Il y a les affres de d’habitude qui se répètent tellement qu’ils finissent par en perdre leur sens. Nora qui fait les mêmes gestes, encore et encore. Nora qui se perd dans la colère, encore et toujours. Ce soir, c’est pour une raison pas moins valable que le reste du temps : les causes sont multiples, jamais déraisonnées à tes yeux. Des clients trop abrupts. Des regards mal placés, des commentaires dont tu te serais bien passée. Même en cette période de l’année, ils préfèrent venir ici et te donner du fil à retordre plutôt que de profiter de leurs proches. Au fond, t’es même pas certaines qu’ils en aient : s’ils sont ici, c’est qu’ils sont comme toi, comme vous tous. Famille de dégénérés. Seuls. A chercher quelque chose qu’ils ne trouveront probablement jamais, à se réconforter au fond d’un verre trop vite vidé. Alors comme chaque soir, t’espère voir arriver l’heure de la fermeture un peu plus tôt. T’espères t’enfoncer dans le vent et dans le froid plutôt que de rester moisir ici, pour ne pas rester coincée avec ces gens qui ne t’inspirent que du dégoût. Mais c’est comme ça nora, t’as pas le choix. Parce qu’il faut bien aider ton abruti de frère et son connard de pote, parce qu’il faut bien gagner sa misérable vie quelque part, en faisant quelque chose. Et ce bar, c’est une histoire de famille. Une histoire d’union, et de soutien. Tu peux pas vraiment les laisser tomber, même si t’en meurs d’envie. Parce que dans ce bar y a une partie de toi, aussi infime soit-elle. Alors tu ne rêves que de pouvoir t’en débarrasser même si tu sais déjà que tu serais pas vraiment capable de les quitter. Tu te contentes de râler et de lancer des regards noirs à tout ce qui bouge. Un peu comme tu t’apprêtes à le faire ici, quand tu te retournes vers le bar pour retourner à ta besogne. Et puis tu la vois. Mia. Et c’est comme si la colère s’apaisait soudainement. Comme si elle était capable de s’envoler en une fraction de seconde. Partir le temps d’une présence éphémère pour mieux revenir. Y a le sourire qui ne se fait pas, parce que nora, tu souries pas. Tu souries jamais, tu sais pas comment faire. Pourtant y a le cœur qui s’agite d’une furie nouvelle et l’esprit embrumé de souvenirs presque effacés. mia, souffle presque trop doux alors qu’elle avant jusqu’à toi, qu’elle demande un verre comme si rien n’était. c’est pas un endroit pour toi. ni pour toi ni pour elle. Surtout pas maintenant, où les âmes solitaires se retrouvent esseulées. Volonté déraisonnée de vouloir la repousser, encore et encore. Parce que mia, elle est pas comme toi. elle est tout l’inverse. Mia, c’est toute la douceur dont tu sais pas faire preuve. Toute la beauté dont tu seras jamais dotée. T’es reine du bas monde quand elle est reine de toute le reste. Mia, elle appartient pas à ce monde, encore moins avec toi. et pourtant, là, alors qu’elle est en face de toi, t’es pas capable de lui dire de rentrer chez elle. Pas capable de lui dire que tu préférerais qu’elle ne soit pas là. Parce que secrètement, nora, t’aimerais bien qu’elle reste un peu plus longtemps. Et peut-être même qu’elle ne cesse de s’en aller. qu’est-ce que tu viens chercher ici que t'as pas pu trouver ailleurs ? y a le verre que tu lui tends, le regard qui dévie difficilement du visage angélique. Mia, elle devrait pas être ici. Elle devrait être avec ses parents, avec tous ses amis, avec tous ceux qui l’aiment, t’es bien certaine qu’ils sont nombreux. Les réponses que t’essayes de deviner avant même qu’elle ne te les serve. La douceur que tu lis dans ses traits et qui en annihile tous tes sens. ah, nora, dans quoi est-ce tu t’embarques ?