Il fait froid. Tellement froid. J’ai les doigts congelés et je suis bien incapable de dessiner. Tant pis. J’essaye quand même de pianoter sur mon téléphone histoire d’envoyer mon message à Quinn puis je me remet en boule au sol, genoux contre ma poitrine et les mains cachées dans mes manches. Je m’ennuis. Y a personne dehors en ce moment, avec les fêtes et tout, les gens sont trop pressés et y a personne pour s’arrêter pour me donner une petite pièce. Radins. Esprit de noël mes fesses. Du coup j’ai vraiment pas beaucoup d’argent là. Peter va encore râler et je vais encore être triste et tout sera nul. Pour ça que j’ai besoin de me détendre, de me changer les idées. Quitte à être punie, autant le faire avec brio. Alors c’est pour ça que j’ai demandé à Quinn de venir, histoire qu’on aille se promener, s’amuser un peu. J’aime bien la voir prendre des photos, ça passe le temps. Puis elle cherche pas le classique comme tout le monde.Pis chai pas, ça me fait du bien de trainer avec quelqu’un de mon âge. Je me sens moins jeune quand je suis avec elle, plus à ma place. J’oublie pendant un instant la merde dans laquelle je me noie et je rigole. Parce qu’elle rigole beaucoup Quinn. Donc je rigole aussi.
Perdue dans mes pensées je la vois pas arriver tout de suite. Puis je m’arrête sur la flamme de ses cheveux et j’oublis que je suis congelée. D’un bon je me redresse et agite la main en sautillant « Quiiiiiiiiinn iciiiii je suis là ! »je rassemble maladroitement mes affaires avant de la regarder arriver. « Bon. Camarade. T’es prête pour l’excursion ? » Moi oui, toujours. Tout plutôt que de me geler les miches encore dix minutes sur ce pavé glacial.

Il fait super beau. Bon, il fait froid mais on s’en fiche, j’ai un super bonnet, une écharpe aussi grande que moi qui fait des tas de paquets quand je l’enroule et des mitaines de compétition. De quoi affronter n’importe quelle température. Et puis bon, on va pas se leurrer, le froid de Savannah, c’est rien en comparaison de ce qu’on a vécu gamins Luka et moi.

Alors je marche en sautillant dans les rues, ravie du sms de Jael. Je sais pas trop si Luka aimerait que je la fréquente vu que je lui ai jamais parlé d’elle, mais il est au boulot et moi seule au monde sans rien avoir d’autre à faire que regarder Mitaines dormir. Donc autant que je m’occupe non ? Et puis je peux pas refuser une invitation à aller faire des photos. Surtout que Jael trouve toujours des coins improbables trop cools. Et puis elle est chouette cette fille. Elle me fait oublier que je suis maladroite, que je fais tout de travers ou presque, que je suis encore toute cassée et que je me demande chaque jour où presque si je finirais par me relever ou si je vais lâcher l’affaire pour de bon. J’ai juste l’impression d’être… normale et cette bouffée d’air frais est tellement précieuse qu’avec elle, je suis toujours de super bonne humeur. Elle m’a jamais vu faire de crise de panique ou pleurer ou rien et ça, c’est cool.

Je me suis presque pas perdue en allant au lieu de rendez-vous et, quand je l’aperçois, je lui souris largement sans même m’en rendre compte, oubliant le bout de mon nez tout rouge de froid et le bout de mes doigts qui commencent à être engourdis. Bon, il fait un peu froid, ok, ok. Je m’approche d’elle et je mime un garde-à-vous totalement raté à ses propos, lui rétorquant, le regard pétillant.

"J’suis prête chef ! J’ai même mis des vraies chaussures de marche c’coup-ci chef ! Tu seras pas obligée de me sauver de mes lacets coincés on sait pas où !"

Non parce que bon, je me sens pas maladroite mais je le reste quand même malgré tout. Et vu qu’elle me balade partout, je me retrouve souvent dans des situations un peu improbables. Mais on rigole et c’est ça qui est super. On rigole beaucoup même. Faudrait vraiment que je la présente à Luka en fait. Un jour. Bientôt.

"Attend, avant qu’on parte…"

Je sors de ma besace un petit paquet plat pas super bien emballé, faut dire que c'était la galère avec le chat qui voulait manger le papier, et je souffle, les joues un peu rouges.

"Tiens, c’est pour toi. Joyeux Noël donc."

Je lui tends le paquet avec un sourire incertain. J’ai développé une des photos que j’ai prise quand j’étais avec elle. C’est elle dans un de ces fameux coins improbables. Et comme pour Luka, j’ai fait un cadre moi-même.

"C’est pas un vrai super cadeau hein, je… juste j’avais envie et euh… voilà. Bref."

J’espère que ça lui plaira quand même. Qu’elle trouvera pas ça ridicule. Et que… bref, tout ça quoi.

