C’est le départ précipité et affolé d’une cliente après un coup de fil qui a tout déclenché. Interrogations, doutes, crispations soudaines. Si bien qu’elle se retrouva à checker tout internet pour essayer de tirer les choses aux claires. Mais les messages des journaleux laissaient trop de place à la panique. Le climat anxiogène qu’ils provoquaient se propageait déjà dans la rue et c’est son coeur au galop qui suivait le flot. Elle essaya une première fois de joindre Ace, sans succès. Puis dans sa tête défilèrent trop de noms, trop de visages reliés à Tybee Island. Et c’était la première fois qu’elle ressentait le besoin primaire et égoïste de contrôler son monde, savoir où ils étaient, si ils allaient bien, si ils étaient loin de tout ce bordel… Si elle pouvait tirer sur la toile pour les ramener près d’elle, elle le ferait certainement. Mais à la place, elle tourne en rond dans la boutique, le téléphone greffé au bout de ses doigts. Pas d’allers et retours en ligne droite comme quand elle réfléchit, non. Ses pas traçaient littéralement un cercle, comme quand elle se retrouve coincée, frustrée. Prisonnière dans un bocal. Avec l’impression pesante d’être exclue de tout. Et les tonalités résonnant dans le vide à ses oreilles n’aident pas. Ça cogne comme la hâche d’un meurtrier sur sa victime. Allez décroche… Elle prie que le réseau ne se coupe pas brutalement, surchargé. Elle espère que la chance, sa bonne étoile ou peu importe quoi lui laissera au moins atteindre une personne et qu’elle pourra capturer sa voix pour briser le verre. “Caïn ?” Son myocarde se dégonfle comme un ballon de baudruche. Soulagée. “T’es à Tybee ?” Oui bien sûr qu’il y est, évidemment qu’il est au Troisième Oeil, surtout en pleine journée. Mais elle pouvait pas s’empêcher d’avoir eu l’espoir qu’il n’y soit pas cette fois-ci. “Tu te sens bien ? T’es pas malade ?” Elle essaie de retenir sa voix cabossée par l’inquiétude, mais même à travers les ondes, elle sait bien qu’elle peut rien lui cacher. Ou pas pour très longtemps. “Et les autres ? J’ai pas réussi à joindre Robin.” Et Madame, et Chief, et Gavroche et Gengis ? Mais elle sent déjà l’agitation à l’autre bout du fil. C'est plus que ça même. C'est de la détresse. Elle sait. Que dans cette panique ambiante, Caïn fera fît de tout le reste, de lui-même, pour une et une seule personne. Sa biche. Elle n’ose même pas prononcé son nom. “Fais pas de bêtises. J’viens t’aider.”

C’est la sonnerie qui le réveil en sursaut. Sonnerie trop bruyante, qui ne fait que souligner l’atroce migraine qui lui comprime le cerveau. Plus jamais. Et pourtant encore hier soir il avait recommencé. Un verre, puis deux, puis la bouteille. Parce que c’est plus simple, plus drôle. Mais à chaque fois c’est la même rengaine. Putain plus jamais. Tu parles. Il émerge tant bien que mal du canapé et commence à tâtonner autour de lui pour mettre la main sur son téléphone, arrêter la torture. Bingo. « Ouais ? » voix pâteuse, cheveux en vrac, les yeux agressés par la lumière du soleil qui filtre à travers les rideaux. Caïn ? Oh. Serena. Il reconnait sa voix. Même si la tout de suite il a juste envie de raccrocher il sent la petite inquiétude qui perce à travers le combiné. T’es à Tybee ? « Bien sur où veut tu que je sois, il est tôt encore » ou un truc du genre. Pas encore quinze heure. C’est tôt non ? Tu te sens bien ? T’es pas malade ? Il grimace au son de la voix de la jeune femme, soupire. « Jme sens comme une merde, mais ça change pas…j’ai encore trop abusé de la vodka hier » et du whisky, et de la tequila. Mélanges assassins qui aujourd’hui lui donnait envie de crever. Mais à peine a-t-il déjà finit de parler que Serena enchaine, la panique encore plus présente dans sa voix sans que Caïn ne comprenne vraiment. Et les autres ? J’ai pas réussi à joindre Robin «Je sais pas je viens de me réveiller. Il se passe quoi Serena t’as pas l’air bien ? » Il s’étire un peu, se frotte le visage et part à la recherche de son pantalon, histoire de faire bonne figure si un client débarque, puis se dirige vers la cuisine pour commencer à se faire un café. Fais pas de bêtises. J’viens t’aider. « Mais m’aider pour quoi ? Tu parles de quoi p’tain… ? J’ai oublié un truc aujourd’hui ? » Il est perdu, la tête dans le cul et totalement à l’ouest, incapable d’allumer la machine à café il se rabat sur la bouilloire et une des immondes infusions de Chief, le téléphone coincé entre son épaule et son oreille.

