- Non, non !
Que j'chouine péniblement en secouant bêtement mon téléphone alors que celui-ci, à sec, s'éteint. Putain. Être SDF ça entrainait quand même pas mal de merdes. J'échappe un long râlement plaintif avant de cogner doucement mon front sur le poteau sur lequel j'me suis appuyé.

- Fait chier.

Fallait absolument que j'appelle Lola pour la prévenir que j'aurais besoin d'elle ce soir pour une énième partie d'cartes. Après avoir soupiré pour la 2 millièmes fois, je finis par me bouger et je décide de retourner en centre-ville pour aller dans mon bar favoris, voir si le barman n'accepterait pas, encore une fois, de me mettre mon téléphone à charger avec son chargeur à lui. Moi, j'en ai pas. J'en avais un, à la base, et puis on me l'a volé et je n'ai clairement pas les moyens de m'en racheter un trois fois par mois. Ouais, parce que je sais déjà que j'me le referais voler. Franchement, qui vole les SDF ? Je lève les yeux au ciel, un peu dépité par cette réalité et m'élance énergiquement dans les rues de Savannah, n'ayant pas de temps à perdre. Malheureusement, je ne crains que le barman soit fatigué de moi et m'envoie chier bien proprement ou me demander encore de consommer quelque chose en échange. Sauf qu'aujourd'hui, je n'ai pas un rond sur moi, que dalle. Je n'ai pas fait la manche depuis avant-hier soir et j'ai déjà tout dépensé. J'suis complètement à sec, les poches vides, tout comme mon ventre. Faudra vraiment que j'pense à aller voir Michael pour pouvoir manger au foyer. Et pour le voir, aussi, évidemment. Ouais.

J'finis par rejoindre le cœur de la ville, le bar n'est plus qu'à une petite centaine de mètres à peine. Y doit être 15h, quelque chose comme ça, et y a pas vraiment foule sur le trottoir. Sûrement la faute aux nuages gris qui menacent de nous déverser dessus toute leur flotte d'une minute à l'autre. J'lève le nez pour les regarder justement, ne prêtant plus vraiment à ce qui se passe devant moi. J'aurais peut-être pas dû me laisser distraire. Parce que quand je rebaisse les yeux, il est déjà trop tard. J'la vois. J'la reconnais aussitôt, sans la moindre difficulté. Je m'arrête, j'me fige, tétanisé.

Ellie.

Et elle, elle m'a déjà vue ouais, parce qu'elle fonce droit sur moi. Et là, je panique. Je recule d'un pas et j'me mets à regarder autour de moi de façon intempestive, comme si une solution miracle allait apparaitre et me faire signe. Mais non, rien. J'me retrouve seul face à mon passé. Face à ma lâcheté. Face à mes conneries. Et vu la tronche qu'elle tire, j'suis mal. J'suis vraiment mal. Et la connaissant, je ne donne pas cher de ma peau. Mais je n'arrive pas à réagir de façon adéquat. J'suis trop perturbé. Faut dire que je ne m'attendais pas à la recroiser un jour. Ce qui est con, d'ailleurs, étant donné qu'elle est du coin. Putain. J'me désespère. Y a bien que moi et Micha pour s'barrer dans la ville à côté de chez eux, en espérant tourner la page sur une vie foireuse et foirée. C'est nous, qui sommes foirés.

Et j'me fait submerger par une tas d'émotions contradictoires. Y a cette joie de la revoir, de la retrouver, qui me donne envie de me jeter sur elle et de l'enlacer comme pas permis. Y a ce petit pincement au cœur, parce que j'suis sûrement trop sensible, trop romantique, ouais. Une fiotte, comme dirait Micha. Mais j'y peux rien, même si elle et moi c'est finit depuis longtemps, ce sera plus jamais comme avant à mes yeux. Comme quand on était encore que des amis. Et puis, y a d'la peur. Ouais, j'ai la trouille de devoir lui faire face. Et j'ai honte. Et j'me sens triste. Coupable. Tout un tas de trucs négatifs pas agréable. Mon visage se tord sous l'appréhension et la gêne, je recule encore un peu et me recroqueville dans un mécanisme de défense. Comme si une énorme vague allait s'abattre sur ma gueule.

Et tout ce que j'trouve à dire, au moment où elle m'arrive dessus, c'est vraiment d'la merde.

- Me frappe pas ! Que j'la supplie.

Si Micha était là, il me frapperait, c'est sûr. D'ailleurs, je mériterais largement qu'elle m'en décolle une ou deux. J'ai presque envie d'le faire moi-même, tiens. J'place mes mains devant moi en guise de protection et comme pour la maintenir à distance, malgré mon envie folle de la serrer contre moi.

- J'suis désolé ! Que j'ajoute comme un con, comme un lâche.

