Ça faisait déjà une semaine que j'étais totalement " à sec " si on peut dire ça. En gros, je tenais plus qu'à l'alcool, pour mes soirées après le boulot. C'était aussi l'occasion de me dire " Je pourrais en profiter pour arrêter ? " comme à chaque fois. Mais c'est le genre de résolution que tu tiens pas quand tu commences à en manquer. J'avais pas pu mettre de côté du coup, vu que je dépensais tout au bar, et niveau thune c'était la dèche du coup. Je pourrais rien me payer, comme ça, c'était totalement la dèche. J'ai contacté Seven il y a quelques jours. Après tout, c'est mon dealer attitré, autant que ça reste en famille hein. Ce petit con... On a passé toute notre vie à se tirer dans les pattes et à se foutre sur la gueule, mais depuis qu'il est parti de la maison je crois qu'il pourrait presque me manquer. On a échangé quelques messages, je lui ai demandé pour le voir, mais au final j'ai pas osé lui parler de mon petit soucis d'argent par SMS, je le connais, il m'aurait dit d'aller me faire foutre directement.

Je me suis dis que ça pouvait peut-être attendre un peu. Après tout, j'allais récupérer de l'argent en bossant, je pourrais lui prendre ce qu'il me faut la prochaine fois. " Ça se trouve dans quelques jours j'en aurais même plus envie ", que je me disais. Haha, la naïveté. J'ai jamais pu m'arrêter sur une longue durée depuis que j'ai commencé. Et ça fait longtemps quand même maintenant. Ça me rendait de mauvaise humeur en plus, alors j'allais me bourrer la gueule plus souvent et ainsi de suite. Fallait que je trouve un moyen de penser à autre chose à la limite, tu parles ...

Un soir, après avoir terminé mon boulot de la journée, j'allais me diriger vers un bar comme à mon habitude, quand, en fouillant dans mon portable, je suis retombé sur les SMS envoyés à Sev' quelques jours auparavant. Putain, faut vraiment que je refasse mes "stocks" là, c'est plus possible. Au pire je tente le tout pour le tout, ça coute rien. J'ai entrepris d'appeler Seven sur son portable puis je me suis ravisé. Trop prise de risque, il va me raccrocher au nez si je commence à essayer de négocier un truc avec lui. Bon, il me restait plus qu'une solution, je vais débarquer chez lui directement, il pourra pas me renvoyer chier directement comme ça. J'ai donc totalement changé de direction pour me diriger vers chez mon petit frère adoré. Il pourra pas me refuser ça hein ?

C'est pas tout près par rapport à mon lieu de travail actuel, chez Seven. Il m'a fallu quand même un petit moment. Sur le chemin je me suis surpris à repenser un peu à quand Sev' vivait encore à la maison. Putain le joyeux bordel. Je crois que c'est celui avec qui je me suis le plus frité dans ma famille. En même temps je peux pas le supporter, faut toujours qu'il dise le contraire de ce que je pense, juste pour me faire chier. Enfin vous me direz, je faisais pareil. On s'accordait jamais sur rien. Même si je suis un peu mauvaise langue, on a eu aussi des moments plus calmes, où on pouvait se taper des barres ensembles, comme si on était des frangins super proches et tout. Ouais, y'a pas eu que du mauvais dans ma vie hein, ma fratrie c'est quand même sacré. Alors que je souriais comme un con en repensant à certains trucs, je suis enfin arrivé à destination. J'ai frappé vite fait à la porte et je suis entré directement en m'annonçant à voix haute, parce que de toute façon, j'attends pas son accord pour rentrer.

" C'est moi Sev ! Je viens te faire chier ! "

J'ai fais quelques pas à l'intérieur en le cherchant avant de tomber sur lui, a moitié avachis sur le canapé en compagnie d'une demoiselle et visiblement ils faisaient pas que de jouer au scrabble si vous voyez ce que je veux dire.

" Putain Seven préviens au moins merde ...! "

J'ai fais quelques pas en arrière pour me retourner, c'est pas comme si j'avais envie de voir quoi que ce soit, peu importe ce qu'ils étaient en trainde faire. Et je sais, je suis culotté de dire ça alors que c'est moi qui débarque sans prévenir, mais osef, je suis le grand frère, j'ai tous les droits.

