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| tu auras, toi, des étoiles qui savent rire (Lenny) | |
| Auteur | Message |
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donne coeur, pas cher, déjà utilisé ▹ posts envoyés : 1889 ▹ points : 16 ▹ pseudo : Unserious/Agnès ▹ crédits : WHI, tumblr, bazzart / avatar : balaclava / AES : moi / gif : camille ▹ avatar : Ben Barnes ▹ signe particulier : un accent de liverpool, un tatouage "bad" au creux du coude, et une chevalière à l'index gauche. oh, et totalement casher. en théorie.
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| Sujet: tu auras, toi, des étoiles qui savent rire (Lenny) Jeu 6 Avr - 20:37 | |
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Lenny & Asher Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile, c'est doux, la nuit, de regarder le ciel. © creditimage|tumblr Quand on sillonne les rues H24, les visages finissent par tous se ressembler. C’est un constat qu’Asher avait établi en sortant du Smoking, une fois. Ce n’était pas la première remarque qu’il s’était faite, en réalité, parce que c’était un soir où il puait un peu trop l’alcool et où il n’y voyait plus très clair, mais il l’avait pensé, entre deux haut-le-cœur. Peut-être était-ce parce qu’il arrêtait toujours les mêmes personnes ou peut-être, tout simplement, avait-il fini par choper les vices caractéristiques des vieux flics. L’observation, la curiosité, la méfiance. La vérité, c’est qu’ils avaient tous les mêmes expressions, les mêmes habitudes, la même manière de sourire ou d’engueuler la voiture qui ne les avait pas laissés passer au passage piéton. Les gens étaient prévisibles, pas surprenants pour deux sous, mais pensaient souvent le contraire. Il y avait Merle et la manière stupide qu’il avait de chercher son attention en piquant des voitures sous son nez, il y avait aussi eu River et sa fragilité quand il avait ramassé les miettes de son amour-propre sur un bout de trottoir. Il y avait tous ces gosses paumés et ces adultes qui n’avaient pas réussi à les entourer, à les aimer, à les aider, et ils se croyaient tous terriblement originaux, spéciaux, des milliards de flocons de neige gravitant toujours autour de problèmes et d’ambitions similaires. Les gens se ressemblaient plus qu’ils ne voulaient bien le croire, et ça faisait partie du métier d’Asher de leur prouver par a + b qu’ils se trompaient. Il y avait grosso modo quatre moteurs qui les guidaient : la peur, la colère, l’argent et l’amour. Asher y avait beaucoup réfléchi et avait établi ce schéma basique dans sa tête, parce que c’était plus facile de ranger les autres dans des petites cases quand on avait trop de mal à trouver la sienne. Et même lorsque ça ne s’appliquait pas, même quand son explication devenait foireuse et incomplète, il trouvait le moyen d’adapter les cases, d’en arrondir les angles, de faire rentrer un rond dans un carré alors que ça semblait a priori impossible. C’était simple, en réalité, simple et rassurant. Il avait besoin de ça, Asher. Du simple, et du rassurant.
Il était sorti assez tard du boulot, ce soir-là. Il avait toujours une excuse pour trainer un peu plus longtemps au poste, toujours un prétexte qui semblait meilleur que tous les autres, meilleur que ceux qui l’incitaient à reprendre le chemin de chez lui. Il n’aimait pas son appartement, à dire vrai. Il n’aimait pas le papier-peint à motifs géométriques qui sentait la soupe et qui se décollait dans les angles, il n’aimait pas les meubles des années soixante-dix qui donnaient aux pièces des airs de décor de vieux film de boules, il n’aimait pas la cloche de l’église la plus proche qui sonnait tous les matins à six heures précises. Il n’aimait pas le grincement de son matelas à ressorts ni les coussins tous plats du canapé du salon, il n’aimait pas la télévision cathodique qui appartenait sûrement à l’ancien locataire. Il n’aimait pas le sentiment d’oppression qui l’envahissait lorsqu’il rentrait seul le soir, tous les soirs, et il n’aimait pas devoir cacher à tous ses collègues son adresse exacte, de peur qu’ils passent le voir et s’aperçoivent du merdier qu’était sa vie. C’était tout ce qu’il avait pu louer, Asher, avec les maigres économies qu’il avait. Ses parents devaient jubiler, à quelques milliers de kilomètres de là, dans leur loft de 100m² avec vue sur la 42ème avenue. Il s’était souvent dit qu’il aurait pu faire marche arrière. Revenir les voir, leur dire qu’il était désolé pour Scarlett. Toquer à la porte de son ex-fiancée et la reconquérir à force de belles paroles qu’il n’aurait pas pensées. Mais tout le monde, là-bas, connaissait la raison pour laquelle Asher avait freiné des quatre fers deux ans auparavant, et personne ne souhaitait le voir revenir (à part peut-être Max, et encore). Il n’avait pas le choix, donc. Cet appartement était devenu son bien le plus précieux et même s’il ne pouvait plus le supporter, il s’y était habitué.
Mais il y avait des soirs, comme celui-là, où il se forçait à prendre des détours avant de regagner sa rue. Des soirs, comme celui-là, où il croisait des figures familières qu’il n’osait pas vraiment saluer, de peur qu’il s’agisse de personnes interpellées la veille et dont il n’aurait pas souvenir. Des sois où il était sûr d’en reconnaître certaines, malgré tout, comme le gosse qui était assis sur le trottoir et tendait aux passants un gobelet dans lequel on pouvait distinguer quelques pièces, sûrement à peine de quoi se payer un sandwich. Les visages défilaient et l’ignoraient, sûrement plus préoccupés par ce qu’ils feraient le soir-même que par la détresse qu’ils côtoieraient en baissant juste un peu le regard. Asher soupira lourdement. Il passait ses journées à jouer à l’assistante sociale, à aider les petites vieilles qui venaient de se faire agresser et les nanas battues par leurs alcooliques de maris. Ce n’était pas souvent qu’on le remerciait, pas souvent non plus qu’on admirait son empathie. C’était normal, pour tout le monde. Visiblement pas suffisamment normal pour qu’ils rendent la pareille à leur prochain, par exemple en donnant une petite pièce à un gamin nécessiteux. L’espèce humaine était la pire de toutes. Asher ne l’avait pas remarqué parce qu’il mendiait, contrairement à ce qu’on aurait pu croire. Il l’avait remarqué parce qu’il l’avait déjà vu plusieurs fois, jamais très loin de Merle ou d’un autre de ces délinquants qui n’étaient pas vraiment méchants, pas vraiment terribles, juste perdus. Il n’avait pas les traits bordés de la même insolence, celui-là. Il avait plutôt l’air gêné, pas à sa place. Où alors, c’était l’impression qu’il donnait. C’était suffisant pour maintenir l’illusion, suffisant pour que le flic y croie. Asher enfonça la main dans sa poche de jean, en extirpa un billet de cinq et se pencha pour l’enfoncer dans le gobelet, presque violemment. « Tu d’vrais pas traîner là », il souffla, parce que malgré l’indifférence générale, il avait peur qu’on l’entende. « A cette heure-ci, ça craint. Une femme est morte là-bas, la semaine dernière ». D’un geste de la tête, il désigna la devanture d’un bar proche au-dessus duquel un néon grésillait. C’était à moitié vrai, en fait. Une femme s’était faite poignarder sur le trottoir et un passant, témoin de la scène, avait appelé les urgences. Elle avait succombé à ses blessures à l’hôpital, pas sur place. Pour autant, quitte à foutre la trouille à ce gosse, autant le faire totalement. Il savait que ses collègues ne tarderaient pas à faire leur ronde, il savait qu’ils passeraient ici et il était certain qu’ils le feraient dégager à grands coups de pompes dans le cul. Il ne savait pas pourquoi il en avait quelque chose à faire, dans le fond. Il aurait très bien pu le laisser se faire tabasser. Sauf que non, il n’aurait pas pu. Fermer les yeux sur l’injustice, ç’avait jamais été son truc. « Viens, si tu veux. On va boire un truc. Je paye ». Et maintenant, il payait des verres à des mineurs (du moins, c’est ce qu’il supposait en le voyant). De mieux en mieux, Asher. |
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| Sujet: Re: tu auras, toi, des étoiles qui savent rire (Lenny) Ven 7 Avr - 23:56 | |