Elle n’a pas fait attention aux signes qu’elle a l’habitude d’entendre. La voix plus rauque et lente. L’humeur difficile au bout de chaque mot. Non, cette fois, c’est elle qui a déboulé en lâchant toute sa nervosité, sans se rappeler une seule seconde que Caïn vit à un autre rythme. Peut-être qu’inconsciemment, elle avait cru que son instinct l’aurait assez tourmenté pour le forcer à prendre conscience du monde fourmillant et étourdissant en dehors du Troisième Oeil. Pourtant, la conversation aurait presque pu coller. Serena qui s’inquiète de l’état de santé de Caïn à cause de ses abus alcoolisés, ça n’a rien d’étrange. Mais c’était sans compter sur l’anxiété flanquée sur son accent italien. “Je sais pas je viens de me réveiller. Il se passe quoi Serena t’as pas l’air bien ?” Elle soupire et souffle peut-être un peu trop en se stoppant dans son tournis soucieux. “Quoi ? Mais non mais moi ça va, t’en fais pas.” Réflexe vif. Mais c’est à ce moment qu’elle percute qu’il émerge seulement. Et qu’il ne sait rien du tout. “Mais m’aider pour quoi ? Tu parles de quoi p’tain… ? J’ai oublié un truc aujourd’hui ?” Inspire. Expire. Respire. Va pas falloir le briser sur place. Et va pas falloir qu’il ait l’envie subite de tuer le messager. “Caïn.” Panique pas. Calme les claquettes qui se sont installées dans ses cordes vocales. “Apparemment...” Comme si adoucir sa voix, la laisser à peine effleurer le téléphone, allait réellement camoufler ou minimiser l’impact des mots qui allaient suivre. “Y a un virus mortel à Tybee Island.” Elle déglutit, en sentant la déflagration à l’autre bout des ondes, résonner jusqu’à elle comme l’écho d’un chargeur de mitraillette que l’on vient de vider sur place. “Plus personne ne peut entrer ni sortir de Tybee tellement ça peut être… foudroyant.” Incertaine. Ça se sent qu’elle n’est pas à l’aise avec cette idée de virus fulgurant que les autorités ne parviennent pas à identifier et contrer. “Tout le quartier est en quarantaine, Caïn.” Elle sait pas combien de secondes ont coulé avant qu’elle ne reprenne la parole plus solidement. Mais elle y parvient en enrobant ses mots d’un égoïsme presque autoritaire. “Ne pars pas à sa recherche sans te protéger.” La biche et l’italienne ne lui pardonneront pas si il se met encore plus en danger que d’ordinaire. Ken le sait, mais il a toujours besoin qu’on le lui rappelle.

Il comprend pas tout Caïn, il comprend pas la panique qui transpire du combiné, il comprend pas même pas pourquoi Serena l’appelle à cette heure ci. Il est perdu, fatigué, le regard encore embué par un sommeil pas assez complet. Quoi ? Mais non mais moi ça va, t’en fais pas. Petit soupire de soulagement. Avec Serena c’est toujours la peur, quand elle l’appelle à des heures improbables, que sa voix se fissure, que y a plus du soleil qui semble briller. « Bien » qu’il marmonne vaguement en se grattant la tête, histoire de pas laissez transparaitre qu’il s’inquiétait malgré lui.
