rues pavées qui font claquer les talonnettes des boots de cuir de la gamine à la chevelure de jais. le palpitant semble prendre le rythme de la musique qui s’évade des fenêtres entrouvertes et des portes menant aux clubs et autres boîtes de nuit. une clope au bec, reed se dirige dans les ruelles sombres de river street avec l’assurance d’une native des environs. pourtant, dans ses yeux d’un bleu océan, c’est pas l’amérique qui gueule son appartenance. c’est la douceur et la candeur d’une france lointaine qui agrippe l’épiderme de la jolie lagoon, la fait sienne dans une emprise glacée et glaciale.
les doigts refroidis par une température avoisinant les négatifs, elle tripote le métal familier de son zippo bon marché et quelque peu déglingué. elle arrive rapidement aux portes fermées d’un club où elle passe la plupart de ses soirées depuis quelques années. un regard pénétrant et quelques palabres savamment choisies, marionnettiste improvisée, elle pénètre dans l’antre des loups à la gueule béante. quelques secondes lui sont nécessaires pour que ses yeux s’habituent à l’obscurité de cet endroit où elle traîne sa carcasse décharnée avec impatience et avidité ; les podiums voient quelques courbes généreuses s’évertuer à danser, porcs suintant le désir et la lubricité qui ne récoltent qu’une œillade dégoûtée de la part de princesse désabusée.
les opales étrécies à la recherche du joyau de ses envies, reed ne tarde pas à repérer la tignasse ensoleillée qui commençait lentement à lui manquer. démarche féline qui est la sienne alors qu’elle s’approche lentement d’une nadja ravissante. « salut. » elle ronronne près de son oreille, espérant la surprendre. « j’espère que tu as un peu de temps à m’accorder ce soir. » elle ajoute, possessivité incontrôlée qui prend possession de son corps en apercevant un mâle intéressé. « ça te dit d’aller faire un tour ? » elle demande, question qui n’en est pas réellement une pourtant. et la tigresse ressort, la lionne s’approche de l’homme qui ne cesse de fixer nadja de son regard concupiscent. elle s’arrête à quelques mètres de lui, grognement sourd s’échappant de sa gorge alors qu’elle se penche pour lui murmurer quelques mots à l’oreille. instantanément, l’homme se fige pour finalement se lever et s’en aller plus loin. un sourire carnassier se dessine lentement sur les lippes de l’égoïste qui se retourne vers la fille de la nuit, disparaissant peu à peu alors qu’elle contemple son minois. alors reed dévore les quelques centimètres qui les sépare pour passer le dos de sa main sur la joue nacrée de la poupée. un zeste d’affection lui permettant d’assurer à nadja qu’elle lui a manqué, mais pas trop pour ne pas éveiller les soupçons des chiens de gardes. reed, elle a parfaitement conscience des risques qu’elle encourt, et plus encore de ceux qui pèsent sur son joyau. sauf que la française, elle aime les frissons, elle aime sentir l’adrénaline qui parcourt et échauffe ses veines… et surtout, ce soir, y’a son myocarde qui fond à l’idée de pouvoir passer quelques instants supplémentaires en compagnie de la blonde.
lou, c’est clairement pas le genre de fille à s’attacher… pourtant, pour voir apparaître un sourire sur les lippes de la gamine déchue, lou, elle pourrait sans doute tuer. c’est pas de l’amour qu’elle ressent, c’est une fascination indécente. c’est une amitié améliorée, une amitié biaisée, un maelstrom de sentiments décadents et indéchiffrables qu’elle ne saurait expliquer. lou, elle veut juste voir briller un peu de bonheur dans les opales de cristal de nadja durant quelques heures… tout, plutôt que les heurts.