Désolé de quoi, putain ? D'être une grosse merde ? De l'avoir lâchée ? Abandonnée ? Sans la prévenir ? D'avoir été le pire ami au monde ? De ne l'avoir jamais recontacté après mon départ ? De ne lui avoir jamais dit que j'allais bien et qu'il fallait pas qu'elle s'inquiète ? Sûrement tout ça, ouais. Mais ça suffira pas, je l'sais bien. Ça risque même de l'énerver encore plus, en fait. J'ai mal joué mes cartes pour le coup. J'me tends, dans l'attente de ma sentence et j'la dévisage du coin de l'oeil, pas rassuré. Et pourtant, tout ce qui me vient à l'esprit à cet instant, c'est à quel point je la trouve jolie. Encore plus qu'avant. Mais j'vais pas lui dire. Elle risquerait de m'envoyer direct au tapis avec un coup bien placé.

- tu....

Elle baisse les yeux et j'ai envie de me foutre des baffes. Pire encore. J'ai envie de me jeter sous la prochaine voiture qui passe, parce que c'est tout ce que je mérite. Blesser Ellie. Putain. Je n'aurais pas pu faire pire. Blesser la seule personne qui avait toujours pris soin de moi, sans profiter de moi. J'me sens minable, monstrueux. Je voudrais trouver les mots, tout de suite. Pour me faire pardonner, pour tout réparer. Mais tout reste bloqué dans ma gorge. Incapable de parler. Et si à l'intérieur, j'suis courbé de honte, je reste bien droit face à elle. Dressé, j'ai presque l'air sûr de moi. Qu'est-ce que j'fous bon sang, mais qu'est-ce que j'fous ?

- tu ne penses pas ce que tu dis. Sa voix se brise et me heurte, douloureusement.

Non, évidemment qu'non. Je n'en pense pas un traître mot. Pourtant, je demeure silencieux. Et je sais que ce silence risque d'être mal interprété. Mais j'ai comme l'impression d'être tétanisé, incapable de gérer cette situation. Incapable de faire face à tous ces sentiments qui m'envahissent. J'aimerais que Michael soit là. Parce que lui, il saurait quoi faire. Il saurait m'indiquer la bonne décision. Sans lui, j'suis rien qu'un crétin, qui n'fait que les mauvais choix et qui n'assume rien. Micha c'est ma conscience, mon Jiminy Cricket. Et là, a devoir affronter cet situation tout seul, j'me sens perdu. Si Ellie savait à quel point j'suis en train de prier pour que Micha apparaisse soudainement, elle se remettrait très probablement à me frapper. Et ce serait amplement mérité, encore une fois.

- c'est comme ça que tu me vois ? comme la fille qui a profité de ta vulnérabilité ?

Je bredouille un peu, perdant de ma superbe. Retrouvant mes caractéristiques premières. Retrouvant, l'espace de quelques secondes, cet air de gosse paumé, dépassé par la vie. Et je hausse les épaules, toujours à court de mots. Il va vraiment falloir que je bosse mon rôle de gros dur. Il est loin d'être au point. A la moindre vague d'émotions un peu trop grosse, j'me retrouve démuni et je redeviens ce chaton qu'on a abandonné dans un carton à côté d'une poubelle. J'inspire un grand coup, tente de rassembler mes esprits, me redresse et, enfin, je parviens à nouveau à articuler une phrase.

- Avoue que, quand même, tu faisais d'moi ce que tu voulais et que tu t'es pas gênée pour en profiter.

Finalement, c'est mieux quand j'ferme ma gueule.
Et en plus, je n'ai aucun exemple pour appuyer et argumenter mes propos. Je n'ai aucun souvenir d'elle me manipulant, faisant de moi sa marionnette pour parvenir à ses fins et obtenir quelque chose. Mais peut-être que je ne m'en étais pas rendu compte, tout simplement ? Peut-être que j'étais dans le vrai, finalement. Je m'offusque subitement de mes propres pensées, conscient d'aller trop loin. Je l'accuse à tort de supposées choses, tout ça parce que j'suis pas foutu d'assumer quoi que ce soit. Pitoyable. Quoi que, en y repensant bien.. Y avait peut-être un sujet ou, ouais, Ellie profitait de son ascendance sur moi. Et avant même que je n'ai eu le temps de le formuler, elle me devance et le remet sur le tapis.

- micha t'enfonces et le pire c'est que tu ne t'en rends même pas compte.

Et aussitôt, c'est la colère qui s'immisce partout en moi et me fait vibrer. Je me détourne d'elle une seconde en levant les bras avant de les laisser retomber et venir claquer mes mains contre mes cuisses, dans un mouvement exaspéré.

- et voilà, c'est reparti avec ça !