Il agit en pilote automatique, grognant à travers le téléphone, ours mal léché qu’il est quand il est bien trop tôt. Caïn. oui, oui, c’est lui. Elle devrait savoir depuis le temps. Apparemment... Il regarde le voyant orange de la bouilloire essayant de se maintenir éveillé, d’écouter ce que lui dit la belle, parce que mine de rien, ça a l’air important. Apparemment. Et y a ce sale goût qui commence à envahir sa bouche. Y a un virus mortel à Tybee Island. Et la tasse qui lui échappe des mains. « Merde » il fixe les éclats de porcelaine éparpillés au sol et la première chose qu’il arrive à prononcer c’est « je viens de péter la tasse préférée de Bambi » et le cœur qui s’emballe soudain, beaucoup trop vite. Bambi. Et le lit vide. Plus personne ne peut entrer ni sortir de Tybee tellement ça peut être… foudroyant. Foudroyant comment ? Du genre en une heure t’es crevé sur le pavé ? Il éteint consciencieusement la bouilloire et se baisse pour commencer à ramasser les débris, téléphone toujours collé à l’oreille. Tout le quartier est en quarantaine, Caïn. Y compris le Troisième Œil donc. Est-ce qu’ils sont au courant ? Est-ce que Madame sait ? Il n’ose pas imaginer l’état de la femme. « T’es où ? » sa voix se fait pressante, il veut savoir, si elle va y échapper. « T’es où Serena putain ? » Parce qu’avec sa constitution elle fait une cible si facile. Alors que lui, la Mort, il l’a gravé dans la peau, comme un talisman, pour la repousser. Ne pars pas à sa recherche sans te protéger « T’en fais pas pour moi bella, les virus ils m’ont jamais aimé, j’ai un système immunitaire de coffre fort » qu’il essaye de répondre, sourire coincé dans la gorge. Il se redresse, pose la tasse brisée sur la table et sors de la cuisine à la recherche du reste de la bande pour savoir où se trouvent les autres. « Serena fais pas de connerie d’accord ? C’est pas le bon moment pour jouer les invincibles d’accord ? » c’est drôle qu’il dise ça alors qu’il vient de balancer le contraire quand ça le concernait lui. Mais lui c’est différent. « Merde Serena…Merde quoi… » ouais. Merde. Vraiment merde. Parce qu’il veut pas les voir crever. Il refuse. Il pourra pas supporter.

“T’en fais pas pour moi bella, les virus ils m’ont jamais aimé, j’ai un système immunitaire de coffre fort.” Malheureusement, ton coeur, il est pas d’dans. Vous avez vu comment il s’inquiète pour tout le monde et même pour elle alors que c’est elle qui appelle ? He runs at life full speed and heart first. “Serena fais pas de connerie d’accord ? C’est pas le bon moment pour jouer les invincibles d’accord ?” Elle fronce les sourcils, elle comprend pas ce qu’il veut dire par là. D’ailleurs, il est plutôt gonflé d’inverser la situation. Des deux, c’est peut-être bien lui le plus enclin à faire des conneries. Ou alors ils sont ex-aequo, mais bref.  “Merde Serena… Merde quoi…” Ça devrait pas être un mantra ça, mais ça colle trop bien. L’italienne souffle comme pour acquiescer. “Écoute, j’suis à la boutique, loin de Tybee. Y a des barrages partout, j’peux rien faire même si j’en crève d’envie.” Elle sait bien que c’est pas une guerrière qui va aller escalader les barricades pour passer coûte que coûte. Serena est censée mettre des fleurs dans des armes en temps de guerre. Et à l’heure des virus, c’est vrai que c’est certainement elle qui cramerait de l’intérieur en premier. Mais y a tellement de monde coincé là-bas. Tellement de gens qu’elle connaît. Que la frustration sait conduire à la bêtise. “Mais j’t’interdis de me faire la leçon parce que j’te connais aussi. Merde !” Le carillon l’aura peut-être trahi ou alors la porte qui claque malgré tout. Mais il devrait savoir que quand le feu vert sera donné, ça sera la première à franchir la quarantaine pour les retrouver. Lui et tous ceux du Troisième Oeil. Et elle sait que c’est la même chose pour Caïn. Qu’il ressent la même chose pour tout ce petit monde, fois mille. Que y a Bambi dans l’équation, qui doit passer toujours d’abord, surtout avant lui. Et qu’importe ce que Serena dira, ça ne changera rien. Caïn sortira la chercher pour la protéger. Et Serena arrivera après la bataille pour s’assurer que tout le monde est vivant. Parce que ce qui t’es précieux m’est précieux aussi. Ou peut-être qu’on se ressemble plus qu’on ne le croit. “Vas-y Caïn, mais sois prudent pour une fois.”

