Aujourd’hui avait lieu ma première échographie, celle qui serait en mesure de nous montrer que le bébé était bel et bien là et, selon les dires du médecin, entendre le coeur du foetus battre. Quand il m’avait dit ça, lorsque je m’étais finalement décidée à m’y rendre pour confirmer que ma grossesse était belle et bien réelle, je n’avais pas fait attention à ces explications, mais maintenant que le rendez-vous avait lieu, que tout cela devenir concret, je devais admettre que cela me faisait paniquer et me rendait encore plus confuse. En effet, je n’avais toujours pas décidé de ce que je pourrais faire concernant le bébé. Voilà maintenant deux mois que je savais que j’étais enceinte, et deux mois que la question tournait dans ma tête, sans que j’aie le courage d’en parler à qui que ce soit. Finalement, je m’étais rendu à l’évidence, même si je ne l’avais pas voulu dans un premier temps, que tout dépendrait de la réaction de Cole par rapport à cette grossesse. Je savais qu’il m’avait dit qu’il serait là, mais avant aujourd’hui, son soutien n’avait pas été vraiment nécessaire. Allais-je faire de ce rendez-vous où il m’avait promis d’être là un test pour voir s’il allait tenir sa promesse ou bien si je me retrouverais seule, ce que je ne saurais supporter à mon avis ? Tentant de ne pas trop y penser, je m’étais préparée pour me rendre à l’hôpital en tentant tant bien que mal de me changer les idées, même si ce fut loin d’être simple. Pire encore, ce fut machinalement que je fis le trajet jusqu’à l’hôpital, trop perdue dans mes pensées pour réellement porter attention à la route. Heureusement, je ne fis pas d’accident ou quoi que ce soit, mais quand je me garai et que j’entrai dans l’immeuble pour me rendre au département de gynécologie et obstétrique, la réalité vint me frapper de nouveau, et ce fut d’une voix plus tremblante que d’habitude que je m’enregistrai à l’accueil. Ensuite, l’attente de mon rendez-vous s’avéra interminable, d’autant plus que cette attente, je me retrouvai à la faire seule, seule parce que Cole n’avait pas daigné se présenter ne serait-ce que cinq minutes avant… Allait-il être là, au moins ? Je tentai tant bien que mal de lui laisser le bénéfice du doute, mais au moment où une dame vint me chercher et que je dus la suivre, puis qu’elle me demanda  « Est-ce que le père sera présent ? », je faillis me rendre à l’évidence que non, il ne serait pas là. Je n’eus même pas le courage de tenter de lui envoyer un message pour lui demander. Il avait eu sa chance, et il… À ce moment, il m’envoya un message pour me prévenir de son retard. Me disant que je ne serais pas convaincue tant qu’il ne serait pas physiquement là, je me résignai quand même à dire à la dame:  « Normalement oui… ». Puis, à sa demande, je m’installai sur la table d’examen en attendant, me surprenant, malgré toute la violence que je pus me faire, à guetter la porte à plusieurs reprises jusqu’à ce que finalement, une silhouette familière arrive. À ce moment, je soupirai de soulagement, mais rongée par le stress, je ne sus lui sourire. Et puis, quand je vis son expression, son air épuisé, je ne sus faire autrement que de lui demander:  « Ça va ? On dirait que tu viens de courir un marathon… » Était-ce parce qu’il avait oublié le rendez-vous qu’il avait été obligé de courir ? Bien sûr que je me posai la question pour le coup, mais seulement dans ma tête, préférant attendre de voir ce qu’il allait dire, lui laisser sa dernière chance jusqu’au bout et qui sait, peut-être me changer les idées avant que la dame ne revienne pour l’examen.