en arrivant dans cet endroit qu’elle connait par cœur, avec la silhouette gracieuse et délicieuse de la jolie nadja en ligne de mire, reed a l’impression de revivre. c’est une grande goulée d’air qu’elle prend, toxicomane en manque de sa coke, gamine perdue dans un désert aride trouvant enfin son oasis. longue chevelure blonde qui descend presque jusqu’à ses reins, possessivité animale qui s’empare de la brune en voyant l’homme bedonnant qui tente de rafler la mise. ce soir, la princesse héritière de molière n’est pas prête à céder son joyau. « toujours, pour toi. » palpitant qui s’affale langoureusement dans la cage thoracique, muscle fondu face aux phrases doucereuses qui viennent le caresser avec une délicatesse encore inconnue. et ces palabres qui s’échappent de ses lippes rosées, ce charme de l’est qui émane de tout ce corps frêle… reed, elle n’aime pas spécialement les femmes. reed, elle n’aime pas spécialement tout court. elle ne sait en réalité même pas ce qu’elle ressent pour nadja, mais ce qu’elle sait en revanche c’est que l’étoile parvient à la dompter en quelques œillades. « tu vas faire fuir toute ma clientèle. » ce rire qui résonne, cristallin, mélodie des anges qui vient titiller les oreilles pures d’une reed avide de davantage de plaisir. « parce que ça te dérangerait ? » elle ronronne, avant d’ajouter. « c’est vrai que c’est tellement plus agréable d’être tripotée par des mains qui font dix fois la taille de tes hanches… et qui sont dix fois plus gasses. » elle pouffe, minaude. pourtant, y’a une certaine froideur qui traîne sa carcasse au fond de la voix chaude. y’a la violence qui pointe le bout de son nez, sourire carnassier qui se cache sous les caresses de ses mots. y’a ses bas instincts qui se réveillent, son envie de tuer pour qu’elle lui appartienne. pourtant, elle est presque sûre, la lagoon, de ne pas ressentir d’amour. l’amour, ça transporte, ça emporte, mais ça ne peut pas donner ce genre d’envies meurtrières. l’amour, c’est beau, c’est fluide, c’est doux. entre reed et nadja, y’a que le monde de la nuit qui les aspire, y’a que les vices qui les rapprochent… et ces moments de bonheur qu’elles partagent momentanément, nouveau souffle qui les prend. « un tour ? où est-ce que tu m’emmènes ? » sourire énigmatique qui fleurit sur la bouche pleine de reed, loup s’apprêtant à dévorer sa proie. clin d’œil à l’appui, elle rétorque avec un grand sourire. « tu verras bien. » si reed ne s’épanche pas en de plus longues paroles, c’est avant tout par jeu. elle veut se délecter de l’impatience de nadja, de son imaginaire loufoque. « il faut passer voir anton, avant. » grognement sourd remonte de sa gorge. anton, reed l’a déjà croisé plusieurs fois, mais toujours avec dégoût. si elle apprécie de pouvoir avoir nadja autant qu’elle le souhaite, elle est pourtant révoltée que des êtres humains puissent être traités de la sorte… avec une telle indifférence, une telle nonchalance. « puisqu’il le faut… » elle soupire, passant une main rapide dans sa tignasse brune pour se donner contenance. s’il savait, ce salaud, tout les mots que reed retient et qui lui siéraient si bien. une petite dizaine de mots fleuris lui passent par la tête alors qu’elle avance, tête haute, vers le gardien de la bergerie. dans sa caboche fantaisiste trône un majeur bien levé qu’elle lui adresse alors que ses prunelles le fusillent discrètement – elle tient à la vie un minimum. « je vous emprunte nadja pour la soirée. » phrase sans appel, ordre proféré d’une voix assuré. elle ne demande pas reed, jamais. elle exige, et ce qu’elle souhaite ce soir, c’est la tchèque. elle tend sa carte seven royal avec cet air arrogant qui ne la quitte jamais, attrape la main de son adorée pour l’emmener à l’air frais. « enfin seules. » elle ronronne, passant une main sous les hanches de la nymphe. à voix basse, elle ajoute. « ce mec me donne des boutons. il a une telle gueule d’enculé… » mâchoires crispées, elle soupire longuement avant de lentement desserrer les dents. les doigts emmêlés à ceux, bien vite refroidis, d’une nadja à la beauté endormie, reed s’élance avec impatience dans les rues de savannah à la recherche de sa décapotable nouvellement acquise. elle lui ouvre la porte, parfaite gentleman (de toutes façons, les meilleurs compagnons pour les femmes ne sont pas les hommes… il n’y a qu’une femme pour savoir ce que veut une autre femme) avant de s’installer au volant. « nos petites virées m’avaient manqué. » elle avoue, les yeux déjà rivés sur la route alors qu’elle s’installe confortablement sur le siège en cuir. « ça fait combien de temps qu’on ne s’est pas vues ? » elle demande, curiosité mal placée alors qu’elle tente de se persuader que leurs escapades nocturnes importent autant pour l’une que pour l’autre.

