(001), son père était un soldat de l'armée américaine, rentré sur le territoire suite à une blessure qui le rendait inapte au combat. mais sa condition physique n'était rien en comparaison d'celle de son mental – rongé par la guerre et ses travers, profondément traumatisé, il n'était plus que l'ombre de lui-même et l'départ de sa femme n'a rien arrangé. un peu paranoïaque sur les bords, il est devenu marginal, a opté pour une habitation paumée dans la forêt avec ses filles. s'refusant à toute relation humaine et à tout contact social, ce sont les gamines qui se chargeaient des courses, des divers rendez-vous, et de tout c'qu'il n'était pas en capacité d'assumer. forcées de grandir trop vite, élevées à la baguette par cet homme autoritaire mais aux intentions profondément bonnes. même quand il leur apprenait à manier les armes alors qu'elles étaient bien trop jeunes pour ça, même quand il leur interdisait de sortir si ça n'respectait pas ses conditions, même quand il surveillait tous leurs faits et gestes de peur qu'le ciel leur tombe sur la tête. jude et rachel voyaient bien qu'un truc tournait pas rond chez lui, mais après tout, elles y pouvaient pas grand-chose. et pendant que jude s'efforçait de s'occuper d'lui au mieux, sa sœur rêvait d'indépendance et de liberté, quitte à les négliger. source numéro un de conflit entre les deux gosses, qui passaient leur temps à s'bouffer la gueule. jusqu'à ce que tout s'écroule, que la vie de rachel lui soit ôtée et que celle de jude parte en lambeaux. (002), les services sociaux sont intervenus suite à la mort de rachel, et ont arraché jude à son père. elle s'est retrouvée perdue dans les foyers, scandant qu'ils avaient pas l'droit et qu'ils devaient la laisser rentrer. c'est jamais arrivé, et elle a fini par apprendre que son père s'était suicidé. traumatisée par ses propres démons, elle s'est complètement renfermée et s'est murée dans un mutisme méprisant pendant de longs mois, cassant tout autour d'elle, dégradant l'matériel et cognant sur ceux qui se risquaient à lui adresser la parole. elle s'est mise à faire n'importe quoi, à déconner, à enchaîner les conneries et à se jeter dans les prémices de la délinquance. tout l'monde la pensait condamnée, tout l'monde se disait qu'elle finirait mal et qu'on la retrouverait chez les voyous, en taule ou en train de pourrir dans un caniveau. mais quelque part au milieu de cet épais brouillard, une main lui a été tendue. et si elle y a d'abord planté ses crocs acérés, elle a fini par s'laisser un peu apprivoiser, par accepter la lueur qui s'offrait à elle, venant fendre l'obscurité dans laquelle elle se plongeait. c'est c'qui l'a empêchée de sombrer. c'est c'qui l'a empêchée de s'laisser crever. (003), c'est comme ça qu'elle s'est tournée vers les forces de l'ordre, alors qu'on la prenait pour d'la mauvaise graine, et qu'elle les a jamais portés dans son cœur. elle y a pourtant trouvé une forme de stabilité, un cadre dans lequel s'inscrire et canaliser toute la hargne qui bouillonne au creux d'ses tripes. en se concentrant sur les criminels, sur ses enquêtes : ça lui permet d'se focaliser sur autre chose que l'acide qui lui lèche les entrailles, d'avoir un objectif sur lequel décharger toute sa fureur intérieure. elle s'est découvert une pugnacité dont elle ne soupçonnait pas l'existence, et elle s'est jeté corps et âme dans son boulot, quitte à en faire pâtir tout le reste, quitte à ne vivre que pour ça. on pourra dire c'qu'on veut sur elle, elle n'en reste pas moins une flic particulièrement efficace. (004), sûrement qu'cette efficacité réside aussi dans ses méthodes peu orthodoxes. elle a jamais reculé devant rien pour avancer comme elle le voulait, et si ça lui a permis de gravir les échelons rapidement, ça lui a aussi créé une réputation de flic instable, voir carrément peu fiable. brisant les lois qui la dérangent pour obtenir ce qu'elle veut, envoyant chier les conventions et les préceptes de la justice, capable de s'comporter comme une ado rebelle sans aucune honte. bien sûr ça fait jaser et elle s'prend des avertissements, mais ça n'enlève rien au fait que l'résultat est là. alors elle ignore les ordres, les mises en gardes, les convocations et les remontrances qu'elle s'prend à la pelle. mais faut croire que c'est pas au goût de tout l'monde, et qu'à force de la voir ignorer soigneusement tous les blâmes lancés dans sa direction, ses supérieurs en ont eu marre. bon élément, certes, mais pas intouchable pour autant. on lui a octroyé une très courte mise à pied, avant de finalement lui retirer son insigne d'inspectrice pour une durée indéterminée. elle redevient une flic de bas-étage, bien loin des affaires sur lesquelles elle a pris l'habitude de plancher. elle s'retrouve avec les voyous en carton, les pauvres gens qui savent plus ce qu'ils font et les losers complètement paumés. elle ramasse de la vermine en toc, ennuyeuse au possible, ces crapules de pacotille qui lui donnent des envies d'meurtre. elle supporte très mal cette sentence, et elle fait en sorte que tout le monde le sente passer. s'ils veulent lui donner une leçon, soit. mais après, faut pas s'plaindre qu'elle leur fasse vivre un enfer pour se venger. (005), faut croire que son père a en partie déteint sur elle, parce qu'elle