La fille trébuche et Sev peut pas s'empêcher de ricaner, parce qu'elle est un peu bourrée, parce qu'elle arrête pas de rigoler. Il l'attrape par la taille pour la tenir tout contre lui et l'aider à rester sur ses pieds, d'une poigne ferme et autoritaire. Elle s'accroche à lui, ses phalanges se recroquevillant autour de son t-shirt comme si sa vie en dépendait, un large sourire venant éclairer son visage de poupée alors qu'elle lève ses yeux bridés vers lui. Il affiche un rictus satisfait pendant qu'elle lui colle un bisou sur l'épaule, et il déverrouille la porte pour les faire entrer. À peine deux pas à l'intérieur et elle lui saute dessus pour s'emparer de ses lèvres, pendant qu'il attrape son visage entre ses mains, lui rendant son baiser avec la même fougue dont elle fait preuve. C'est un peu bordélique, un peu teinté par le goût de l'alcool pour elle et la weed pour lui, ils sont pas synchros mais il s'en fout. Il veut juste l'embrasser, la déshabiller, la posséder. Et puis la virer. Il connaît pas cette gonzesse, il connaît pas son blaze et elle connaît pas le sien – enfin peut-être que si, il en sait rien. Elle est rien qu'une distraction, un moyen de garder l'esprit et les mains occupés, un truc pour pas s'remettre à vriller. Alors il perd pas de temps, il l'aide à ôter sa robe, la laissant en petite culotte entre ses bras. Elle a l'air minuscule, là, collée tout contre lui. Et d'un coup, il a envie d'la détruire, d'la réduire en miettes. Il lui mord la lèvre violemment, puis s'écarte en soufflant, pour essayer d'se reprendre, pour faire taire les pulsions qui s'éveillent en écho à la foutue tempête intérieure dont il est prisonnier. « T'as de quoi s'défoncer ? » Naïve. Faut croire qu'elle sait pas à qui elle a affaire, la gamine. Ça l'fait sourire à nouveau alors qu'il la pousse sur le canapé, avant d'aller choper un petit sachet de coke. Pragmatique, il enlève son propre t-shirt et son pantalon, histoire de pas s'encombrer avec tout ça plus longtemps. Puis il vient s'avachir à ses côtés, l'attrapant dans un nouveau baiser alors que ses mains se baladent sur sa fine silhouette, cherchant à s'accaparer chaque centimètre de peau auquel il a accès. Et aussi vite qu'il l'a chopée, il se sépare d'elle à nouveau, saisissant le matos qui traîne sur la table pour faire une ligne de poudre bien droite, préparant le terrain pour la donzelle. Cadeau d'la maison. « Vas-y. » Elle rejoint le sol immédiatement, se foutant à genoux devant la table pour sniffer ce qui s'y trouve, balançant sa tête en arrière avec un air de plénitude sur les traits. C'est ça, que Sev préfère. Quand il voit l'effet d'la drogue sur les gens, l'effet de ce qu'il leur donne. L'effet qu'il a lui, indirectement, en les empoisonnant. Il les voit s'encrasser et il trouve ça beau, il trouve ça fort, il trouve ça puissant. Il se sent important, invincible. Y a rien d'mieux. Elle s'marre encore, pendant que les lèvres de Sev s'étirent dans un large sourire alors qu'il l'invite à revenir vers lui, tirant doucement sur son bras pour qu'elle redescende sur terre. Toujours à genoux sur le carrelage, elle vient se lover entre ses cuisses, se redressant pour l'embrasser. Il en profite pour glisser ses mains jusqu'à sa poitrine découverte, avant qu'elle ne se dérobe à lui en mouvant ses lèvres dans son cou, puis le long de son torse. Enthousiaste mais maladroite, ses baisers sont aussi furtifs qu'humides, fiévreux et empreints de la frénésie dont son organisme semble être victime. Sev l'observe faire sans un mot, comme s'il maîtrisait la totalité de la situation. Comme s'il avait la main-mise sur la poupée agenouillée devant lui. Ça lui donne l'illusion d'la contrôler, à défaut de contrôler sa propre vie.

Trop accaparé par les lèvres qui descendent de plus en plus bas sur lui, il entend même pas le coup porté à l'entrée. Il voit juste la porte s'ouvrir et Ioan apparaître comme si de rien n'était. « C'est moi Sev ! Je viens te faire chier ! » Ouais. Pour changer, quoi. Mais Sev ne répond même pas, lui prêtant pas la moindre attention alors qu'il voit la fille se détourner de lui pour observer quel est l'intrus qui vient les interrompre. « Salut ! » Et sans plus de cérémonie, elle retourne à son occupation, sa langue venant chatouiller le nombril de Seven. Il est presque tenté d'éclater de rire en voyant la gueule que tire son aîné en les apercevant, leur tournant immédiatement le dos comme s'il était profondément traumatisé par la situation. « Putain Seven préviens au moins merde ...! » Cette fois, il s'retient pas, il s'met à rigoler. Du revers de la main, il écarte la fille de lui comme si elle avait soudainement perdu tout intérêt, comme si elle existait plus. Elle se retrouve le cul par terre, visiblement un peu paumée mais pas contrariée pour autant. Elle s'occupe même pas d'eux, se préparant une autre ligne en faisant comme chez elle, sans que Seven ne lui dise quoi qu'ce soit. « Ça va, fais pas ta mijorée. T'avais qu'à pas rentrer sans frapper. » Il se penche pour choper un joint pas fini qui traîne dans le cendrier, avant de se l'allumer et de tirer dessus, toujours avachi dans son canapé en caleçon. Pas perturbé d'avoir été dérangé, ni d'avoir une inconnue en culotte qui fait sa life à leurs côtés. « C'est quoi qui t'gêne ? Mon caleçon ou la paire de 'eins ? J'sais que t'as pas l'habitude de voir des filles à poil, mais quand même. Tu perds tout ton swag en faisant la tapette comme ça. » Il se fout clairement de sa gueule, continuant de fumer sans pression, levant un peu les yeux au ciel. Quelle drama queen, le Ioan. C'est à s'demander s'ils partagent les mêmes gènes – et là c'est la mauvaise foi de Sev qui parle, parce qu'il sait faire sa diva aussi, même s'il préférerait crever que l'avouer. « Tiens, regarde, tu pourras p't'être même pécho ce soir, j't'ai mâché le travail. » D'un mouvement de menton, il désigne la donzelle qui est passée à la clope, aucunement gênée d'être à moitié à poil et de ne rien comprendre à la situation. Pas même alors que Seven la traite comme un morceau de viande, ses vieilles leçons misogynes reprenant le dessus. Et puis il garde cet odieux sourire de tête à claques en fixant son frère, continuant son petit monologue tranquillement. « Bon sinon, à part m'empêcher d'baiser, tu voulais quelque chose ? » Un sourcil arqué, il l'interroge du regard, nullement perturbé par tout ce cirque. Faut dire qu'avec le train d'vie qu'il a adopté, ça, c'est la routine. Le vrai dilemme, c'est de savoir si c'est inquiétant ou juste triste d'avoir l'habitude de tout ça, en fait.