souffle froid d’un hiver encore trop présent qui vient lui griffer le visage, fouetter son minois à la peau claire d’une chevelure d’ébène épaisse. mais reed, elle s’en fiche totalement de l’air frais qui s’insinue sous ses vêtements pour frôler sa peau, insidieusement, comme un serpent. reed, tout ce qu’elle voit, c’est la proximité de mèches blondes qui volètent sous les brises fraîches, les prunelles claires qu’elle se plaît à chercher dans l’obscurité. nadja, c’est la poupée à la peau de pêche qui fascine, qui aliène, qui soumet. d’un battement de cils, reed s’est retrouvée piégée de ses doigts enchantés… et depuis, la brune n’a de cesse de la réclamer. nadja et ses courbes efféminées, nadja et ses danses lascives qui, son cœur, l’ont fait s’envoler. elle se persuade qu’elle n’est pas amourachée, lou, mais y’a bien le palpitant affaibli dès qu’elle pose son regard alangui. quand les opales se croisent dans une danse langoureuse, y’a l’esprit qui s’éteint pour laisser le pilote automatique au myocarde maladroit qui ignore comment s’exprimer… et qui souvent abdique.
comme maintenant, quand elle se retrouve attirée comme une luciole vers une lumière en direction de nadja. comme maintenant, quand son index agrémenté d’un ongle rond vient se poser sur ses lippes rosées. comme maintenant, quand la menace pèse au-dessus des deux corps frêles, quand la fille de l’est se retrouve trop proche et trop éloignée. et reed qui meurt d’envie de l’étreindre davantage, de la kidnapper pendant quelques soirées ou jusqu’à ce que les étoiles s’éteignent, affamées par un soleil dictatorial qui reviendra prendre les reines. et reed qui s’imagine chevauchant la voie lactée, nadja à ses côtés. et reed qui tente de maîtriser ses élans effrénés, muselant un romantisme loin d’être approprié. pourtant, le baiser volé à la dérobée réveille la louve entassée au fond de son estomac, qui s’étire lentement pour mieux la terrasser. lou, elle a envie de plus qu’un baiser éphémère, aussi doux et aussi court qu’un papillon. lou, elle a cette bestialité primitive qui se relève, créant des sillons de douleur dans ses muscles étirés. mais elle se restreint, pressée de quitter cette obscurité, cette ambiance viciée de ce club adoré pour la présence de nadja, nouvelle déité. elle s’élance vers la voiture qui l’attend, pour mieux se caler dans les sièges de cuir. ce soir, il se pourrait que reed ait décidé d’emprunter la voiture familiale que garde antoine, son chauffeur… et qu’elle n’ait pas franchement demandé son avis. mais après tout, qu’importe : c’est la sienne. alors elle caresse le cuir du volant avant de demander la durée ayant séparé leurs entretiens réguliers. « trop longtemps. » elle entend la voix douce de nadja s’exprimer. et au fond, quelle idée… parce que ça ne fait que réveiller le fauve qui gronde dans son ventre plat, qui fait le gros dos d’être ainsi piégé. alors plutôt que de rétorquer une quelconque palabre qui n’améliorerait en rien la situation, reed vient flirter avec le levier de vitesse pour faire s’élancer la berline dans la nuit. constellations d’étoiles blanches qui manquent de tomber devant le pare-brise. et les