Elle est drôle Quinn. On dirait moi en rousse en fait. On a le même âge à peu près, et la même tendance à se foutre par terre en marchant sur nos lacets. Alors quand je la vois débarquer en face de moi, à mimer son petit salut, je peux pas m’empêcher de rigoler. J’suis prête chef ! J’ai même mis des vraies chaussures de marche c’coup-ci chef ! Tu seras pas obligée de me sauver de mes lacets coincés on sait pas où !" je regarde ses chaussures et ça me fait sourire. Elle doit avoir bien chaud là-dedans, tant mieux, c’est important. « Parfait soldat, je vois que vous avez bien retenu la leçon » la leçon qu’elle est encore plus maladroite que moi et qu’il lui suffirait d’un moment d’inattention pour glisser sur une plaque de verglas. Mais cette fois ci elle est bien préparée, et moi aussi, alors normalement on devrait s’en sortir vivante pas vrai ? J’espère.
Attend, avant qu’on parte… sa petite voix me coupe dans mon élan et je me retourne vers elle. Elle sort de son sac un paquet et je me sens soudain très gênée. Je pensais pas qu’on m’offrirait des cadeaux. Je pensais pas que les gens prendrait le temps. Tiens, c’est pour toi. Joyeux Noël donc Je sais pas quoi répondre tant je suis surprise. Maladroitement j’attrape le paquet le tournant dans mes mains, indécise. J’ai plus l’habitude de la gentillesse des gens, j’ai plus l’habitude de tout ça depuis que mon père est mort. J’essaye de respirer, de pas montrer à quel point je suis touchée. C’est pas un vrai super cadeau hein, je… juste j’avais envie et euh… voilà. Bref. « Arrête…Je suis sur que c’est parfait » Parce que c’est le premier cadeau que je reçois pour noël, parce que ça me fait penser que même sans foyer y a toujours des pour faire briller la vie. Lentement je déchire le papier, avec attention, précision. Je découvre un cadre photo. Et une photo. Une photo de moi, perdue sur un toit, la ville à mes pieds et la liberté dans les doigts. Ça me fait tout drôle, je savais même pas qu’elle avait pris cette photo-là. « Je… » Ma gorge se serre et j’essuies rapidement une larme. Respire Jael, respire. Ca va aller. « C’est tellement super Quinn. J’aime tellement. » Mes doigts passent un instant sur le cadre légèrement irrégulier mais c’est ça qui fait son cherche, l’imperfection du fait main. « C’est toi qui l’a fait pas vrai ? » Je me rapproche un peu plus avant de la serrer dans mes bras. Je suis un peu plus grande qu’elle, c’est rare et ça la rend encore plus précieuse à mes yeux. « Merci Quinn. Merci » Merci d’être là avec moi pour me faire oublier que tout est merdique, que lorsque je rentrerais ce soir jme shooterais pour continuer à rêver, que je sentirais surement la haine de Tinks glisser sur moi et l’amour de Peter se loger dans mes veines.
Je m’écarte doucement puis range avec délicatesse la photo dans mon sac avant d’inspirer un bon coup. « Bon. Soldat. Mon cadeau à moi c’est la ville. J’espère que t’es prête parce qu’on va pas se ménager aujourd’hui. » Je la regarde dans les yeux en rigolant « Oh et j’espère que t’es pas claustro. » ça serait con vu le programme prévu.

Je fronce le nez alors qu’elle me demande si j’ai bien retenu la leçon. Ouais, les bleus sur les fesses, c’est jamais agréable, autant le dire tout de suite. Et je suis pas sure que Luka apprécierait que je me casse de nouveau un truc. Bon, ce serait un contexte vachement plus marrant, mais quand même, ça le fait pas trop. Et ça coûterait trop cher en plus.

" Ah bah je sais pas toi mais moi, perso, grimacer à chaque fois que je pose mes fesses sur le canapé pendant une semaine, ça me fait réfléchir à où je mets les pieds…"

J’arque un sourcil avant de pouffer de rire toute seule. Je parle pas souvent comme ça non plus en fait. Sauf avec elle, mais ça elle le sait pas. Et c’est cool. Je suis sure que je pourrais même me mettre à dire des gros mots sans avoir peur d’en prendre une. Faudrait que j’essaie tiens. Elle me regarderait pas avec des gros yeux en se demandant si j’ai pas pris un coup, ce serait plus gérable quand même.

Je lui tends quand même son cadeau de Noël. Bon je sais pas trop si on peut appeler ça comme ça. On va dire mon attention de Noël. Faut dire que quand j’ai développé cette photo je me suis dit que j’étais obligée de lui donner. Ca lui va tellement bien, ça lui ressemble tellement. Et j’ai un sourire incertain en voyant sa réaction. On dirait que ça lui plait. C’est chouette ça.

" Hey t’as pas le droit de pleurer ou je reprends mon cadeau."

Oui, venant de moi, c’est abusé comme remarque. Mais je veux juste pas qu’elle se sente mal à cause de ça quoi. Et je hoche la tête à sa question, qui n’en est pas vraiment une, agitant mes mitaines et montrant le bout de mes doigts encore recouverts de pansements.

" Alors Luka m’a interdit de toucher à une scie pour le reste de ma vie mais ouais, c’est moi qui l’ai fait. Cadeau 100% fait maison. Et de rien. Ca me fait plaisir et c’est pour te remercier de tout ce que tu fais pour moi."

Je lui rends son étreinte, un peu, et je suis surtout contente de pas me crisper en fait. Faut dire qu’elle se rend pas compte de l’importance de nos petites virées et c’est très bien comme ça. Je la fixe un instant et, à sa question, je fronce les sourcils, réfléchissant un peu. Non, ça va, je suis pas claustro. Pas trop quoi. Je crois. J’en sais rien en fait. J’ai tellement de trucs qui fonctionnent de travers que bon, j’ai arrêté de tenir le compte au final. Alors je me tapote le bout du nez, pensive, avant d’esquisser un sourire.

" Je me suis entrainée et tout mon capitaine ! Alors je suis plus que prête ! Et je suis pas claustro. Pas aux dernières nouvelles. Au pire tu m’entendras râler mais ça t’as l’habitude non ? Et on va où alors ? Je te préviens, j’ai masse de pellicules dans mon sac, le Père Noël s’est lâché cette année."

Ou le lutin qui vit avec moi. Parait que c’est un cadeau de Mitaines. Tu parles.