« J'suis pas une tapette Seven. » Ça lui prend tous les efforts du monde pour pas s'mettre à ricaner. Parce qu'il s'est jamais gêné pour lancer de petites insultes du genre à son frère, juste pour s'foutre de lui. Juste pour lui rappeler qu'on l'voit jamais ramener de fille, et que ça, c'est franchement pas digne d'un Popescu. Comme s'il était mieux, lui, à s'taper n'importe qui, n'importe comment. Surtout que c'est pas toujours des nanas. Surtout que parfois, c'est des gars. Alors qui est vraiment la tapette dans c't'histoire ? Si Ioan savait, il aurait des arguments pour riposter. Mais il sait pas. Il peut jamais savoir. Personne peut – et encore moins les Popescu. De toute façon, Sev trouve qu'y a déjà beaucoup trop de personnes au courant. Deux, précisément. Dam parce qu'elle le connaît trop bien, parce qu'elle a vu, parce qu'elle a su, parce qu'elle a deviné. Avec elle, ça passe ; ça l'emmerde mais il sait qu'il peut lui faire confiance, alors c'est toujours ça de pris. Et puis y a l'autre, là. Mais vaut mieux pas qu'il y pense, sinon ça va l'foutre en rogne. Alors il change de sujet, continue d'envoyer des petites piques à tort et à travers, juste pour le plaisir. Juste pour lire l'exaspération dans l'regard de l'aîné, juste pour se dire qu'il a gagné. Il se moque de lui, riant à gorge déployée en voyant que son offrande – aka la gonzesse dénudée à leurs côtés – n'intéresse même pas son frère. Quelle étrange créature que Popescu numéro cinq, y a des fois où Sev le comprend définitivement pas. « Tu sais pas c'qui est bon. » Qu'il murmure avec un sourire tordu, de cet air qui veut dire tu connais pas la vie, gamin. À croire qu'les rôles sont inversés, que le cadet devient l'aîné et inversement. Mais c'est pas ça. C'est pas l'expérience de la sagesse. C'est l'expérience de la connerie. Parce que Sev a beau être l'avant dernier – oui, ils sont deux après lui, mais il les compte comme une seule entité, parce que c'est les jumeaux – c'est sûrement lui qui a fait le plus de conneries dans la fratrie. Peut-être pas les pires, après tout, Iulia a pris une vie. C'était d'la légitime défense, certes, mais une vie quand même. Sev a jamais franchi ce pas, pas pour l'instant. Et c'est sûrement l'un des seuls trucs qu'il a pas fait. Tout l'reste, ç'a été testé. Et il a beau fanfaronner, faire le fier, le paon dans sa basse-cour, il sait bien que c'est pas glorieux. Il sait bien, qu'il est pas quelqu'un d'bien. Contrairement à Ioan, qu'il voit juste comme ce frère un peu paumé, un peu loser sur les bords mais pas méchant. Pas vraiment. Même s'il se gêne pas pour lui piquer son joint en s'asseyant près de lui. Sev dit rien, le laisse faire avec un vague sourire au coin des lèvres. Et puis son frère lui rappelle la raison d'sa venue, la came. Il est prêt à s'lever pour aller fouiller dans ses stocks, mais Io reprend la parole et le stoppe dans son élan. « Par contre Sev, j'ai un petit souci. » Pas bon, ça. Pas bon du tout. Il aime pas quand on commence une transaction comme ça, généralement, ça s'finit mal. Pour l'autre, pas pour lui. « Pas qu'un, s'tu veux mon avis. » Une manière détournée d'lui dire que de toute manière, il est pas net comme mec. Un peu comme toute leur famille, quoi. Sourcils froncés, il s'enfonce un peu plus dans son canapé, toisant son frère d'un air méfiant. Il sent venir le plan foireux à des kilomètres à la ronde, il le connaît, putain. « J'ai pas encore eu ma paye, j'ai pas un rond... Tu peux pas faire un petit geste, genre une avance pour ton frangin ? » Ah, la bonne blague. Tellement qu'il se prend un fou rire, sa carcasse tressautant sous ses éclats, ses bras venant tenir ses côtes. Non, vraiment. C'est la meilleure de l'année.