doigts de la jolie blonde qui reviennent l’échauffer alors qu’elle crispe légèrement les mâchoires, désir cuisant qui carbonise son être. « j’avais fini par croire que tu avais jeté ton dévolu sur quelqu’un d’autre. » reed, elle lui adresse un regard rapide, et y’a son palpitant qui se fait encore davantage malmener en voyant l’expression triste de la nymphe. « comment pourrais-je ? » elle demande, véritablement interloquée. « t’es toujours dans un coin de ma tête, nadja. tes longues boucles blondes, tes grands yeux clairs, ta bouche… je serais folle d’en préférer d’autres à toi. » elle clame, ronronnements métaphoriques à l’appui. sa voix se fait douce, caressante, et trahit une envie certaine qu’elle réfrène. alors elle accueille la question de la déité avec soulagement, reportant toute son attention sur la route goudronnée qui disparaît sous les pneus caoutchoutés. « tu ne veux toujours pas me dire où on va ? » elle rit un instant avant de lui adresser une œillade amusée. « non, toujours pas. » elle lâche, réduisant un peu sa vitesse pour adresser un regard provocateur à la jolie blonde, haussement de sourcils à l’appui. « ce ne serait pas une surprise sinon. » elle ajoute avant de questionner à son tour, intéressée : « pourquoi, il y a un endroit que tu aimerais visiter ? ce soir, je suis toute à toi. » et dans sa tête, dans son cœur, elle ne peut pas s’empêcher d’ajouter un « comme toujours. » alors que ses opales s’attardent quelques secondes sur les courbes de son visage. reed, elle estime nadja en tant que personne. si elle est belle à se damner, succube malmenant ses envies, poussant aux crimes et aux vices, reed elle veut nadja parce qu’elle est nadja. « je vais peut-être devoir forcer la confession. » hoquet de surprise qui s’échappe de ses lippes entrouvertes dès lors qu’elle sent les lèvres froides mais brûlantes de nadja contre son oreille. elle manque de dévier quelques instants de la route, ce qui la pousse à adresser un regard impérieux à la danseuse, autorité brillant dans ses prunelles issues de la haute société. « nadja… ne me tente pas. » grondement sourd et presque animal qui s’échappe de sa bouche alors qu’elle crispe un peu plus les mains sur le volant. « tu es belle à croquer, et nous savons toutes les deux que j’aime à devenir le grand méchant loup… » elle ajoute, voix basse et aggravée par le désir qui embrume ses sens. alors elle fait preuve d’un grand self-control en secouant lentement la tête pour demander, réfrénant les affres du plaisir loin de son corps-élixir. « tu ne voudrais pas manquer ta surprise, quand même… ? » rire léger et un peu gauche qu’elle laisse s’échapper, opales voilées par des envies peu catholiques qui dansent dans son esprit avec la même grâce qu’une nadja endormie. elle préférerait laisser tomber ses plans pour la découvrir une fois de plus, l’aimer le temps d’une soirée, embras(s)er sa peau, la toucher… mais reed tient à considérer nadja comme un être à part entière et à bousculer son quotidien défoncé. alors ce soir, elle refuse de la payer pour l’aimer avec son corps et ses baisers enfiévrés, combien même ce pari s’avère dangereux, risqué et compliqué.