Ah bah je sais pas toi mais moi, perso, grimacer à chaque fois que je pose mes fesses sur le canapé pendant une semaine, ça me fait réfléchir à où je mets les pieds…" Je rigole doucement au souvenir de la gamelle qu’elle s’est prise, mais au moins maintenant elle fait plus attention. C’est bien. Je sais que moi je me débrouille, six mois que je traine dans la rue je commence à connaitre la ville par cœur et à savoir où il faut poser les pieds. Mais j’oublis trop souvent que ce n’est pas forcément le cas de Quinn. Je me sens responsable d’elle, sans doute parce qu’on a le même âge ou bien qu’elle est un peu plus jeune que moi. Et puis qu’elle a ce côté un peu pataud qui me rappelle un petit chiot. Je l’aime beaucoup Quinn, et je veux pas qu’elle se fasse mal à cause de mes bêtises.
Et puis Quinn elle a un cœur en or, elle me fait des cadeaux alors que j’en mérite pas, elle me donne l’impression d’être normale, deux gamines trainant ensemble après les cours. Je pleure. Je crois que je pleure. Je sais pas me contrôler, je suis trop émotive en ce moment, c’est un plein de tout. Hey t’as pas le droit de pleurer ou je reprends mon cadeau. « Pas question, c’est mon cadeau » j’éloigne le cadre de Quinn, rigolant entre mes larmes avant de les sécher rapidement. Puis franchement un cadeau fait maison, je crois que c’est ce que je préfère. Je note dans ma tête qu’il faudra que je lui fasse un dessin, un peu comme celui pour Nora. Mais au lieu de la dessiner en dinosaure, je la ferais surement avec des oreilles de chien. Ou de lapin. A voir. J’ai les doigts qui fourmillent mais je réfrène mon envie de m’installer par terre et de commencer à gratter sur un bout de papier. On a d’autres choses à faire ! Alors Luka m’a interdit de toucher à une scie pour le reste de ma vie mais ouais, c’est moi qui l’ai fait. Cadeau 100% fait maison. Et de rien. Ca me fait plaisir et c’est pour te remercier de tout ce que tu fais pour moi." Mon cœur se serre un peu plus. Si j’avais rencontré Quinn un peu plus tôt, peut être que j’aurais pas fichu ma vie en l’air. Peut être. Je sais pas. Elle a ce quelque chose de réconfortant, une aura solaire qui me donne envie de sourire. « Il a bien raison, si t’es aussi douée pour découper que pour grimper…. » Je rigole un peu lui donne un léger coup de coude. « Je fais pas grand-chose pourtant. C’est plutôt l’inverse tu sais ! » Je pense qu’elle ne se rend pas compte. Elle est trop naïve, encore plus que moi. Mais c’est ça qui la rend si précieuse.
Finalement je m’écarte d’elle pour ranger mon cadeau dans mon sac, bien à l’abris. Puis je lui expose le début de mon plan. Quinn a l’air partante, elle l’est toujours de toute façon. Tant mieux. Je me suis entrainée et tout mon capitaine ! Alors je suis plus que prête ! Et je suis pas claustro. Pas aux dernières nouvelles. Au pire tu m’entendras râler mais ça t’as l’habitude non ? Et on va où alors ? Je te préviens, j’ai masse de pellicules dans mon sac, le Père Noël s’est lâché cette année « Oh tu peux râler, c’est bien de râler. Je commence à être habituée ! » Moi je râle trop peu, j’envie un peu les gens qui arrivent à s’exprimer, à clamer leur mécontentement à voix haute. Bref. Je commence à marcher, lui faisant signe de me suivre, on s’éloigne petit à petit de la foule pour s’enfoncer dans des ruelles moins fréquentées. « J’ai découvert un truc la dernière fois en me baladant ! Tu sais une ville digne de ce nom se doit d’avoir des souterrains ! » J’aime moins les souterrains que les toits, c’est angoissant, sombre, solitaire. Mais aujourd’hui j’ai envie d’essayer quelque chose de différent. On débouche finalement dans une impasse et je m’accroupie au sol pour ouvrir une sorte de trappe, j’avais remarqué ça la dernière fois que j’avais fait un échange et j’avais posé des questions au gars avec qui je traitais. Il m’avait expliqué que c’était une des nombreuses entrées pour les souterrains de Savannah et ça avait eveillé ma curiosité. La semaine suivante j’avais passé mes journées à arpenter les lieux, dessinant sur les murs, créant un chemin pour m’y retrouver. « Je passe en première et tu me rejoins d’accord ? » je sors de mon sac une petite lampe torche que je place entre mes dents et je commence à descendre dans le noir, le pas assuré. « On est des putains d’aventurières Quinn ! » Ma voix se perd dans le vide et je me met à rigoler parce que là tout de suite, je m’amuse vraiment.

Ce qui est sympa avec Jael c'est que, même si je me casse la figure ou que je fais un truc ridicule, elle se moque pas. Alors ouais, c'est pas un truc qui m'arrive souvent vu que je fréquente pas grand monde mais j'ai toujours peur d'être pointée du doigt, d'être remarquée pour ma maladresse légendaire. Non, elle, elle prend les choses comme elles viennent et elle s'adapte à moi, à mes tocs, sans même poser de questions. Je sais pas si elle se rend compte de quelque chose ou si elle le fait naturellement. A moins qu'elle soit aussi fêlée que moi, c'est pas impossible. Mais je l'aime bien. Beaucoup même. Et j'aime à me dire qu'on est amies. Même si on connait rien de nos vies ou presque, c'est juste une présence qui me réchauffe le cœur et qui me fait voir le monde autrement que comme un endroit terrifiant où il va m'arriver des bricoles si Luka est pas là pour veiller sur moi.