| Pourquoi. C’est la question qu’il se pose, le mot résonne inlassablement sur les parois de son crâne. Pourquoipourquoipourquoi. Pourquoi est-il là, dans le froid, avec un gobelet à café qui le dégoûte parce qu’il ne sait pas d’où Jael l’a sorti. Probablement du trottoir ou de la benne dans la ruelle du coin. Il espère de tout cœur qu’il est propre, mais il l’a quand même tenu à deux doigts, la manche de son pull au-dessus de sa main, comme un gant stérile de fortune. Pourquoi a-t-il dit oui à Jael, aux tu viens, dis ? tu viens, dis ? tu viens ?, un vrai disque rayé. Bon, c’est sûr, il préfère Jael et la manche que Tinks et ses coups foireux. Mais Tinks ne le plante pas là au premier moineau qui passe dans le ciel au-dessus de leur tête. Il connaît bien la ville, mais pas assez Jael, pas assez pour la suivre quand elle détale après un oiseau, le laissant derrière comme un pauvre chaton abandonné. Il ne sait pas dire non, Slight, c’est son grand problème, dans la vie. Il voit les grands yeux suppliants de Jael et c’est oui, la moue boudeuse d’Otto et c’est oui, le sourire d’Ariel et c’est oui, il voit Tinks et c’est oui, ok, d’accord, allons faire un tas de choses illégales qui vont me faire pleurer cette nuit, mais c’est quand même oui. Il ne peut rien refuser (sans blague), peut-être devrait-il louer Comment dire non pour les nuls à la bibliothèque, ça doit bien exister. Et des pourquoi, il en a encore plein la tête, sur le trottoir, juché sur un bouquin de droit parce qu’il s’est dit qu’il s’ennuierait, à faire la manche. Au final, il est content de l’avoir pris, juste pour s’asseoir dessus, parce que les trottoirs sales ne lui font pas trop de l’œil, comme fauteuil. Il se demande pourquoi il est encore assis là à attendre Jael alors qu’elle l’a de toute évidence oublié, pourquoi il ne rentre pas à l’appartement pour manger et lire et étudier, pourquoi il n’est pas encore parti, pourquoi il n’a pas encore quitté Peter, depuis un an, alors qu’il sait que le moment viendra où Peter ne sera plus aussi conciliant avec lui, inévitablement. Il sait pourquoi. Peter finance ses études. Peter lui offre une maison, à manger, un lit, même si ce n’est qu’un lit de fortune. Il sait pourquoi. Il les aime. Il aimerait ne pas les aimer, mais Lenny est comme ça, il s’attache en un clin d’œil, toujours trop vite, toujours trop fort. Et il est le seul à souffrir de la séparation, à la fin. N’est-ce pas, Darja ? Il a encore une lettre pour elle, dans la poche de sa veste. Il ne va pas la poster tout de suite, il ne peut pas dépenser de l’argent pour le bus jusqu’à une ville voisine juste pour glisser une enveloppe dans une boite. Pas cinq fois d’affilée. Il a peur qu’on le retrouve, Lenny, qu’on le remette dans le système, de recommencer les ballotages de famille en famille, sans jamais trouver quelqu’un qui l’aime autant en retour.
Il sursaute. Pourquoi, encore. Pourquoi me parle-t-il. Son regard fait un aller-retour entre le billet de cinq dollars dans son gobelet miteux et le visage de l’inconnu qui lui cause. Au secours. Jael, je fais quoi ? Elle ne lui a jamais expliqué comment fuir les mecs potentiellement psychopathes qui t’abordent dans la rue. Sans doute parce qu’elle leur taperait la causette en souriant, mais bon. Apparemment, l’individu tente de lui faire peur. Apparemment, sa tactique fonctionne parfaitement. Lenny a les mâchoires crispées et les phalanges qui frémissent rien qu’à regarder le trottoir d’en face. Il n’y a pas de cadavre, mais il ne l’imagine que trop bien. Il n’a pas besoin d’images pour extrapoler, Lenny, les mots suffisent. C’est ça de vivre le nez coincé dans les romans. Il relève la tête sur l’homme pour ne plus le quitter des yeux, petit animal effrayé. Que pourrait-il faire s’il décidait de l’attraper par le col et de le traîner derrière lui ? Rien. Totalement, absolument, définitivement, rien. Il est beau, le type. Il ne sait pas si ça doit le réconforter. Ça ne le réconforte pas du tout. Un verre ? Est-ce une technique pour l’attirer dans sa voiture et abuser de lui avant de l’étrangler et de jeter son corps à l’eau ? « Est-ce une technique pour m’attirer dans votre voiture et abuser de moi avant de m’étrangler et de jeter mon corps à l’eau ? » Non. La réponse était non. Il devait dire non. Simplement non. Non, non et non et re-non. Franchement, il ne voit pas en quoi c’est si compliqué de dire, c’est juste un mot de trois lettres, qui ne rapporte rien au scrabble, en plus. « Pardon. Je n’ai pas l’âge de boire des verres. Vous savez, vingt-et-un ans. » Il n’a pas dix-huit ans, non plus, alors il s’empresse d’ajouter : « Je n’ai que dix-neuf ans. » On y croit. Même lui n’a pas l’air d’y croire. C’est n’importe quoi. Il ne sait pas mentir, c’est terrifiant. « Merci pour les cinq dollars ? » C’est à moitié une question, à moitié une affirmation, il ne sait plus quoi dire, il a seulement envie de fuir.
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| Sujet: Re: tu auras, toi, des étoiles qui savent rire (Lenny) Dim 9 Avr - 19:58 | |
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Lenny & Asher Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile, c'est doux, la nuit, de regarder le ciel. © creditimage|tumblr Il arrivait parfois à Asher de se souvenir de l’époque où il n’était pas ce mec là, le gentil flic qui vient à la rescousse des plus faibles sans rien demander en retour. Il n’avait jamais été un connard, Asher, pas un gros connard du moins, du genre à détruire des vies et à baiser les gens (dans tous les sens du terme), mais souvent un petit con, un merdeux, du genre à étaler ses privilèges sur la table, à les tartiner sur les joues des autres, les moins chanceux, les moins privilégiés, ceux qui n’étaient pas nés avec une cuillère en or dans la bouche. Il en avait conscience parce qu’il n’était pas stupide, parce qu’il le faisait sciemment, parce qu’il savait qu’il était plus craint qu’il n’était aimé, avant. Ça ne le dérangeait pas, pas vraiment. Il avait le fric et le pouvoir, Asher. Il avait la beauté et la popularité. Il l’avait toujours su, le savait toujours, au fond. La différence, c’était qu’il était passé de l’autre côté du miroir, là où s’appeler Bloomberg n’avait aucune espèce d’importance et où il n’était plus riche, ni avocat, ni puissant, ni vraiment populaire. En somme, tout ce qu’il restait à Asher aujourd’hui, c’était sa beauté, et c’était bien peu pour oser se prétendre supérieur aux autres. La vie n’est pas un concours de mini-miss. Tout ça pour dire qu’il aurait totalement pu ignorer le garçon qui faisait la manche sur le trottoir, ignorer son vieux gobelet crasseux qui semblait le dégoûter, faire comme ces centaines de personnes qu’il avait dû voir passer et qui ne lui avaient pas adressé un seul regard. Il n’était pas comme ça, Asher, parce qu’on l’avait mieux éduqué, parce qu’on lui avait appris à dire bonjour quand il croisait un SDF et qu’il n’allait pas commencer à oublier ses bonnes manières. Ça semblait stupide, hein, de s’adresser à quelqu’un qu’il ne connaissait pas juste parce que c’était poli, mais ça lui ressemblait, stupide et naïf et affable. Résultat des courses : il lui avait foutu la trouille, au petit. Ça se lisait au fond de son regard, ça se voyait dans ses gestes incertains, ça s’entendait dans sa façon de lui répondre. Il avait étouffé un rire, Asher, parce que s’il avait voulu le trucider et le foutre à la flotte, il aurait carrément été plus discret que ça. Après tout, il était flic ; avec tout ce qu’il avait vu depuis deux ans (ajouté à son expérience d’élève avocat), il aurait facilement pu commettre un meurtre sans craindre d’être un jour attrapé. « Non, je ne compte pas faire ça », il avait murmuré, un sourire dans la voix, alors qu’il s’asseyait près du jeune homme. C’était dégueulasse, par terre, et il avait l’impression de sentir déjà son pantalon coller au sol. L’était pas chochotte, Asher. Il aurait seulement eu les boules de devoir bazarder un truc qu’il aurait payé cher, mais ça faisait bien longtemps qu’il ne portait plus ses costards à plusieurs milliers de dollars. En vérité, il avait dû les revendre lorsque la situation l’avait exigé, comprenez lorsque papa et maman lui avaient coupé les vivres. Sa nouvelle garde-robe était du premier prix, de la mauvaise qualité, du chic au rabais. Au pire, il balancerait son jean. « Dix-neuf ans, hm ? » C’était une question sans en être une, parce que c’était dit suspicieusement, parce qu’il y avait de la malice sur la langue d’Asher et parce qu’il ne cherchait pas à lui cacher qu’il n’en croyait pas un mot. Il n’avait jamais été très bon pour le mensonge, Asher, jamais très bon pour faire croire à quelque chose qui était faux. Il avait souvent essayé mais s’était toujours fait rattraper à un moment ou l’autre, par sa propre honnêteté ou par celle des autres. Il n’avait pas cru le gosse quand il lui avait avoué avoir dix-neuf ans, et il ne l’avait pas cru davantage lorsqu’il l’avait remercié. Il n’aimait pas les compliments, Asher. C’était éphémère, ça ne voulait rien dire.