semble avoir hérité de son côté un peu parano. parce que ça fait partie des enseignements qu'il lui a transmis toute son enfance, et que son appartenance aux forces de l'ordre n'a rien arrangé. elle a souvent bossé sur des affaires sensibles, et elle a pris le réflexe de toujours surveiller ses arrières, écopant de ces manies d'la flicaille – discrètes si on y prête pas attention, terriblement parlantes si on sait observer. elle vérifie régulièrement par-dessus son épaule quand elle marche dans la rue, emprunte des itinéraires différents chaque fois qu'elle rentre chez elle, fait en sorte d'avoir les issues bien en vue dans n'importe quelle pièce, possède plusieurs verrous sur sa porte et garde toujours une arme sous son matelas. elle a tendance à voir le mal partout, et à s'méfier de tout et tout le monde. ou presque. (006), pour expier ses démons, elle a rien trouvé d'mieux que la violence, qu'elle laisse éclater quand elle pratique la boxe. ça lui permet de relâcher la pression, d'évacuer le trop plein de rage qui lui tord les boyaux et d'éviter de faire un carnage autour d'elle. elle est peut-être peu épaisse et loin d'être imposante, mais elle en reste pas moins rapide, agile et terriblement hargneuse. c'est une putain de teigne et en général, une fois qu'elle jette son dévolu sur un adversaire, elle lâche plus le morceau jusqu'à ce que l'un d'eux soit à terre. elle sait pas s'arrêter. et faut absolument qu'elle se défoule régulièrement, sinon elle explose à la gueule du premier venu – c'est déjà arrivé avec des suspects sous sa garde, et autant dire que ça c'est pas bien terminé. (007), suite à l'accident avec sa sœur, on pourrait penser qu'elle refuserait d'approcher un flingue, mais c'est plutôt l'contraire. elle a pris des cours officiels en entrant dans la police, et elle s'est acharnée à la tâche jusqu'à devenir une tireuse hors pair, jusqu'à savoir démonter et remonter une arme les yeux fermés, jusqu'à maîtriser ses tirs presque à la perfection. mais même si elle n'a aucun problème à dégainer un pistolet et à s'en servir, elle n'en reste pas moins rigide sur le sujet, particulièrement attentive aux moindres faits et gestes des autres autant que d'elle-même. c'est un truc qu'elle prend pas à la légère. (008), encore hantée par les souvenirs de cet épisode, ça la secoue la nuit, ça la fait trembler entre ses draps et elle s'réveille en criant, couverte de sueur, le souffle court et le myocarde qui s'affole. malgré les années, malgré la façon dont elle a tout enfoui dans les méandres de son esprit, ça revient chaque nuit. perpétuellement. comme une malédiction. elle en est devenue insomniaque et incapable de s'endormir tranquillement, trop angoissée par les fantômes qu'elle sait prêts à la happer. le soir, souvent, elle boit pour supporter ses craintes, pour faire taire ses démons intérieurs, pour effacer les visions qui dansent sous ses paupières. et le jour suivant, elle carbure au café pour tenir le coup, pour pas s'effondrer. elle en boit des quantités monstres, avec une montagne de sucre. c'est à s'demander comment son corps peut supporter le rythme qu'elle lui impose. certains d'ses collègues la comparent à une machine. les plus blagueurs parlent même de terminator. (009), p't'être bien qu'ils ont pas tout à fait tort, y a au moins un point commun flagrant avec les robots : les relations humaines, c'est pas son truc. froide et taciturne, ses prises de parole ressemblent bien souvent à des agressions sans qu'on soit jamais sûr de rien. les mots claquent sur sa langue, sifflent entre ses dents, tranchants comme une lame même quand elle a de bonnes intentions. elle est pas sympa et n'fait rien pour y remédier, se foutant bien de savoir l'image que ça lui donne. ses expressions faciales vont généralement de paire avec la mécanique de ses mots ; peu avenantes, et plutôt rigides. on la voit rarement sourire. et même quand elle le fait, le pourcentage pour qu'elle soit juste en train de se foutre de votre gueule est beaucoup trop élevé. (010), jude, elle s'est blindée comme un coffre fort, plus imprenable qu'une forteresse. enfermée dans son enfer personnel, à laisser son amertume la consumer et à coller une épaisse couche de glace sur le brasier qui menace de la réduire en cendres. elle encaisse encore et encore, elle enfouit tout, elle planque tout, là, juste là, derrière la façade en béton armé. le cœur atrophié, fané, fissuré – incapable de le réparer, elle a préféré l'effacer, le laisser à l'agonie dans un coin plutôt que d'le confier entre n'importe quelles mains. elle a pressé le bouton off de ses émotions, elle les étouffe sans la moindre pitié et tant pis si ça veut dire qu'il reste plus qu'un grand vide à la place. c'est l'néant et elle n'est plus qu'un trou noir, qui avale tout sans rien recracher, qui se félicite parce que tout disparaît. mais c'est pas vrai. c'est là. encore et toujours là, dans les tréfonds d'sa cage thoracique, au creux de son âme. c'est des squelettes dans son cœur et dans sa tête, des résidus qu'elle pense disparus. elle aime se prétendre invincible, protégée derrière son armure en acier trempé, mais elle ment. et l'jour où ça lui reviendra dans les dents, ça risque de faire mal. parce que son palpitant, il a pas d'gilet pare-balles.