nadja et ses grands yeux bleus, nadja et ses mirettes d’où coulent quelques millions d’étoile. nadja, elle a ce charme particulier qui ferait bondir le palpitant des poitrines en un battement de cils… c’est pas ses origines ni son accent qui roule légèrement les « r », leur donnant un aspect incroyablement mignon, mais plutôt sa douceur, sa tendresse, ses longues boucles blondes, sa bouche en cœur. c’est nadja, un point c’est tout. et reed, y’a peu d’choses qui lui importent plus que d’être là pour elle. de la faire sortir, de la faire s’évader, de la faire s’amuser. de lui apporter un peu de joie, en espérant secrètement et égoïstement d’être la seule dans ce cas-là. parce que si reed est une éternelle insatisfaite, elle n’imagine pas être un jour lassée de la jolie tchèque. comment le pourrait-elle seulement ? nadja, le diamant brut, si joli à l’extérieur et si brisé à l’intérieur. reed, si elle pouvait, elle résoudrait ce puzzle ô combien difficile. elle chercherait chaque pièce indépendante, jusqu’à s’en écorcher les mains, pour les rassembler et faire apparaître un sourire permanent sur ses jolies lèvres qu’elle brûle d’embrasser. nadja, c’est un mystère aux yeux de la brune, curieuse de connaître ses failles, ses défauts, autant que le nombre incalculable de ses qualités. reed, elle aimerait tout connaître de la blonde, même ses facettes les plus sombres… c’est peut-être ça qu’on appelle l’amour ? lou, elle a jamais vraiment su. en tout cas, c’est peut-être bien nadja son âme-sœur. parce qu’elles sont indéniablement liées, les deux gamines : nadja lui apporte calme et sérénité tandis que reed tente de lui permettre de se changer les idées. « tant mieux, parce que tu es celle que je préfère. » le palpitant qui décolle, dégringole, commence un grand huit qui lui est seul accessible. et reed, elle a beau s’être promis de faire taire et d’assassiner ses envies primaires en ce soir dénué d’astre solaire, y’a toujours la tentation avec laquelle s’amuse à jouer la jolie weiss. corde qui se tend à l’infini, s’immole par les deux bouts pour qu’il ne demeure plus qu’un infime morceau qui résiste aux flammèches qui le lèchent avec avidité.
et pourtant… y’a un peu de déception qui grignote le palpitant de la jolie brune quand nadja s’écarte, cesse de la taquiner de son souffle chaud et de ses baisers-papillons brûlants d’un désir ardent, d’une tension électrique qui subsiste entre les deux amantes. amies, confidentes, amantes, âmes-sœurs, reed et nadja ne cessent de voguer à la surface d’une relation sans nom, effleurant juste assez la surface de l’eau pour la rendre palpitante, excitante, interdite, dangereuse, ambiguë. alors lou s’autorise un regard rapide vers sa muse, sa nymphe, sa déité pour admirer les courbes de son visage alors que la lune frappe son épiderme par à-coups. avec sa lumière éthérée, éphémère, fantomatique, nadja devient l’illusion d’une forme floue qui s’échapperait entre ses doigts si elle ne s’y accrochait pas. alors reed lâche d’une main le volant, s’y cramponnant fermement de sa main gauche pour venir attraper le bout du tissu voletant de sa robe, s’attardant quelques instants du bout des doigts sur la cuisse en dessous. et c’est sa chaleur qui parvient à la rassurer. quelques instants avant que reed ne reporte ses prunelles sur la route qu’avale la berline, y’a un masque de peur pure qui englobe son minois. je crois que ça ne me dérangerait pas de rouler toute la nuit sous un ciel pareil. elle sourit quelques instants, un sourire à moitié dévoré par l’effroi passé. « je crois que ça ne me dérangerait pas de rouler toute la nuit avec toi. » pensée à peine entamée qu’elle s’évade de ses lippes entrouvertes, encore choquées. alors y’a ses joues qui prennent une petite teinte rosée, comme si elle assumait pas ses dires déjà. reed, elle a jamais été du genre à mettre un mot, une étiquette sur ses relations… mais là, ça la bouffe un peu de pas savoir catégoriser leur liaison. avec nadja, elle ressent la peur : celle de dire le mauvais mot au mauvais moment, d’en dire trop, pas assez. avec nadja, c’est l’inconstance, c’est les erreurs, les maladresses… loin de ce qu’elle fait lorsqu’elles ne sont pas ensemble, sous la voie lactée. […] est-ce qu’on y est bientôt ? plongée dans ses pensées, reed n’entend que la fin de la palabre de la jolie fille de l’est. elle hoche la tête, arrête la voiture dans un léger crissement de pneus et quitte la bagnole d’un noir de jais pour en faire le tour et lui ouvrir la portière, l’amenant à l’un de ces restaurants de fast-food