'était la première et dernière fois ce petit incident ! Je te pensais plus intelligente qu'eux... C'est pas comme ça qu'on règle ses problèmes Lucy !". Ce n'était certainement pas non plus en s'alcoolisant que les problèmes allaient se régler. A la suite de quoi il secoua la tête d'un air réprobateur. Il n'allait certainement pas annoncer à Lucy, là au beau milieu de la rue, que Lullaby et lui venait de se séparer. "Il peut bien penser ce qu'il veut, je m'en fiche complètement... Je te conseilles de modérer tes propos d'ailleurs jeune fille... On va s'installer quelque part pour parler de tout ça" L'Anglais amorça ensuite un pas en direction de la route, afin de trouver l'endroit le plus approprié pour les confidences. Pour le moment il ne savait pas encore trop ce qu'il allait dire à sa fille, ni comment il allait aborder les choses.  

EXORDIUM.

Plus la conversation défilait et plus Lucy semblait aggraver son cas en confrontant son père de la sorte. Il était son allié, elle ne devait certainement pas l'oublier. Il se rangeait toujours de son côté en temps normal. Mais pas cette fois-ci. Cette fois-ci elle devrait faire son chemin de croix seule. Puisqu'elle avait choisi elle-même de s'embourber dans cette situation en usant de violence et bien soit. Ce serait sans lui. Llewyn avait trop conscience de ce qu'était le harcèlement, pour laisser sa fille agir de même que ces imbéciles qui passaient leur temps à lui pourrir la vie. Il pouvait parfaitement comprendre que sa fille en avait eu assez de se faire brimer chaque jour, mais il ne comprenait pas son comportement là à l'instant T, ni son discours. Il ne l'avait encore jamais vu sous cet angle, ni sous ce mauvais jour. Elle aussi était en train de changer. Et peut-être pas en bien. Sans doute était il temps de rectifier le tir avant qu'il ne soit trop tard. Llewyn n'avait pas manqué de dire à sa fille à quel point il était déçu de son comportement. La violence n'était pas une solution, ce n'est pas de cette façon que les conflits se résolvaient. Bien au contraire. La violence appelait la violence, qu'elle serait la prochaine étape ? Le proviseur allait-il le convoquer pour lui dire que sa camarade était hospitalisée ? « Tu es humaine, tu es dotée d'une cervelle, alors sers-toi du truc que tu as entre les deux oreilles bon sang ! Depuis quand exactement la violence est une solution à un problème ? Je vais te le dire... Depuis jamais... Est-ce que je dois te faire un cours sur les guerres ou ça t'évoques déjà quelque chose ? Il n'y a jamais de vainqueur Lucy ! Ici c'est pareil !!! Tu n'as pas envie de réfléchir, c'est nouveau ça ? Donc tu as décidé de devenir une pauvre décérébrée comme eux... c'est bien, tu iras loin comme ça j'en suis sûr ! » Llewyn était cru dans ses propos, certainement comme jamais auparavant. Peut-être que l'électrochoc marcherait... ou peut-être que non. Tout comme sa fille, il s'en fichait éperdument de dire ce qu'il pensait en cet instant, que cela blesse ou non et que cela plaise ou non. Elle se permettait même de se cacher derrière son frère, comme si cela pouvait excuser ses actes. « Je ne pense pas que Mason aurait apprécié ce que tu viens de faire, bien au contraire ! Il aurait eu honte de voir sa grande sœur, dont il était si fière se rouler dans la boue de cette façon » L'évocation de Mason suffisait à le faire décuver presque instantanément. Lucy allait loin, trop loin dans ses propos. Plus rien n'allait dans cette vie, tout partait vraiment en cacahuète. Gentiment, mais très fermement il lui répondit « Peu importe, mais on ne reste pas là au beau milieu de la rue... Ecoute Lucy, t'es gentille vraiment, mais je te conseilles de ne pas me parler de cette façon. N'inverse pas les rôles d'accord ? Ca pourrait très mal se passer autrement... » Llewyn lui jeta un regard noir, sans équivoque, puis il continua à avancer sans vraiment se soucier si oui ou non Lucy le suivait. Il avisa un stand de boulangerie au coin de la rue, il attendit que Lucy le rejoigne avant de commander un café et des viennoiseries, il laissa Lucy prendre ce qu'elle souhaitait, avant de payer le tout. « On va s'installer sur le banc juste en face, ça te vas ? » demanda-t-il un peu plus apaisé, tout en prenant une gorgée du café.

