(01.) west, alors qu’il vient de new-york, upper east side, c’est un paradoxe presque aussi gros que lui, l’enfant chéri que rien n’arrête et qu’on gâte sans limites, et qui est malgré tout capable d’émotions.
(02.) il a grandit là-bas, fils unique attendu comme le messie. deux parents ravis, frappés par un bonheur indescriptible, de pouvoir léguer leur héritage pharaonique à un quelqu’un, cette petite chose gigotante et rouge comme une tomate, hurlant à la mort et à la faim. aussi couvé qu’un œuf de dinosaure, pourri jusqu’à l’os par le luxe et la trop grande générosité d’une famille sans notion de décence, caleb était l’enfant roi, le fils prodige, le petit prince. lui, qui avait survécu à la prémature, un battant, un forcené, un immortel. né pour régner, pour dominer. et son cœur à peine battant, il avait déjà prouvé sa valeur et sa force d’âme.
(03.) en bon monarque, on lui laissait toujours la couronne, à l’épiphanie, des baisers et des félicitations en prime. les chansons et les éloges non loin derrière, bien enrobés de fioritures venant petit à petit, au fil des ans, nourrir l’orgueil bientôt sans borne d'un bambin qui ne tarderait pas à devenir le 'chef de famille'.
(04.) on ne peut définir véritablement d’âge pour parler de gloire. de l’instant où il est né jusqu’à aujourd’hui, caleb a toujours été mis sur un piédestal. à en croire les siens, il avait été promis à un grand destin, accomplir des choses incroyables, graver la terre de son empreinte. autant de foutaises berçant à chaque instant les ambitions un peu plus démesurées qu’il se forgeait en regardant simplement les êtres autour de lui se plier en quatre pour son bon plaisir.
(05.) peut-on réellement le blâmer de se croire supérieur, lorsque depuis toujours, on lui chante cette mélodie matin et soir ? qui aurait été capable de résister ? lui, l'enfant unique, ne s'était jamais interrogé sur le sujet. de certains diraient qu'il aurait pourtant pu combattre ce stéréotype, mais jamais l'envie ne lui avait pris d'agir ainsi. on avait d'ailleurs pris soin de ne jamais l'affubler de concurrents ; pas de frère pour lui voler ses petites amies et voiture de collection, aucune sœur stupide pour venir attirer l'attention de ses parents en brillant par ses frasques de princesse au petit pois. rien que lui, au centre de l'attention, maintenant et à jamais.
(06.) pendant des années, il a vécu là-bas, dans la ville de tous les possibles, au sommet du monde, à démontrer toute l'étendue de sa gloire et de sa grandeur au bas-peuple, juste bon à lui cirer les pompes et lui baiser les pieds. 'les faibles sont le fléau de notre société', disait son père. 'ils dévorent l'argent des gens comme nous, nous font passer pour de la vermine, alors qu'ils sont encore trop au dessus de ce qu'on devrait leur réserver.' une folie, l'horreur. mais le monde et la vérité sans le moindre doute pour l'enfant roi qu'on avait depuis longtemps déjà couronné en applaudissant.
(07.) il s'est ainsi appliqué à écraser proprement cette 'vermine' toute sa vie durant, sans scrupule, sans ressentiment. il leur était supérieur, et rien n'indiquait d'avoir à l'égard des inférieurs un comportement décent et respectable. deux mots qui lui étaient d'ailleurs totalement inconnus, lui à qui on avait sagement et proprement enseigné la survie en des points précis et très simples : s'occuper de soi, ne compter que sur soi, ignorer le reste du monde, ne songer qu'à ses intérêt, agir en conséquence, qu'importe le prix, il est toujours moins élevé que ne l'est celui de la faiblesse, de l'échec et à termes, de la décadence.
(08.) jusqu'à entrer au lycée, caleb s'était appliqué à suivre ce code de conduite comme un bon petit soldat, réduisant à néant son entourage pour briller. pour sûr, s'il avait pris le temps de compter ses victimes, elles auraient été nombreuses. autant de figures de haine à son égard. autant d'insignifiants à écraser pour se frayer un chemin jusqu'à la perfection.