« Ne fais pas ça », il avait grommelé en sortant une cigarette. « Ne me dis pas merci si tu ne le penses pas. J’fais pas ça pour qu’on me remercie, je fais ça parce que j’ai cinq dollars et que toi, t’as que dalle ». Il avait haussé les épaules, secoué un peu la tête, sans accorder un seul regard au gamin. Il n’aimait pas qu’on lui soit reconnaissant pour quelque chose de normal, en réalité. N’importe qui de pas trop salaud lui aurait donné une pièce. Fallait croire qu’il n’y avait que des connards dans les rues, ce soir, vu le peu d’argent qu’il avait récolté pour le moment. C’était assez dingue de penser que les gens pouvaient donner à des œuvres caritatives, accepter d’envoyer du pognon en Chine pour ne plus jamais en voir la couleur, mais qu’ils refusaient d’aider les clochards qui s’étalaient à leurs pieds. Les rues étaient jonchées de gosses comme lui, à la recherche d’un foyer, d’attention, même pas forcément de fric. Il les connaissait, Merle et River et tous ces poussins paumés qui se faisaient bouffer par des coqs qui faisaient leur loi. Il ne pouvait pas tous les protéger, et ça le rendait malade ; mais si cinq dollars pouvaient aider, c’était pas la ruine, loin de là. « Tu t’appelles comment ? » il avait demandé, innocemment, histoire de faire la conversation, histoire de retomber sur ses pattes, histoire de ne pas être trop négatif, et aussi, peut-être, par curiosité. Il l’avait regardé alors qu’il aspirait un peu de tabac, ses yeux le détaillant. « T’es toujours dans les pattes de Merle et de River, non ? » Il répondait pas, le petit, et il n’arrivait pas à savoir s’il faisait ça parce qu’il était impressionné ou parce qu’il pensait que tout ceci était un piège. C’en était peut-être un, cela dit, mais ils n’iraient pas bien loin s’il refusait de lui répondre. Asher poussa un soupir, pinça les lèvres. « Merle et River. Tu sais, James Dean et Blondie. C’est tes potes, non ? » Ou peut-être, mais seulement peut-être, n’osait-il pas répondre parce qu’il se souvenait enfin d’où ils s’étaient croisés, et qu’il remettait le badge, l’uniforme, et le revolver à la ceinture. Une chance pour lui, ce soir, Asher n’était pas flic.
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Invité ☽ ☾
| Sujet: Re: tu auras, toi, des étoiles qui savent rire (Lenny) Lun 10 Avr - 0:07 | |
| Il se demande ce qu’on lui veut, Lenny. Il se demande pourquoi tout à coup on le remarque alors que personne n’a jeté une pièce dans son gobelet depuis des heures. Il ne sait même plus si quelqu’un l’a fait, ou si ce sont toujours les mêmes pennys que Jael lui a refilés au départ, parce qu’on ne mendie pas avec un gobelet vide. Il s’agit de faire croire aux gens que d’autres ont donné avant eux, les gens aiment bien suivre le mouvement, faire les moutons. C’est de la psychologie à quatre sous, certes, mais Lenny suppose que sur un grand échantillon de population, ça fonctionne. Il aurait été plus à l’aise si on lui avait donné une pièce, et pas un billet. Si l’homme avait passé son chemin, aussi, comme ils le font toujours, sans même oser regarder son visage. Juste une pièce pour dire qu’ils ont fait leur bonne action de la journée. Darja ne voulait jamais qu’il donne aux mendiants. Ils l’ont mérité, disait-elle. Il ne savait pas trop, Lenny, si c’était vrai ou faux, il savait seulement qu’il devait travailler, travailler et travailler encore pour se sortir du Bronx et ne jamais devenir un de ces clochards qui gisent sur le trottoir une bouteille à la main. C’est terrible, de se dire qu’il a misérablement échoué, de se dire qu’il est là, assis par terre en pleine rue à lancer des regards de chien battu à ceux qui veulent bien avoir pitié de lui. C’est terrible aussi, de se dire qu’il va à l’université, lui, il se sent comme un imposteur, à mendier ainsi. Il voulait faire plaisir à Jael. Il voulait rapporter de l’argent à Peter, peut-être, aussi, être comme les autres, pour une fois. Le type lui dit qu’il ne compte pas l’agresser, d’un ton qui lui semble amusé. Il ne sait pas trop comment opèrent les serials killers, il devrait emprunter un livre sur le sujet, ou pas, il serait sans doute terrifié par ce qu’il y découvrirait. Sa mère qui flingue deux personnes, ça lui suffit pour l’instant. Il présume que oui, un assassin ne dévoilerait pas ses plans ou serait plus subtil dans son approche. Il présume aussi que plaisanter est un bon moyen de mettre sa victime en confiance. Oui, il faut qu’il arrête de réfléchir, et le type s’est assis à côté de lui, alors Lenny serre un peu plus les bras contre son corps, comme s’il avait froid, pour se faire plus petit encore qu’il n’en a l’air. Il a envie de se recroqueviller davantage, collé au mur derrière lui, mais il est arrivé à sa capacité maximale de compression. L’homme semble sceptique sur son âge. Il ne peut pas lui en vouloir de ne pas le croire.
