Le marché du centre était un vrai ravissement pour les yeux. Les étals débordaient de fruits et légumes colorés, de bouteilles de toutes les tailles, d'épices transportant ailleurs. Familles, couples et petits vieux se croisaient dans un entraînant ballet, accompagnés par les chœurs de commerçants hurlant à qui mieux mieux. J'me baladais dans ce joyeux bordel la mine réjouie en quête de produits frais. Et surtout simples à cuisiner. Parce qu'entre une botte de poireau et un bol de céréales, les petits flocons sucrés gagneraient à tous les coups. La devanture alléchante d'un primeur attira mon attention; sagement je pris place dans la queue laissant mes prunelles dériver sur les alentours. C'est comme ça que je me pris une droite en pleine gueule par le karma. Il était là, devant moi, en train de sourire à la vendeuse en attrapant son sachet. J'le reconnaissais. Cette tignasse rousse à l'éclat inimitable. Ces yeux chauds, presque mordorés dont la forme m'était plus familière que presque n'importe quelle autre. Aspen. Il était là. Le garçon du passé venait tambouriner à la porte de mon présent de façon douloureuse. Un souvenir horriblement vivace qui reprenait forme sous mes yeux. Autour de moi les gens se bousculaient, râlaient, riaient. Moi je restais immobile, captivée par cette apparition indécente, à deux doigts de la tachycardie. J’obstruais totalement les grognements venant d'autres clients derrière moi, agacés par le fait que je n'avance pas. J'm'en foutais. Ne voyaient-ils pas que je me trouvais au creux d'un tsunami? Que mon cœur avait raté un battement si long qu'il me semblait avoir descendu jusque dans mes chaussettes? De toutes mes forces j'aurais voulu le serrer contre moi. Sentir sa chaleur, respirer son odeur. Mes aucun de mes muscles, martyrisés par mes nerfs en émois ne semblaient disposés à répondre. Évidemment il se remit en mouvement. Il s'était étoffé depuis les dernières années où je ne l'avais vu. As avait gagné en assurance aussi, et de nombreux regards féminins se coulèrent dans sa direction. Hypnotisée, je le suivis instinctivement avec la nette impression d'avoir un parpaing bloqué dans la trachée.
J'revoyais le rouquin toujours en train de flanquer Faust. Celui qui acceptait que je vienne dormir avec lui, quand ma mère était trop pétée pour éviter de me foutre la trouille. J'me glissais dans ses draps profitant de la chaleur réconfortante d'un ami. C'était le premier qui m'avait vu, avant de parler. Le gosse le plus normal d'entre nous qui contrebalançait toujours les écarts enflammés de notre part. As ça avait été ma force tranquille, ma gravité. Jusqu'à ce qu'on fêle un peu cette base avec Faust. En nous mettant ensemble l'équilibre si stable jusqu'ici menaça de s'effondrer, érodé par le poids nouveau que notre couple formait. Pendant nos dernières années de lycée nous parvînmes à peu près à maintenir le lien, mais la vie familiale de As s'écroula de manière brutale, nous entraînant dans la chute. Son caractère fort mais si paisible devint plus affûté, parfois jusqu'à la brutalité. Le duo entre les deux hommes s'était brisé causant des dégâts irréparables, et tout comme Aspen avait pu le faire auparavant, j'avais suivis Faust en aveugle pendant longtemps avant de me défaire de son joug.
Je savais plus quoi faire. Il était là à écrire un putain de SMS au beau milieu de Savannah, de ma rue... bordel! J’entrouvris les lèvres dans l'espoir de parvenir à sortir les mots étranglés dans ma gorge. "As..." Deux lettres seulement me furent accordées au terme d'une bataille acharnée alors que je m'obligeais à reprendre mon souffle. En attendant je continuais à avancer jusqu'à lui, presque courant, pour agripper son épaule et le forcer à se retourner. A tout et rien lui faire dire. A répondre à mes questions. A se taire. A sourire. A partir. Mes doigts s'arrêtèrent à quelques millimètres de sa veste, incapables de se décider. Parce que malgré le tourbillon qui m'assommait je savais une chose: j'avais peur. Un peu, c'est vrai, qu'il soit pas réel. Que mes ongles s'enfoncent au travers d'un ectoplasme sortant de mon esprit malade, coupable. La douleur qui s'épanouissait déjà dans ma poitrine n'en serait que pire, j'en étais sûre. Alors valait peut-être mieux pas vérifier. Simplement tourner les talons et faire comme si. Se mettre la tête à l'envers pour déconnecter. Trouver des bras accueillant où se blottir. Sortir, n'importe où. Mais avant que je n'ai pu me décider il se retourna, me prenant en flagrant délit d'hésitation.