(09.) 'et si on ne les démolit pas, on a l’intelligence de s'en servir', une énième parole du sage paternel, et sans doute la directive que caleb maîtrise le mieux. fieffé menteur. comédien de talent. voltigeur, cascadeur, il a fait de la manipulation son arme de prédilection ; un art à part, qu'il prend soin de couver et d'entretenir en pratiquant autant que faire se peut. il a ainsi volé les âmes de bien des faibles pour garnir ses tableaux de nuances toujours plus folles. des mélanges savants dont il a le secret, capable de mettre à feu et à sang même les plus coriaces des croyants. capables de détruire des vies, aussi assurément qu'il s'en moque...
(10.) et puis il y a eut le coup de trop. le coup de poker raté... son premier échec. le dernier aussi. ses certitudes ébranlées, ses capacités mises en doutes. et pourtant... pourtant c'était du génie. tellement fort, tellement réussi que lui-même avait presque fini par croire à ses propres mensonges, à ses propres folies. mais avant que tout n'explose, il a su reprendre les rennes, remettre les choses à leur juste place. pas sans après. pas sans conséquences... des doutes enfouis, une vie à deux doigts d'être volée...
(11.) ce coup lui aura valut bien des souffrances depuis. un retour aux sources, entre quatre murs immaculés et l'air saturé de désinfectant, les blouses blanches et les minuteurs stressants... un voyage signé 'joe donovan's trip', résultat de longs mois de mises en garde et de menaces de ce dernier. et l'exécution, suivant de près celle, ratée, de la dernière victime du petit prince. et voilà le monde entier hurlant sa culpabilité, et lui, perdu au milieu du vide, ne sachant plus se définir, ne sachant que ressentir, émotions cinglantes ; cette peur, cette douleur, ces incertitudes, de plus en plus prononcées. bientôt dominantes. dévorantes.
(12.) il avait seize années de gloire et de pratique derrière lui lorsque c'est arrivé. et même si cela s'est avéré rude, même si il a mit du temps avant de parvenir à remonter sur son trône après ça, il y est finalement parvenu. il l'a oublié, dit-il... tout cela ne le concerne plus, et il ne sait expliquer ce qui l'a autant affecté à l'époque. cette fille était une dégénérée, et toute sa famille l'est aussi. il a sut se reconstruire, passer au dessus de son échec. avoir l'intelligence de s'en servir pour apprendre. utiliser ses failles comme des armes. utiliser un sentiment factice en plus de son charme pour toucher ses cibles plus facilement, plus profondément. et mieux les jeter par la suite.
(13.) on dit souvent que les années de lycée sont les plus rudes et les plus emplies de folie. caleb ne vous dira pas le contraire. elles ne sont pourtant pas insurmontables, preuve en est qu'il se trouve toujours là aujourd'hui, bien vivant, bien portant, son sourire en coin collé sur la face, et ses airs de jeune pourri ne le quittant qu'en de rares occasions, savamment dissimulées à la vue du commun des mortels.
(14.) depuis six ans, il démontre toute l'étendue de son talent ; non seulement pour se ficher des autres, mais aussi de manière concrète, pour se faire un nid dans la société. étudiant d'une des plus grandes écoles de droit de savannah, il a cette ambition propre à sa personne de se voir juge ou grand avocat demain. un homme de pouvoir, au sommet d'une institution légendaire et respectée.
(15.) si auparavant ses parents vivaient encore à ses côtés, voilà trois ans qu'il est totalement seul ici, eux ayant choisis de repartir à new-york et de laisser - non sans mal - leur progéniture affronter seul les rudesses de la vie.
c'est lorsqu'il a douze ans que son père décide de délocaliser l'entreprise d'immobilier familiale dans la florissante cité de savannah. un départ difficile pour l'enfant qui l'est alors, obligé de refaire sa vie dans l'inconnu, de se refaire un nom parmi une foule, de remonter les marches de la popularité sans faire de faux pas. et le voilà, plus de dix ans plus tard, prince des princes, toujours plus connu, toujours plus grandiose, ses casseroles enfouies six pieds sous terre.
(16.) en gentleman qui se respecte, caleb possède un loft tout ce qu'il y a de plus luxueux et confortable dans le centre ville de savannah. un lieu qu'il veut convivial et chaleureux pour inviter ses conquêtes à le recommander à leurs amies. un lieu qui lui correspond, au dernier étage d'une tour résidentielle hors de prix, avec vue sur la cité et l'horizon. un cocon privé, qu'il a su faire sien et marqué de sa patte, jusque dans les moindres recoins.