Il écoute, parce qu’il y est bien obligé, parce qu’il n’a pas l’impression que ses jambes pourraient le porter, s’il décidait de s’enfuir. Non, elles flagelleraient, se déroberaient sous lui, il trébucherait probablement, se cognerait contre le trottoir. Peut-être aurait-il une commotion. Il secoue la tête, reporte son attention sur l’homme qui allume une cigarette à la place de contempler le vide où son potentiel lui d’un futur proche vient de s’effondrer. Il ne veut pas qu’il lui dise merci. Tout le monde aime entendre merci, non ? Ce n’est pas le but de la politesse ? Ce n’est pas une histoire de le penser ou non, juste un réflexe à avoir pour être bien vu des adultes. Il a appris ça, des foyers et des familles d’accueil, un garçon poli comme lui avait toujours plus de chances d’être accepté dans une famille. Il avait calculé les probabilités. En comptant le malus certain que représentait le fils d’une meurtrière écrit sur son dossier. Il réprime un froncement de sourcils, grimace légèrement, puis se met à observer ses vieilles converses. Lenny ne répond pas. Il croise le regard de l’inconnu en redressant la tête, avant de la rabaisser aussitôt. Il a la sensation d’être examiné sous toutes les coutures. Il tique. Merle et River ? Comment connaît-il Merle et River ? Et pourquoi ? Il relève les yeux vers l’homme, étudie son visage. Le type insiste. Un sourire se glisse sur ses lèvres en entendant les deux surnoms, disparaît immédiatement lorsqu’il réalise son erreur. Il regarde ailleurs. « Merle ne m’aime pas. Mais River est mon ami, je crois » souffle-t-il, un peu désespéré. Il n’a pas envie de mentir. S’il le sait, c’est qu’il les a vus, et il ne peut pas vraiment nier. Il tente de mettre un nom sur ce visage, l’a-t-il déjà vu ? Est-ce un dealeur ? Un trafiquant avec qui Merle fricote ? Un client de River ? Il déteste penser à tout ça, Lenny, penser à tout ce que font les autres pour s’en sortir alors que lui n’a même pas besoin de faire la manche pour s’attirer les grâces de Peter. « Lenny », il capitule, l’air de rien, « C’est mon prénom. Pas Leonard. J’aurais bien aimé m’appeler Leonard, il y a beaucoup de grands hommes qui s’appellent Leonard, mais moi je suis seulement Lenny, en vérité. » Et les Lenny sont de petits hommes sans envergure et sans avenir, ce ne sont même pas des hommes, juste des garçons à la rue. Il a trouvé sa solution, le petit Lenny, en attendant. C’est qu’il n’est pas stupide et qu’il sait observer, c’est qu’il se souvient des policiers qui sont entrés chez lui, quand il avait dix ans, et de ceux qui l’avaient interrogé au poste. Ils n’ont pas l’allure des dealeurs et des proxénètes, il y en a qui ne valent pas mieux, mais l’allure ne colle jamais. « Vous êtes un policier. » Il le dit presque avec soulagement. Mieux vaut un policier qu’un psychopathe. Même si les deux ne sont pas incompatibles. « Vous savez que vous devez d’abord me demander de partir, et si je refuse d’obtempérer, alors seulement vous pouvez m’interpeller. Mais ça ne se fait pas d’arrêter des mendiants. Après tout, ils rêvent tous du lit et du repas gratuits. » Il se rappelle très bien des textes de lois sur la mendicité, comme il se rappelle de tous les textes de lois et de jurisprudences liés aux activités des Lost Boys, même si ce n’est pas au programme de la première année. Il parle trop, il le sait, mais il est content de pouvoir dire obtempérer et interpeller sans qu’on lui fasse les gros yeux. « Et puis, vous n’êtes pas en service, si ? » Il n’est pas très sûr de lui après s’être tortillé pour essayer de voir le revolver à sa ceinture, sans succès. Il soulève son gobelet pour jeter un œil au billet de cinq dollars, comme s’il avait pu se volatiliser, ayant pris soin de recouvrir sa main de sa manche, toujours préoccupé par l’hygiène. « Vous me les donnez vraiment ? » Il y a trop d’innocence dans sa voix, persuadé qu’on va les lui reprendre. Il aimerait bien les garder, pour les donner à Ariel ou à River si Peter les prive encore de nourriture. Cinq dollars ne vont pas changer grand-chose, mais c’est déjà mieux que trois pennys qui ne sont même pas à lui. |
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| Sujet: Re: tu auras, toi, des étoiles qui savent rire (Lenny) Mer 12 Avr - 19:29 | |
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Lenny & Asher Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile, c'est doux, la nuit, de regarder le ciel. © creditimage|tumblr Il aurait pu, Asher, se contenter de moins. Mettre une petite pièce dans le gobelet, faire un sourire histoire de dire qu’il n’est pas un monstre, s’en aller. Il aurait pu parce que c’était plus facile, de prétendre et d’ignorer, plus facile de faire comme si la misère n’existait pas vraiment, ne le concernait pas. Il aurait pu parce qu’il l’avait longtemps fait, quand il avait tout. Il aurait pu parce qu’avant Savannah, avant les drôles de gens qu’il y avait rencontrés, avant Merle et ses bagnoles, avant River et son petit cœur, avant Swann et ses grandes idées, il n’était pas quelqu’un de généreux, pas quelqu’un d’attentif, pas quelqu’un de bien, peut-être. Ça l’avait parfois frappé, les jours où il se remettait en question, les jours où se trouver beau dans la glace ne lui suffisait plus. Ça l’avait parfois mis KO, aux moments où il s’y attendait le moins, toujours à partir de trois fois rien. Une gamine surprise en train de voler un bout de pain, le regard d’une prostituée qui piétinait les pavés du quartier historique. Ce n’était jamais doux, jamais subtil, c’était une prise de conscience douloureuse, brusque, amère, c’était un choc en pleine poitrine qui manquait de le projeter au sol à chaque fois. Ça l’était, là encore, avec Lenny. Parce qu’il avait l’air innocent, l’air perdu, parce qu’il avait répondu que Merle ne l’aimait pas et qu’Asher trouvait ça triste, mais qu’il avait ajouté que River était son ami. Ça ne le surprenait pas, en réalité, parce que River était doux, parce que penser à lui le faisait sourire, parce qu’il aimait lui accorder du temps et il était flatté qu’il lui en donne en retour, du temps, cette notion trop souvent oubliée de nos jours. On ne prenait plus le temps de rien, pour personne. River était pourtant de ceux qui méritaient qu’on gaspille des secondes, des minutes, des heures. Asher n’assumait pas tout à fait de penser cela, parce qu’il savait que River était perdu (comme tous les autres) et qu’il refusait de devenir trop important pour lui. C’était trop facile, de prendre l’avantage sur des River et des Merle et des Lenny, trop facile d’apparaître et de devenir une lueur d’espoir dans la pénombre, trop facile aussi de les décevoir le jour ils s’apercevraient qu’il était lui-même un désastre ambulant. Asher avait observé Lenny, persuadé que ce n’était pas bon de s’approcher si près d’un gamin sauvage comme lui. Mais tout le monde s’apprivoise, en réalité. Et il ne voulait pas être un trop de plus, trop gentil, trop attentionné, trop essentiel. Il avait essayé de sauver Merle, essayé de comprendre River, en avait perdu des plumes et des bouts d’âme à force de s’oublier derrière leurs peines. Il ne recommencerait pas avec un autre. C’était ce qu’il se disait, en boucle, et pourtant il était assis là. Connard de flic.
Il était attendrissant, ce Lenny-Pas-Léonard-Seulement-Lenny. Attendrissant parce qu’il avait des grands yeux qui racontaient des histoires, attendrissant parce qu’il parlait avec des émotions dans la voix, parce qu’il n’avait pas encore cédé à la monotonie et à la lassitude, celles qui pouvaient s’entendre dans les mots de Merle et même, parfois, de River. Il n’avait pas encore baissé les bras, pas encore laissé tomber. Ça s’entendait aux mots qu’il prenait soin d’employer, ça s’entendait au doute dans sa voix, aux points d’interrogation qui se devinaient à la fin de ses phrases. « Je ne suis pas en service, tu as raison » avait répondu Asher, machinalement, parce que ce n’était pas vraiment une question. Lenny avait vu qu’il ne portait pas d’uniforme, ni d’arme, qu’il était habillé comme un citoyen normal noyé dans la foule. Lenny l’avait vu mais demandait pourtant parce qu’il ne lui faisait pas confiance, et Asher pouvait difficilement le blâmer. S’il était comme Merle et River, cela faisait plusieurs mois voire années qu’il se trouvait dans cette situation, sans personne de responsable pour l’aider à se relever, sans épaule adulte sur laquelle s’épancher. Sans quelqu’un à ses côtés pour lui dire qu’il devait arrêter ses conneries, en somme. C’était facile de devenir méfiant à l’égard de tout le monde. Et pourtant, Asher était sincère et tentait de le montrer. Ce n’était pas évident parce que n’importe qui aurait pu croire qu’il y avait de l’intérêt, un dessein derrière ses actions, n’importe qui aurait pensé que ce n’était pas simplement de la gentillesse. L’Homme n’est pas bon, après tout. « Je te les donne vraiment, oui », il avait répondu en baissant les yeux vers le gobelet. Il ne voyait pas trop pour quelle raison il aurait pu filer cinq dollars à Lenny pour ensuite les lui enlever, à part s’il agissait par pure cruauté. Or, s’il y avait bien une chose qu’Asher n’était pas, c’était cruel. Il avait levé les yeux vers les passants, une oreille aux aguets. Déformation professionnelle. C’était parfois agréable, Savannah. Être un inconnu, être rien, ne pas entendre les rumeurs à son sujet. S’il était persuadé que les choses s’étaient calmées à New-York depuis son départ, il ne prendrait pas le risque d’y retourner aujourd’hui. Savannah était plus sûre, Savannah était plus sécurisante, Savannah était un terrain connu sur lequel il ne craignait plus de se perdre. Il avait aspiré une bouffée de tabac, Asher, les yeux sur Lenny qu’il détaillait toujours. « Si je peux me permettre… Qu’est-ce que fait un étudiant en droit à mendier dans la rue à une heure pareille ? » Il avait osé un sourire, baissé les yeux vers le manuel qui était toujours calé sous les fesses du gamin. Même sans ça, il aurait deviné. Il avait lui-même fait cinq années de droit (plus trois ans en cabinet) et il avait rarement vu des hérétiques s’exprimer avec une telle aisance. Il avait des termes juridiques plein la bouche, Lenny, tellement que c’en était suspect ; les seules personnes qui connaissaient autant les lois étaient celles qui craignaient de se faire épingler. « C’est pas une question piège. Je ne vais pas m’en servir contre toi. Simplement, je suis curieux, je crois », et il avait ajouté le je crois pour se donner bonne conscience, pour ne pas se dire qu’il avait outrepassé les limites, pour ne pas penser qu’il n’était pas à sa place. Il avait envie de discuter avec Lenny, par curiosité ou par réel intérêt pour les âmes en détresse, et c’était maladroitement qu’il se rattrapait aux branches, autant que possible. « Tu dors pas dans la rue, hein ? T’as quelque part où aller ce soir ? » Il avait un peu froncé les sourcils, dévisagé Lenny. Il remettait ce masque de daron un peu chiant, celui qu’il portait trop souvent avec Merle et qu’il essayait de ne pas montrer à River (parce qu’il était conscient de sa situation et qu’Asher n’avait pas besoin d’en repasser une couche). Il remettait ce masque parce que c’était simple, parce que ça lui allait, parce que ce n’était pas feint mais que c’était sérieux, son intérêt, sa sollicitude, c’était sérieux lorsqu’il lui demandait s’il allait dormir là ce soir. Merle ne voulait pas qu’on l’aide, River ne le demandait presque jamais. Il n’y avait que Lena, un peu, même si elle n’acceptait son aide qu’à mi-mot, sans vraiment l’admettre. Peut-être que Lenny, lui, attendait simplement que quelqu’un lui dise de venir, qu’il pouvait dormir sur le canapé, que ce n’était pas grave. Peut-être qu’il avait juste besoin d’une main tendue. « Je veux dire, j’ai pas très envie de te laisser là tout seul, Lenny. Je te l’ai dit, c’est craignos ici. Et c'est vrai, j’te connais pas, mais je sais que tu gravites autour de personnes que je connais et… » Et ? La vérité, c’était qu’il ne faisait confiance ni à Merle, ni à River pour prendre soin de quelqu’un d’autre qu’eux. Il ne se faisait pas confiance à lui non plus, remarque, mais… « Au fait, je m’appelle Asher », il avait dit, machinalement, alors qu’il détournait le regard pour ne pas sembler trop insistant. Ce qu’il ressentait, ce n’était pas de l’embarras ou de la honte à l’idée d’être assis sur un trottoir avec un gosse qu’il ne connaissait pas. Ce n’était pas non plus de l’agacement comme ce qu’il éprouvait parfois pour Merle. Non. C’était de l’inquiétude, définitivement.
