〔1〕 Quand elle lui a dit “On s’en va. Prends tout c’que tu peux. Prends lui tout c’que tu peux.”, elle s’est pas faite prier, surtout quand ça sentait à c’point la liberté. 〔2〕  À partir de là, c’était l’engrenage. Une vie sur les routes, dans des motels, dans des mobilhomes, au milieu des junkies et des putains. Ils étaient déjà pas bien riches, mais là dehors, dans la rue, les billets partent peut-être même plus vite. Contre un peu de chaud, un peu de protection ou quand on s’fait tirer l’peu qu’on a déjà. 〔3〕 Elles ont appris sur le tas toutes les deux. Dani connaît par coeur le système d’aides sociales américains et comment le faire raquer. Elle sait où dégoter les assos de quartier qui fournissent gîte, couvert et des soins si nécessaires. Elle sait contacter les réseaux-réfuges qui vous transforment de victimes en fuite à clandestines. Elle sait comment s’créer une nouvelle identité et combien ça coûte. Parce que tout a un prix. Surtout quand il faut semer son flic de père. 〔4〕 Et puis il y a eu les villes où elles ont pu rester. Celles elles ont su se retrouver une vie à peu près normale, une routine de quelques mois en paix. Mais il y a eu aussi eu ces rues, ces couloirs, où il était là, réclamant ce qui lui appartient, ce qui lui revient de droit.  〔5〕 “Une vie à s’échapper, c’est pas une vie. J’pourrais peut-être pas m’arrêter, mais toi, fais-tout pour.” 〔6〕 Sa mère lui a toujours répété ça. Qu’elle regrettait d’avoir fui au lieu de faire face. Elle s’excuse tellement d’avoir cru la protéger en agissant ainsi que Dani a envie qu’elle se taise à jamais.  〔7〕 C’est peut-être pour ça qu’elle l’a déposée -et qu’elle l’a laissé faire- dans un centre de soins pas loin de Savannah. C’est plus bon pour sa mère tout ça, faut qu’elle prenne l’relais. Sans elle.  〔8〕 Elle a un plan, Dani. Se réapproprier sa vie. Prendre de la hauteur, loin du bitume. Côtoyer les grands et les influents. S’entourer de qui il faut, quitte à s’éloigner d’ses idéaux. C’est pas la première ni la dernière chose sur laquelle elle devra cracher. Sa naïveté, elle l’a perdue depuis trop longtemps. Tout ça pour l’apater. Le tuer. Il les veut ? Il les aura. Et vice-versa. De ses propres mains qu’elle a su affûter avec le temps. Elle le brisera. 〔9〕 En attendant, faut qu’elle construise. Et sans argent, on fait rien. Alors, presque tous les soirs de la s’maine, elle prend le nom de Scarlet, masque juste assez les tâches de rousseur de son visage qui la rendrait reconnaissable, enfile des cheveux roses coupés court et joue la carte de l’exotisme sur scène. Elle joue à rappeler qu’elle peut répondre aux désirs des affâmés, elle fait résonner sciemment leurs envies d’asservissement.  Puis tous les jours aussi, elle étudie les règles, les sciences qui dirigent salement ce monde corrompu, elle étudie les gens, les lit si facilement. Elle leur dit qu’elle veut apprendre avec la plus grande des détermination et dans un sens, c’est un peu vrai -tout pour vivre et non plus survivre. Elle se sert de ce en quoi elle croyait par le passé pour ne pas les effrayer par le noir qui la dépeint aujourd’hui. Elle fait semblant de se sentir concernée, de rallier une cause ou une autre. Elle se fout de Twitter, d’Halloween, de Disney et de la guerre. Elle a la sienne à mener. Et si il faut faire taire la terre entière, se fondre un peu dans l’moule des “éduqués” pour la gagner, elle le fera avec toute sa mauvaise foi. 〔10〕 L’argent, c’est peut-être c’qui la perdra. Elle est prête à tout pour en avoir. C’est son ticket gagnant, sa porte de sortie à elle et sa mère pour quand elle sera plus que lui. C’est peut-être le seul truc qui peut faire vaciller ses plans et ses convictions. Le reste… Son addiction à la coc’, la haine dans ses poings, l’envie que ses mots fracturent ces mâchoires insouciantes, ses crises de panique qui arrivent en public sans que personne ne réalise… Tout le reste, c’est sous contrôle.