L’explication de Cole se fit courte, certes, mais je n’en demandai pas davantage. Pourquoi ? Parce que cela était suffisamment logique pour expliquer son retard et son état d’essoufflement exagéré et de plus, je n’avais ni le temps, ni l’esprit pour lui demander de me dire autre chose à ce sujet. Pas le temps parce que bon, le rendez-vous ne tarderait pas à commencer, pas envie parce que franchement, ce n’était pas cela qui allait majoritairement me calmer dans le cas présent, même si je ne pouvais nier que sa présence était davantage rassurante. Mais qu’en serait-il après cela, à la lumière de ce qui serait dit pendant le rendez-vous ? Ça toutefois, je devais admettre que je ne savais pas trop. J’avais le sentiment que rien n’était certain, je doutais tellement que cela me rendait dingue limite. Parce que d’un côté, j’avais envie de croire Cole quand il me disait qu’il serait présent, mais il m’avait également promis qu’il serait présent quand nous étions ensemble, que la longue distance n’allait pas nous faire de mal, n’allait pas nous séparer et pourtant, tout avait été gâché. Alors pour sûr, j’avais peur que dans un moment aussi critique, le passé se reproduise, et probablement encore plus que jamais, puisque nous n’étions pas ensemble, nous ne le serions probablement jamais, au vu de la situation actuelle de mon ex-petit-ami. Comment allions-nous nous organiser ? Qu’avait-il prévu pour s’assurer d’être présent ? Tant de choses me rendaient mal à l’aise dans tout cela, et pourtant, il me fallut les oublier pendant un instant, lorsque la dame me ramena à la réalité en posant ce gel froid sur mon ventre. Puis, elle posa son appareil là où elle avait appliqué le gel, faisant bouger l’image à l’écran sans que nous puissions voir quoi que ce soit pendant un petit moment. Puis, un bruit, sourd et régulier, se fit entendre, et une image s’afficha à l’écran, celle d’un petit truc pas plus gros qu’une cacahuète, qui se trouvait là, et dont le coeur battait déjà très fort, comme s’il était déjà plein de vie. Pinçant les lèvres pour ne pas céder à l’émotion, parce que jamais je n’aurais cru qu’entendre un tel son allait provoquer une telle sensation chez moi, je remarquai qu’à ce moment que Cole tenait ma main, et à ce moment, je ne saurais m’en montrer plus reconnaissante, puisque j’eus le loisir de serrer mes doigts sur les siens, essayer d’aller chercher un peu de réconfort, un peu de courage pour la suite. Du réconfort parce que je ne voulais pas avoir un comportement complètement idiot au vu de ma vulnérabilité, du courage parce qu’alors que je ne savais pas ce qu’il en serait de la suite pour cet enfant, là, après avoir entendu son coeur battre de la sorte, après l’avoir vu, je savais que je ne serais pas capable de prendre une décision susceptible de lui enlever la vie. Jamais je n’avais été contre l’avortement ou ce genre de chose, mais là, je savais qu’à ce point, ce serait plus fort que moi de faire ne serait-ce que penser à une telle chose. Toutefois, une chose demeura claire dans ma tête, et au moment où la dame quitta pour aller dans la salle à côté, je ne sus faire autrement que de dire à Cole:  « Je ne veux pas être toute seule… » Et tant pis s’il m’avait dit plus d’une fois qu’il serait là, tant pis si je me répétais, à ce point, je m’en moquais. J’avais envie, j’avais besoin que ce soit concret ici et maintenant. Peut-être pas un plan complet, mais je voulais être rassurée, puisqu’autrement, ce trop-plein d’émotions que je gardais pour moi ne tarderait pas à exploser, et je me doutais que c’était loin d’être le moment pour ça.

Cette fois-ci, Cole ne releva pas mon besoin d’entendre encore et toujours la même chose. Il ne sembla même pas embêté du fait que je pouvais être casse-pieds avec ça, comme si en fait, il avait compris que j’avais besoin d’entendre ces mots, et que ce besoin dépassait le fait que je pouvais être parfois bien bornée quand je me donnais la peine, ou bien incapable de croire quelque chose tant que je n’avais pas une preuve. Avant ce moment, j’avais l’impression que tant et aussi longtemps que Cole ne me prouverait pas d’une façon ou d’une autre qu’il serait vraiment là pour le bébé, je ne saurais passer au travers de cette épreuve, mais là, par sa présence, par ses mots, par ce que nous venions de partager, j’avais le sentiment que je l’avais eue, cette preuve, au bout du compte. Bien sûr, je ne niais pas que tout cela était encore plus que stressant et m’emplissait de doutes plus lourds les uns que les autres, mais là, c’était comme si par ses mots, et ensuite par le baiser qu’il déposa sur mon front, je pouvais tenter de me convaincre que peut-être les choses pourraient bien se passer, d’une façon ou d’une autre. Fermant doucement les yeux pour profiter du contact de ses lèvres sur ma peau, même s’il ne fut qu’éphémère, je les rouvris sitôt que Cole en vint à reprendre la parole, posant une question légitime le concernant, mais qui fit en sorte que mon coeur manqua un temps, comme si je venais de réaliser que limite, il me fallait prendre cette décision ici et maintenant, comme ça, sur le coup de l’émotion, devant un ex-petit ami et futur père qui avait au visage un sourire rempli d’espoir. Je savais bien qu’au vu de l’échographie, mon idée était plutôt faite, mais je m’accordai quand même un bref moment, moment pendant lequel la dame revint à notre rencontre pour me tendre les clichés de l’échographie, cliché reproduisant ce que nous avions vu sur l’écran, soit une petite cacahuète blanche. En regardant l’image, je crus entendre le coeur du bébé battre de nouveau, l’entendre battre fort, comme s’il voulait faire savoir qu’il était là, entêté à se manifester. Et combiné avec les nausées, les envies constantes d’aller aux toilettes, bref, tout ce qui me tapait sur le système en ce moment, j’en vins à une conclusion bien simple; ce bébé, c’était un petit chieur. Mais c’était mon petit chieur, notre petit chieur à Cole et moi. Soupirant doucement, je finis par hocher lentement la tête positivement, avant de dire:  « Il n’a rien demandé d’autre que de vivre, ce petit. Je ne peux pas me permettre de le blesser… » C’était très technique comme réponse, mais au fond, c’était plus que ça. En fait, même si je savais que moi, dans le rôle de mère, ce serait certainement une catastrophe, il n’en demeurait pas moins que maintenant, je voulais essayer d’être la catastrophe de ce bébé. Je ne savais pas comment le décrire, mais il y avait quelque chose de spécial qui s’était produit pendant cette échographie, quelque chose qui ne me permettrait pas de prendre la décision de ne pas le garder, et j’avais l’impression que Cole n’avait pas envie que je prenne cette fatale décision non plus, à moins que j’aie mal interprété son expression et ses dires, ce qui pourrait arriver, au vu de l’état d’esprit dans lequel j’étais en ce moment.