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| Sujet: Re: tu auras, toi, des étoiles qui savent rire (Lenny) Jeu 13 Avr - 18:39 | |
| Lenny est méfiant sans l’être. Il n’a certainement pas confiance, mais il est comme conscient qu’on ne lui veut que du bien. C’est ridicule, certes, il a entendu des millions d’histoires de flics pas très nets avec Peter et les Lost Boys. Et après avoir fréquenté des foyers remplis de fugueurs, il sait aussi qu’ils ne sont pas très compréhensifs quand on leur dit qu’on ne veut pas retourner dans le système. Mais il préfère les policiers aux assistantes sociales. Peut-être parce qu’ils ne lui avaient pas fait de promesses qu’ils ne pourraient pas tenir, eux, lorsqu’ils avaient emmené sa mère. Qu’ils lui avaient seulement donné un verre d’eau et une barre chocolatée à laquelle il n’avait pas touché, sans lui dire que tout allait s’arranger. Ça ne veut pas dire qu’il est à l’aise, assis à côté d’un flic sur le trottoir. Il se souvient des ce sont tous des pourris et il se demande un peu si Peter a des ennuis, finalement. Il doit être plus facile à approcher via eux, les gamins qu’il héberge et qu’il exploite. C’est possible qu’ils essayent de monter un dossier contre lui, de les amener à témoigner. Après tout, il connaît Merle et River. C’est suspect, non ? Trois Lost Boys, peut-être d’autres qu’il n’a pas encore mentionnés. Il pourrait très bien se faire manipuler. Ça pourrait être pour ça qu’il n’a pas son arme, qu’il n’est « pas en service », pour ça qu’il lui a refilé cinq dollars comme si c’était naturel. Ça n’empêche pas Lenny de récupérer le billet et de le fourrer dans la poche de son jeans dès qu’il a la confirmation qu’il peut le garder. Il demande toujours la permission de tout, Lenny. On ne sait jamais, avec les adultes, c’est oui, puis c’est non, puis je t’ai oublié ou j’ai trop de travail. Ou deviens digne d’être mon fils et je daignerai te regarder. Et c’est encore celle-là qu’il préfère. Il a un peu peur, Lenny, avec cet homme à côté de lui, même s’il n’est pas en service, et s’il avait vu un avis des services sociaux avec sa photo ? Il a dû en voir des centaines et des centaines, c’est sûr, mais ça expliquerait pourquoi il l’a remarqué, lui en particulier. Il grimace en entendant étudiant en droit. Il suppose qu’il n’a pas laissé assez de place au doute. De toute façon, il n’est pas inscrit avec son vrai nom, il n’est pas stupide. « Il… Il faut bien payer les études ? » Il ne peut pas nier, alors c’est la bonne réponse à donner, évidemment. On ne peut pas lui reprocher d’être sans le sou et de ne pas arriver à joindre les deux bouts en faisant des études. C’est triste, mais banal. Même si c’est faux et qu’il a dit ça sur le ton le plus hésitant du monde. Il soupire, se pince les lèvres. Il n’aime pas mentir, mentir à Darja, c’était synonyme de gifle, et la plupart de ses philosophes favoris dénigrent le mensonge. « Je voulais faire plaisir à quelqu’un. » Il la murmure à peine, la vraie réponse, un peu honteux d’avoir tenté de mentir. Jael et son viens, on va faire la manche, on va s’amuser. Il se demande où elle est passée. Il espère qu’elle n’est pas encore tombée sur des types louches.
Il ne dort pas dans la rue, Lenny. Il a cette merveilleuse chance que d’autres n’ont pas quand ils ont décidé de fuguer. Il a un toit au-dessus de sa tête et un matelas pas trop miteux, de la nourriture dans son assiette, pas comme certains de ses amis, et il a même des livres, que Peter lui glisse dans les mains dès qu’il passe à l’appartement. Il se sent comme un gosse privilégié, en fait, Lenny, avec tout ce que Peter tolère de lui qu’il juge intolérable chez d’autres, avec ses cadeaux sans raison apparente et son droit à faire des études. Ce n’est pas Harvard, mais de quoi pourrait-il se plaindre, au fond ? Il va à l’université, lui, c’était ce qu’il voulait. Tout le monde ne peut pas en dire autant. Il acquiesce en silence. Il n’acquiesce pas vraiment, en vérité, il penche seulement la tête sur le côté, comme pour réfléchir, pensif, à regarder droit devant lui. Et puis, je m’appelle Asher « Lev. » Il sourit. « Vous vous appelez Asher, comme le héros du roman de Chaïm Potok, Je m’appelle Asher Lev. Vous avez de la chance. » Il n’a jamais trouvé de héros qui s’appelait Lenny, lui. Il trouve ça extraordinaire, génial, d’avoir le prénom d’un personnage de roman, même si personne ne s’y intéresse à part lui. C’est idiot, mais ça le rassure un peu. « Vous m’inviteriez chez vous si ce n’était pas le cas ? Si je dormais à la rue ? » Il a de grands yeux, Lenny, quand il pose cette question. Parce que ça lui paraît improbable. Surtout sans arrière-pensée. « Je veux dire, j’ai un endroit où aller. Mais vous ne pouvez pas faire venir tous les gamins du quartier chez vous, si ? Pourquoi moi, spécialement ? Il y en a des dizaines qui ont bien plus besoin d’aide que moi. » Lenny a toujours le sentiment de ne pas avoir le droit d’être triste, que ça ne se fait pas quand d’autres traversent des épreuves bien plus horribles que lui. Est-ce qu’il aimerait que Darja réponde à ses lettres ? Oui. Est-ce qu’il préférerait être à Cambridge plutôt qu’à Savannah ? Oui. Oui, il n’a pas la vie dont il rêvait et il passe son temps à se dire et si, et si, mais il ne s’en sort pas trop mal, malgré tout. Comparé aux autres, surtout.
