© creditimage|tumblr, peculiar soldat .
✧ 01 T’as vite appris que fallait te démerder Jac. Un géniteur qui se barre, les grosses mains qui effaçaient les larmes sur tes grosse joues poupines qui disparaissent. Alors bon, t’as décidé que tu vivrais seule, que tu rirais seule et que tu danserais seule. Comme ça on te laisseras plus sur le bord de la route.
✧ 02 Finalement, t’as pas été si seule que ça. Bon gré, mal gré, peu importe mais les deux là, tu les aimes. Trop pour toi. Parce que donner tu peux, t’occuper d’eux et les choyer tu peux aussi. Prendre, tu sais faire, gamine capricieuse et exigeante, t’as juste envie d’un monde à ta mesure. Mais recevoir tu sais pas. Ca te fout la pression, t’as pas envie de devoir des trucs aux autres. Même à ceux que t’aimes. Rien que pour cela, ils possèdent déjà suffisamment de toi.
✧ 03 Alors chieuse que t’es, princesse métissée d’un Queens gris, tu te barres de ton petit monde étriqué, sale et puant. Valises et petite soeur sous le bras. Elle tu t’en occupes, tu lui donnes tout, parce qu’elle elle doit être cette personne qui t'abandonnera jamais. T’as besoin de ça. D’une personne, là-derrière, pour te rattraper, juste au cas où tu tombes. Mais tu ne tombes pas, jamais, ou alors derrière les murs, là où on ne te voit pas.
✧ 04 Tu ne tombes, Jac, parce que tu voles. Enfin tu danses, mais c’est tout comme. Tu danses parce que tu le fais seule, parce qu’à chaque fois que tu tombes, tu peux te relever, et parce que ça te permet d'effleurer du bout des doigts un monde brillant à ta mesure. Et tu deviens Swann, simplement.
✧ 05 T’étais seule, puis avec la poupée pâle, la biche. Et puis après, après y a eu lui. T’as pas eu le choix. Une danse, deux peaux qui se touchent, une évidence et deux coeurs qui se synchronisent. Tu l’as pas vu venir, t’as pas lutté contre. Parce qu’avec lui ton monde s’est mis à briller, à brûler dans votre tempête. Ca te consume, ça te crame de l’intérieur, mais tu t’y complais, et t’aimes ça, quitte à tout lui donner, même toi-même. Autant que tu lui arraches, morceau après morceau, son âme pour la garder pour toi.
✧ 06 Et voilà ta vie. La scène, les lumière, toi et Caïn, CaÏn et toi; Bambi dans l’ombre des spectateurs. Le lit, l’obscurité, toi et Caïn, Caïn et toi; Bambi silencieuse de l’autre côté du mur. C’était parfait, en un sens. Enfin pour toi, princesse égoïste. On vous a jamais dit que c’était méchant un cygne. Nan t’es pas méchante, t’es juste… trop.
✧ 07 T’es trop pour cette vie et votre drôle de trio en équilibre malhabile. C’est con, mais des fois, certains jours, tu te rends compte que t’as pas vu la veille, la semaine, le mois. Tu détestes ça. T’as juste le sentiment que TA vie t’échappes. Qu’elle t’appartient plus, que tu la regardes filer et danser au loin, spectatrice de cette étrange ritournelle lancinante, jusqu’à en devenir nauséeuse.
✧ 08 Et puis une brise fraîche qui vient de caresser la joue, une parole d’un inconnu dans un starbuck qui t’arrache un rire clair, un regard malicieux envers cet homme aux yeux clairs. Tu te souviens que de ses yeux, tu l’as jamais revu. Mais il a tout balayé ce con. Le rire qu’il t’a arraché a tout balayé. Le jour suivant, c’est toi qui a fait rire un homme dans ce café. Quinze minutes, assise là avec un autre, à t’inventer une autre vie, une autre identité. C’était bien. C’était frais, nouveau, libre du oui, libre du non. Alors t’as recommencé. Jamais dans les mêmes cafés, jamais les mêmes hommes et puis quelques femmes aussi. Parce que les femmes c’est plus compliqué, il y a plus de challenge. Et puis tu as quitté les cafés, pour rejoindre des chambres.
