C’est le besoin urgent de se lever avant les autres, avant même que le soleil n’ai commencé à poindre son nez. C’est le besoin vital d’aller réclamer sa liberté, de fouler le sable des pieds, de plonger dans l’eau encore glaciale. C’est un rituel qu’elle a pris depuis trop longtemps, Tel-Aviv et l’appartement à quelques minutes seulement de l’eau, la planche rugueuse et le silence des matins solitaires. C’est rare de la voir si calme Moira, si détendue, sourire serein aux lèvres pendant qu’elle se prépare, qu’elle enfile sa combinaison et traverse l’appartement sur la pointe des pieds pour lancer la machine à café. Elle aime ces moments-là, rien qu’à elle, individuels. Ces moments où il n’y a rien d’autre que le silence et l’air frais de la nuit qui s’en va doucement. On lui demande souvent c’est quoi son secret pour rester autant en forme toute la journée, malgré le rythme épuisant que leur inflige Jeff. Inhumain cet homme, mais Moira a vu pire. Bien pire. Alors elle profite, booste son corps à la caféine et aux endorphines, à l’adrénaline. Parce qu’il n’y a rien de mieux qu’un shot puissant pour commencer sa journée du bon pied.
Y a le chien stupide qui vient se frotter à ses jambes pendant qu’elle attrape ses affaires et la clé de sa voiture, Moira soupire doucement avant de se baisser pour le caresser, étouffant un éternuement puis referme la porte derrière elle sans faire de bruit.

Les rues commencent seulement à s’éveiller, les plus courageux sortent, l’esprit encore bien au chaud sous la couette. Et puis il y a les jeunes, ceux qui tanguent jusqu’à leur lit, les veines imbibées d’alcools et le corps fourbu par les folies de la soirée. Elle aime bien tout ça Moira, être à l’autre bout du monde mais remarquer que les habitudes ne sont pas différentes. Elle se sent moins dépaysée, plus à sa place.
Finalement elle se gare sur le parking de la plage, celle trop peu touristique, loin du reste, de la foule. Petite plage sans prétention mais tellement agréable. Moira coince la planche sous son bras et attrape son sac de sa main libre avant de se diriger vers l’eau. Il fait froid encore et elle doit être la seule assez téméraire pour se risquer à nager. Mais elle a besoin, besoin de son foutu frisson, de sa dose d’océan quotidienne. Car dans une autre vie Moira avait dû être un poisson, une sirène, une créature marine, qui crèverait avait juste de l’air dans les poumons et les cellules hors de l’eau.
Un peu déçue cependant du calme plat, Moira décide finalement de laisser sa planche sur le sable à côté de ses affaires et se dirige vers l’eau. Le contact avec cette dernière lui arrache un petit frisson mais elle n’hésite pas à plonger. C’est ça Moira, toujours vers l’avant, jamais en arrière, à aller jusqu’au bout de son idée et pas question de dévier. Alors oui elle plonge, complètement, jusqu’à toucher le fond du bout des doigts, faisant glisser le sable alourdit par l’eau entre ses doigts. Et elle nage Moira, elle nage encore et encore, elle nage jusqu’à s’en bruler les poumons, jusqu’à ce que sa peau lui supplie de sortir pour se réchauffer.

C’est l’air frais qui vient l’accueillir quand elle émerge enfin, la respiration courte, et le soleil qui se lève finalement. Le ciel se part surement de couleurs merveilleuses mais Moira se contente de fixer le sable et ses affaires. Parce qu’il y a des jours comme aujourd’hui, où l’idée de savoir ce qu’elle manque lui fait mal. Elle secoue la tête doucement, courant rapidement vers son sac, dézippant sa combinaison elle commence à s’en extirper avant d’attraper sa serviette. Petit sourire de contentement quand elle s’enroule dans le tissus moelleux. Rapidement elle se sèche et enfile une tunique par-dessus son maillot de bain. Elle s’apprête à refermer son sac, thermos à la main, quand son regard est attiré par une silhouette. Une jeune femme s’est installée à quelques mètres pendant qu’elle nageait. C’est pas la première fois que Moira la voit, et son sourire s’agrandit quand elle croise son regard. « Hey ! » Qu’elle lance un peu fort, la saluant de la main avant de la rejoindre en quelques pas. « Café ? » qu’elle propose en lui tendant la thermos de café fumant qu’elle avait préparé avant de venir. « Tu devrais essayer, l’eau le matin, y a rien de mieux pour se réveiller et se maintenir en forme ! » et c’est vrai. Vérifié. Moira se tourne complètement vers la jeune femme en lui souriant doucement. Y a quelque chose dans le regard de la brune qui lui fait dire que la santé, elle en aurait bien besoin d’un supplément, vu les cernes sous ses yeux et son teint bien trop blanc.  De nouveau elle lui tend le café, instante pour qu’elle se serve avant elle.