Il voudrait arrêter le temps, pouvoir les sauver toutes, ces gosses qu’il attire sans vraiment comprendre comment. Il voudrait arrêter le temps, foutre Bambi sous son bras et revenir aussi sec pour mettre Serena en sécurité. Dans les couloirs personne n’est là, pas même Madame et dans son ventre ça se tord, ça se crispe. Écoute, j’suis à la boutique, loin de Tybee. Y a des barrages partout, j’peux rien faire même si j’en crève d’envie. Bien. Bien. Tant mieux. Qu’elle ne sorte pas de là. Surtout pas. Il enfile ses chaussures d’une main, le dos posé contre le mur avant de répondre à son amie « tu reste dans la boutique s’il te plait et tu ferme les fenêtre et les rideaux. Les gens vont surement profiter du chaos pour faire n’importe quoi » casser les vitrines, voler les magasins. Il connait le chaos Caïn, il ne le connait que trop bien. Le pire dans tout ça c’est qu’il sait que Serena serait capable de sortir, de faire la fière, et de se retrouver face à plus grand qu’elle. Et ça le bouffe. Il est tiraillé entre ses choix, entre Bambi et Serena. Mais au moins Serena est enfermée, tandis que Bambi gambade surement en liberté. Merde. Son poing qui rencontre le mur dans un bruit mat. Mais j’t’interdis de me faire la leçon parce que j’te connais aussi. Merde ! Elle a la flamme Serena. Une des choses qu’il aime tant chez elle, ce feu qui brûle dans son ventre, dans son âme. Ca l’apaise, un peu. « Tu reste enfermée Serena, je déconne pas. Et je te fais la morale si je veux, je suis plus grand, tu m’écoute. Pour une fois que c’est utile ces conneries » mais il sait que ça sert à rien, que Serena partira dès qu’elle le pourra. Il la connait putain. Il la connait si bien. Et ça le désespère. Vas-y Caïn, mais sois prudent pour une fois. Le feu vert est donné, il hoche la tête et termine d’enfiler ses chaussures avant de se rendre de nouveau dans la cuisine pour griffonner un mot à Oz. « Je suis toujours prudent Bella. Tu me connais non ? » Putain. C’est ridicule, c’est stupide, c’est une mauvaise prédiction qui tourne à la réalité. Merde, merde, merde. Et rien que là il voudrait que la magie existe, et pas juste des faux semblants.

Les yeux qui roulent au ciel quand il lui dit de se cloisonner. Elle sait très bien qu’il voudrait probablement enfermer Bambi à double-tour pour la garder en toute sécurité et rien que pour lui. Elle le connaît. Mais c’est vrai qu’elle n’avait pas pensé à la boutique, aux bris et aux vols. Elle a même jeté un coup d’oeil en arrière sur ses biens lorsqu’elle a suivi le fil de ses pensées. Mais ce n’est que matériel tout ça. Elle s’en fout. Qu’ils cassent et qu’ils volent. Elle rafistolera Serena. Tu reste enfermée Serena, je déconne pas. Et je te fais la morale si je veux, je suis plus grand, tu m’écoute. Pour une fois que c’est utile ces conneries. Elle fronce les cils. Décidément, depuis quand ils se contrarient ces deux-là ? T’es pas mon frère. Qu’elle a eu envie de rétorquer. Ou Ace et sa surprotection. Remarque, ils se valent bien ces deux-là. Et ça radoucit instantanément son coeur enflammée rien qu’à cette idée. Sa p’tite faiblesse pour lui, elle est là, elle fond comme du sucre dans un des thés trop chauds de Madame. Ça se joue du côté du plexus solaire. Ça picote et vibre -tout ça à la fois- pile à gauche dans sa cage d’os. Allez qu’il rejoigne sa belle. Elle en a besoin et lui aussi. Peut-être même plus qu’elle. Serena a toujours pensé que Caïn en était conscient de cette dépendance mais refusait peut-être un peu trop de l’avouer haut et fort. Pourtant, qu'est-ce qu'il y avait de mal à ça ? Il devrait savoir depuis le temps, qu'il pouvait tout lui dire, tout lui montrer :
elle accepterait sans juger. Je suis toujours prudent Bella. Tu me connais non ? Elle se fige un instant alors qu’elle cherchait ses clés de voiture, toujours perdues au fond du sac n’est-ce pas. Et elle s’oblige à ravaler certains mots, mais en lâche malheureusement d’autres. “Je te connais oui.” C’est dit tendrement. “Mens-moi mieux que ça et dis-moi que tu m’aimes aussi.” Tant qu'on y est. C’est dit calmement. Sans amertume. Mais avec l’enrobage d’une certaine nostalgie et d'un fragment de peur. Le frisson d'une autre vie et d'autres âges peut-être. “Fais juste de ton mieux Caïn...” Because homesick for people is a real thing and i’ll suffer from it if anything would happen to you.