Je n'ai jamais supporté leur petite guerre. Je n'ai jamais compris pourquoi ils se haïssaient tant. Et j'en ai toujours souffert, triste que les deux personnes que j'aimais le plus n'aient jamais été capables de s'entendre. Non, chacun de leur côté, ils ne faisaient que de tirer dans les pattes de l'autre. Cherchant a décrédibiliser l'autre. A s'en débarrasser. Mais comment choisir entre son jumeau et son premier amour ? Moi, je n'avais pas pu. Et même si, de loin, mon départ pour rejoindre Micha dans la rue pouvait ressembler à un choix, ça n'était pas le cas. Je n'avais pas choisit Micha contre Ellie. J'avais simplement choisit ma liberté contre l'enfer.

- il est nocif pour toi, il n'a rien d'admirable.

C'est trop pour moi. Je m'approche d'elle, l'index pointé dans sa direction, les yeux pleins de reproches, animé par une colère sourde. Je refuse de la laisser dire ça. Je refuse de la laisser salir le nom de Micha. Il n'y a que moi qui puisse dire des saloperies sur lui. Parce que personne ne l'aime plus que moi.

- Nocif ? Tu n'sais même pas de quoi tu parles, Ellie ! Si tu savais tout ce qu'il a fait pour moi, tu y réfléchirais à deux fois avant d'ouvrir ta grande gueule et d'te permettre de donner ton avis sur tout ! J'suis immonde et agressif. Mais je ne m'arrête pas pour autant. Il m'a toujours protégé, il a toujours pris soin de moi. Tu peux même pas imaginer à quel point.

Je tremble, tellement j'suis furieux. Les joues rouges, les yeux exorbités. J'suis hors de moi. Mais très honnêtement, je ne sais plus vraiment contre qui ma colère est dirigée. Contre Ellie.. Ou contre moi-même ? Parce que je sais que Micha a la sensation d'être abandonné en ce moment. Et je m'en veux terriblement. Après tout ce qu'il a fait pour moi, tout ce qu'il a enduré à ma place, j'ai l'impression d'être la pire personne au monde. Et même si lui aussi m'a abandonné y a 7 ans de ça, en partant, à mes yeux, ça n'est plus qu'un détail. Je souffle et me calme un peu.

- Alors je t'interdis de dire ça de lui. Tu sais quoi ? Je t'interdis même de prononcer son nom ou de parler de lui.

Je lui interdis, carrément ? Y a des moments, comme ça, où je ne m'entends pas parler. C'est ridicule. Je suis, ridicule. Je prends le temps de l'observer à nouveau et je vois à quel point elle souffre à cet instant. Et l'idée d'être l'origine de cette souffrance m'anéantit complètement. Alors, je me radoucis, incapable de rester remonté contre elle plus d'une minute. Je n'ai aucune crédibilité à osciller de la sorte entre l'ancien moi et le nouveau moi que j'essaye de bâtir depuis la mort de Bee.

- je croyais qu'on était plus que ça toi et moi. Une douleur vive m'étreint le palpitant et mon regard se voile de tristesse. mais apparemment je me faisais des idées.

Je ne dis plus rien. Les épaules basses, le regard rivé sur le bitume. Je préférais quand elle me frappait, finalement. La douleur physique, ça je peux encaisser, pas de souci. Mais cette douleur là, c'est insupportable. Mes boyaux qui se tordent, ma gorge nouée, et ce putain de myocarde qui se fait ravager. J'ai l'impression qu'Ellie vient d'enfoncer ses mains dans ma poitrine, qu'elle s'est saisit de ce dernier et qu'elle le presse, qu'elle tire dessus pour me l'arracher. J'étouffe, putain. Les poumons en feu et l'air qui ne passe plus dans ma gorge. T'es qu'un naze Junior, t'es qu'un naze.

- ouais, j'vais te laisser seul. j'espère que ça cogitera un peu dans ta tête.

Je relève la tête brusquement. J'la vois qui fait demi-tour. Et là, c'est la panique qui me gagne. Pourtant, les premiers mots que j'échappe ne trahissent pas franchement mon état de malêtre profond.

- C'est ça, casse toi Ellie.

Ma voix tremble, laissant malgré tout planer le doute sur la sincérité de mes paroles. Mais Ellie ne part pas. Elle reste plantée là, à attendre je ne sais quoi. Et pendant quelques secondes à peine, ça me rassure. J'ai l'impression de respirer à nouveau. Mais ça ne dure pas. J'ai la voix de Micha qui me martèle le crâne, en me rabâchant de partir d'ici, de la laisser là, qu'on s'en fout d'elle. Et, faiblement, ma première réaction est de l'écouter.

- Reste-là si tu veux, t'en fais pas, c'est moi qui part.

