Pas un bruit. Pas une mouche ne vole dans cette pièce pourtant crasseuse et mal odorante. T'allumes ta clope et te diriges droit vers la coiffeuse. Pendant de longues minutes tu observes cette personne dans le miroir. Cet étranger qui est censé être toi. L'image que renvoie ce dernier te fait froid dans le dos. Un visage aminci. Des yeux cernés et bouffis dû à toutes ces larmes que tu ne cesses de lâcher. Une peau bien plus pâle qu'à l'ordinaire. Ce triste tableau te fait penser aux personnes las de vivre qui attendent le jour du jugement dernier... Ne pouvant supporter cette image, tu détournes les yeux et tires une taffe avant de jeter la clope à peine consumé dans le cendrier déjà plein de mégots. Voilà cinq jours que tu as quitté Paris. Quatre jours, que tu loges dans ce sinistre hôtel. Trois jours, que tu n'as pas donné de nouvelles à ta famille. Deux jours, que tu ne manges presque plus, espérant rejoindre Beth... Et comme à son habitude, ton cerveau retourne à cette funeste journée. Une fois de plus, tu te laisses emporter par tes sanglots. Ton élan de sanglot se stoppe avec la sonnerie de ton portable. Tu décroches. C'est ta mère. Elle semble inquiète du fait que tu lui donnes si peu de nouvelles. Te demandant si tout ce passe bien pour toi. Et comme à ton habitude, tu lui dis que oui. Que tout ce passe bien. Que tu te sens déjà un poil mieux. Pourtant, tu comprends bien par l'intonation de sa voix qu'elle ne semble pas convaincu. Bien au contraire... Tu raccroches. Tu ne veux plus en entendre d'avantage. Si elle s'inquiète vraiment pour toi, elle ne t'aurait jamais mentis. La lumière du jour baisse de plus en plus et tu ne peux décemment pas rester une minute de plus dans ce taudis. Sans attendre plus, tu fauches ton sac et ton skate au passage, puis tu te diriges vers les rues de Savannah. L'air pur et frais de cette nuit de printemps te font un bien fou. Tu tournes et retournes, avant de te rendre dans la partie historique de la ville. Cette partie de Savannah que tu saignes depuis ton arrivée. Cette partie qui te fait sentir enfin chez toi. En ton fort intérieur, tu espères secrètement le voir à l'angle d'une rue. Bien que tu ne saches pas quoi lui dire... Juste de savoir qu'il est ici. En vie. Juste de voir le visage de ce père qui ne veut peut-être pas entendre parler de toi... Tu termines ta quête devant la devanture d'un pub. Une devanture certes miteuse, mais qui possède une drôle d'aura. Tu connais ce pub. C'est ici que tu viens noyer tes démons depuis maintenant cinq dans l'espoir de te perdre. De t'oublier. Tu pousses la porte de cette enseigne délabré et tu entres dans un autre monde. La lumière y est saturée L'air y est lourd. Tu sais qu'ici, personne ne viendra rompre ta quiétude. Tu sais qu'ici, personne ne prêtera attention à ta mine de déterré. Alors, tu pars t'asseoir au bar. Et tout en commandant ta bière, tu passes en revue la salle presque vide. Ton attention se porte rapidement sur le barman. Tu l'avais déjà vu... A vrai dire, il est certainement la seule raison pour laquelle tu viens ici. Il y a chez lui, un tu ne sais quoi qui te pousse à le regarder. Non, à le dévorer des yeux. Ton regard croise le tien... Tu serres les points pour ne pas rougir. Rien n'y fait. Une bataille intérieure débute alors. Tu ne dois pas être intimidé. Vas lui parler putain! Ciel, t'as quoi à perdre Bordel... Il sait peut-être des choses sur ton père... Te mordant la lèvre inférieure, tu finis ta bière cul sec et pars à sa rencontre. "Bonsoir, je pourrais avoir la même chose... s'il vous plait" Et avant qu'il n'est pu te servir, tu rajoutes. "Excusez-moi de vous dérangez, mais connaîtriez vous un certain D. Stewart?"

