Rentrer à la maison, m’éloigner du quotidien de l’hôpital et de ses murs austères m’avait fait le plus grand bien, je ne pouvais pas le cacher. À présent, je pouvais vivre dans mes propres affaires et clairement, j’avais un meilleur espoir que je pourrais retourner à l’école au moment de la rentrée. J’étais conscient que ce n’était pas l’idéal, que peut-être je ferais mieux de prendre un mois de plus pour m’assurer que j’étais complètement rétabli, mais pour être franc, j’avais envie de retourner à l’école, revoir mes élèves, avoir un quotidien un peu plus fourni que le simple fait de rester chez moi. Il fallait dire que pour le coup, le fait que les choses ne soient pas totalement mises au clair avec Maia contribuait beaucoup à alimenter cette envie de faire autre chose, retourner au boulot, mais ça, je ne pouvais pas faire autrement. En toute franchise, je ne savais pas comment tout ça allait se terminer, je ne savais pas si nous allions parvenir à réellement en parler à un moment ou un autre, si à un certain point, il vaudrait mieux pour moi que j’aille rester chez mes parents quelque temps. Concentré sur mon retour, je n’en avais pas vraiment parlé, me contentant de lui en demander le moins possible, ce qui me poussait à me débrouiller seul, donc ce qui n’était pas plus mal, d’une certaine façon. Évidemment, je ne faisais pas d’effort qui était inutile pour pousser mon rétablissement, parce que je savais que cela ne saurait que m’épuiser, mais aujourd’hui, alors que j’étais assis dans le canapé à regarder la télévision et que j’entendis frapper à la porte, plutôt que de faire ce qu’on pouvait attendre de moi, c’est-à-dire de prévenir que la porte était ouverte pour éviter de me lever, je décidai de simplement dire, d’une voix assez forte pour être entendu:  « J’arrive ! » Puis, comme je le pouvais, je me levai du canapé, attrapai les béquilles que j’avais décidé de me procurer pour la maison, quand les déplacements étaient courts et ne m’épuisaient pas trop, et je me dirigeai vers la porte d’entrée. La progression ne fut pas la plus rapide qui soit, mais puisque le trajet était relativement court, il ne me fallut pas trop de temps - je l’estimais en tout cas - pour arriver à la porte et l’ouvrir sur ce que je considérai être une belle surprise; ma cousine, Jules. Ce fut alors avec un sourire et un certain enthousiasme que je lui dis:  « Hey ! Je suis content de te voir ! Qu’est-ce qui t’amène ici ? » Puis, par réflexe, je me décalai légèrement de la porte, signifiant que si jamais elle voulait entrer, elle était plus que bienvenue. Et j’espérais qu’elle voudrait bien rentrer, parce que je ne jouais pas les hypocrites quand je me montrais de la voir. Au contraire, qu’importe la raison pour laquelle elle était venue, il me faisait plus que plaisir qu’elle soit venue frapper à ma porte.

Quand j’étais encore à l’hôpital, lorsqu’on me disait que j’avais l’air en forme, j’écoutais le commentaire sans vraiment le prendre en considération, me disant que c’était là une marque de politesse, mais sans plus. Sauf que là, venant de ma cousine, en ces circonstances, j’appréciais grandement la remarque, et je lui fis savoir par un large sourire. Après, rien ne me disait si c’était par formalité ou sincérité, mais je m’en moquais, parce que là, maintenant à la maison, j’avais envie d’être plus en forme, j’avais envie de reprendre une vie à peu près normale, parce que la dernière chose que je voulais, c’était de m’enfoncer dans mes problèmes avec Maia et devenir une loque. Je l’avais été pendant trop longtemps à l’hôpital, et maintenant que j’avais une chance de prendre au moins une minime partie de ma vie en main, je ne me faisais pas prier pour le faire. Et ça, ça incluait de profiter un peu du temps, des gens qui avaient la bonté de venir me voir, comme Jules était en train de le faire. Pour cette raison, et aussi parce que ça me faisait vraiment plaisir de la voir, je ne me fis pas prier pour la laisser entrer, puis ce fut avec le même plaisir que précédemment que je l’écoutai me dire qu’elle était venue souligner mon retour à la maison en me proposant d’en sortir un peu. Ayant appris à apprécier ces moments où on me donne l’occasion de prendre l’air, parce que ce n’était pas quelque chose que je m’aventurais à faire seul, je ne sus faire autrement que de rire doucement à la proposition, puis répondre, sans aucune hésitation:  « Tu sais bien que je ne peux te refuser ça. C’est vraiment gentil de ta part. » En effet, peut-être que pour Jules, ce n’était pas grand-chose, mais moi, j’étais particulièrement touché qu’elle ait pris le temps de venir ici pour que nous puissions passer un peu de temps, elle et moi. Et ça, même si je ne lui dis pas clairement, je m’assurai de le lui faire comprendre en me montrant particulièrement enthousiaste à cette idée et en ne tardant pas pour lui demander:  « Tu pensais aller où ? » Cette question, je la lui posai non seulement parce que j’étais curieux, et aussi hâtif de le savoir. Après, si jamais elle préférait rester à la maison un moment, je ne pourrais pas lui en vouloir. Par contre, si nous sortions maintenant, ma question avait alors un aspect un peu plus technique, compte tenu que je n’étais pas encore en mesure de me déplacer en béquilles sur de longues distances, si jamais elle souhaitait aller plus loin, le mieux serait que je prenne mon fauteuil. Mais avant de penser à ça, je préférais être attentif à sa réponse, me disant que j’aurais l’occasion de m’ajuster en conséquence au moment venu, parce que je me doutais bien que Jules n’était pas du genre à me mettre la pression si je venais à prendre quelques minutes pour me préparer convenablement en ce qui concerne mon moyen de locomotion.