Et puis ça s'arrête aussi vite que c'est venu. Il reprend son sérieux d'un coup – tellement vite que c'est presque flippant, d'ailleurs. Figé, il plante ses yeux dans ceux de son semblable, avec cet air dur collé sur les traits. « Crève. » D'un geste sec, il récupère le joint que Ioan lui avait piqué cinq minutes plus tôt. Il le colle entre ses propres lèvres, tirant dessus pour mieux recracher la fumée au visage de son frère, comme s'il avait besoin de le narguer. Pas de fric, pas de pitié. Ça marche comme ça avec Seven, et ça, tout l'monde le sait. Pourtant, la donzelle continue de faire sa vie près d'eux, s'enfilant une nouvelle ligne sans qu'on ne lui dise quoi que ce soit. Elle paie pas, elle. C'est beau l'injustice. « J'fais déjà pas d'avance aux gens que j'aime bien, tu crois pas que j'vais en faire une à un Popescu ? » Il ricane de cet air presque méprisant, se rendant pas vraiment compte que c'est mauvais, ce qu'il dit. Il s'doute bien que c'est pas cool, mais pour lui, c'est normal. C'est rien d'blessant. Rien d'nouveau. Après tout, il les a tous reniés jusqu'au dernier, alors il part du principe que plus rien ne peut les vexer. « Allez, bouge. » Du bout du coude, il le pousse un peu, comme pour l'inviter à dégager. Comme pour lui dire merci au revoir, t'as pas de thunes donc t'es pas le bienvenu. C'est un peu ça. Il utilise le deal comme prétexte pour accepter la présence de Ioan, pour s'dire qu'il continue de le voir juste parce que ça lui rapporte de l'argent. Mais s'il avait vraiment aucune envie de le garder dans sa vie, il l'aurait envoyé chier y a longtemps, en lui disant de s'trouver un autre dealer. C'est pas les maigres revenus de Io qui lui remplissent les poches, qu'on s'le dise. Mais l'autre semble pas prêt à lâcher le morceau, cherchant une échappatoire à l'air implacable de Seven. « Tu sais très bien que je le ferais pour toi si on était dans le cas inverse hein ! J'te le revaudrais ! » Il le dévisage en silence un moment, avec une bitchface assez mémorable. Parce qu'il en croit pas un mot. Parce qu'il fait pas crédit. Parce qu'il a pas envie. « J'm'en tape, en fait. T'as pas d'fric, t'as pas d'came, c'est tout. Cherche pas Ioan, tu sais très bien comment ça marche. » Il est connu pour être dur en affaires, et si numéro cinq pense vraiment l'attendrir avec la carte familiale, c'est qu'il le connaît foutrement mal. C'est la pire carte à jouer, ça. « Tu m'le revaudras comment, hein ? T'as rien à m'donner. T'as tellement pas d'thunes que tu pourrais même pas me payer les intérêts si j'te faisais crédit. » Une fois de plus, il ricane un peu, secouant la tête de gauche à droite d'un air faussement désespéré. Il cédera pas. Pas là, pas comme ça, pas si facilement. Ça marche pas avec lui, tous ces trucs là. C'est mission impossible de l'attendrir, sauf cas exceptionnel. Et visiblement, Ioan est pas assez exceptionnel pour lui. « T'auras que dalle, Io. » Sur ces mots, il termine son joint comme si de rien n'était, avant de s'approcher du cendrier. Là, il écrase le mégot en insistant bien, d'la même façon qu'il est en train d'écraser les espoirs de son frère. S'il comptait sur la bonté de Seven, il a clairement mal choisi. Ioan devrait savoir pourtant, plein d'gens le disent : il a pas d'cœur, le sale gosse. Rien que du vide.

« Tu sais pas c'qui est bon. »

Ouais ouais ... Je sais Seven, c'est pas comme si c'était la première fois que tu me le disais. Pas comme si c'était la première fois que tu te foutais de ma gueule à propos de ça d'ailleurs, de toute façon on a passé notre vie à ça, renchérir sur les moqueries de l'autre. Se payer de la tête de Seven, c'était un peu comme ma deuxième raison de vivre quand j'étais gamin -faudrait-il déjà que j'en ai eu une première- alors ça devient une habitude, même si je vois plus forcément les choses comme avant. Après tout, on vit plus sous le même toit, j'ai moins l'occasion de le faire chier. Bon ok, ça me fait marrer de lui écrire des conneries par SMS et tout mais au final quand je suis en face de lui, j'ai plus envie. P'tètre parce qu'on est adultes et que si on commence à se prendre la tête, ça va mal finir, ça serait plus vraiment les embrouilles de gamin qu'on a pu avoir quand on était plus jeunes au final. Puis, l'autre raison, que je m'avouerai pas forcément, c'est que j'ai envie de perdre aucun de mes frangins et frangines, même si on se dépouille tout le temps, j'tiens à eux et peut-être que voir Seven qui essaye de se la jouer solo ça m'a quand même fait quelque chose. Mais ça on est d'accord, j'le dirais jamais à personne même sous la torture.

« Pas qu'un, s'tu veux mon avis. »

Voilà, c'est de ça dont je parlais. Faut toujours qu'on se lance des pics. Et là c'est le moment où j'aurais répondu un truc bien débile du genre " Mais tu t'es vu ? " mais là je dis rien, c'est pas vraiment le moment. Surtout qu'il peut parler le Seven, comme je disais avec Madalina l'autre jour -juste avant de critiquer Seven en plus- on est tous fous dans cette famille, plus ou moins. En même temps avec l'éducation qu'on a reçu, je sais pas comment ça aurait pu être autrement hein. Mais Sev je trouve qu'il est pas mal dans le genre hein ~ Enfin bref, c'est là que les choses commencent à se gâter. Parce que je le connais quand même mon frangin, j'fais genre comme ça mais je sais qu'il me cèdera pas si facilement au final. Je le vois se mettre à rire quand je lui dis que j'ai pas une thune pour le moment. C'est le genre de réaction à laquelle je m'attendais au final. Bon ... Comment je fais maintenant, j'peux vraiment pas attendre là, faut vraiment que j'arrive à le faire céder, j'essaye pas de l'entuber en même temps, je lui rendrais tout ce que j'ai après. Mais bon, c'est Seven quoi.