Et c'est ce que je fais. Je pivote et je commence à m'éloigner, d'abord d'un pas sûr. Puis, je ralentis, ma foulée diminue et la voix de Micha s'estompe. Mais qu'est-ce que je suis en train de faire ? Je m'arrête, passe mes deux mains sur mon visage, comme pour me réveiller. Tu déconnes Junior, tu déconnes grave. Je m'arrête et fais volte-face. Et j'la vois qui s'éloigne à son tour. Mon cœur implose. Non, non ! Je panique à nouveau, réalisant, trop tard, ma connerie. Alors, j'me met à courir. Je la rattrape rapidement sans m'annoncer, je plonge sur elle et l'attrape. Mon torse vient se coller à son dos alors que mes bras l'enlacent puissamment, comme pour lui fermer toute échappatoire. Ma tête se glisse dans sa nuque et j'y souffle un air chaud, lui murmurant quelques mots.

- Pardon, Ellie. Pardon. Pardon.

Et cette proximité déclenche en moi une vague de chaleur que j'avais oublié. Y a comme une nuée de papillons qui décolle dans mon ventre et mon rythme cardiaque qui s'emballe. J'ai l'impression d'entendre mon sang venir cogner contre mes tempes et y a cette bulle de chaleur et de douceur qui m'enveloppe progressivement, nous coinçant tous les deux à l'intérieur de celle-ci. Et sans que je ne maîtrise plus rien, mes lèvres viennent déposer un baiser dans son cou, avec cette douceur infinie qui me caractérise tellement. Et l'espace d'un instant, j'oublie Micha et ma colère. Complètement emporté par mes vieux sentiments qui viennent de me ressurgir en pleine figure, m'aveuglant. Et c'est avec un plaisir non dissimulé que je retrouve son odeur et cette extase que j'ai toujours eu lorsque je la tenais blottie contre moi. Mes pensées s'embrouillent et se mélangent. Et j'ai cette sensation, d'être à la fois, complètement perdu, et exactement là où je devrais être.

Cette situation me semble totalement surréaliste. J'ai l'impression de vivre un mauvais rêve. Y a quelques mois de ça, si on m'avait dit qu'un jour je me disputerais avec Ellie, que je lui parlerais sur ce ton, je n'y aurais pas cru. J'aurais ri au nez de la personne en la traitant de fou. Et pourtant. Aujourd'hui je suis là, face à elle, en train de vivre un des pires moments de ma vie. Et ça me perturbe, ça me bousille les neurones et ça m'empêche de réfléchir correctement. J'me réfugie derrière un masque de connerie. Je fais mon Michael. Et Ellie, elle ne supporte pas ça. Je la comprends. Je pense honnêtement qu'à sa place, je ne me supporterais pas non plus.

- tu es complètement stupide !

J'accuse la remarque en grinçant des dents et j'me contente de lever les yeux au ciel. Ce serait quand même difficile de lui donner tort, il faut bien que je l'avoue. Mais ça me fait mal. Même si j'ai conscience de le mériter, ça me blesse. Pourtant, moi c'est pire. C'est moi qui ait lancé les hostilités le premier. Je ne sais pas, peut-être que je m'attendais à ce qu'Ellie me pardonne en me voyant. Qu'elle ne soit pas fâchée. Qu'elle me dise que tout ce temps, elle n'a pas arrêté de m'aimer que me retrouver aujourd'hui c'est la meilleure chose qui lui soit arrivé. J'suis vraiment trop con, elle a raison. Un peu honteux d'avoir eu ses pensées si égoïstes, tellement éloignées de ma personne, je détourne le regard, silencieux. Comme si j'avais peur qu'elle puisse lire tout ça en moi, rien qu'en me regardant dans les yeux. Et ça me terrifie un peu. Elle est déjà suffisamment déçue de moi, j'aimerais autant ne pas empirer mon cas. Mais c'est foutu d'avance. Parce que dès que le sujet Michael est mit sur le tapis, je pars en vrille. C'est plus fort que moi. Micha, c'est mon sujet sensible. J'sais bien qu'il a pleins de défauts. Mais je ne supporte pas que les autres me le fasse remarquer. Il n'y a que moi qui ait le droit. Parce que moi, je l'aime. Inconditionnellement.

- Mais je n'ai jamais dit le contraire. Simplement qu'il te manipule.
Je m'étouffe à moitié et m'écrie, la voix étranglée.
- IL ME MANIPULE ?

J'suis fou de colère. Comment est-ce qu'elle peut oser dire un truc pareil ? Et me manipuler pour quoi de toute façon ? Micha n'attend rien de moi. Juste que je reste près de lui, juste que je continue de l'aimer. Et il n'a pas besoin de me manipuler pour ça. Parce qu'il en sera toujours ainsi.

- T'es complètement ravagée Ellie ! T'es.. putain, t'es tellement à côté de la plaque ! Me manipuler.. n'importe quoi.