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| Sujet: Re: tu auras, toi, des étoiles qui savent rire (Lenny) Dim 16 Avr - 12:04 | |
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Lenny & Asher Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile, c'est doux, la nuit, de regarder le ciel. © creditimage|tumblr Faire la papote avec un clodo sur un bout de trottoir, c’était clairement pas son style. Passons le côté un peu Bisounours qui ressortait trop souvent, parce qu’Asher se préoccupait des autres et qu’il le montrait un peu trop. Techniquement, rien ne l’obligeait à rester là. Il avait plein de choses à faire, des compte-rendus à taper, de la bouffe à cuisiner (il avait promis à Swann de lui préparer un repas un peu plus sympa que les barquettes précuites qu’ils achetaient au supermarché), il devait encore sortir Dalek et écrire l’entrée quotidienne du journal intime qui se trouvait au fin fond de son ordinateur. Il avait pourtant décidé de rester là, avec Lenny, de rester là à discuter avec un gosse qu’il ne connaissait pas. C’était étrange et grisant, parce que Lenny avait des fossettes au creux des joues et des sourires dans les yeux, parce qu’il était à la rue mais qu’il semblait différent des autres gamins qu’Asher repêchait régulièrement. Peut-être avait-il trop d’espoirs, peut-être était-il comme eux, à ne pas vraiment vouloir s’en sortir, à continuer ses conneries parce que c’était plus simple que de sortir la tête de l’eau. Mais il lui avait répondu qu’il faisait ça pour faire plaisir à quelqu’un, et Asher savait que ce n’était pas ça, que c’était autre chose. Que Lenny agissait moins pour lui que pour les autres, que Lenny n’était pas leader mais suiveur. « Drôle de façon de faire plaisir à quelqu’un », il avait répondu, les yeux plantés dans ceux du jeune-homme. « Tu as beaucoup d’amis qui te demandent de faire la manche pour leur faire plaisir ? » Ce n’était pas dit méchamment, pas dit avec jugement et condescendance, ce n’était qu’une constatation froide et brutale, une façon de lui donner l’avis qu’il n’avait pas sollicité. Il avait toutefois entendu la honte dans sa voix, compris que Lenny n’était pas fier de ce qu’il faisait pour quelqu’un d’autre. C’était pas la peine d’épiloguer, en réalité. Il payait suffisamment, le gosse, accroupi dans le froid à la lumière d’un néon vacillant.
Il est drôle, Lenny, parce qu’il parle d’un roman qu’Asher connait, qu’Asher a lu des quantités innombrables de fois, parce qu’il le trimballait avec lui absolument partout quand il était adolescent. C’était marrant et un peu ironique aussi, parce qu’une partie de lui semblait avoir suivi le même chemin que le héros, juif (check) passionné (check) et qui s’était éloigné de ses parents par la force des choses (check). Il avait beau être moins talentueux que le héros, moins déterminé, peut-être, plus spectateur qu’acteur de son destin, le livre dépeignait un portrait auquel il aimait s’identifier, à plus forte raison depuis le mariage raté et les larmes de Scarlett. Il avait haussé les épaules, osé un sourire. « Tu t’appelles bien Lenny comme Lenny Kravitz ». En bon mélomane, Asher avait toujours en tête une liste d’artistes brillants qu’il aimerait rencontrer s’il en avait l’occasion. Lenny Kravitz, au même titre qu’Eric Clapton ou Ringo Starr, figurait en tête de liste. Il aurait aimé continuer de parler musique, Asher, mais le sujet changea rapidement, pour aller sur un terrain qui était dangereux. Il avait souvent hébergé des gens chez lui, par simple bonté d’âme ou parce qu’il leur devait quelque chose. Asher n’aimait pas être redevable de quoi que ce soit et payait toujours ses dettes, d’une façon ou d’une autre. Pour autant, il vivait maintenant avec Swann, histoire de ne pas passer toutes ses économies dans le loyer et d’avoir un peu d’argent de côté, et même s’il l’avait prévenu de son côté Abbé Pierre, il ne voulait pas lui imposer trop de personnes chez eux. Il y avait Lena, déjà, avec ses grands yeux et son caractère de chien, Lena qui vidait les packs de lait et qui dormait trop souvent sur le canapé, Lena qui se baladait en culotte et squattait l’ordinateur d’Asher pour regarder des sites de fringues, Lena qui chantait à tue-tête quand ça la prenait et aussi, un peu, pour l’emmerder. Elle était suffisamment envahissante, Lena, avec ses petites affaires et ses petites habitudes, les paires de chaussettes qu’elle laissait trainer sur le sol du salon et sa fleur de douche qui trainait sur la baignoire en permanence. Elle prenait de la place, et ce serait égoïste de la part d’Asher de ramener quelqu’un d’autre, même s’ils avaient encore une pièce libre avec un matelas inutilisé. « Les autres veulent pas forcément dormir chez un flic », il avait simplement répondu, clope au coin des lèvres. C’était vrai, un peu. Il avait proposé à Merle de venir, une fois, et il l’avait vu se décomposer, sûrement parce qu’il ne lui faisait pas confiance (même après des mois à jouer au chat et à la souris) ; à River aussi, il avait demandé, une fois, mais River ne voulait jamais déranger, avait toujours peur d’être de trop. Asher s’était résigné après deux propositions déclinées parce qu’il ne voulait pas forcer la main, parce qu’il ne voulait pas paraître trop insistant, parce que si c’était lui à la place de ces gamins, il refuserait sans doute. « Je sais que si j’te propose pas, tu ne t’imposeras pas de toi-même. T’es ce genre-là, Lenny ». Il semblait sûr de lui en disant ça, Asher, persuadé que Lenny n’était définitivement pas quelqu’un qui s’imposait, mais quelqu’un qui attendait qu’on l’invite, qu’on lui demande, qu’on le supplie. Lenny avait peur de prendre trop de place, et ça se voyait à sa manière de se faire tout petit sur ce trottoir, à sa manière de détourner les yeux lorsqu’Asher était trop insistant, à sa manière de poser ces questions stupides, comme s’il méritait moins l’asile que certaines personnes. Y avait sans doute plus malheureux que lui, c’était indéniable. Y avait toujours plus malheureux, plus pauvre, plus affamé, plus triste, y avait toujours quelqu’un de plus nécessiteux quelque part. « J’te fais pas une fleur, et j’te drague pas », il avait ajouté, parce qu’il y avait de ça aussi, non ? De la méfiance parce que Lenny pensait qu’Asher lui faisait du rentre-dedans ? Il avait l’habitude, Asher, parce qu’on lui avait souvent dit qu’il était trop mystérieux pour être honnête, parce qu’on lui avait aussi reproché des sous-entendus qu’il n’avait jamais faits. « C’est pas une proposition qui a une date de péremption. Si t’as pas envie aujourd’hui mais que dans quelques semaines ou quelques mois, on te fout dehors, ou si tu ne te sens plus à ta place chez toi, ma porte est ouverte ». Ça paraissait sincère même si c’était étrange, parce que c’était dit d’un ton impérieux qu’on pouvait difficilement contester, même avec toute la bonne volonté du monde. « C’est pas toi, c’est les gosses comme toi. Si je suis flic, c’est pas pour vous foutre derrière des barreaux. C’est pour vous aider ».
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Invité ☽ ☾
| Sujet: Re: tu auras, toi, des étoiles qui savent rire (Lenny) Lun 17 Avr - 14:07 | |
| Il est un peu honteux, Lenny, aux remarques d’Asher, comme un gamin qu’on sermonne. Lenny est facilement intimidé et certainement pas prêt à envoyer valser toutes les figures d’autorité qu’il rencontre. Au fond, il sait bien que faire la manche n’est pas une activité à mettre en bonne place sur un curriculum vitae, il sait que c’est stupide de sa part de suivre Jael quand elle le lui demande, mais s’il peut voir un sourire sur ses lèvres, s’il peut seulement grappiller quelques minutes de son attention, alors ça lui va. Mendier, ce n’est pas si grave. Il ne ment pas, il ne vole pas, il n’y a que ceux qui le souhaitent qui lui donnent quelque chose. Bien sûr, maintenant qu’il est tout seul sur son trottoir, sans Jael, il se sent comme un imposteur, parce qu’il va à l’université, parce qu’il a à manger tous les soirs, parce qu’il ne dort pas sous un morceau de carton. Mais il ne regrette pas vraiment d’avoir dit oui à Jael uniquement pour lui faire plaisir. Il ne voit pas tellement quel mal il y a à ça, c’est une famille comme une autre, et plein de gens feraient n’importe quoi pour leur famille. Evidemment, il sait aussi que Peter n’a rien d’un bon samaritain, que son objectif de vie n’est pas d’ouvrir un orphelinat qui serait un vrai paradis pour les enfants laissés pour compte. Mais Peter était là au moment où il en avait besoin, et personne ne peut en dire autant. Et puis, être parmi des jeunes qui savent ce que c’est de vivre des choses abjectes avant même d’avoir l’âge de comprendre le mot abject, ça lui fait du bien, l’air de rien. Il n’a pas l’impression d’être à sa place chez les Lost Boys, et certains ne se privent pas de le lui rappeler, mais ce n’est pas une histoire de sentiment d’appartenance. C’est plutôt une histoire de franchise, de compréhension tacite, d’absence de cette pitié qui fait toujours plus de mal que de bien. Il ne se sent pas forcé d’expliquer pourquoi il n’a pas de parents, pourquoi il s’est retrouvé à la rue, pourquoi il pleure une nuit sur deux. Personne ne lui demande, personne ne lui dit que tout va bien aller, personne n’est hypocrite.