✧ 09 T’es là, assise sur votre lit, sac plein à tes pieds. T’as lâchement profité qu’ils ne soient pas là. Ta biche et ton coeur. Mais t’es pas sûre d’avoir le choix. Ou plutôt ça fait longtemps que tu l’as fait. La première fois que tu t’es oubliée dans les bras d’un autre. Ou même depuis ce rire et ces yeux bleus. Tu te lèves, tu parcours une dernière fois votre appartement. Dans la salle de bain, t’efface la trace de rouge à lèvre que tu laisses toujours sur le miroir. Tu pleures mais ça s’entend pas. Tu prends ton sac, et tu pars. Ton taxi t’attends en bas.
✧ 10 T’as pris un bus de nuit pour Cincinnati. Quitte à partir, autant partir loin. Première coupure brutale, pour limiter le risque de volt-face. En vérité, c’est le Walk of Fame qui t’intéresse, une petite balade pour piétiner les étoiles. Mais tu peux pas aller bien loin d’un coup. Tu peux pas t’envoler alors que tu sais plus voler, que tu sais à peine comment on fait pour battre des ailes. T’as été anesthésiée. Il te faut du temps. Tu le prends ici, en Ohio. Tu danses pour vivre, encore, mais t’as troqué tes patins pour des escarpins tout aussi cruels, les applaudissements pour les sifflements et les projecteurs pour des stroboscopes criards. Toi et tes longues perruques blanches, on te surnomme Moon. Ironie.
✧ 11 T’es restée là un an, au final. Tu l’as pas vu passé. Parce que tous les jours t’avais à te débattre pour vivre et réapprendre à le faire seul. Tu respires autant que ça te coupe le souffle. T’es pas aussi heureuse que tu l’aurais voulue. T’es toute seule, même si tu continues à voler de couches en couches. Mais c’est qu’une étape, tu le sait. Alors tu reprends ton sac, et tes affaires.
✧ 12 Deux jours, tu te tapes deux jours de bus, et tu arrives enfin sur la côte Ouest. Et puis tu déboules comme une folle sur les dalles étoilées, tu danses, tu cries et tu ries, passant de Tony Bennett et Maria Carey, Ozzy Osbourne et… Spears. T’as envie d’envoyer une photo à Caïn, t’as envoyé d’appeler Bambi. Mais tu peux pas. Tu fixes longtemps l’étoile de la blonde, et puis tu te barres, t’as toujours préféré Christina Aguilera toi. Et à ce propos, t’as à faire.
✧ 13 Tu changes pas, Jac, Swann, Moon, ou Nana, même si on t’appelle jamais pareil. Alors tu danses encore, dans cabaret. Ce sont tes spécialités, danser, séduire, jouer. Alors être payée pour, c’est la perfection. Tu brilles encore, là, dans ce décors factice, de fausses plumes, de satin au rabais et de paillettes qui te collent à l’épiderme. Mais tu adores ça, tu es une reine au royaume de la voluptée.
✧ 14 On s’occupe de toi, de toute part, hommes et femmes à tes pieds. Tu te fais entretenir, tu aimes plutôt ça. Va falloir que tu trouve un plan B, mais tu verras après. Tu vis comme ça, pendant des années. Dés que tu t’ennuies, tu colles un grand coup de pied dans la fourmilière. Tu abandonnes les gens que tu connais, et tu vas en découvrir d’autres, t’arpentes les rues, les bars, les clubs, et tu changes de taff même quand t’en peux plus. T’arrives pas à te stabiliser, tu crois c’est sain, mais tu sais que c’est pas vrai. Tu crois que tu vas bien, mais c’est encore plus faux. Parce qu’au final, au milieu de tout ces gens qui veulent ton bien, t’es toute seule. Parce que te reçois pas, et que tu ne donnes même plus.
✧ 15 Et puis il y a ce type-là. Un brun un peu taciturne, nonchalant. Le tatoué du piano bar où tu passes une grande partie de ton temps libre. L’un de tes seuls point d’ancrage. Ses yeux bruns, son mystère, sa distance, sauf quand vos regards se croisent. Pauvre tarée, tu sais parfaitement à qui il te fait penser, mais ce soir-là encore, comme souvent deux deux ans, tu repartiras avec lui. Avec lui tu es faible. Avec l’image, le rêve, le souvenir qu’il te renvoie, t’es faible. Et puis il te demande de rester, plus qu’une nuit. Là, t’es pas trop con. Tu te barres. Cours petite, cours.
