Et d'un coup, ça te prend, t'ouvres les yeux. T'es prête, ça y est, prête à te réveiller. T'ouvres les yeux, et t'es incapable de savoir où tu te trouves. Les murs sont blancs, un bip régulier sonne à tes côtés, mais toi, tu sais pas ce que tu fais là. La pièce est vide, vide de tout, vide de vie. T'es seule. T'essayes de connecter tout, dans ton cerveau, t'essayes de te rappeler qui tu es, t'essayes de te rappeler ce que tu fais là, qu'est-ce qu'il t'es arrivé. Mais avant que tu n'y parviennes, une dame en blouse blanche entre dans la pièce, un bloc dans les mains et la tête perdue dans sa lecture. Quand elle lève les yeux vers toi, elle sursaute, s'attendait pas à ce que tu sois réveillée. Toi, tu mord ta lèvre, réflexe nerveux dont t'as même pas conscience. Elle te parle, te demande comment tu te sens, t'appelles "madame Martyka", et tu sais pas, tu comprend pas. Tes sourcils se froncent, alors qu'elle sort une petite lampe torche pour vérifier tes signes vitaux. T'es aveuglée pendant quelques secondes, et tu secoues la tête pour te remettre les idées en place. Et finalement, ta voix, rauque de n'avoir pas parlé pendant quelques temps, se fait entendre dans la pièce. T'en es la première surprise, d'ailleurs.


Alors elle t'explique tout. T'es à l'hôpital, t'as eu un accident. Rien de grave, ta vie n'était pas en jeu, mais t'as passé quelques jours à dormir. Ils t'ont placés dans un coma artificiel, c'était plus simple. Tu comprend pas tout ce qu'elle te dit, ça te semble pas réel, t'as l'impression d'être dans un film, peut-être qu'une caméra va sortir quelque part, peut-être qu'on va t'annoncer que tu as gagner un chèque. La dernière chose dont tu te rappelles, c'est l'anniversaire de tes 18 ans. Après ça, c'est le trou noir. Il a dû se passer quelque chose, ce soir-là, quelque chose qui t'a amené à être ici, aujourd'hui. Et puis on te demande la date du jour, le mois, l'année. Le jour exact, on s'en fiche. Mais l'infirmière doit voir qu'il se passe quelque chose, ou peut-être que c'est juste son travail, et que c'est comme ça que ça doit se passer, quand on se réveille d'un coma artificiel. Toujours est-il que tu répond, on est en 2008, probablement en avril. Alors il y a un branle-bas de combat suite à cette annonce, l'infirmière qui va chercher le médecin référent à ton état, et un garçon, la trentaine, blond, qui rentre dans la pièce, un café dans les mains. Quand il te voit réveiller, il est heureux, véritablement heureux, et tu peux le voir dans ses yeux. C'est bébé, et c'est la première fois que tu le rencontres. Enfin, c'est ce que tu crois. Puis on t'expliquera, on t'expliquera qu'on est en 2016, en décembre en réalité, et que t'as eu un accident de voiture. On t'expliquera que tout va bien, mais que t'as eu un trauma crânien, et c'est ce qui cause la perte de ta mémoire. Et toi, tu te souviens pas, tu comprend pas, t'as oublié presque dix ans de ta vie, et même avant tes dix-huit ans, certains souvenirs sont flous, comme crypté. Tu te souviens pas de bébé, t'as aucune idée de qui il est. Lui, il prétend être ton petit-ami, ton fiancé même, il te parle de souvenir qui ne t'évoque rien. Quand il signe les papiers pour ta sortie, l'une des premières choses que tu vas faire, c'est fuir Chicago. Tu rejoins Savannah, qui te semble le meilleur choix, la meilleure option. Loin de tout ceux qui t'ont connu, loin de tout ceux qui cherchent à te rappeler qui tu es. Tu changes de nom, devient Felix Litchfield, et tu penses pouvoir être tranquille, maintenant. Pas que tu l'ai pas été avant, mais c'est gênant, de voir tous ces regards sur ta personne, toutes ces personnes qui essayent de faire que tu te souviennes.