La réaction se fait pas attendre puisqu'il me dit en gros de dégager et que j'aurais rien de lui sans fric. Il ajoute même qu'il ne voit pas pourquoi il le ferait pour un Popescu s'il ne le fait déjà pas aux gens qu'il aime bien. Bon ça c'est fait, mais Sev, ou Lulu Junior tiens, tu sais aussi que je te connais pas mal, et je sais aussi que si tu m'aimais pas, tu me laisserais pas venir ici. T'as voulu couper les ponts avec la famille non ? Alors pourquoi tu continue de me répondre ou d'accepter de me vendre ta came. J'le sais parce que je suis un peu pareil au final. Je fais toujours celui qui t'aime pas depuis qu'on est gosses, mais c'est pas pour rien qu'on était finalement toujours ensembles -à se taper dessus-, si on se détestait vraiment je serais pas là, ou alors je t'en aurais déjà collé une finalement.

" Nan mais sérieusement Seven, depuis le temps tu dois savoir que tu peux me faire confiance là-dessus, j't'ai jamais fais de crasses non ? Enfin si, laisse, je compte même plus le nombre de trucs qu'on s'est envoyés dans la gueule. Mais je veux dire tu sais bien que j'ai toujours payé, je te fais pas d'histoires, puis tu sais où me trouver si tu veux me péter la gueule parce que je suis en retard sur le paiement non ? "

J'ai pas vraiment bougé quand il m'a dit de me casser, je me suis même un peu mieux calé. Comme Sev' me connait aussi plutôt bien il sait que je suis têtu et pas du genre à lâcher quand j'ai quelque chose en tête. Donc bon, je sais que je risque de l'énerver mais j'ai pas envie de partir, alors voilà. J'étais même tenté de lui sortir un petit " steupléééé ! je sais que tu m'aiiiiimes mon Lulu " mais bon je vais peut-être pas exagérer quand même, je vais m'en prendre une. Mais au pire je riposterais hein. Mais bon j'peux pas faire ça quand même non ? Quoi que ...

" Steupléééé ! Je sais que tu m'aimes au fond ! "

Avec la tête d'ange qui va avec hein, parce que j'aime le faire chier. Parce que Sev restera toujours mon petit frère, même s'il fait son gros dur.

« Nan mais sérieusement Seven, depuis le temps tu dois savoir que tu peux me faire confiance là-dessus, j't'ai jamais fait de crasses non ? » Sev le fixe sans sourciller, un peu incrédule face à une telle déclaration. Il se fout d'sa gueule, là. Les crasses, chez les Popescu, ça va bon train – et encore plus entre eux deux, qui passaient leur temps à s'faire la misère. Mais faut croire que Ioan s'rend compte de sa connerie avant même que Seven n'ouvre la bouche, puisqu'il rectifie le tir. « Enfin si, laisse, je compte même plus le nombre de trucs qu'on s'est envoyés dans la gueule. Mais je veux dire tu sais bien que j'ai toujours payé, je te fais pas d'histoires, puis tu sais où me trouver si tu veux me péter la gueule parce que je suis en retard sur le paiement non ? » Ah ça, c'est certain que s'il veut le trouver, il aura pas d'mal. Et il sera même pas forcé d'se pointer à la baraque familiale, qu'il fuit comme la peste depuis de trop longues années. Ioan traîne tout l'temps dans la rue, dans les bars, dans des endroits pas toujours fréquentables tard le soir. Alors ouais, évidemment que Sev sait où aller pour l'attraper et le cogner, si jamais il s'risquait à vouloir l'arnaquer. C'est pas ça, le problème. Le problème, c'est qu'il veut pas lui faire une avance. Lui faire une fleur, une faveur. Il en fait jamais à personne et tout l'monde le sait ; il a aucune envie de commencer. Et surtout pas pour un foutu Popescu. Il aurait l'air de quoi, lui, après ? À s'mettre à accepter les crédits, alors qu'il a cogné beaucoup trop d'fois à cause de ça. Et puis ça lui arracherait la gueule, de faire un geste pour son frère. Il s'donne tellement de mal pour tous les envoyer chier, tous les rejeter et les faire fuir, que ça serait se trahir de lui céder. Ça serait donner la preuve qu'il est pas aussi dur qu'il veut l'faire croire, pas aussi salaud qu'on le dit. Il peut pas s'y résoudre, putain. « Arrête de forcer Io, sérieux. J't'ai dit non. » Il prend un ton blasé, comme un parent agacé par son gosse, comme si Ioan n'était qu'une nuisance qui s'acharne à lui piailler dans les oreilles. Il le regarde même pas, feignant le désintérêt le plus absolu. P't'être que comme ça, il comprendra. P't'être qu'il va enfin lâcher l'affaire et s'lever, le traiter d'enfoiré et puis se tirer. Comme tout l'monde. Mais il n'est pas tout l'monde – il est Popescu. « Steupléééé ! Je sais que tu m'aimes au fond ! » Automatiquement, Sev se tend, ses traits se tirent et ses sourcils se froncent. C'est l'meilleur truc à dire pour le foutre dans de mauvaises dispositions ; plus ça va, plus Ioan fait empirer la situation. Y a un silence qui s'installe, chargé de tension. Et finalement, lentement, Seven daigne enfin tourner les yeux vers son aîné, le fixant de cet air hostile, le regard sombre et les mâchoires aussi crispées qu'ses poings. « Non. Ferme ta gueule. » C'est sec, implacable. C'est sacrément moche parce qu'il fait toujours ça, à cracher des mots durs et plein d'mépris, pour les forcer à disparaître d'eux-mêmes. C'est con. Depuis l'temps, il aurait dû comprendre que ça suffit pas, ça suffit jamais. Il a beau leur répéter d'la fermer, de dégager, de le laisser ; ils l'écoutent jamais. Et ça commence franchement à l'emmerder.