J'enrage. Parce que outre le fait qu'elle mente sur Micha, elle insinue plutôt clairement le fait qu'encore une fois, je ne suis qu'un esprit faible que l'on peut modeler comme on veut. Et ça me gonfle. Je ne suis pas une petite chose fragile, ébranlée par la vie, qu'on manipule comme une simple marionnette. JE. NE. SUIS. PAS. FAIBLE. Ma peau se teinte de rouge et mes poings se serrent. J'ai l'impression d'étouffer. Je suffoque à moitié, les poumons comprimés. J'ai envie de hurler, de tout casser. Et je ne sais pas trop d'où me vient cet accès de violence. Il parait que ce sont des choses qui arrivent chez les gens gentils et calmes comme moi. Des années de frustration accumulée qui explose subitement. Mais une part de moi refuse que ce soit Ellie qui en fasse les frais. Alors je ravale ça tant bien que mal, la laissant s'évacuer seulement par petits morceaux.

- il te dit de te jeter d'un pont et toi, bête comme tu es, tu le fais !
La colère se transforme en humiliation. Touché en plein cœur, j'me sens subitement fébrile et ridicule.
- Super, alors maintenant en plus j'suis bête. Wah, super.

Ça me touche beaucoup trop et je n'sais pas pourquoi. A fleur de peau, je sens une vague de tristesse m'envahir et j'ai envie de fuir. Je n'ai pas envie qu'elle voit à quel point tout ça m'atteint. Pourtant, elle m'a déjà vu chialer un paquet de fois par le passé. Mais aujourd'hui, je ne veux plus qu'elle voit ça. Ca ne ferait que la conforter dans l'idée que je suis un gros nullos. Et j'aimerais autant éviter, j'en ai un peu marre d'être tout le temps la risée du monde.

- Sinon quoi ? Tu vas me frapper ? me dire à quel point tu as fait une erreur de me fréquenter ? ou peut-être me reprocher d'avoir été là pour toi quand bien même ton monde s'écroulait autour ?

Ses reproches me laissent sans voix. J'ai esquissé un mouvement de recul, comme pour me protéger d'un ennemi terrible. Je la dévisage, un peu abasourdi et je ne sais plus quoi penser de ses mots. La frapper ? Quelle idée. J'espère sincèrement qu'elle ne le pensait pas. Qu'elle n'imagine pas un seul instant que je sois capable d'une telle horreur. L'idée de frapper un homme me bloque déjà pas mal, mais une femme ? Même si je me faisais attaquer par une folle armée jusqu'aux dents, je ne suis pas certain que j'oserais me défendre. Alors, Ellie... ? Inconcevable.

- Je.. ! J'ai les sourcils froncés, le regard dur et pourtant, je ne trouve pas mes mots. - J'en ai juste marre que les gens se permettent de critiquer Micha sans cesse, alors que vous ne le connaissez pas vraiment. Vous ne le connaissez pas comme moi je le connais. Vous le prenez pour un connard égocentrique, alors que c'est la personne la plus altruiste et courageuse que j'connaisse. Ou que je connaissais. Le Micha d'aujourd'hui n'est plus que l'ombre de lui-même. Il n'est plus que tristesse et amertume. - Je savais que tu ne comprendrais pas. T'es trop persuadée de tout savoir sur tout l'monde. Sauf que tu n'sais rien du tout, pas même sur moi. La preuve ! J'écarte grand les bras, tout en la fixant. Elle pensait me connaître mais la désillusion et la déception que je peux lire dans son regard prouve le contraire. Pourtant, j'imagine que j'ai toujours été un peu comme ça. Au fond de moi. En fait, je n'en sais plus rien. Je me sens tellement dépassé par tout ça.

- Tu t'en fous d'moi. Ce que tu aimais, c'était l'idée de m'être indispensable. Et aujourd'hui que je n'ai plus besoin d'toi, tu ne le supporte pas et tu t'en prends à Micha. T'es pathétique, Ellie. Que j'dis, amer.

Et on s'éloigne chacun de notre côté, fâchés, blessés. On est trop bêtes. Trop fiers, aussi. Mais moi, la fierté, c'est toujours passager. Elle se casse aussi vite qu'elle est venue. Alors après plusieurs pas, après avoir creusé la distance entre elle et moi, je me ravise. Parce que y a toujours cette partie de moi, au fond, qui brûle et qui ne veut pas s'éteindre. Celle qui me fait aimer les gens, tous sans exception, avec leurs qualités et leurs défauts. Celle qui me rend si gentil, si enclin à accepter tous les travers des gens. Celle qui, finalement, a besoin d'aimer et d'être aimée. Alors je fais demi-tour sans réfléchir et je me jette à sa poursuite. Je la rattrape, l'attrape, l'enlace et me serre contre elle pour l'empêcher de partir. Ma tête lovée dans sa nuque, je voudrais rester comme ça pour l'éternité. Qu'elle ne pose pas de questions, qu'on ne poursuive pas notre conversation. Qu'on reste juste là, bien l'un contre l'autre. Mais je me leurre. Elle n'est pas bien et je le sens. Il émane d'elle un mélange de tristesse et de colère qui vient m'agresser, comme si l'air était acide. Après de longues secondes d'immobilité, elle finit par se mouvoir et se retourne pour me faire face. Je desserre mon étreinte et mes mains viennent se poser sur ses bras. Et j'ai l'impression de crever alors que je vois ses yeux rougis par les larmes. C'est ma faute. C'est ma faute. Suis-je quelqu'un de mauvais ? Sûrement. Peut-être. J'sais plus vraiment. Tout ce que je sais, c'est que je me sens atrocement mal. Comme si j'étais malade.