Même si cela faisait un moment que Cole et moi n’étions plus ensemble et que nous ne le serions probablement plus jamais, pas comme précédemment en tout cas, il n’en demeurait pas moins que jamais je n’avais cessé de deviner ses réactions, comme si je le connaissais par coeur. Par moments, c’était rassurant, parce que cela m’avait permise de croire qu’effectivement, tout irait bien et que nous serions capables de nous organiser malgré les conséquences de notre faux-pas, ces conséquences qui allaient nous suivre toute notre vie, mais dans le cas présent, c’était surtout troublant. Troublant parce qu’en le regardant, même s’il faisait son mieux pour être impassible, je pouvais deviner qu’il était heureux du fait que je lui avais dit que j’allais garder le bébé. Ce n’était pas une mauvaise chose, et bien sûr, jamais je ne saurais me plaindre qu’il me promettait que nous serions heureux, mais il n’en demeura pas moins que pour moi, c’était perturbant. Perturbant parce que tristement, je ne parvenais pas à partager ce bonheur. Et pourtant, j’aurais voulu, à un moment ou un autre, lui dire que oui, j’étais contente d’éventuellement devenir mère. Ce ne serait pas un total mensonge, j’y avais déjà songé plus d’une fois quand j’étais gamine, donner à un enfant ce que moi j’avais pu recevoir de mes parents. Mais ma vie avait pris une tournure différente, j’étais en train d’atteindre un sommet dans ma carrière, et dans mes rêves, je pensais que le père de mon enfant serait l’homme que j’aimais, avec qui je serais mariée, avec qui je vivrais dans une petite maison chaleureuse et agréable à vivre. Oui, j’avais cet enfant avec l’homme que j’aimais, mais lui, il était inaccessible. Qu’importe les efforts, les sacrifices que nous allions faire pour le besoin de cet enfant, sûrement que jamais, je n’aurais le plaisir de me réveiller un matin, m’approcher pour embrasser mon homme et me heurter aux petits pieds de notre enfant qui aura décidé de venir nous retrouver dans le lit pendant la nuit. Cole, il se réveillerait avec une autre femme, de mon côté, je ne savais ce qui allait se passer, et même si tout cela n’était que caprice, là, tout de suite, cela me brisait le coeur. Comment saurais-je gérer tout ça ? Allais-je perdre mon indépendance, la personne que j’étais dans tout ce processus ? Parce que que je le veuille ou pas, c’était en quelques sortes ce qui allait se passer. Il était impossible de penser que ma routine, ma vie serait la même, qu’importe comment nous allions nous arranger, et il était encore plus impossible de penser que cette famille peu orthodoxe que nous allions former serait comme dans mes rêves. Et ça, ça me frappa au visage, plus fort que jamais, pile au moment où Cole en vint à me proposer de m’aider si j’avais besoin de quoi que ce soit. Plus vulnérable que jamais, alors que je m’étais sentie bien souvent ainsi ces derniers temps, j’eus un bref moment de panique, et en me redressant sur la table d’examen, je me tournai vers Cole, et d’une voix brisée, je lui demandai:  « Est-ce que je peux te demander de me prendre dans tes bras ? Juste un moment… » Cole savait très bien que ce n’était pas mon genre de faire une telle requête, mais c’était parce que ce réconfort, j’en avais désespérément besoin, et lui seul dans le cas présent pouvait me le fournir, même si pourtant, c’était loin d’être l’idéal.