Pendant une seconde, ils sont là, à s'fixer en chiens de faïence. Et dans l'fond des prunelles de Ioan, Sev décèle un truc qu'il connaît bien. Un truc qu'il sait identifier sans la moindre difficulté. La détresse du manque qui commence à s'faire ressentir, celui qui prend aux tripes et qui s'installe bien trop vite si on n'fait rien. Celui qui pousse Ioan à revenir encore et encore, peu importe les remarques qu'il se prend dans la tronche. Celui qui finira par l'rendre minable, s'il continue comme ça. Il est pas encore dans la catégorie des désespérés, pour l'instant il arrive à gérer. Mais pour combien d'temps ? Des comme ça, Seven en voit des tas. Et ils finissent tous pareil. Ils finissent tous comme Dam – accros à s'en damner l'âme. Alors il s'dit que de toute façon, s'il refuse de filer d'la came à son frère, il saura toujours se démerder pour s'en trouver ailleurs. Et il s'foutra dans la merde, comme un bouffon. Y a un truc qui change sur l'visage de Seven, presque imperceptible. Un truc qui lui donne envie de s'énerver, parce qu'il sait déjà qu'il va céder. Mais c'pas pour autant qu'il compte être indulgent, c'pas pour autant qu'il fera preuve de clémence. Il lâche un soupir un peu exagéré, et il passe une main dans ses cheveux d'un geste presque rageux, vrillant ses iris sur Ioan. « Ok, on va faire un deal. » Il le voit déjà prêt à crier victoire, putain, ça l'fait chier. « Mais t'réjouis pas trop vite, ducon. J'veux bien te filer un peu d'marchandise, mais y a des conditions. Primo, je choisis la quantité et l'montant, y a pas de négociation. » Et Ioan le connaît assez pour savoir qu'il lui fera pas de cadeau. Mais c'est à prendre ou à laisser, t'façon c'est lui qui insiste alors il a plus qu'à assumer. « Segundo, tu m'rembourseras avec intérêts. Au plus tu mets longtemps, au plus le prix enfle. J'espère pour toi qu'ta paye se fera pas trop attendre. » Il a un sourire en coin, celui du mec satisfait et suffisant, celui du p'tit con qui t'la met un peu à l'envers. Il veut bien faire un effort exceptionnel, mais faut pas déconner non plus – pas pour rien qu'on le dit dur en affaires. Et puis y a une lueur malicieuse qui vient éclairer son regard, parce qu'il a déjà choisi sa dernière exigence, celle qui finira de sceller l'marché. Il jubile d'avance. « Et tersio, prouve-moi que t'es pas une tapette. Y a machine avec nous, roule lui une galoche et on a un accord qui tient. » D'un coup de menton, il désigne la donzelle assise par terre près de lui, visiblement défoncée, qui se préoccupe pas vraiment d'eux depuis le début. Cette condition là est absolument gratuite et inutile – juste là pour emmerder Ioan, pour essayer d'le faire baisser les bras. Seven ricane en voyant la gueule qu'il tire sur le coup, mais c'est pas négociable et ça se sent dans son regard. Il attend. Et il s'rend pas vraiment compte, au final, de ce qu'il fait. D'à quel point c'est digne de leur père. À quel point ça montre juste d'où il vient.

« Arrête de forcer Io, sérieux. J't'ai dit non. »
« Non. Ferme ta gueule. »

Avec la voix pleine de mépris que j'ai pris l'habitude d'entendre de la bouche de mon petit frère. Petit frère rappelons le parce qu'on a tendance à l'oublier parfois quand on nous voit comme ça. Parce que ça me rend un peu dépendant du choix de Seven, j'aime pas forcément ça mais pas le choix au final. Parce que comme je le pense souvent sans vraiment le dire, c'est aussi pour moi un moyen de garder contact avec ce gros débile. Parce que c'est mon frangin et c'est tout. J'arrête de parler, de piailler, ou de faire le con juste pour le faire chier et on se fixe juste. Il a grandit quand même mon p'tit frangin. J'ai limite l'impression qu'on fait un jeu, genre le jeu du regard, ça sera au premier qui arrêtera de fixer l'autre. Et puis je vois Seven changer d'expression. Comme s'il réfléchissait à quelque chose. Est-ce que ça veut dire qu'il en à marre de moi et qu'il va me filer ce que je veux en espérant que je lui foute rapidement la paix ? Nan c'est pas vraiment son genre. Il soupire.

« Ok, on va faire un deal. »

Bon, là c'est un semi cri de victoire pour moi. Juste semi parce qu'encore une fois je le connais par coeur Seven, "c'est comme si je l'avais fais". Nan en fait oubliez ça c'est dégueu. Je voudrais pas de lui comme fils, pour rien au monde. Enfin, ce que je veux dire c'est qu'il y a forcément une couille s'il accepte de m'en filer. Alors j'attends qu'il énonce les différents points de son deal. Bon, ça commence par la quantité et le montant et ça je m'y attendais un peu. Il va pas m'en filer comme ça autant que je veux non plus sans être payé. Le deuxième point était prévisible aussi. Les intérêts. D'où la nécessité d'essayer de me trouver un deuxième taffe en même temps, pour avoir un peu plus de thune et pouvoir les lui payer. Parce que si je me démerde pas bien, je vais avoir des dettes auprès de Lulu junior assez rapidement. Et ça c'est pas une bonne idée non plus. Par contre, c'est le dernier point qui m'a un peu pris de cours.