- Pourquoi ?

Je me fige. Pourquoi ? Merde, j'en sais rien. J'crois que je viens de faire une connerie. J'ai encore été égoïste. J'ai cédé à une envie strictement personnelle, sans me soucier des répercussions que ça allait avoir. Elle a raison, ça ne me ressemble pas tout ça. Et est-ce que j'ai envie qu'elle voit en détail ce que je suis devenu ? Ce clodo égoïste qui passe ses nuits à jouer de l'argent sur des tables de poker ? Cet intello raté qui se fait recruter par une bande de braqueurs ? Je baisse les yeux, devinant sans peine la déception qu'elle ressentirait. Et je ne me sens pas capable d'affronter ça.

- Je.. j'sais pas. Que j'dis bêtement, gagné par la panique.

Elle va encore me frapper, c'est sûr. Je la relâche et recule de deux pas, un peu inquiet.

- J'aurais pas dû, c'est.. c'était une erreur. J'sais pas ce qui m'a pris.

Pourquoi est-ce que j'ai autant envie de fuir que de l'embrasser ? Je n'y comprends plus rien. Je déteste quand les choses sont compliquées. Je déteste ne pas y voir clair. Ne pas savoir quoi faire. Je voudrais que Micha soit là et me dise quoi dire, comment réagir. J'm'en veux affreusement. Elle a raison Ellie, j'suis vraiment un crétin. Je passe une main nerveuse derrière ma nuque, embarrassé, plus que jamais. Je lui lance un bref regard, clairement gêné. J'ai envie de devenir fourmis et de disparaître dans la fissure d'un mur. Je continue de reculer, comme si ça allait me sauver et régler la situation. En plus d'être bête, elle aurait dû préciser que j'étais aussi lâche. J'suis vraiment une erreur d'la nature.

- Regarde les choses en face et tu comprendras.

Qu'elle me lance, agacée. Et j'ai beau retourner la chose dans tous les sens, tout ce que je comprends c'est qu'elle n'aime pas Michael. Et qu'elle n'hésitera pas à le descendre, encore et encore. Peut-être même à nous monter l'un contre l'autre. Au final, ne serait-elle pas contente que je la choisisse elle plutôt que mon frère ? Arrête Junior, putain, tu dérailles. Ellie ne souhaiterait jamais une chose aussi abjecte. Mais j'ai beau m'engueuler intérieurement, maintenant que cette idée à germée dans ma tête, je ne peux plus m'en débarrasser. Elle tourne en boucle dans ma tête, ne faisait qu'alimenter cette rage ridicule que je lui voue pour la première fois de ma vie. Et ce mélange en moi colère et culpabilité. Ouais, un mélange entre moi et ce nouveau Junior que j'essaye d'être depuis la mort de Bee. Celui qui gère tout, celui qui prend les choses en main, celui qui s'occupe de l'autre. Et ce rôle, ça force à faire des sacrifices, à se fâcher, à hausser le ton, à ne plus se laisser faire en comptant simplement sur les autres pour nous sortir de là. Alors, forcément, ouais, ça me fait changer. Oh, c'est pas le jour et la nuit encore. Loin de là. Mais ça fait son petit bonhomme de chemin, tout doucement. Tranquillement, mais sûrement.

- Tu sais très bien ce que je veux dire Junior.

NON PUTAIN. NON.
Non, je n'sais pas. Je pige pas. J'ai l'impression qu'elle fait exprès de m'énerver. De me pousser à bout. D'utiliser ce sujet si sensible contre moi, pour je ne sais quelle raison. Qu'elle essaye presque de me faire du mal, pour me refoutre à sa merci. Et c'est tout mon corps qui réagit, effectuant un blocage assez violent. J'ai envie d'me fâcher, de lui crier encore plus dessus. Presque de l'insulter. Mais j'arrive à me retenir. De justesse, mais j'y parviens. Heureusement. Putain, ouais, dieu soit loué. Je sais pas si j'aurais pu encaisser le fait de la traiter de tous les noms. J'crois qu'après ça, c'est moi qui me serais jeter sous un camion. Terrassé par la honte d'avoir été un parfait salaud. Moi qui ai toujours aspiré à faire son bonheur, de toutes les façons possibles. Qu'est-ce qui a changé, bon sang ?
Moi. Ouais. Ça doit être moi.

