c'était à la fois effrayant et rassurant de se confronter à quelqu'un d'aussi extraordinairement abîmé par l'amour ; un monstre de mélancolie qui se fait peur au point d'accepter sa condition de fille invisible...


C'est pas un conte de fée. C'est rien que l'histoire d'un Parisien qui rencontre une Irlandaise paumée en France. Costard, cravate et dolce vita. Paraît que ça peut faire bon ménage. On aurait pu croire à un coup de foudre. On aurait pu y croire ouais. Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. Mais c'est pas comme ça que ça s'est passé. C'est pas le récit de Cendrillon. Comme dans un film, un café renversé sur la jolie robe en dentelle de la demoiselle. Des regards qui se croisent. Tant pis pour la jolie robe. Ils gloussent comme des mômes. En plein milieu de la rue. Ils se connaissent même pas mais ils ont l'air destiné l'un à l'autre. Ils ont presque l'air heureux. Pourtant c'est factice. Rien qu'une étincelle, rien qu'un éclat de rire dans leur vie pathétique. L'un, PDG d'une entreprise de bagnoles, qui passe sa vie dans les bars quand c'est pas au boulot. Il n'a jamais su garder une femme. De toute façon il ne veut pas s'encombrer. L'autre, jeune et belle, égérie d'une marque d'une petite marque de parfum. Et ils se contentent de rire bêtement pour une tasse de café renversée. 

Et puis ils se voient. Se revoient. Ils finissent dans un plumard. Comme dans toutes les histoires. Et ça en reste là. Au fond ils préfèrent cette situation. Pas de complication. Mais c'était sans compter sur Améthyste.Améthyste petit ange qui grandit dans le bide d'un mannequin. Améthyste qui déforme ce corps parfait mille fois photoshopé. Améthyste non prévue. Améthyste non voulue. Fruit d'une partie de jambes en l'air qui devait être sans conséquences. Mais on n'avorte pas non. Les médias ont déjà répandu la nouvelle. Y a plus qu'à attendre la naissance de la belle. Papa n'est pas content à dire vrai. Putain, s'emmerder avec un enfant. Mais ils se marient. Pas de grande cérémonie. Tout juste un oui devant l'autel. Un murmure. Des petits anneaux qui les enchaînent. Plus de magie. Plus de désir. Un devoir qui se transforme en cauchemar. Adieu Paris. Une nouvelle vie. Il est loin le jour où ils ont rit aux larmes au milieu des Champs Élysée. Bonjour l'Irlande. Petite ville tranquille loin des médias. Il ne touche pas le ventre rond non. Il cherche pas à savoir si c'est une fille ou un garçon. Il s'en fout. Et si ce n'était pas elle qui la portait, au fond, la future mère s'en ficherait aussi. Mais elle subit les nausées. Elle voit sa carrière s'envoler. Méprisée avant même d'avoir pointé le bout de son nez. Améthyste, complication à la con.

ses larmes glacées ont rebondi sur le sol telles les perles d'un collier cassé


Elle crie, elle crie, elle crie. C'est infernal. Elle ne fait que ça. Jour et nuit. Putain. Cette môme les rend fous. Déjà capricieuse, déjà malheureuse. Et le visage rouge de colère elle fait savoir son indignation. Parents à la con. Ils la laissent chialer et même la nounou l'ignore. Elle finira bien par s'épuiser. Ou crever. Améthyste pleure. Améthyste meurt. Des bris de glace dans le cœur. Améthyste se tait. Améthyste finit bien par s'épuiser. Lasse de s'égosiller. Lasse de réclamer ce qu'on peut pas lui donner. A peine formée, déjà fatiguée. Paraît qu'elle a tout pour être heureuse. Paraît qu'elle n'a pas à se plaindre. Des nouveaux jouets, de la bouffe et des fringues de princesse. Sans doute cette période qui lui est restée dans la tête, qu'elle rêve aujourd'hui de retrouver. Le fric, le fric le fric. On lui donne en jouets ce qu'on veut pas lui donner en amour. Et puis c'est quoi l'amour ? Un mythe merdique auxquels les plus cons veulent bien croire. Comme une rosée d'espoir. Sourire béat et palpitant en foire. Le mirage.