EXORDIUM.

Ce n'était même plus un fossé qui était en train de se construire entre le père et sa fille, mais bel et bien un canyon immense. Jamais auparavant ils n'avaient tenus de tels propos à l'égard l'un de l'autre. D'ordinaire, ils étaient soudés contre l'adversité. Peu importe les divergences d’opinion, ils faisaient toujours front. Mais pas aujourd’hui. Il y avait un début à tout semblait-il, même aux pires bassesses. La famille volait en éclat de toute part. Ils avaient eu beau faire pour tenter de colmater au mieux la brèche, cela n'avait pas tenu. Cela s’apparentait au final à mettre un bout de sparadrap sur une roue de véhicule, inutile et peu solide. La réaction de Lucy le choqua presque, suite à ses propos concernant Mason. Elle était remontée à bloc et ne voulait absolument rien entendre de la part de son père. Le fait de se prendre cette remarque en pleine figure lui fit bien plus mal qu’il n’aurait voulu. Llewyn tenta de ne pas le montrer, mais il était un peu déstabilisé. Elle venait de frapper fort et de toutes ses forces juste là où cela faisait le plus mal. Il était d’autant plus déçu par la réaction de cette dernière. Lucy ne méritait qu’une chose à cette heure-ci, qu’on lui remette les pendules à l’heure. Une bonne gifle était peut-être de mise, histoire de lui remettre les idées en place. Il avait attendu d’avoir son café en main et d’avoir bu quelques gorgées avant de lui répondre, histoire de ne pas agir sur un coup de tête non plus. Ce n’était pas dans la violence qu’il avait eu pour habitude d’éduquer ses enfants. « Ah bon ? Et qu’est-ce que tu en sais d’abord ? Ce n’est pas toi qui l’a élevé et qui l’a vu grandir que je sache… », il l’agrippa ensuite par le bras et la força à le regarder. « Je peux savoir c’est quoi le fond du problème là ? », il était peut-être dans un état pas spécialement présentable, mais ce n’était pas une raison pour qu’elle lui manque de respect à ce point. Il lui lâcha le bras avant de lui demander « Tu te crois où ? Je peux savoir ? Depuis quand tu me parles comme ça ? » Ces dernières questions n’appelaient pas vraiment de réponse, c’était plus une sorte de dernière mise en garde avant de passer au stade supérieur. Stade qui se traduirait inexorablement par une baffe monumentale, avant de la ramener par la peau du derrière à la maison. Elle avait beau avoir 16 ans, il n’était jamais trop tard pour se faire rappeler à l’ordre par son père. « Puisque tu demandes, non c’est pas une option, donc t’as pas le choix ! » Après s’être installé sur le banc avisé, Llewyn avala une nouvelle grande gorgée de café. La caféine lui donna un peu de courage, même s’il ne savait absolument pas comment aborder les choses avec Lucy. Il jugea ensuite qu’elle était assez grande pour avaler la nouvelle, sans trop de ménagement « Ta mère et moi… on va se séparer ! T’es loin d’être idiote, même si l’accident d’aujourd’hui tend à prouver le contraire… mais tu as bien dû remarquer que ça n’allait pas… On va prendre du temps chacun de noter côté pour… pour faire le point ! ». Soucieux de préserver Lucy et Lullaby pour le coup, il préféra ne pas expliquer les raisons de cette séparation, du moins pour le moment.

EXORDIUM.