dégueulasse où les calories s’amoncèlent autant que les kilos à venir. « surprise ? » elle murmure en riant. c’est pas dans ce genre d’endroit que reed aimerait l’emmener, mais plutôt dans des endroits fastueux avec des buffets à volonté où elles pourraient passer leur soirée à discuter, à rigoler, et où reed pourrait tenter de l’engraisser. parce que y’a de l’inquiétude, un peu, sur ses traits quand nadja laisse apercevoir son épiderme où saillent ses os, ses côtes, la vie qui s’essouffle. elle lui attrape la main comme plus tôt dans la soirée pour l’amener dans ce resto qui n’en a que le nom, où une orgie d’odeurs toutes plus grasses les unes que les autres agressent ses narines. et instantanément, y’a la reed gamine qui revient à la surface, mange son visage d’un sourire qui termine au niveau de ses oreilles alors qu’elle s’installe sur les banquettes rouges, prête à manger jusqu’à exploser. « la malbouffe y’a qu’ça de vrai. » elle ronronne. « et puis à c’t’heure-là, y’a que ça d’ouvert. » elle lâche avec un clin d’œil alors qu’elle se positionne en face de nadja, sans jamais lâcher sa main. « j’ai envie de parler. de tout, de rien, de toi, de ce que tu aimes… » elle ajoute, se mordillant ensuite nerveusement la lèvre inférieure pour terminer : « d’apprendre à te connaître. vraiment. » elle insiste sur le dernier mot. parce que si elle estime nadja comme une amie, comme une meilleure amie même, elle ne connaît que trop peu la jolie blonde. de toute façon, reed ne sera jamais rassasiée à son propos… mais ce serait déjà un bon début que d’en apprendre un peu plus, même si nadja protège toutes ses informations personnelles avec un cadenas blindé.

reed, elle pense pas souvent aux différences qui créent un écart, gouffre ancestral, entre elles deux. nadja, fille de la nuit, vamp qui attise les désirs et s’empare des âmes en un battement de cils. nadja, poupée de porcelaine trop fragile qui manque d’être brisée, les poings liés à un métier qu’elle n’a sans doute pas désiré. et les étoffes lissées, souples, délitées qui tombent sensuellement de son corps frêle alors qu’elle affiche ses courbes de déité aux yeux des âmes damnées. reed, quand elle pose ses prunelles céruléennes sur le minois gracieux et lumineux de la gamine esclavagée, elle ne voit qu’une jolie fille avec un passé difficile à accepter. elle ne voit que nadja dans son entièreté, et pas toutes ces saletés qu’elle est obligée d’accumuler pour rester parmi les vivants, être éthéré. pourtant, la blonde et la brune ne peuvent oublier à jamais les milieux dans lesquels elles sont nées. nadja préférerait sans doute avoir vu le jour dans une famille à la cuillère dorée plutôt que d’être enracinée à une condition difficile à en crever. mais reed, elle aimerait plutôt avoir expérimenté tout un tas de faits, qu’ils soient agréables ou non. reed, elle a le goût de l’aventure, l’amour passion des risques et du danger. reed et nadja, âmes-sœurs d’ouroboros.
« tu te découvres l’âme romantique ? » reed se fige un instant, questionnements bourdonnant dans ses tympans. si elle capte l’œillade complice qui lui est destinée, elle ne parvient pas à y répondre tout de suite. reed, romantique ? c’est la meilleure. pourtant, force est de constater que son comportement en ce début de soirée est fort controversé. elle souffle le chaud et le froid de ses prunelles énamourées, désir primitif qu’elle tente de restreindre et qui lui donne un comportement paradoxal. reed, elle déteste les fleurs qu’on offre, les chocolats, les attentions mielleuses… alors pourquoi est-ce qu’elle se conduit comme ça ? « y a pas grand chose à savoir sur les filles comme moi tu sais. » reed, elle a envie de répondre un « t’as raison, j’m’en fou. » pour retrouver celle qu’elle est véritablement et chasser l’imposteur qui se meut avec son propre minois. pourtant, elle se retient : nadja n’a pas à faire les frais de ses erreurs. « à part que je suis affamée, évidemment. tu crois que je peux commander l’intégralité du menu ? » alors reed, elle sort de sa transe pour afficher un sourire léger. « bien sûr que tu peux. » elle lâche, un peu plus sèchement que souhaité. puis elle s’approche un peu pour obtenir plus de complicité, prête à dévoiler son plus grand secret. « de toute façon, on part sans payer. » puis elle se recule pour lui adresser un clin d’œil. c’est pas l’argent le souci, mais sans doute un peu une certaine radinerie de la part de la brune. à moins que ce ne soit simplement l’excitation de la rébellion qui la pousse à vouloir faire un resto-basket.