En tout cas, je sais maintenant que je dois faire attention quand on est en vadrouille. Parce que j'ai toujours le nez en l'air ou collé au viseur de mon appareil, donc je regarde pas où je mets les pieds, même si elle me prévient avant. Enfin là tout de suite, le plus important c'est qu'elle aime mon cadeau, au point que ça la fait pleurer. Ca me serre le cœur et ça me fait plaisir tout en même temps, ça fait bizarre. J'ai un large sourire à sa réaction et je lève le menton, faussement sérieuse.

"Bien, je préfère. Sinon je vais devoir me fâcher et je te garantis que c'est pas drôle. Et ma façon de scier est encore pire que ma façon de grimper. J'ai un pansement à chaque doigt je crois. Et il a failli faire au moins mille attaques quand je lui ai montré mes mains."

Je lève les yeux au ciel avant d'esquisser un sourire plus doux et de rougir en piquant un peu du nez.

"C'est drôle, t'es pas la première à me dire ça ces derniers jours. Mais t'es importante pour moi, t'imagines juste pas comment."

Parce que c'est le genre de trucs dont on parle pas. Non, nous on part à l'aventure, on découvre le monde et on se dit qu'en fait, autour de nous, c'est plutôt chouette. Et qu'il y a des secrets un peu partout qui méritent d'être découverts. Je l'écoute avec attention, fronçant le nez, la mine concentrée. Avant de laisser filer un rire et de hausser les épaules.

"Genre, je râle tout le temps c'est ça ? Ou tu connais des gens qui râlent plus que moi ? Tu me diras c'est pas impossible même s'il parait que je râle souvent."

Pour compenser les années où j'ai eu le droit de rien dire probablement. Surement même. Ca soulage un peu, même si je me dis que j'arriverais jamais à râler sur tout ce qui en vaut vraiment la peine. Enfin, c'est pas le sujet hein. Je lui décoche un large sourire alors que je la suis en sautillant, prenant quelques clichés ça et là alors qu'on prend un chemin que je connais pas du tout. Ah là, je suis intriguée pour de bon, ça y est. Je me mets sur la pointe des pieds, comme si j'arrivais à voir où elle va alors qu'elle reprend la parole.

"T'as trouvé ça comment ? Genre par hasard bim t'es tombée dessus ? Et je savais qu'il y avait des souterrains. Ca doit être trop cool."

Ouais on va éviter de réfléchir à ma claustrophobie. Je le suis pas vraiment, j'ai peur d'être enfermée sans pouvoir m'enfuir. Et avec Jael, ça risque pas d'arriver, on pourra toujours partir en courant en cas de problème. Alors je prends une petite inspiration et je hoche la tête, non sans prendre une nouvelle photo.

"Bien capitaine ! Je te suis ! Et je regarde où je mets les pieds donc. On va au centre de la terre et tout ?"

L'idée me faire rire, sans que j'arrive à bien saisir pourquoi. Mais je la suis, prenant garde à ne pas cogner l'appareil que je garde entre mes mains avec précaution. Heureusement que le flash fonctionne bien en tout cas. Et son rire résonne aussi, faisant écho au mien alors que je rétorque, d'un ton malicieux.

"Ouais, des aventurières de l'extrême même !"

Au moins tout ça ouais. Comme quoi tout peut arriver.

Bien, je préfère. Sinon je vais devoir me fâcher et je te garantis que c'est pas drôle. Et ma façon de scier est encore pire que ma façon de grimper. J'ai un pansement à chaque doigt je crois. Et il a failli faire au moins mille attaques quand je lui ai montré mes mains Je louche sur ses doigts et je rigole doucement, amusée. J’imagine bien que Luka a dû faire une attaque. Je le connais pas vraiment mais je vois bien qu’il tient à Quinn. Ça me fait plaisir de savoir que y a quelqu’un qui veille sur elle. C'est drôle, t'es pas la première à me dire ça ces derniers jours. Mais t'es importante pour moi, t'imagines juste pas comment La voilà qui rougit et moi avec elle. Deux idiotes à se balancer des compliments dans le froid, le nez gelé et les joues rosies de bonheur ou de gêne. Qui sait. «D’accord. Tu sais toi aussi t’es importante pour moi » Parce que j’ai pas vraiment d’amies de mon âge, de nana comme elle à pas me juger et à juste vouloir s’amuser. Avec elle j’ai vraiment 17 ans, encore mineure, la tête dans les nuages.
On balaye bien vite le moment un peu trop sérieux pour repartir sur des blagues. Je souligne le fait qu’elle râle un peu trop, même si c’est pas vrai et elle part au quart de tour. Genre, je râle tout le temps c'est ça ? Ou tu connais des gens qui râlent plus que moi ? Tu me diras c'est pas impossible même s'il parait que je râle souvent Elle est marrante avec ses longues phrases sans queues ni tête, parfois je dois me concentrer pour la suivre. Mais ça c’est parce que je suis souvent à côté de mes pompes. « T’inquiète pas, tu râle comme la moyenne je dirais. C’est bien non la moyenne ? » Elle râle pas plus que les garçons à la maison, eux c’est des vrais champions. Puis y a Bren aussi. Elle râle beaucoup trop Bren, c’est pas bon pour la santé.
On finit enfin par se mettre en marche, moi en tête et Quinn derrière me suivant d’un pas aérien. On doit avoir l’air fines toutes les deux, trop petites, trop jeunes, avec nos bonnets et nos nez rougis. Pas grave, nous on est en quête, deux aventurières à la recherche de la cachette secrète. Et notre cachette secrète on finit par y arriver assez rapidement finalement, aujourd’hui c’est visite des souterrains de Savannah, si Luka savait je suis sur qu’il ferait une crise cardiaque. De mon côté je crois que ça choquerait pas grand monde. Quinn quant à elle a l’air super emballée ! Tant mieux ma surprise lui fait plaisir et ça me rend heureuse. T'as trouvé ça comment ? Genre par hasard bim t'es tombée dessus ? Et je savais qu'il y avait des souterrains. Ca doit être trop cool. «Hahaha oui BIM tombée dessus voila ! Heureusement que c’était pas dedans, je te raconte pas la chute » j’ai mal rien que d’y penser mais bon, on va éviter, y a une échelle pour descendre c’est quand même mieux que de croire qu’on peu voler. Je dévisage mon amie et voit une petite lueur d’hésitation briller sur son visage. Lueur qui disparait bien vite et elle me donne le feu vert. Promis Quinn je laisserais rien t’arriver, les galères ça me connait et je suis la pro pour m’en tirer. Bien capitaine ! Je te suis ! Et je regarde où je mets les pieds donc. On va au centre de la terre et tout ? Exactement, on va au centre de la Terre, visiter les dinosaures endormis. Car c’est ma théorie. Ils sont pas disparu, juste fatigués et cachés, près du cœur en fusion, à se dorer les écailles. Ouais, des aventurières de l'extrême même ! Que réplique la rousse à mon exclamation et je recommence à rigoler. C’est ça qui est bien avec elle, c’est qu’elle ne me juge pas, elle trouve pas que ce qu’on fait c’est infantile ou barbant. Non. Elle est la première à vouloir me suivre, à sauter sans parachute. J’espère juste qu’elle ne le regrettera pas un jour. Mais on est pas là pour penser à ça.
Finalement mes pieds touchent le sol et j’attrape ma lampe pour éclairer le chemin à Quinn. Je surveille qu’elle ne glisse pas, prête à la rattraper dans le cas échéant. Manquerait plus qu’elle se casse quelque chose dès le début. Finalement elle atterrit à côté de moi et je lui adresse un sourire victorieux. « Tu vois, pas un bobo tu t’améliore » puis sans attendre je commence à avancer, éclairant les murs pour retrouver mes marques. « Y a un endroit dans la ville que t’aime bien ? On pourrait y aller en passant par en dessous ça serait marrant ! » Genre la cathédrale ou un truc comme ça. J’ai pas tout répertorié, c’est long et laborieux mais bon. Rapidement je fouille dans mon sac en attendant que Quinn décide et en sors une petite craie rouge. Je griffonne mon prénom sur le mur puis la tend à Quinn en souriant « Pour marquer notre passage. C’est pas intemporel mais ça en jette quand même ! »