On ne peut pas dire non aux adultes. On ne peut pas dire non à une famille d’accueil. En fait, on ne peut pas dire non tant qu’on n’est pas majeur. C’est comme ça que Lenny le voit. Il n’a jamais eu son mot à dire sur où il allait être placé. On ne lui a pas demandé s’il voulait peut-être habiter à un endroit près de la prison où est incarcérée sa mère. Non, on a décidé à sa place ce qui était mieux pour lui. Mais comment pouvaient-ils savoir ce qui était mieux pour lui ? Avaient-ils fait une batterie de tests psychologiques sur lui et sa mère ? Même pas. Non, on lui avait juste expliqué que sa mère était une meurtrière, ce qui voulait probablement signifier qu’il ne devait plus l’aimer. Demander à un enfant de ne plus aimer sa mère. Ensuite, on lui avait interdit de danser, pour couper le cordon définitivement. Lui avait-on demandé son avis ? Non. C’était pour son bien, alors il devait comprendre et se taire. Bien sûr, Lenny aurait pu se rebeller, Lenny aurait pu dire non, fuguer, tout casser, il aurait pu. Pourtant, il ne l’a pas fait, il a écouté et il s’est tu, il a accepté d’être aidé d’une façon qu’il trouvait atroce, mais il était plutôt doué pour se persuader que les adultes savaient ce qu’ils faisaient. Il n’a jamais bronché en changeant de familles d’accueil, d’école, d’état. Il a maintenu ses notes au plus haut niveau et est resté poli, serviable, gentil. On lui promettait qu’un jour il aurait plus de stabilité, un foyer aimant. Il a mis du temps à comprendre qu’on lui promettait la lune. Qu’il n’aurait pas la lune. Il a sans doute compris le jour où on lui a dit qu’il ne pouvait pas aller passer son entretien pour Harvard. Peut-être qu’il n’aurait pas eu la bourse et que, oui, sa famille d’accueil n’aurait pas eu les moyens de l’y envoyer, peut-être que, oui, il leur était redevable et devait travailler gratuitement à la boucherie pour leur montrer sa reconnaissance. Mais peut-être qu’il aurait eu la bourse, aussi. Comment pouvaient-ils savoir, tous ces adultes, de quoi son avenir serait fait ? Est-ce qu’à partir de dix-huit ans on a soudain un don de prescience qui se manifeste ? C’est ça, que tout le monde lui cache ? Lenny se demande toujours ce que c’est censé lui faire comme bien, de se rendre compte que Darja, la meurtrière, celle qui ne l’a jamais aimé, a toujours été la moins hypocrite de tous. « Les adultes savent toujours. Vous me regardez, me parlez pendant cinq minutes, et vous savez que je ne suis pas du genre à m’imposer. Comment faites-vous ? Comment faites-vous pour toujours savoir ce qui est bien et ce qui est mal ? Comment faites-vous pour savoir quelle est la bonne façon de nous aider ? » Il n’est pas en colère, Lenny, seulement perdu. Il est paumé depuis le jour où son père de famille d’accueil, un homme bien sous tous rapports selon la société, lui a dit non pour Harvard et où Peter, probablement un vulgaire malfrat qui exploite les gosses selon cette même société, lui a dit qu’il pouvait aller à l’université. Que devrait-il penser ? Les services sociaux savent ce qui est bien pour moi, j’aurais dû rester dans ma famille d’accueil et finir dans une boucherie pour le restant de mes jours ? « Vous croyez qu’on se ressemble tous ? Vous en avez vu des tas, non, des gamins comme moi ? Vous en avez aidé combien à s’en sortir ? » Il a des questions plein la bouche et de l’espoir au fond de la gorge, il se dit encore qu’il pourra s’en sortir, Lenny, qu’il aura sa success story à l’américaine Immigré du Bronx, il devient un brillant avocat. Il aurait préféré premier danseur au New York City Ballet ou professeur émérite de littérature à Harvard, mais il s’en contentera bien. Il pourra mieux aider les autres après le droit. Il ne sait pas encore comment, mais il trouvera. « Je suis désolé, parfois j’aimerais savoir qui s’en est sorti. Pour me redonner foi dans le système. J’ai envie d’y croire, vous savez, j’ai toujours envie d’y croire, au début. Qu’il y a encore des chevaliers qui veulent sauver les âmes en détresse, sans rien attendre en retour. C’est réconfortant. Merci pour ça ? » Il hausse les épaules, sourire désolé au coin des lèvres. Il réfléchit trop, Lenny, c’est le scepticisme du scientifique, l’idée que les adultes ne font jamais rien par hasard, jamais rien de gratuit. Il sera sûrement comme ça, lui aussi, plus tard.
Dernière édition par Lenny Kucera le Ven 21 Avr - 0:33, édité 4 fois |
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| Sujet: Re: tu auras, toi, des étoiles qui savent rire (Lenny) Ven 21 Avr - 0:17 | |
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Lenny & Asher Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile, c'est doux, la nuit, de regarder le ciel. © creditimage|tumblr C’pas les adultes, Lenny, c’est juste moi. Il aurait voulu le dire, Asher, le souffler tout bas pour que personne d’autre n’entende, parce qu’on lui avait souvent dit qu’il parlait sans savoir et s’occupait de ce qui ne le regardait pas. Il était curieux, Asher, dans toute sa mesure et sa réserve, curieux et à l’écoute, toujours à l’affut de la moindre alerte ou de la plus infime anomalie. Il avait appris à lire dans les regards, à comprendre entre les lignes, à voir ce que personne d’autre ne remarquait. Il s’en servait rarement, pourtant, parce que c’était pas quelque chose qu’on exhibait fièrement, parce que ça donnait l’impression d’être voyeur et indiscret. Personne n’aimait les gens inquisiteurs, personne n’aimait montrer certaines facettes de sa personnalité sans consentement expresse. C’pas les adultes, Lenny, c’est juste moi, il aurait voulu murmurer, lui dire qu’il n’était pas comme tous les autres qui avaient dû lui promettre de jolies choses et toujours le décevoir. C’était ce que les adultes faisaient, décevoir, une fois, deux fois, trois fois et éternellement si on ne crevait pas avant. Les adultes décevaient par leur désintérêt, les adultes décevaient par leur morale qui ne voulait rien dire. Les adultes décevaient et il n’avait jamais voulu décevoir, Asher. Il aimait faire plaisir aux autres, il aimait être aimé, il aimait être utile. C’était terriblement narcissique et orgueilleux, terriblement égocentrique et égoïste. C’était si peu charitable de vivre dans le regard des autres, si pathétique aussi, en un sens. Il n’avait jamais vécu que pour ça, Asher, pour qu’on l’admire et qu’on l’adore et qu’il ne déçoive absolument jamais. « C’est pas les adultes, c’est juste moi », il avait fini par dire dans un faible frisson, toute superbe perdue, parce que la phrase sonnait prétentieuse dite tout haut, parce qu’elle donnait l’impression que ses plumes étaient gonflées et qu’il roulait des mécaniques, d’un coup. C’était dit sobrement, pourtant, c’était dit discrètement, imperceptiblement, au milieu des bruits de pas des piétons qui défilaient devant eux sans leur accorder un seul regard. « C’est juste moi, parce que j’te connais pas mais que je connais ceux qui ne sont pas comme toi. Parce que j’étais comme toi. Et j’sais pas ce que tu fous là, mais t’as rien à y faire ». C’était stupide de dire ça, stupide parce qu’effectivement, il ne connaissait pas Lenny. Tout ce qu’il savait de lui, c’est qu’il était l’ombre de River, celle de Merle aussi parfois, qu’il était toujours dans la trace des fauteurs de trouble mais qu’il n’était jamais vraiment celui qui agissait. Tout ce qu’il savait, c’est que lui aussi avait été un suiveur, jadis, à l’époque de New-York et Scarlett et Sam, à l’époque de la fac et des soirées où il buvait trop, où il fumait trop, où il baisait trop, il avait été un suiveur et avait tellement, tellement honni cette position, tellement souhaité être plus courageux, plus indépendant, plus affirmé. Il avait voulu, souvent, oublier qu’il s’insérait dans le sillon de ses amis, oublier qu’il n’était qu’une empreinte dans la neige et pas vraiment une personne. On l’aimait bien, Asher, on le trouvait beau et drôle et subtil, on l’aimait bien, aussi, parce qu’il ne contredisait jamais vraiment les autres, parce qu’il se ralliait toujours à la majorité. Il n’avait pas toujours été le héros qu’il prétendait être aujourd’hui, l’homme fort, le flic justicier qui sauvait des mômes de la perdition. Il n’avait pas toujours été courageux, pas toujours été fiable, pas toujours été fidèle à ce qu’il pensait. Il avait, autrefois, été un Lenny.