" Pardon ? "

J'ai presque bafouillé. Je tirais une tête de six pieds de long. Il venait de me demander de rouler un patin à la fille avec nous, comme ça, sans pression. Et je savais que c'était pour me faire chier. Car j'ai beau faire le mec, chez les Popescu tout le monde sait ce qu'il en retourne de mon côté, sentimentalement parlant. Parce que c'est presque une tare chez nous quand on y pense. Les p'tits frangins m'ont même dépassé depuis longtemps à ce prix là, et ça fait bien marrer tout le monde je crois. Et je dévisage Seven à ce moment là. Parce que si j'écoutais que ma fierté, je me serais cassé en claquant la porte, en lui lachant un doigt et en l'insultant copieusement, en bon caractère de con. Mais je me suis surpris à hésiter. Et là c'est le manque qui parle. La sensation qui me rappelle que je le regretterai rapidement si je me barrait de là sans rien. Et c'est aussi le manque qui me pousse à ravaler mon orgueil. J'suis quand même tombé bien bas pour penser à accepter tout ce que Seven demande sans broncher. Je vois déjà son petit sourire satisfait, parce qu'il sait que ça va bien me faire chier. Que je vais bien lui en vouloir mais que je vais pas dire non à ses conditions. Putain.

Je lui ai balancé un "sale con." J'me retiens même de rajouter "Lucian" à la fin, mais je garde ça pour moi pour le moment, je vais attendre d'avoir ma came quand même, histoire de pas trop chercher la merde tout de suite. Aller, c'est pas non plus la mer à boire qu'il me demande, juste une galoche. Mais c'est surtout de savoir que Seven va être content de me pousser à faire ça qui me donnerai presque envie de gerber. J'ai tourné le dos à mon frère pour m'approcher de la meuf, ou plutôt du machin -parce qu'on est plus grand chose quand on est défoncés- qui était avachie près de la table. Je me suis baissé et j'ai attrapé son bras pour la redresser et l'amener plus ou moins à ma hauteur. Elle a à peine réagit, logique, et j'ai passé une main sur son menton pour relever son visage vers moi. Je l'ai pas vraiment regardée, j'm'en fous un peu, et je lui ai roulé une pelle. Ça avait autant d'intérêt que deux limaces qui s'enculent je vous avoue, c'est pas vraiment le contexte non plus ou t'es dans le mood pour apprécier de connaître la langue de quelqu'un d'autre mais bon, faut ce qu'il faut.

Le temps m'a semblé super long alors que c'était qu'une fraction de secondes. J'ai relevé la tête et je l'ai lâchée en me redressant. Elle est retombée comme une loque, limite comme s'il s'était rien passé et moi j'ai fais quelques pas vers Seven avant de tendre la main vers lui. En fait j'avais envie d'aller mourir dans un coin, mais maintenant que c'était fait, j'avais juste envie de me casser de là.

" Alors, tu m'en files maintenant ? "

« Pardon ? » Seven laisse échapper un ricanement moqueur devant l'air presque outré de son frère. Rien que pour la tronche qu'il tire, ce deal en vaut largement la peine. Il s'contente de le défier du regard avec ce petit air suffisant, qui semble juste insupportable. Il est fier de lui et ça se voit – c'est sûrement ça le plus triste. Ça lui plaît de jouer à l'homme et de juger Ioan comme s'il n'en était que la moitié d'un, comme s'il se devait de prouver sa valeur, là, maintenant, tout d'suite. Et pourquoi, hein ? Pourquoi il devrait faire ça ? Juste parce que Sev l'exige ? C'est ce que son rictus satisfait sous-entend, sans même qu'il ait besoin de l'exprimer. Parce que certains préceptes de Popescu Senior ont réussi à s'incruster en lui sans qu'il s'en rende compte, sans qu'il soit foutu de s'en débarrasser. Parce qu'un homme, un vrai, ça pleure pas, ça se bat, ça résiste à tout et surtout ça fait tomber les donzelles comme des dominos. Et Seven a beau passer son temps à prétendre qu'il n'a rien à voir avec eux, qu'ils ont rien en commun et qu'il les déteste tous ; ses gènes sont bien là. Il restera Popescu malgré lui, destiné à mettre en œuvre tous ces idéaux erronés, ces lignes qui dirigent sa vie et font de lui c'qu'il est, avec tous ses secrets et ses instabilités. Mais tout ça, il le voit pas. Il voit rien du tout, si ce n'est Ioan qui se résigne, ses traits qui se tirent et ses poings qui se serrent. Il lui balance même une insulte, à laquelle Sev ne prend pas la peine de répondre. Il continue de ricaner comme un vautour, l'observant s'approcher de la fille sans plus de cérémonie. Et il peut pas s'empêcher de jubiler en le regardant faire ce qu'il a demandé. Parce que c'est lui qui dirige. C'est lui qui domine. C'est lui qui contrôle Ioan et le pousse à faire ce qu'il veut, juste pour un p'tit sachet. Juste pour cette merde qui les empoisonne tous et les transforment en pantins. Sev le sait bien – il voit ça au quotidien. Ça éveille une sensation d'pouvoir en lui, quand les gens viennent ramper à ses pieds pour un peu de came, pour attirer sa pitié et pouvoir se déchirer. Il aime les voir faire, il aime les piétiner, il aime les pousser aux extrêmes qui l'arrangent. C'est l'seul truc sur lequel il ait jamais exercé un peu de contrôle : sa clientèle. Gamin, il gérait que dalle, se sentait écrasé par la force de son patronyme et toute sa famille, étouffé sous le poids du monde qui semblait toujours s'écrouler sur sa maigre carcasse. C'est ce qu'il a passé son temps à fuir, ce qu'il fuit toujours. C'est ce qui éclaire cette lueur malsaine dans ses yeux, quand il tire enfin les ficelles, quand il prend sa revanche inconsciemment. Brisant la Terre entière, comme si ça pouvait recoller ses propres morceaux.