Amé apprend tout juste à marcher. Et puis papa se casse. Las. Il taille la route avec une belle blonde pour sillonner le monde. Y a pas de place pour une môme. Alors Amé, elle reste avec maman. Elle grandit. Y a plus de beaux jouets à la maison. Faut tout revendre pour acheter du pain dur. Et payer l'école de danse. À sa façon maman essaye de l'aimer. Elle est pas mauvaise au fond. Elle sait juste pas comment faire. Pour s'échapper, maman se tape le directeur de l'école de danse de sa gamine. Il gagne pas trop mal sa vie. Bon parti, sa mère se marie. Et puis ils s'en vont d'Irlande, la belle Irlande. À Savannah, Amé arrive pour sa première année de collège. Déjà, beau-papa boit. Frustré de ne pas être assez aimé de sa femme. Frustré de ne pas grimper l'échelle sociale. Frustré d'avoir à élever une gamine paumée.


je suis mécaniquement vivant, puisque mes doigts bougent et que mes yeux clignent ; mais je suis rempli de vide


Ses formes se dessinent à peine sur ses hanches et ses seins qu'elle jette sa virginité au premier venu. Améthyste fume. Améthyste s'amuse. Améthyste couchée sur le bitume. Volute parmi les autres. La blonde se donne des airs, elle porte du Gucci et de l'Armani, payé avec le fric piqué à beau-papa. Elle juge tout et tout le monde. Au collège tout le monde la connaît. Petite conne popularisée. Foutue comme une nymphe elle attire tous les regards et elle le sait. Elle en joue. Poupée de cire, poupée de son. Poupée de sang, elle sort pas toujours indemne de ses relations. Comme si elle avait une gueule à recevoir mandale sur mandale. Parfois des bleus sur sa petite gueule pâle. Mais pas d'inquiétude, le maquillage sauve les apparences. Réputation indécente. Elle se fout de ce que les gens pensent. Plus on parle d'elle, mieux elle se porte. Améthyste elle est pas amoureuse non. C'est pour les faibles. Elle préfère y brûler ses ailes. Brûler ses désirs, brûler ses envies. Presque animale, Améthyste est amorale.Améthyste est combustion. Améthyste est autodestruction. Mais donner son corps à n'importe qui ne suffit plus. Blondie veut vendre son âme au diable. Sur le banc du lycée on lui tend l'enfer. Elle le sniffe en plein air. 

Ça passe mieux quand elle est défoncée. Quand la main tombe. S'abat. L'abat. Améthyste, poupée de chiffon. Chiffonnée sur le sol. Amochée. Assommée. Améthyste culpabilise d'être née. Parfois il lui tire même les cheveux. Ses beaux cheveux blonds. Des mèches entières s'en vont. Et comme des perles les larmes roulent. Et puis ça s'estompe avec le temps. La douleur s'efface. Son corps frêle habitué, ne laisse presque plus de marques. L'enfance envolée avant même de l'avoir effleurée. Désillusionnée avant l'heure. Le voile de l'innocence n'a même pas pu couvrir son regard. Désabusée. Abusée. Un jour beau-papa va trop loin. Il voit bien que les coups ne font plus rien. Alors il la coince contre un mur, ouvre sa braguette et laisse tomber son verre de rhum. Les bouts de verre voltigent partout. Gling gling. Ça sonne comme une détonation. Comme un flingue collé à la tempe. Le futal glisse. Pan. Il remonte son pantalon. Satisfaction. Améthyste ne montre aucune émotion. Plus rien ne s'étale sur son visage de porcelaine. Poupée d'albâtre aux milles brisures. Ça se répète souvent. Tout le temps. Mais avec les années, les visites nocturnes s'atténuent. Amé trop grande. Amé trop adulte. Amé n'est plus une enfant, c'est bien moins intéressant.

Comme une lueur. Le conservatoire lui ouvre ses portes. Ballerines aux pieds, Amé détonne sur le parquet. Amé détonne dans les ballets. Elle se fait remarquer. Hypnotique. Amé t'emmène dans son monde mélancolique. Elle te noie dans sa névrose. Elle te consume jusqu'à l'exagération. 

Améthyste, comme un mégot sur du velours.