J'agite mes doigts de plus belle quand elle louche dessus. J'ai des mitaines donc forcément ça se voit encore plus. Et Luka a mis tellement d'application quand il les a mis que je pourrais même pas m'en débarrasser. Je manque de pouffer de rire quand je repense à sa panique quand je l'ai appelé parce que je m'étais coupée un peu plus violemment que d'habitude. Je pensais pas qu'il pouvait planter son rencard juste pour me mettre un pansement. De là à avoir envie de le faire plus souvent pour lui pourrir encore plus ses plans, j'avoue qu'il n'y a qu'un pas que je me tâte un peu à franchir. Enfin, je passe de rieuse à un peu plus gênée, parce que je suis pas du genre à dire ce que je pense, pas comme ça en tout cas et visiblement, elle non plus. Mais c'est chouette, vraiment et j'ai encore plus envie de la prendre dans mes bras pour lui faire un câlin.

Parce que bon, on dirait pas en la voyant comme ça, si joyeuse, si pleine de vie, toujours prête à me faire découvrir le monde entier. Mais je me dis qu'elle est vachement plus fragile qu'elle en a l'air. Pas comme moi, je sais bien que j'ai l'air toute cassée… bon c'est pas qu'un air ok. Et que j'ai envie de la protéger, comme je peux. Même si je peux pas faire grand-chose avec mes petits moyens.

"Je le sais maintenant. Enfin, c'est pas le genre de trucs évidents pour moi alors, si je sais pas trop comment réagir, faudra pas m'en vouloir."

Je fronce le nez, la mine un peu pensive, avant qu'on passe à autre chose. Et je laisse filer un rire alors que je penche la tête sur le coté, un rien dubitative.

"… je connais pas trop la moyenne en fait. Enfin, ce que ça veut dire. Perso c'est toujours super haut ou super bas. Et euh… bref… tu vois l'idée ? Mais je râle comme tout le monde. C'est… cool, je crois."

Je la suis en sautillant, laissant de côté toutes ces pensées qui se bousculent et que je préfère ignorer pour le moment. Parce que c'est ça de passer un moment avec Jael. On oublie tout. Ce qui va bien, ce qui va pas, ce qui fait peur. Tout ça pour se retrouver dans un monde totalement farfelu. Comme là où elle m'amène.

"Han, mais tu t'es fait mal ? Et genre, y a un trou qui s'est ouvert sous tes pieds et bim ? Je croyais que c'était moi de nous deux qui ne regardait pas où elle marche. Tu peux quand même pas faire pire que moi si ?"

Je descends quand même l'échelle avec précaution, ce serait dommage de se casser une jambe dès le départ hein, parce qu'en plus, je me verrais pas trop expliquer à Luka comment j'ai fini là. Hum. Donc je la suis, au centre de la terre visiblement, comme dans le livre que j'ai fini l'autre jour. Il était cool ce livre d'ailleurs. J'ai un sourire super fier quand j'atterris à coté d'elle et je hoche la tête comme une gamine.

"Ouais t'as vu ça ! Ptet qu'un jour j'arriverais à faire plus de 10 mètres sans me prendre les pieds dans quelque chose. Ce serait trop cool."