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Sujet: Re: Ultraviolence _(Asan) Mar 7 Mar - 12:00
soan & aspen TÉLESCOPE.
l'université de portland ne te manquait pas vraiment, ce qui te manquait c'était plutôt ton indépendance. tu n'aurais jamais pensé que l'idée d'entrer à nouveau dans ta petite chambre de quatre mètres carrés qui croulait sous les livres de cours te ferait frémir de plaisir. cette solitude, ce silence que tu trouvais avant accablant, tu le désirais à présent. ça te manquait d'avoir des moments à toi, ou tu te retrouvais en tête à tête avec ton subconscient et que tu n'avais pas besoin de sourire pour faire croire que tout vas bien, que le masque tombait. que pendant quelques heures, tu pouvais être toi-même sans que quiconque risque de le remarquer. en quittant les cours, en fuyant la médecine et tous les inconvénient de la vie d'étudiant, tu avais aussi fuit ce plaisir. et malheureusement ici, à Savannah impossible de le retrouver. tu avais beau essayer de t'enfermer dans la chambre d'ami de la nouvelle maison de ta mère, elle finissait toujours par venir te chercher, se plaindre, se morfondre, t'ennuyer de ses problèmes. plus jeune, tu avais été proche de ta mère, tu l'avais aimé inconditionnellement, tu la comparais à une héroïne. comme ton père. aujourd'hui, elle te rappelait trop de souvenir douloureux, comme toi, elle avait été détruite par son divorce, la révélation de ton géniteur. évidemment ce fut elle, le plus affectée, mais tu voulais te montrer un peu égoïste. penser que toi aussi, tu avais eu mal, peut être plus mal qu'elle. surprendre ton père avec un homme, alors que tu le pensais parfait, que tu avais toujours eu peur de le décevoir, de lire dans ses yeux une once de tristesse. hors c'était dans les tiens que ce reflet était apparut et à ce jour, tu refusais de le revoir. tu savais où il vivait, tu savais avec qui... et tu ne le supportais pas.
ta mère était tombée malade deux ans plus tard et si au départ, tu pensais tout comme elle que ce ne serait que temporaire, les choses s'étaient aggravés et tu avais décidé d'être un bon fils, de revenir au bercail, ou du moins dans son nouveau chez elle, pour l'aider. elle avait choisit cet endroit parce que sa meilleure amie y résidait, mais elle l'avait regretté en voyant que celle-ci avait une vie de famille, un homme attentionné, qu'elle n'avait que très peu de temps pour papoter dans un salon de thé, qu'elle avait des enfants dont elle devait s'occuper. pour éviter ta mère et ses états d'âmes, tu passais de plus en plus de temps à l’extérieur à la recherche de petits boulots, depuis ton arrivé, tu avais aidé des mamies, des commerçants et des particuliers, en retour ils t'offraient des services ou un peu d'argent et ça te suffisait largement pour tes petites dépenses.
ce matin-là, tu t'étais levé aux aurores pour aider, un de tes voisins d'une quarantaine d'années à remettre sa maison en état, tu avais passé la plupart de la matinée sur le toit à l'écouter raconter ses histoires d'antan, le soleil tapait fort et tu avais vite fait tomber veste et tee-shirt, quelques heures plus tard en sueur et exténué, tu avais fait demi-tour, si tu ratais le déjeuner, ta mère pourrait bien t'engueuler comme si tu avais encore huit ans. mais sur le chemin, tu t'étais retrouvé en plein milieu du marché du centre et tu t'étais retrouvé à jeter un œil aux étalages comme pour retarder au plus ce repas qui t'attendais, tu discutais avec quiconque te lancer un sourire, alors qu'adolescent tu baissais la tête en marchant aujourd'hui, tu n'hésitais plus à te sociabiliser avec n'importe qui. sur le point de partir, tu entendis ton nom porté par le vent. les sourcils froncés, tu te retournais tombant nez à nez avec un souvenir du passé. soan et sa crinière ébène se tenait à quelques centimètres de toi, une moue sur le visage que tu ne connaissais que trop bien, c'était celle qu'elle prenait quand elle penchait sur un problème compliqué. apparemment, à cet instant, c'était toi.