Un sourire de gamin apparut sur mes lèvres lorsque Jules en vint à parler de manger une glace. Depuis combien de temps ne m’étais-je pas adonné à ce plaisir ? En vérité, je ne saurais le dire. Il fallait avouer qu’à la base, je n’étais pas celui qui en mangeait le plus, vu cette intolérance qui me jouait parfois des tours, parfois me laissait tranquille. Évidemment, puisque ce souci alimentaire n’était pas des plus ravageurs aujourd’hui, je ne m’en privais pas pour autant, mais pour moi, ça n’avait jamais été chose naturelle, quelque chose que je voulais régulièrement. Sauf qu’en ce moment, alors que je venais de sortir de l’hôpital, que je sentais que je reprenais lentement, mais sûrement, le goût à la vie, je devais admettre que cette éventualité me plaisait beaucoup. Voilà pourquoi je n’hésitai pas trop avant de répondre à ma cousine:  « Une glace, c’est parfait pour moi ! », me rendant compte qu’après coup que je sonnais vraiment comme un enfant qui en voulait une désespérément. Mais au fond, je savais que ce n’était pas que ça. J’étais enthousiaste parce que je savais que cela me ferait le plus grand bien de sortir un peu, chose que je ne pouvais pas vraiment me permettre quand j’étais seul pour le moment, et aussi parce que je sortais avec ma cousine, ce qui n’était pas arrivé depuis ce qui me semblait être une éternité, chose qui m’avait grandement manqué. Sitôt cette question réglée toutefois, je me rendais compte qu’au contraire d’un enfant, je ne pouvais pas me permettre de simplement gambader jusqu’à la crèmerie la plus près. Je ne pouvais même pas dire que je ne faisais que prendre mes clés et mon porte-feuille et j’étais prêt à partir. Non, dans mon cas, il fallait une étape de plus, à savoir réfléchir à comment j’allais m’y rendre. Progressivement, je réalisai que les béquilles étaient difficilement une option. Non pas parce que je ne me déplaçais pas correctement avec celles-ci, mais parce que je ne connaissais pas mes limites et je jugeais que ce n’était pas vraiment le moment de les tester, qu’importe si nous allions près ou pas. En venant rapidement à prendre une décision, je ne pus en faire tout de suite part à ma cousine qui, elle, s’adonna à une gentille blague qui m’arracha un petit rire de même qu’un:  « Ne t’en fais pas, j’ai déjà pris une douche. », gardant un petit sourire pour lui signifier que je lui faisais là une blague, ou bien que je tentais de lui faire une blague en tout cas, malgré le fait que j’appréciais grandement sa proposition. Pas pour me laver, bien sûr, mais de vouloir me venir en aide. Bien décidé à ne pas m’attarder sur ce fait, je repris mon sérieux, et je dis:  « Non sérieusement, je vais seulement m’installer dans le fauteuil une fois dehors. J’ignore si je suis en mesure de m’y rendre en béquilles pour le moment. » Puis, comme si je voulais montrer que ce n’était pas ce détail, ce que je considérais être un détail en tout cas, qui allait m’arrêter, j’attrapai mes affaires que je laissais toujours dans l’entrée, et je dis, tout en ouvrant la porte et restant à distance de celle-ci pour laisser passer ma cousine:  « Alors, on y va ? »