J'effleure le mur avec précaution comme pour m'aider à m'orienter alors que je la suis d'un pas toujours aussi sautillant. Et, à sa question, devant tant de possibilité, de chemins, d'idées qui me viennent, je fronce les sourcils, pensive. J'attrape alors la craie et j'écris mon prénom avec application, un sourire absent flottant sur les lèvres. Avant d'attraper mon appareil et de prendre une photo. Okay, alors je vous dis pas l'effet du flash dans un espace aussi sombre. Je penche la tête en direction de Jael et je souffle, d'une petite voix.

"Ca va ? Je t'ai pas aveuglée ?"

Je me mordille la lèvre avant de prendre une inspiration.

"Tu crois qu'on peut aller sous la bibliothèque municipale ? J'adore cet endroit. C'est toujours super calme et silencieux. Oh, ou sous l'église-là, je sais plus son nom. J'y suis allée l'autre jour."

Je fronce les sourcils, me rappelant ce que j'y ai fait. Ouais, non, c'est peut-être pas une super bonne idée.

"Et toi, t'aimerais aller où ?"

Je le sais maintenant. Enfin, c'est pas le genre de trucs évidents pour moi alors, si je sais pas trop comment réagir, faudra pas m'en vouloir. Je rigole doucement, parce que Quinn et moi on se ressemble vraiment trop. Plus je passe du temps avec elle plus c’est évident. Et je crois que je l’aime encore plus pour ça. « Moi non plus je sais pas réagir. On apprendra toutes les deux » que je lui réponds, sourire au visage. Promis, on apprendra à se comporter ensemble toutes les deux. On deviendra des adultes fonctionnelles. … je connais pas trop la moyenne en fait. Enfin, ce que ça veut dire. Perso c'est toujours super haut ou super bas. Et euh… bref… tu vois l'idée ? Mais je râle comme tout le monde. C'est… cool, je crois. On a un mini-débat sur le râlage, sur le fait de se plaindre et de si elle est ou non dans la moyenne ; En vrai je sais pas trop, moi je râle jamais et y a des gens qui râlent tout le temps. J’ai une idée de dessin tout d’un coup mais je dois mettre les mains dans mes poches pour me mettre à dessiner une mini-Quinn entrain de grogner. « Nan mais c’est bien, je comprends rien à ce que tu me dis mais ce que j’en tire c’est que tu es une naine râleuse » je lui tire la langue avant de commencer à l’entrainer dans les rues. Naine, pas vraiment. On fait un peut la même taille, on a le même âge, peut-être pour ça qu’on s’entend si bien au final. On est vraiment très proches. Et ça fait du bien, comme une pose. C’est fatiguant de fréquenter des gens de 25 ans tous le temps. Pour ça que Quinn c’est ma bouffée d’air frais, j’ai l’impression d’être normale avec elle. Manquerait plus qu’on aille en cours ensemble. Mais ça c’est bien plus compliqué. Mine de rien ça me manque l’école. Ca me manque terriblement.

Finalement on arrive là où je voulais lui montrer et Quinn recommence à me faire rigoler avec ses questions. Han, mais tu t'es fait mal ? Et genre, y a un trou qui s'est ouvert sous tes pieds et bim ? Je croyais que c'était moi de nous deux qui ne regardait pas où elle marche. Tu peux quand même pas faire pire que moi si ? J’imagine la scène et grimace. Tomber dans ce trou sans s’en rendre compte, j’en serais capable, surtout si j’ai fumé quelque chose avant. Mais c’est pas ce qui s’est passé. « Mais nooon c’est une façon de parler. Je suis douée moi, pas comme toi » je me moque gentiment en rigolant « Je me baladais, et j’avais un truc à faire dans le coin et je suis tombée dessus par hasard. » Comme beaucoup de choses dans cette ville, les accès aux toits, les peintures murales un peu abimées ou les cafés paumés dans des ruelles inhabitées. J’aime bien Savannah, et ses mystères. Ca me fascine.
On finit par descendre et Quinn ne se ramasse pas par terre. Je crois que je suis fière d’elle. Elle aussi. Pour le moment on a zero bobo et aucune gamelle. On s’améliore. Ouais t'as vu ça ! Ptet qu'un jour j'arriverais à faire plus de 10 mètres sans me prendre les pieds dans quelque chose. Ce serait trop cool. j’applaudis discrètement en lui faisant un petit clin d’œil. « T’inquiète j’ai confiance en nous. » des guerrières faut jamais en douter. Moi je doute pas. Jamais. Du moins pas quand il s’agit de nous.
Je lui indique le mur et lui tend une craie, la regardant inscrire son prénom sur les murs. Ca s’effacera avec le temps, mais j’aime voir nos deux prénoms côte à côte. Ça donne l’impression d’avoir réussi quelque chose. Puis soudain une lumière aveuglante me fait sursauter. Mon cœur fait un bond de dix mètres avant que je comprenne que c’est le flash de l’appareil photo de Quinn. C’est vrai que dans le noir, ce truc est assassin, j’y avait pas du tout pensé. Ca va ? Je t'ai pas aveuglée ? « Un peu. Faudrait mettre au point un signal genre que je sache quand tu vas mitrailler » je rigole mime un pistolet avec mes doigts pan pan pan. J’aime pas les armes. Encore moins depuis que je traine au Smoking Dog et que j’aide Peter à transporter. Mais bon. Pas le moment de penser à ça.
Je finis par lui demander où elle veut se rendre. "Tu crois qu'on peut aller sous la bibliothèque municipale ? J'adore cet endroit. C'est toujours super calme et silencieux. Oh, ou sous l'église-là, je sais plus son nom. J'y suis allée l'autre jour. L’église. Je me crispe. L’église et Tobias. L’église et les souvenirs qui sont pas vraiment bienvenus. Je sais pas trop si je suis heureuse de l’avoir retrouvé après toutes ces années, celui que j’ai longtemps considéré comme mon oncle, le frère de mon père. Ah si je savais. Le traitre. Mais c’est trop compliqué tout ça, des querelles de grandes personnes de quand j’avais sept ans. « La bibliothèque c’est bien. C’est mieux. Les livres c’est bien ! » J’ai toujours aimé lire, étudier. Alors oui, la bibliothèque plutôt que l’église. Pas question de faire se fracasser mes deux existences. Je veux pas que Quinn sache que j’ai grandit dans la mafia, je crois que ça pourrait lui faire peur. Et ça je veux pas.
Je commence à marcher, sortant de ma poche un plan coloré que j’ai dessiné à chacune de mes explorations. Concentrée, c’est la petite voix de Quinn qui me sort de mes pensées. "Et toi, t'aimerais aller où ? Excellente question. Je sais pas trop. Je m’arrête pour la dévisager, pensive. « Peut être au musée. Y a une exposition que j’aime bien, Basquiat, tu sais celui qui fait de l’art de rue. » Je reprend la marche lui faisant signe de me suivre, longeant le bord pour éviter de mouiller nos chaussures. « En vrai je suis assez libre d’aller où je veux, donc on va là où toi tu veux c’est plus important. Puis c’est mon cadeau, oublis pas ce point-là ! »