mais malgré tout, reed continue de fixer son homologue féminine d’un regard curieux. bien que son palpitant lunatique hésite encore sur la conduite à adopter, y’a une certaine curiosité qui demeure dans son myocarde asséché. « ma vie, tu la connais, tu sais à quoi elle ressemble. les peu de fois où je sors, c’est avec toi. » et reed, elle ne peut s’empêcher d’être indignée. pas par les palabres délicates de son amie, mais par leur contenu : nadja, elle ne sort jamais. reed, elle l’a toujours su, d’un côté… mais d’en parler, d’avoir les mots qui claquent contre l’air, ça rend tout plus réel. reed, elle aimerait se changer en prince charmant pour la kidnapper sur son cheval blanc… mais c’est pas son rôle. et puis reed, elle saurait pas forcément quoi faire une fois nadja à l’abris. ce qui rend leur relation intéressante et excitante, c’est ce côté épisodique. c’est ces entrevues qui ne durent que quelques heures pour que les prunelles ne se croisent plus pendant quelques jours, quelques semaines parfois. c’est le manque qui a le temps de s’installer entre deux conversations, entre deux voyages improvisés dans les rues galvanisées d’une savannah enflammée. « j’suis désolée… » elle avoue dans un murmure, mots qui s’échappent tous seuls, excuses qui ne sont pas méritées mais qu’elle ne peut s’empêcher de proférer. « j’me retrouve conne, je sais pas quoi te répondre. » elle soupire, lâche la main de nadja pour se passer les paumes contre le visage, chassant quelques mèches brunes au passage. « et puis j’veux pas tout gâcher en parlant des sujets qui fâchent. » elle hausse les épaules. gâcher quoi ? telle est la question.
y’a l’estomac de la brune qui se met à gargouiller sévèrement, ce qui brise le presque silence de ce fast-food délesté par les clients. alors y’a un serveur habillé grossièrement d’un costume aux couleurs du restaurant de fortune qui s’approche avec leur commande, ô combien volumineuse. une petite dizaine de burgers et autres trucs gras remplis d’une viande industrielle, quelques milkshakes, des oignons rings… c’est un festin qu’elles se font, reed ayant toujours adoré la malbouffe. « c’est toi qui doit avoir des tas de trucs à raconter. t’es toujours en voyage, pour ton boulot. je suis sûre que t’as dû visiter tous les pays du monde. » reed, elle apprécie le changement de sujet. alors elle croque goulument dans l’un des burgers, picore quelques frites et répond, la bouche encore pleine, dépourvue de ses bonnes manières : « j’ai pas tout visité. » elle rit légèrement et bizarrement : pas évident quand on a la bouche remplie. « j’te ramènerai un souvenir à chacun de mes voyages, tu le sais. » clin d’œil à l’appui. « tu n’as pas oublié la charmante vahiné que je t’ai ramené d’hawaii, si ? » elle demande, reposant la nourriture qui graisse ses doigts pour croiser les bras sur sa poitrine, moue désapprobatrice feinte sur le minois. « j’ai un voyage de prévu la semaine prochaine en Irlande. tu préfères un leprechaun ou un trèfle ? » elle relance, quittant l’air austère qu’elle avait peint sur son faciès pour sourire. « à moins que tu ne préfères une bonne bouteille de bière ? » elle propose. « quoi que… un cadeau, ça doit être une surprise. » elle réplique, tournant la tête de droite à gauche. reed, elle aimerait prendre nadja avec elle pendant l’un de ses voyages. mais même si nadja pouvait, reed serait empêchée : ce n’est pas un voyage pour le plaisir mais pour affaires.