✧ 16 T’es partie d’un point, pour arriver au même, en tellement, tellement, plus… moins… Ta vie brille de partout, plus fort qu’avant, mais c’est un bel emballage. Tu bois trop et tu fumes trop. Ce qui n’était absolument pas dans tes habitudes. Ça va pas du tout tu le sais, mais t’es bloquée. Tu t’es mis dans une merde noire toute seule, tu t’en veux tellement. Tu ne peux pas reculer, alors t’avances, tu quittes le centre d’Hollywood, tu rejoins la banlieue de L.A. Tu jettes tes bouteilles et tes clopes. T’essayes de trouver une stabilité. Il faut que tu te poses, vraiment, tes ailes fatigues trop. Tu retrouves un parquet plus académique, et t’apprends à danser aux gamines des hommes qui ont trompés leurs femmes avec toi.
✧ 17 T’es censée aller mieux, mais y a un truc qui va pas. Oui ils te manquent. De plus en plus chaque jour. Ta sœur, tu t’attends à la voir dans un coin de la pièce, à chaque fois que tu lèves les yeux. Et ton cœur. Ta peau te tiraille parfois, en manque de la sienne, et tu manques de souffle, parce que tu n’as pas le sien. Mais ça tu ne le dis pas, c’est ta faute, alors tu pleures la nuit et tu te tais. Seulement, t’as un truc qui pourri en toi, tu comprends pas. Tu t’affaiblis et tu finis contre le parquet, entourée des frimousses paniquées de tes élèves. A l'hôpital, t’apprends que t’es en cloque. De bien trop longtemps, t’as fait un déni. Ça t’a fait rire cette nouvelle. Ça fait des années que t’es dans le déni de tout. Mais ce truc en toi,
il est pas de lui alors t’en veux pas, et tu demandes à une vieille sorcière de s’en occuper, comme à l’époque.
<
✧ 18 Et enfin, tes pieds atterrissent au fond. Tes ailes usées et décharnées ne peuvent t’aider à rejoindre la lumière. Tu la regardes d’en-bas, l’air las sur ton visage. Autour de toi, plus rien. Tu as tout brûlé au napalm. Tu n’as plus rien à faire. Alors tu rentres. A la maison. Au berceau. Dans l’espoir que, parce que c’est ta mère, elle ne te fermera pas la porte au nez. Elle ne le fait pas, et elle t’écoute, mais elle t’engueule.
T’es trop con ma fille. Comment tu peux être si stupide dans ta jolie petite tête bien faite ? A trop réfléchir, tu te pourris l’existence. T’avais tout et t’as tout foutu par la fenêtre. Et espère pas revenir dans leur vie, tu dois plus y être la bienvenue depuis longtemps. Tu peux rester ici tant que tu payes tes parts. Mais ça serait bien que tu dégages vite, on a plus de place pour toi ici depuis le temps tu sais.✧ 19 T’as traîné New-York City quelques mois. Tu prétends que c’est parce que tu ne savais pas quoi faire. En réalité c’est pour courir après les restes de ton passé, de votre passé, les réminiscences de souvenirs dans des parcs, des rues, au ballet, et ce ptn de café. Et ce type. T’as reconnu ses yeux bleus. Lui, il ne t’a pas reconnu. Il t’a même sortie la même blague, mot pour mot. Cette fois, tu n’as pas ris. Tu as enfoncé ton poing dans sa face rat, et tu t’es cassée, en chialant comme un bébé. C’est ce que t’aurais dû faire la première fois. Tu n’aurais pas été là, pauvre gamine de trente-deux piges, sanglotant sur un banc, en pleine lumière cette fois. Pour la première fois.
✧ 20 T’as fini par remonter leur piste. Tu ne sais pas bien pourquoi tu fais ça. Ils te manquent, c’est clair, ça te fait un creux dans l’estomac que tu combles à nouveau avec de l’alcool. Mais tu ne veux pas qu’ils te revoient. Même si toi t’as envie de les revoir. Tu n’as pas envie de mettre de coup de pied dans la fourmilière. Tu n’as pas envie de tout brûlé au Napalm. Mais tu n’as pas envie non plus que ça ne leur fasse rien du tout. Ce serait pire que tout. T’as posé tes valises à Savannah, t’as repris un poste de prof de danse, et un appart miteux. T’es nerveuse, inquiète, tu ne veux pas les voir, tu veux les voir, t’façon tu vas bientôt plus avoir le choix, sinon tu vas crever. Ça te bouffe les entrailles, les nerfs, la peau. Alors oui, non, si t’as pas envie de crever, t’as pas trop le choix.