J'ai un doux sourire aux propos de Jael. Parce que c'est exactement ce que j'ai besoin, envie d'entendre. Parce que je sais que c'est vrai, qu'elle dit pas ça juste pour me faire plaisir. Et qu'elle a autant de mal que moi.

"Toutes les deux ouais, ça me parait un bon plan. Et comme ça, si on trébuche, on pourra s'aider mutuellement à se relever. Ce serait bien ça non ?"

J'aurais aussi moins l'impression de dépendre tellement de Luka que j'en suis pathétique. Il pourrait respirer un peu s'il s'inquiétait moins pour moi, s'il voyait que j'y arrive. Un peu. Je sais que lui prouver ça va être mission impossible mais j'aimerais bien. Ptet qu'il pourrait même être fier de moi. Ce serait chouette ça. Je fronce quand même les sourcils quand elle rebondit sur mes propos et qu'elle se moque clairement de moi. Alors je fais la moue, comme je le fais toujours quand je suis sur le point de râler.

"Geeenre ! Tu fais exprès de pas comprendre oui. Et je suis pas une naine. J'ai une taille tout à fait acceptable pour un Ewok adulte."

Evidemment, je lui tire la langue en retour avant de me laisser entrainer au bout du monde. Enfin, c'est pas le bout du monde, mais c'est tout comme. Un endroit où on se prend pas la tête, où on réfléchit pas, où j'ai pas besoin de tenter de cacher mes tocs parce qu'ils ont l'air d'avoir disparu comme par magie. Parce que même si suis maladroite, on s'en fiche, c'est drôle. Personne ne me frappera au point de m'en faire décoller de mon siège à cause de ça. Et si je dis un truc idiot, je finirais pas enfermée dans un placard pendant une journée entière.

"Oh je vois, une figure de style ou un truc du genre. Mais j'avoue que j'aime bien l'idée de tomber dans un trou, comme le lapin d'Alice. C'est rigolo. Je vais garder cette image en tête pour la peine."

Surtout qu'on fait comme le lapin et qu'on se faufile dans la semi-obscurité. Et que j'ai pas peur. Mais vraiment pas. Comme si… ouais, j'étais normale. Enfin, si on parler de normalité vu qu'on est quand même dans les sous-sols de Savannah au milieu de je sais pas quoi. Je me dis que Luka ferait une petite attaque cardiaque s'il savait où j'étais là tout de suite. Ou alors, il aurait un sourire tout fier, je sais pas trop.

"T'as confiance en nous ? Pour de vrai ? C'est chouette ça. Vraiment."

Parce que ouais, la confiance en moi, c'est pas ça. Donc si une personne de plus peut avoir confiance à ma place, ça me ferait plaisir. Surtout que Jael, elle sait rien de moi, rien de grave quoi, donc elle a pas à me regarder avec pitié. Je suis contente de graver nos deux noms comme, même si c'est juste à la craie. Même si ça disparaitra demain ou le jour d'après. Comme nous un peu. On est pas aussi éphémères que ces quelques lignes tracées à la craie mais, dans le fond, je me demande si on vaut beaucoup plus. Et c'est pour ça que j'aime prendre des photos. Pour m'aider à me souvenir. Pour garder une trace de tout ce qui est précieux. Comme ce moment-précis. Je peux quand même pas m'empêcher de pouffer de rire à sa réaction et je souffle, la mine faussement pensive.

"Ok, quand je dirais mouette, tu sauras que je vais prendre une photo. Ca te va ?"

Et, quand elle me demande où je veux aller, j'avoue que je sais pas trop. Trop de possibilités en fait, même si l'évidence c'est sous la bibliothèque. Un endroit calme et apaisant. L'endroit parfait quoi.

"Les livres c'est chouette c'est clair. Je pourrais me cacher dedans pour toujours, ce serait trop bien. Et cette expo, on pourrait y aller si tu veux. Je pourrais prendre plein de photos et toi de perdre entre les peintures. Par contre, si t'es libre d'aller où tu veux, je te préviens qu'après, une montagne de cookies nous attend à la maison. Luka rentre super tard, il a des cours. Et j'en ai fait pour une armée."

Oui, pour une fois, mon ton ne souffre pas de réplique. Parce que c'est comme ça. Et elle repartira avec une boite pleine de cookies aussi, comme la dernière fois. Je me frotte le nez et je souris alors que je la suis d'un pas sautillant.

"Ton cadeau en vrai Jael, c'est toi. Tu le sais ça ?"