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Sujet: Re: Ultraviolence _(Asan) Sam 11 Mar - 20:16
J'étais incapable de prononcer un mot de plus. Durant quelques secondes mon coeur battit à une allure folle avant de brusquement d'arrêter pour plonger dans un gouffre effrayant. Figée dans une posture plus que révélatrice, j'abaissais me doigts en essayant de retrouver contenance. Mon âme me hurlait de me jeter à son cou, de vérifier sa présence en tâtant sa chaleur à travers son blouson. Mais j'pouvais pas. Clouée sur place, épinglée par son regard comme un papillon noyé dans du chloroforme j'arrivais tout juste à garder les yeux ouverts "Salut." chuchotais-je de la plus banale des façon alors que mon esprit s'enflammait. "Je savais pas que tu avais déménagé de Portland." C'était horrible. J'avais la brusque impression d'avoir débarqué dans un téléfilm et de réciter un mauvais dialogue. Qu'aurais-je pu dire d'autre? Comment aurais-je pu mettre les mots sur le vide immense que notre séparation avait créé? Sur la culpabilité immense qui m'avait habité en lui volant son meilleur pote? Ou bien la gêne d'avoir éviter ses regards et compris plus tard qu'avant n'importe qui il y avait de toute manière Faust? "Tu habites dans le coin maintenant?" J'me sentais nue au milieu de la rue. Soso se baladait en petite culotte pendant une marche de la honte. Ridicule. Embarrassée. Sans possibilité de se cacher. Nerveuse, j'abandonnais mon sac de courses sur le bitume, preuve de plus de l'impossibilité à faire marche arrière. Il atterrit aussi lourdement qu'une ancre, produisant le même bruit qui sonna comme un glas lugubre à mes oreilles. Après des années de silence j'avais trop de mots qui se bousculaient pour s'entasser contre la barrière de mes lèvres. Tant et si bien qu'aucun ne parvenait à sortir. Après cette distance qui s'était étirée jusqu'à dissoudre nos silhouettes il était complètement improbable de laisser cinquante pauvres centimètres nous séparer. Après tous ces souvenirs chéris, soigneusement rangés dans ma mémoire mais dont les détails s'émoussaient par endroits, je pouvais à loisir le contempler pour combler les blancs. Son visage avait changé, légèrement plus émacié. Au lieu du demi-sourire qu'il avait l'habitude de me servir sa bouche s'étrécissait en une ligne dure. Et ses yeux autrefois si expressifs traversés de malice ne me renvoyaient que de l'incrédulité. C'était comme si j'étais projetée des années en arrière. Comme si les bâtiments autour de nous avaient subitement laissé place aux maisons de Skowhegan.
Avec Faust on était parti de ce trou à nos vingt ans, pour rejoindre Aspen dans le nord du pays. Au début tout se passa exactement comme on l'avait imaginé: installés comme un vrai couple dans notre studio pourris, à vivre d'amour et d'eau fraîche. Le trio avait été reformé, rafistolé tant bien que mal alors que notre acolyte partait pourtant toujours plus loin à la dérive. Mais enfermés dans notre bulle à apprécier notre liberté nouvelle, on restait aveugle aux nuages noirs qui se profilaient au loin. C'était plus simple de fermer les yeux en se répétant que tout allait bien. Trois ans d'amour, avec ses hauts, avec ses très bas. Trois ans à avoir le sentiment d'appartenir à quelqu'un de bon cœur. Trois ans d'asservissement volontaire et bienheureux. Jusqu'à ce qu'il piétine tout, qu'il détruise tout comme un sale gosse en mal de nouveauté. J'avais cru que As réagirait avec autant de violence que moi. Mais je m'étais trompée en décidant d'ignorer le fait qu'il avait déjà accepté la douloureuse évidence. Il avait laissé partir Faust avec moi, et il le laisserait à nouveau partir sous la lumière dorée du soleil de Californie. Alors j'avais tourné le dos à tout ce que je croyais sacré. J'étais partie droit sur l'asphalte, sans attache, en me disant que le premier bled qui me paraissait cool j'y poserais mes valises et démarrerais une nouvelle vie. J'étais quand même arrivée jusqu'en Géorgie avant de m'estimer satisfaite. Ou plutôt j'avais parcouru tout ce chemin, une succession d'heures de routes, de motel miteux et surtout de pleurs. De cris. De déni avant l'acceptation. Le voyage jusqu'à Savannah fut un pèlerinage endeuillé, ponctué de rencontres marquantes et qui m'avait permis de commencer une page vierge.
Alors non, je ne m'attendais pas à trouver mon Aspen qui l'était plus vraiment dans ma ville. Le bonheur, la crainte, les questions, tout se mélangeait dans un maelstrom terrible qui me filait le vertige. Consciente de la fragilité de cette bulle je me tus, levant de grands yeux vers lui.
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Sujet: Re: Ultraviolence _(Asan)
Ultraviolence _(Asan)
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