« J’ai aidé personne à s’en sortir », aveu murmuré tout bas alors qu’il remontait son col. Il avait aspiré de nouveau sur sa cigarette quasi éteinte, avait jeté le mégot d’une pichenette du doigt. Ç’aurait été facile de croire que tout ce qu’il faisait ne servait à rien. Ça n’avait pas aidé Merle, ça n’aidait certainement pas River. Et il ne parlait même pas d’Elena. Y avait des matins où il avait l’impression d’être un sale type, Asher, le genre qui sauve les gens simplement pour avoir une cour rassemblée autour de lui, en pamoison. Y avait eu Merle qui l’appréciait même s’il n’osait pas l’admettre, River qui se tenait parfois trop proche de son cœur, Elena qui lui serrait les tripes, Minnie et ses regards un peu trop insistants. Il y avait cette tripotée de personnes instables qui s’accrochaient à lui de tous leurs ongles et qu’il ne parvenait pas à repousser parce que, quelque part, il aimait ce sentiment d’être important pour une poignée de délinquants. « J’suis pas un héros ». Il avait rajouté ça là, pour se justifier, pour se dédouaner, un genre de c’est pas ma faute en trompe l’œil. Il s’était levé, avait vaguement épousseté son jean. Il n’aimait pas ce genre de conversation, à dire vrai. C’était pas vraiment de la lassitude qu’il éprouvait, plutôt de la frustration. Celle de ne pas vraiment être ce qu’on attendait de lui, celle de trop être celui qu’il avait toujours été : le suiveur. « Faut que tu dégages de là, dans tous les cas », il avait dit, un peu plus fort pour rajouter de l’emphase à ses mots. « Mes collègues vont pas tarder à passer, et ils sont vraiment très cons ». Il était pas obligé de dire ça, pas obligé de le dire comme ça, mais c’était sorti tout seul et il avait souri, presque goguenard, au gamin à ses pieds. Il était prêt à l’aider, Lenny, mais il était pas sûr qu’il le souhaitait vraiment, dans le fond. Alors il avait reculé, avait attendu un moment, mains plantées dans les poches, pour voir s’il lui demanderait quelque chose où s’il reprendrait sa route pour rentrer dieu-sait-où, probablement au même endroit que là où créchait Merle. Il voulait pas savoir. Ou plutôt si, il voulait, mais il ne le dirait jamais.
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Invité ☽ ☾
| Sujet: Re: tu auras, toi, des étoiles qui savent rire (Lenny) Jeu 27 Avr - 20:59 | |
| Lenny sourit, mais d’un de ces sourires tristes et désabusés qu’il a trop souvent à présent. Il ne sait plus comment s’en sortir, ni s’il sera assez bien un jour. Quand il était gosse, il pouvait imaginer de quoi son avenir serait fait. Il pouvait encore rêver, s’inventer une maison, une famille, un boulot qu’il aimerait. Il pouvait encore être innocent et se dire que tout irait bien. Mais plus les années passent, plus ça devient difficile de se dire que tout va s’arranger, d’y croire et de vouloir y croire. Il préserve son innocence comme une dernière relique de son enfance, fait semblant que tout se passe à merveille jusqu’à la nuit tombée où il peut avoir les larmes aux yeux et sangloter tant qu’il veut, ça ne changera rien. Ça ne changera rien à son sentiment d’être dans une impasse. Il a conscience, Lenny, que dès l’instant où il a dit merci à Peter, il lui a donné une partie de son âme. Il a un besoin viscéral d’être utile pour lui, et il sera à tout jamais incapable de le quitter, pas si Peter ne le rejette pas. Pourtant, un avenir radieux avec Peter dans le tableau, ça semble impossible, inadéquat. Ce n’est pas ce qu’il veut, en tout cas. Il ne veut pas être un criminel, il ne veut pas faire la manche toute sa vie, il veut toujours s’en sortir, être mieux. Alors il attend, il attend la trahison, l’abandon, il attend que Peter se comporte comme tous les autres, qu’il le remette sur le trottoir comme une portée de chatons dont on veut se débarrasser et qu’il lui dise de se débrouiller tout seul. C’est mieux ça que de se faire noyer dans une baignoire, au fond. Mais Lenny n’a jamais eu l’étoffe de ces hommes qui s’en sortent tout seul, il a toujours eu besoin d’aide, d’un cadre, d’un mentor, d’un pilier sur lequel se reposer et qui ne disparaîtrait pas trop vite. A la rue, il ne sait rien faire, à part se laisser mourir de faim. Il n’est pas prêt à faire ces choses que Merle fait sans sourciller, pas prêt à dérober les passantes, ni même à piquer dans les magasins. Son instinct de survie est enfermé par ses valeurs morales. Il ne sera plus rien pour Darja s’il ne devient qu’un vulgaire délinquant. Il serre doucement la lettre destinée à sa mère dans sa poche, pour se rassurer, soupire un peu. Il se demande ce qu’Asher veut dire par j’étais comme toi. Un gosse des rues, le fils d’une meurtrière, un intello, un imbécile qui fait la manche pour faire plaisir à ses amis ? Il ne pose pas la question, à la place, il récupère les trois pennies dans son gobelet et regarde aux alentours s’il y a une poubelle publique. Il y en a une, à trois pas de lui sur le trottoir.
Le policier lui dit qu’il n’a aidé personne à s’en sortir, et Lenny a cet air contrit qu’il prend toujours quand il est contrarié, lorsque Jael lui lance des inepties juste pour l’embêter, par exemple. Il se gratte le museau, glisse ses pièces dans la poche de son jeans avec le billet de cinq dollars. Pas un héros. Lenny hausse les épaules. Malgré son discours sur les chevaliers et les âmes en détresse, il a bien conscience que ça n’existe pas tant que ça dans ce monde. Il a envie d’y croire, mais, honnêtement, qui voudrait être un héros, de nos jours ? Il y a trop de gens à sauver, on n’aurait plus une seule seconde pour soi. Même lui il n’en a pas envie. Il le regarde se relever et lui dire qu’il doit dégager, maintenant, parce que ses collègues vont arriver. Il se redresse à son tour sans broncher, ramasse son bouquin de droit et franchit la courte distance entre lui et la poubelle pour enfin se défaire de son gobelet-menace-sanitaire. Il a peur d’avoir vexé Asher, en lui faisant admettre qu’il n’a sauvé personne. Il a peur de ne pas pouvoir être sauvé, il a peur de se débattre, quand on lui dira que Peter n’a rien d’un homme bien et qu’il doit retourner au foyer. Il se retourne vers lui, les yeux qui fixent les pavés à la recherche des mots justes. « Vous avez aidé des gens, peut-être pas à s’en sortir, mais vous m’avez donné cinq dollars et vous m’avez conseillé de déguerpir avant que vos collègues ne viennent. Vous m’avez vu, bêtement, quand tous les autres passaient sans me voir, et vous m’avez parlé, quand vous auriez juste pu partir. Je ne sais pas pourquoi vous l’avez fait et je ne veux pas vous agacer, mais Un héros, c’est celui qui fait ce qu’il peut. Les autres ne le font pas. Romain Rolland. Ça vous va bien, je trouve. » Il sourit, observe le visage d’Asher une dernière fois en espérant qu’il ne le recroisera pas de sitôt. Il enfonce son bonnet sur sa tête, fait un vague signe de la main et s’en va, les prunelles rivées au ciel et le cœur un peu plus léger. |
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| Sujet: Re: tu auras, toi, des étoiles qui savent rire (Lenny) | |
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