Toutes les deux, ensemble, mains dans la main, un pas à la fois. Toutes les deux ouais, ça me parait un bon plan. Et comme ça, si on trébuche, on pourra s'aider mutuellement à se relever. Ce serait bien ça non ? « Plutôt bien oui » j’hoche la tête doucement, lui rendant son sourire, soudain apaisée. Je sais pas je me sens bien avec elle, j’ai l’impression que j’ai pas besoin de me forcer, de mentir, j’ai le droit d’être moi, gamine de 17 ans et non la Klimt que je vends au reste du monde.
On rigole ensemble, on se taquine, sans se prendre la tête. Je rigole en la voyant faire semblant de s’indigner quand je dis qu’elle est petite et qu’elle râle beaucoup Geeenre ! Tu fais exprès de pas comprendre oui. Et je suis pas une naine. J'ai une taille tout à fait acceptable pour un Ewok adulte. « Ou pour un hobbit » que je réplique en rigolant avant de lui adresser un clin d’œil, parce que c’est marrant pour une fois d’être celle qui se moque, même su c’est jamais méchant. Je pourrais pas, je crois que je l’aime trop pour ça.
On finit par descendre et Quinn me questionne sur ma découverte, je lui réponds avec amusement. J’aime bien raconter mes histoires, au moins elle, elle m’écoute. Pas comme les autres à la maison, qui se contentent de secouer la tête et de retourner à leurs affaires en m’ignorant. Oh je vois, une figure de style ou un truc du genre. Mais j'avoue que j'aime bien l'idée de tomber dans un trou, comme le lapin d'Alice. C'est rigolo. Je vais garder cette image en tête pour la peine « Et maintenant tu me donne envie de dessiner ça aussi, faut pas que j’oublie ! je compte sur toi pour me rappeler. » et les idées qui fusent dans mon cerveau au fur et à mesure qu’on discute, les mains qui démangent et l’envie de me poser par terre, de sortir mes crayons et de gratter le papier. Mais je me donne une tape mentale pour me forcer à me concentrer. C’est pas le moment.
T'as confiance en nous ? Pour de vrai ? C'est chouette ça. Vraiment. Bien sur que j’ai confiance en nous. J’espère qu’on ira loin, qu’on arrêtera de se casser la gueule et qu’on finira par être heureuses, éternellement. J’ai le droit de rêver pas vrai ? Mais c’est plus fort que moi, quand je suis avec elle je nous vois invincible et ça me donne des ailes. « Toujours » murmure qui lui échappera surement, je lui offre un sourire tranquille, certain. Toujours.
Et c’est le flash qui me fait sursauter, mes yeux qui crient de surprise et mon cœur qui cavale. J’étais pas prête. Je bats des paupières pour essayer de retrouver ma vision en rigolant, accompagnée par Quinn qui se moque légèrement de moi. Ok, quand je dirais mouette, tu sauras que je vais prendre une photo. Ca te va ? « Mouette c’est bien, je retiens pour la prochaine fois » histoire de pas finir aveugle à la fin de cette sortie. Ma faute aussi d’avoir proposé une randonnée dans le noir.
On débat ensuite de l’endroit où se rendre. Je connais pas encore tout comme ma poche et l’application gps sur notre téléphone sera surement utile, mais j’ai envie d’aller là où elle veut. Même si c’est l’Eglise, on va où elle veut. Les livres c'est chouette c'est clair. Je pourrais me cacher dedans pour toujours, ce serait trop bien. Et cette expo, on pourrait y aller si tu veux. Je pourrais prendre plein de photos et toi de perdre entre les peintures. Par contre, si t'es libre d'aller où tu veux, je te préviens qu'après, une montagne de cookies nous attend à la maison. Luka rentre super tard, il a des cours. Et j'en ai fait pour une armée. Elle est adorable Quinn. Vraiment trop. Le genre de fille que j’aimerais voir plus souvent tant elle arrive à illuminer mes journées. Mais la voir plus souvent ça serait lui montrer mes défauts, les crises, le manque, le besoin. J’ai pas envie qu’elle remarque les trous dans mes veines et la peau qui colle à mes os. J’ai pas envie qu’elle se mette à avoir peur de moi, à être dégoutée par la triste vérité, celle que j’arrive même pas à assumer. « On peut faire les deux, la bibliothèque et le musée » après tous les deux bâtiments ne sont pas très éloignés l’un de l’autre et c’est tout à fait jouable. « Et j’ai rien de prévu après » menteuse, mais je préfère subir une énième engueulade de la part de Peter plutôt que de louper un goûter avec Quinn. Puis j’ai faim. Et c’est bientôt noël. Merde. « J’espère que y en a pour une armée parce que j’ai un régiment qui dors dans mon estomac » et c’est surement vrai. C’est pas tous les jours que j’ai le droit à des gâteaux fait maison.
Je reprends la marche, sourire aux lèvres, parce que notre journée va être parfaite, une pause pour nous deux. Et j’aime ça. Ton cadeau en vrai Jael, c'est toi. Tu le sais ça ? Et mon cœur qui se serre. J’ai envie de pleurer, là tout de suite. Vraiment. Parce qu’elle sait pas à quel point j’ai besoin d’entendre ça de la part de quelqu’un, à quel point je suis seule, à quel point j’ai mal. Je me mord la lèvre pour me contrôler, profitant d’être devant pour fermer les yeux un instant. « Je pourrais dire la même chose te concernant » et je me retourne lui adressant un sourire légèrement bouleversé. « Bon ça suffit les sentiments là, on est des soldats ou pas ? » que je reprends vite, l’air faussement indignée, poings sur les hanches. Puis j’éclate de rire et je lui fais signe de me suivre, on en a encore beaucoup à marcher avant d’avoir droit à notre récompense sucrée.