On se déchire une dernière fois, avant de partir chacun de son côté. Mais j'tiens pas. Loin d'elle, le calme redescend et je réalise que je ne peux pas faire ça. Qu'on ne peut pas partir comme ça. Que ça ne peut pas se finir comme ça. C'est Ellie, bordel. Ellie. Comment j'peux la traiter d'la sorte ? Comment je peux me contenter de ça ? De quelques mots agressifs, de regards glacés ? Non. J'peux pas. S'il lui arrivait malheur, je ne supporterais pas que notre dernier échange soit celui-ci. Je pivote, je fonce, sans réfléchir à ce que je vais faire, ce que je vais dire. Tout ce que je sais, c'est que je suis dévoré par l'envie de tout arranger. De tout effacer. Il le faut. Et cette idée me semble encore plus juste lorsque je l'étreins contre moi. Je retrouve avec plaisir la douceur de nos contacts et je réalise à quel point elle m'avait manquée tout ce temps. Il s'était passé tellement de choses au cours de la dernière année, que je n'avais pas vraiment eu le temps de me pencher là-dessus. Mais maintenant qu'elle est là, devant moi, contre moi, j'en prend pleinement conscience. Tous ses moments où j'ai eu envie de parler à quelqu'un et que je me rabattais sur Bee ou Michael, par dépit, avec cette sensation frustrante au creux de la poitrine que ce n'était pas ce que je voulais, sans parvenir à comprendre. Je sais maintenant. C'est elle que je voulais, ça me semble tellement évident. Parce que c'est toujours vers elle que je me tournais. Elle, cette oreille attentive. Elle et ses mots rassurants, ses caresses réconfortantes. Et je me sens tellement coupable et stupide de l'avoir écartée de ma vie. Je crois que Dieu n'était pas d'accord non plus avec mes plans et qu'il m'a donné l'occasion de rectifier tout ça en la faisant croiser mon chemin ici. Ça ne peut pas être un hasard. Non. Le hasard, c'est bon pour les athées.

Mais quand je me retrouve face à elle, face à ses questions, elle qui veut tellement comprendre ce qui se passe, à quoi je joue, je me retrouve muet. Incapable de me justifier. J'me sens presque pris au piège et je me braque à nouveau, gagné par la panique. J'la vois qui pleure, son regard humide posé dans le mien, cherchant désespérément des réponses à ses questions. Et ça me brise le cœur. Je voudrais sécher ses larmes, lui dire que c'est finit, qu'on oublie tout ça, que j'suis désolé, que j'ai merdé mais que je vais tout arranger. Je voudrais sincèrement lui dire ça, parce que je le pense. Mais y a rien qui serre. Ma gorge est prise en étau et les mots ne passent pas, bloqués, formant une boule douloureuse.

- écoute... je sais que tu tiens beaucoup à micha et je ne voudrais pas m'interposer entre vous, mais comprend mon point de vue s'il te plait.

Je baisse les yeux, fuyant son regard, probablement un peu trop lâche pour l'affronter. Elle s'attend à ce que je comprenne, mais j'en suis incapable. Quand il s'agit de Micha, je ne sais plus être raisonnable, ni objectif. Je me laisse emporter par mes sentiments et par tout ce que j'ai vécu avec lui. Tous les coups qu'il a encaissé à ma place. Toutes ces nuits enfermé dans la boite noire à ma place. Non, pardonne-moi Ellie, mais je ne peux pas comprendre. Je souffle, réellement embêté de cette situation. Je voudrais me montrer plus coopératif, mais ça ne marche pas comme ça. Non sans mal, je relève les yeux pour me retrouvé confronter à nouveau à son regard, gorgé d'incompréhension et de chagrin. Je perçois sa souffrance, elle émane d'elle si fort et vient se heurter contre ma poitrine, fragilisant ma carapace un peu plus à chaque seconde. Et je vois ses yeux, qui vont et viennent par moment entre mes prunelles et mes lèvres. Et, instantanément, je sens que c'est tout mon corps et mon âme qui s'enflamment. Est-ce que.. ? Non. Je la fixe, dubitatif. Je dois rêver. Je me trompe. Je me trompe toujours sur ces choses-là. Je n'y connais rien aux filles, aux femmes. J'suis nul dans ce domaine. Suffit de voir comme je patine avec Lola et Penelope. La première me hait et la deuxième me considère comme son petit frère, ou une connerie de ce genre-là.