Plus la conversation défilait et moins Llewyn reconnaissait Lucy. Qu'était-il advenu de sa fille au juste ? Est-ce qu'elle venait d'être enlevée par les aliens ? A n'en pas douter, elle venait d'être remplacée par une moins bonne version d'elle-même. Et c'était peu de le souligner. C'est la seule explication rationnelle qui lui vint à l'esprit à l'instant même. Pour qui se prenait-elle au juste ? Elle était en train de faire sa crise d'adolescence tardivement, ou quelque chose y ressemblant fortement. Le Pompier allait très vite la calmer avant que tout ne dégénère. Il voulait bien être gentil, à l'écoute... mais il y avait un minimum de respect à avoir à son égard. Jamais il n'aurait imaginé avoir ce genre de conversation houleuse avec elle. D'ailleurs Lucy ne trouva rien à répondre à ses interrogations, preuve qu'elle n'avait pas d'arguments à lui communiquer. Si le début de la conversation ne prêtait guère à rire, la suite lui donna encore moins envie d'aller dans ce sens. Maintenant il se faisait traiter comme un enfant de cinq ans. Infantilisation au rendez-vous. Lucy avait toujours été très mature pour son âge, mais il y avait tout de même des limites à la connerie. Et les limites elle venait justement de les franchir, à une vitesse fulgurante. Le mur n'était pas loin. Il en recracha presque son café sur sa fille. Elle ne manquait décidément pas d'air. Le moins que l'on puisse dire c'est que ce n'est pas la jugeote qui allait l'étouffer, du moins pas aujourd'hui. Il avait écouté ce qu'avait à dire Lucy, sans l'interrompre, avant de lui dire d'un ton brut. « Tu t'écoutes un peu ? Qu'est-ce que tu en sais au juste ? En plus de te prendre pour ma mère, tu es maintenant conseillère conjugale... Arrête de te prendre pour ce que tu n'es pas Lucy, et reste à ta place, tu veux bien ! » Pour le moment Llewyn avait réussi à conserver son calme, mais il ne savait guère combien de temps il allait réussir à tenir comme ça. Peut-être allait-il exploser à nouveau comme lors de l'épisode du zoo. C'était véritablement le monde à l'envers. Depuis quand exactement les enfants demandaient des comptes à rendre à leur parents sur leur comportement ? Llewyn nageait en plein délire, ce n'était pas possible autrement. Il allait bien finir par se réveiller de cet affreux cauchemar. Sauf qu'il ne semblait pas enclin à vouloir se réveiller. Un brin agacé, il lui lança en pleine figure « Puisque tu tiens tant à le savoir, c'est exactement ce truc qui m'a poussé à rouler sous la table ! Et si tu veux tout savoir, ta mère s'envoie en l'air avec un gigolo, ça te vas, t'es contente ? Ou tu veux les détails sordides ? » Il était peut-être allé un peu loin dans ses propos, mais après tout si elle voulait se comporter comme une adulte et bien soit !  

EXORDIUM.

Le Pompier ne désirait qu'une seule chose, que sa fille comprenne qu'elle était en train de filer un mauvais coton. Son comportement venait de changer du tout au tout, à en juger par cet accès de colère dont elle venait de faire preuve quelques heures plus tôt, mais également à l'instant même. Il ne la comprenait pas à l'instant T, il ne la comprenait plus. Et vu sa réaction complètement inappropriée, il n'avait pas franchement envie de creuser plus en avant. Après tout, il avait bien d'autres chats à fouetter. Elle qui voulait déjà se prendre pour une adulte et bien qu'elle assume ses responsabilités et tout ce que cela pouvait signifier. Si elle voulait réagir de la sorte et bien qu'il en soit ainsi, mais surtout qu'elle ne vienne pas pleurer par la suite. Le mal était fait. Llewyn n'avait pas spécialement besoin de ça, surtout pas en ce moment. Pour être tout à fait honnête, il n'avait besoin de rien. Juste de se terrer dans un trou, se mordre la main pour se retenir de hurler, le tout en priant très fort pour qu'enfin les choses finissent par s'arranger. Sauf que cette vie-ci ne semblait pas encline à le voir heureux. Non, bien au contraire. Combien d'épreuves de ce type devrait-il encore traverser ? Quel en était le but ? Tester sa résistance et voir à quel moment exactement il allait finir par craquer ? Il en avait plus qu'assez de tout ça. Llewyn jugeait qu'il avait payé assez cher jusqu'à présent. A quand le bonheur ? Pas pour tout de suite à en juger par l'attitude de sa fille. Elle n'était absolument pas réceptive à son discours. Tout comme il n'était pas réceptif au sien. Cette conversation était vaine, autant taper dans l'eau. La remarque abrupte de Lucy le secoua une fois de plus. Qu'est-ce qu'il lui arrivait au juste ? Il se retint de lui envoyer sa main dans la figure. « Merci de ta considération, ça me fait tellement plaisir ! Un tel soutien venant de ta part, ça n'a pas de prix... Libre à toi de rentrer, tu connais le chemin de toute façon... Quant à moi, et bien désolé, mais le dernier numéro de Batman vient de sortir ! » Lucy quitta le banc l'air vraiment furax. Une bonne douche glacée lui remettrait sans doute les idées en place, cela valait également pour lui. Il termina son café avant de se lever et d'amorcer un pas en direction de l'adolescente.

EXORDIUM.