C’est des gestes, des habitudes, le besoin primaire de se libérer la tête de tous les soucis qui lui polluent l’esprit pendant la nuit. L’appel de l’océan, de l’eau froid contre la peau et des embruns dans les cheveux. Le vent, les vagues, et le corps qui fend l’eau sans vraiment rencontrer de résistance. Des années à nager, encore, encore, à fusionner avec la vaste étendue bleue, à en connaitre son caractère, ses couleurs qui aujourd’hui lui semblent si fades. C’est le soulagement, quand VTT avait mis le cap sur Savannah plutôt qu’une autre ville paumée au milieu des Etats-Unis, avec juste une pauvre piscine puant le chlore pour se défouler. Dans une autre vie elle avait du être sirène, femme-poisson ou poisson-femme. Entre les deux. Et l’étonnement de ne pas retrouver ses jambes couvertes d’écailles à chaque fois qu’elle sortait de l’eau.
Alors oui elle nage Moira. Pour chasser la peur, l’angoisse, Ismaël et ses yeux trop cernés, la douceur en surface qui cache la tristesse. Elle nage pour chasser Léonard, et ce corps trop frêle qui ne cesse de se décharner sous ses doigts, et les cicatrices qui apparaissent. Elle reconnait le schéma. Elle nage pour chasser Elliot, et ses regards furibonds quand Moira était venue lui parler de la vidéo, du comportement inadmissible de Jeff, de Léonard, et lui proposer son aide. Aide que la jeune femme lui avait renvoyé en pleins dans la figure avant de la mépriser. Ouais. Elle nage pour mille et une raisons, pour rester cette Moira insouciante que tout le monde connait, celle sans soucis et zéro ressentiment. Juste Moira et ses sourires, ses rires, et le brasier dans le regard. Regard qui se perd sur la plage quand elle sort de l’eau. Qui se perd avant de retrouver son chemin sur cette silhouette perdue dans l’immensité du sable. Hey. Moira et son tact, Moira et la capacité de parler à une pierre et d’obtenir une réponse. Parce qu’elle n’abandonne jamais. Ou du moins que très rarement. Obstinée, tête de mule. Foutue Moira. La brune se tourne finalement vers elle, une expression de défi plaqué sur le regard et Moira lève une main en signe de paix. Mais bien vite le regard colérique de la jeune femme s’adoucit et Moira sent ses lèvres s’étirer en un sourire amuser quand elle sent les yeux de l’inconnue parcourir son corps. Pas pudique pour deux sous, au contraire, Moira la laisse faire sans rien dire avant de s’installer à côté et de lui proposer du café. Elle insiste. Une fois. Deux fois. Et la jeune femme finit par craquer et attrape la thermos pour en boire une gorgée de café. Ridicule. Et ça fait lever les yeux au ciel à Moira. On dirait Meora comme réaction. Ou bien Levi. Un des deux El Kassem, ces coincés de la vie qu’elle aime plus que tout au monde. Puis sans prévenir la brune se redresse et lui tourne le dos. Pas si vite. Moira délaisse son café dans le sable et se lève à son tour, attrapant le poignet de la jeune femme pour la retenir. Cette dernière se retourne, prête à mordre, griffes sorties comme si Moira essayait de l’attaquer. Qu'est ce que tu veux Moira la relâche tout de suite en souriant, levant les mains encore une fois en signe de paix : « Hey, easy tiger je vais pas te faire de mal » loin de là. En fait Moira sait même pas vraiment ce qu’elle fait là, face à cette brune qui une fois debout la dépasse clairement. Elle est grande, mince, peut être même maigre, les cheveux courts à la garçonne et les traits légèrement bridés. Asiatique ? Un peu des deux. Qui sait. Elle est belle. Des chances de devenir mannequin, si elle n’avait pas aussi mauvais caractère sans doute. « Ce que je veux ? Je sais pas, prendre le café en compagnie de la nana qui me mate un matin sur deux quand je vais nager ou surfer ? » sourire amusé elle se rapproche un peu. « Juste discuter, tu sais, sociabiliser, comme des êtres humains normaux. C’est bon pour conserver notre couverture d’extra-terrestre tu vois » elle mime des antennes avec ses doigts avant de rigoler, incapable de garder son sérieux plus longtemps. « Nan sérieusement ? t’as quelque part où aller à cette heure ci ? Tu veux pas rester un peu ? Boire ce foutu café ? Je dois même avoir des scones dans mon sac » Ou une pomme. Ou des raisins. Ou un truc que Meora avait du glisser hier soir avant d’aller se coucher pour s’assurer que Moira mangerait à sa faim après sa baignade matinale. « Moi c’est Moira et toi ? » Parle, parle, détends-toi. Et le regard assuré de Moira qui semble crier à la brune, que quoi qu’elle fasse, elle ne bougera pas de là avant d’avoir au moins obtenu son prénom.