Une fois que Ioan a terminé sa besogne, il se tourne vers lui avec cet air à mi-chemin entre le dégoût et la rancœur. Il se sent sûrement un peu humilié, et ça n'fait qu'élargir le sourire sur les lèvres de Seven. « Alors, tu m'en files maintenant ? » Cette fois, il éclate d'un rire franc, avant de finalement se lever pour aller vers ses stocks. Il se concentre sur sa tâche, les yeux rivés sur la marchandise alors qu'il répond à son frère. « Tu vois, c'était pas si compliqué. Mets-y un peu plus du tien et tu finiras p't'être par pécho tout seul, comme un grand. J'pourrai pas toujours te mâcher l'travail. » Clairement, il est en train de se foutre de sa gueule, et il a même pas la décence de faire semblant. Il s'en fout. Il remplit un p'tit sachet, puis range tout son attirail avant de revenir vers Ioan, ce même sourire insolent collé sur la gueule. Il lui tend la drogue, mais la redirige soudainement vers lui-même quand Ioan essaie de la prendre. Il secoue doucement la tête, continuant de le narguer sans vergogne. « Y en a pour cinquante balles, mais le tarif crédit c'est soixante-dix. » Avec ça, Ioan tiendra pas bien longtemps, alors il a intérêt à surveiller sa consommation s'il veut pas revenir supplier Seven d'ici peu. « Ça monte de dix à chaque semaine d'attente, si t'es sage. Sinon ce sera vingt. » Il dit ça mais concrètement, il s'réserve le droit d'adapter la note finale selon son envie. C'est bien pour ça qu'il faut jamais faire crédit chez lui. Enfin, il colle le sachet entre les doigts de Ioan, le défiant un peu du regard – t'façon son frère ne peut rien faire s'il veut repartir avec la marchandise, et ils le savent tous les deux. « Fais-en bon usage, trouduc. On s'revoit pour l'addition. »

Je le regarde se marrer à s'en exploser les poumons. Je me demande parfois comment j'ai pu en arriver là. Dans cette famille de merde, à aller quemander comme un chien un peu de came à mon propre frère. Mon petit frère en plus. Le pire de tous même. Je me demande même comment ça peut encore être mon préféré là-dedans. Le mini Lucian, la tête à claque, celui sur lequel j'ai abattu mon poing une bonne centaine de fois. Putain. Et maintenant il se marre, moi j'ai honte en face, je baisse la tête en serrant les point. C'est dans ces moments que j'ai envie de me barrer sans rien, de me dire que j'arrête tout, que j'en reprendrais plus jamais. Que c'est fini. Mais c'est mon corps, mon cerveau qui parle pour moi. C'est presque de l'instinct. Ouais, c'est instinctif, j'en ai besoin. C'est comme ça. Et j'ai plus aucune fierté dans ces cas-là, je pense que je pourrais en faire des conneries juste pour la mini dose qu'il va me donner. Putain.

« Y en a pour cinquante balles, mais le tarif crédit c'est soixante-dix. »

En parlant de mini dose, je le vois arriver avec le sachet. Il m'empêche de le prendre lorsque je tend la main pour l'attraper. J'ai qu'une envie c'est de me casser. Non, mieux. C'est de lui coller ma main dans la gueule, pour effacer ce sourire de sa tête de con. Je l'écoute parler des intérêts. Je dois me grouiller. 10 par semaine dans le meilleur des cas, je suppose que je peux limite compter les 20 directement, parce que je le connais ce con. Je vais pas avoir de salaire avant minimum deux semaines ... Je commençais déjà à faire les calculs dans ma tête pendant qu'il parlait, en me demandant comment j'allais faire, si j'avais bien fais d'accepter les conditions. S'endetter avec un Popescu c'est pas la meilleure des choses à faire. Mais quand c'est un besoin c'est différent non ? J'étais dans mes pensées quand il m'a enfin filé le sachet. J'ai levé les yeux vers lui en fronçant les sourcils en entendant "trouduc". J'ai fais un pas en arrière en réprimant mon envie de lui en coller une. J'me suis vachement calmé avec les années, et ça fait longtemps que je me suis pas battu avec Seven, j'ai pas forcément envie que ça arrive aujourd'hui. J'ai directement tourné les talons et je suis allé vers la porte pour me casser d'ici au plus vite.

" Tu l'auras ta thune, Lucian. "

J'ai rangé le sachet dans ma poche avant de sortir et de refermer derrière moi. Je me suis éloigné assez rapidement. J'avais une impression bizarre, comme un poids qui me serrait dans la poitrine. Je savais pas si c'était parce que j'étais énervé ou juste parce que j'étais totalement dégouté de ce que notre famille était devenue. Un peu comme si j'en prenais conscience pour la première fois, alors que c'était comme ça depuis le début déjà. " Fais-en bon usage, trouduc " Ouais, je suis pas sûr d'être raisonnable sur ce coup-là.