Aujourd’hui, tu t’occupes de l'après midi. Ca te fait pas spécialement plaisir. L'après midi, c’est toujours super chiant. Y’a pas grand monde, et ceux qui sont la, c’est les gros accros ou les familles en visite. Et ni l’un, ni l’autre, ne t’enchante grandement. Tu essuies vaguement des verres, pensant à ou tu vas dormir ce soir. Tu hésites encore entre te glisser dans les draps de Soan ou retourner chez les Caldwell. Il faudrait vraiment que tu te trouver un truc à toi. Un truc que tu puisses te permettre avec ton salaire minable. Tu demanderais bien à Nash de t’augmenter un peu mais tu sais parfaitement que c’est casse gueule. Qu’il a pas vraiment plus d’argent que toi. Juste plus de responsabilité. Alors tu fermes ta gueule et tu te démerdes. De toute façon, c’est pas vraiment comme si tu savais faire autre chose. Et puis, tu arrondis les fins de moi en revendant les merdes que tu piques ici et la. Et en montant sur des rings de boxe de rue. C’est pas si mal. Tu pourrais vendre ton cul comme toutes ces putes que tu peux voir sur les trottoirs mal famés. Mais t’as franchement encore trop de self-estime pour t’abaisser a ca. Plutôt dormir dehors que de lécher le premier vieux en manque. Tu lèves les yeux lorsque quelqu’un pousse la porte. Tu reconnais vaguement un mec que tu as déjà vu dans le coin ces derniers jours. Son regard se plonge un instant dans le tient. Et tu esquisses un sourire en coin lorsque tu le vois les détourner avec empressement. Ca te fait doucement rire. Tu attrapes ta traditionnelle bière sous le comptoir pour la porter à tes lèvres tandis que le garçon s’avance jusqu'à toi. De prêt, il a une sacré sale gueule. Ca se voit pas tellement de loin. Mais ses yeux sont creusés par la fatigue et ses yeux tristes comme le monde. Il s’assoit au bar, commandant rapidement une bière que tu lui apporte sans un mot, l’encaissant. Tu salues vaguement le vieux gars qui rentre chez lui pour retrouver son chien, riant doucement lorsqu’il manque de se prendre la porte. Classique. T’es habitué à cet univers pitoyable. Faut dire, t’es pas forcément mieux. L’gamin trop jeune pour bosser la, qui boit presque autant qu’il sert. Tu sors trop souvent du bar en marchant plus très droit. Voir avec la gueule à l’envers. Ouais, tu déconnes un peu ces derniers temps. La faute à ce con de Lachlan. A Milo. A Nash. A ce monde carrément tordu. La faute a toi aussi surement. Mais ça, tu ne l’avoueras jamais. Au grand jamais.

Tu relèves la tête du jeu idiot de ton téléphone lorsque le blond t’appelle pour redemander la même chose. Alors tu vas récupérer son verre, le portant à la machine pour le remplir de nouveau. "Excusez-moi de vous déranger, mais connaîtriez vous un certain D. Stewart?" Tu souris. Il est marrant son accent. Tellement formel. Ca se voit à des kilomètres qu’il vient pas d’ici le gamin. Tu reconnais l’accent. Francais. C’est grâce à la gamine qui avait debarque dans ta classe lorsque t’avais dans les 15-16 ans. Elle avait directement rendu la perspective d'être enfermé dans une pièce pendant des heures plus plaisante. T’avais fini par réussir écarter ses cuisses. Et tu t'étais remis a déserté les bancs de l'école. Mais l’accent était resté dans ta mémoire. Plus que la fille d’ailleurs. Tu réfléchis un instant a sa question. Non. Ca t’dis rien. Mais il a l’air tellement sérieux que tu ne peux pas t'empêcher de lâcher "Qui ? Le vieux crouton qui tripote toutes les fesses qui passent ?" Tu le vois se décomposer devant toi. A tel point que tu te sens presque coupable. Alors tu ris doucement “J’déconne va, fais pas cette gueule … Non, ça m’dit rien. Tu l’cherches pourquoi ?” En temps normal, t’aurais pas forcément cherché plus loin. Mais la, il faut avouer que tu te fais bien chier.