(17.) en publique, caleb west ne porte que des vêtements de marque aussi chers que le salaire moyen d'un fonctionnaire moyen de la ville. lui-même s'abstient bien de travailler, et l'argent vient directement du compte de ses géniteurs, qui prennent soin de le garnir tous les mois d'une somme plus que généreuse, et n'hésitent pas à augmenter le budget de leur fils chéri lorsque ce dernier vient réclamer une avance tout en sourires et en mots doux. à ce compte, rien de ce qu'il touche ou utilise ne vient du marché local ou du revendeur d'en bas. tout ou presque est de manufacture de qualité supérieure, à sa hauteur, et il prend soin de ne pas conserver trop longtemps d'éléments devenus trop vieux ou passés de mode.
(18.) il ne sait absolument pas gérer son budget et sa vie administrative toute entière est reléguée à un sous-fifre, payé pour faire en sorte que ses comptes ne soient jamais négatifs et qu'il n'ait même pas à ouvrir lui-même les enveloppes de réclamations d'imposition. ne sachant pas cuisiner - malgré la fonctionnalité indubitable de sa sublime cuisine intégrée - caleb ne mange qu'à l'extérieur ; restaurants et invitations privées, les meilleures adresses de la ville, il les connait. pour ce qui est du luxe et de la gastronomie du moins.
(19.) malgré cela, et très étrangement, il lui arrive cependant de se faire livrer à domicile lorsque la flemme l'emporte. il prend cependant soin de piocher parmi les traiteurs les plus renommés. jamais de pizza, de fast-food ou de plats surgelés. sa santé en pâtirait, tout comme son corps de rêve, qu'il aime à entretenir ; trois fois par semaine, dans une salle de sport huppée, et deux fois de plus chez lui, dans sa salle personnelle, avec un coach privé. lorsque le temps s'y prête, il apprécie également de faire ses exercices en extérieur, et ne manque pas de profiter de l'occasion pour remplir son carnet d'adresses féminines alléchantes qu'il rappellera un jour où le besoin - sexuel ou purement humain - s'en fera sentir.
(20.) au delà de toutes ces activités, qui sonnent comme des clichés de petit bourgeois pimpant, le jeune homme est pourtant plein de surprises. grand fan des films d'auteurs anciens, il possède une collection complète d'oeuvres du siècle précédent. il en va de même pour la musique et les arts graphiques. il est ainsi possible de le croiser dans les ventes aux enchères, en quête d'un tableau pour orner les murs ternes et tristes de son loft, ou d'un manuscrit parcheminé à exposer dans sa bibliothèque privée. et de cette dernière il n'est pas peu fier ; plus de mille ouvrages regroupés dans une pièce aussi grande que son salon. des auteurs de tous horizons, de toutes nationalités, de toutes époques... tous les styles se côtoyant sur plusieurs mètres d'étalages, cachés derrière une porte verrouillée en permanence à double-tour. la salle du trésor de caleb. son antre secrète, son plaisir coupable. un endroit où il se rend quotidiennement, pour méditer, simplement lire, ou sentir l'odeur des livres enivrer ses sens l'espace d'un instant. une fragrance qui l'a toujours apaisé, et qui remet ses idées en places.
(21.) en conséquences, un être mystérieux... une évidence qui s'émaille lorsqu'on prend le temps de gratter un peu. de regarder sous la première couche de comédie. les rares qui ont essayé d'atteindre son âme se sont heurté à une nouvelle barrière, pourtant destructible. ébranlée, une fois déjà. même s'il se refuse à l'admettre... un esprit tourmenté, qui vit au jour de le jour, qui prend les choses en pensant les mériter. qui ne regrette rien, jamais. ou presque. qui vit à cent à l'heure, quitte à tomber parfois. une intelligence masquée sous la flemmardise et l'orgueil, qu'on sous-estime trop souvent, et qu'on essaye de faire taire. et pourtant, tant de secrets. des secrets du temps. des secrets de l'âme. des secrets du coeur. des mensonges. des folies. et demain, différent d'aujourd'hui, et à la fois tellement similaire...