Ouais. J'suis p't'être nul, mais avec Ellie, c'est différent. On se connait. On en est pas à notre premier tête à tête. Et j'vois bien le trouble qui la secoue à cet instant. J'vois bien qu'elle pige pas pourquoi ses yeux portent tant d'intérêt à ma bouche, alors que nos retrouvailles sont plus tristes et déchirantes que jamais. Que ça n'a aucun sens, que cette envie n'a rien à foutre là. Et pourtant, elle parvient à me la communiquer. L'estomac qui se noue, le rythme cardiaque qui s'affole. Sensation de chaleur au creux de mon ventre. Les mains qui tremblent un peu.

- Tu ne peux pas dire que je n'suis rien pour toi, t'as pas le droit de dire ça.
- Non, t'as raison.

Que je réponds à la hâte, sans même m'en rendre compte. J'suis comme sur pilote automatique, j'laisse mon cerveau gérer mes paroles dans son coin, et tout le reste de mon esprit est concentré sur cette tension tombée de nulle part dont je ne peux plus me détacher. Je me noie dans les yeux clairs de mon amie, de celle qui fut bien plus qu'une amie. De celle qui sera toujours bien plus que ça. Et je sens des semaines de frustration accumulée me saisir à la gorge. Tous ses échecs face à Lola et Pene. Tout ce que j'ai ressentit face à elles, la sensation d'être une merde. D'être si nul. Si peu désirable. Et là, ça m'explose à la gueule. Et j'ai comme envie de me prouver un truc. A moi et au monde entier. Parce que, putain, là dans les yeux d'Ellie, je ne me trouve pas moche, pas repoussant. Et ça fait du bien. Je voudrais plonger complètement dans son regard et y rester, tout le temps. J'avais presque oublié à quel point j'y étais bien. Et sa main s'approche de la mienne, nos doigts s'entrelacent avec cette douceur qui nous est propre, me ramenant des années en arrière, lorsqu'on partageait tellement plus. Et ça me manque, au fond. On était bien. C'était simple. C'était tout ce que j'aime.

- J'aime pas quand on se prend la tête, j'aime pas quand tu me méprises, j'aime pas être une étrangère pour toi. Je veux que tu me regardes comme tu le faisais avant.

Je m'sens défaillir. Ses mots me touchent, en plein cœur. Et je ne parviens plus à dissimuler ce que je ressens à cet instant. Alors, mon regard se remplit de tendresse, je libère ma main de la sienne et dépose mes deux mains sur ses joues de poupée, si délicates, teintées de rose.

- Je suis, tellement, désolé.

Que j'articule dans un murmure sincère. Et j'attire son visage vers le mien, me penche doucement en avant, jusqu'à ce que nos lèvres se rencontrent enfin, scellant la fin de cette tension à peine supportable. Mes yeux se ferment et mes doigts glissent derrière sa nuque, dans ses cheveux, alors que je me laisse aller à un baiser aussi délicat et que passionné. Mes lèvres étreignent les siennes, dans un désir assumé, dans un mélange de douceur et de force tranquille qui me caractérise tellement. Mon palpitant joue les bombes à retardement et finit par exploser, libérant dans ma poitrine une confusion de sentiments. Mais je réalise brusquement à quel point mon geste est égoïste. Que ce baiser est malvenu. Je la relâche, à contrecœur, avec une certaine violence provoquée par les centimètres qui nous séparent brutalement. Et un manque lancinant se fait déjà ressentir le long de mon corps. Je la dévisage, perplexe, comme étonné de moi-même. Je détourne les yeux et me prend la tête entre les mains.

- Merde, merde, merde.

Que je balbutie, à fleur de peau, encore troublé de ce contact mouillé. Ma lèvre inférieure tremble et je libère ma tête, la fixant avec tellement de gêne. Mon regard se voile d'une infinie tristesse et tout mon être lui hurle ô combien je suis désolé pour ce que je viens de faire et pour la suite.

- J'aurais pas dû. On aurait pas dû. Faut pas.

Pourquoi ? Pourquoi faut pas Junior ? Putain. Je m'embrouille les idées, tout va trop vite, tout va de travers dans mes pensées. J'ai le palpitant qui se déchire face à ma connerie, parce que je sais déjà qu'Ellie ne va pas comprendre. Qu'elle va avoir aussi mal que moi. Et qu'elle va m'en vouloir à nouveau, terriblement. Mais j'me sens pas prêt à assumer ce que je viens de faire.

- J'dois m'en aller. Vraiment. J'suis attendu.

J'suis attendu ? J'sais pas. J'sais plus. Et là, je fais ce truc horrible de la contourner et de me tirer à toute vitesse avant de m'engouffrer dans la première rue que je trouve, histoire de la semer au cas où l'envie de me suivre pour me buter lui prendrait.
T'as déconné Junior. T'as vraiment déconné.
J'le sais et pourtant, malgré les regrets et la culpabilité qui m'écrase, je n'fais que penser aux lèvres d'Ellie et au réconfort que j'ai ressentit en l'embrassant. T'es qu'un sale con égoïste, Junior Healy.