C'est fou, ça, la technologie. Comment on peut y être à ce point accro. Même Robin. Même elle qui est normalement plutôt branchée ondes positives qu'ondes néfastes dégagées par ce genre d'appareil. Elle le cherche depuis la veille, son téléphone. Aucune idée d'où elle a pu le mettre et ça la stresse. Elle a retourné toute sa chambre, toute sa boutique. Puis, elle a tout rangé. Il est forcément quelque part, n'est-ce pas ? Y a pas eu de client, la veille, personne n'aurait pu le lui voler. Et l'autre cinglé qui squatte la nuit ne serait pas allé jusqu'à entrer dans sa chambre, elle l'aurait entendu, elle l'aurait vu. Il ne serait pas passé inaperçu. Mais alors où est-il ? Elle a passé tout le début de la journée à remettre de l'ordre dans sa boutique, la paperasse n'a jamais été aussi nickelle, son bureau n'a jamais été aussi nu. Même sa chambre. Elle a tout flanqué dans des boites, ordonné, dans les meubles, sous son lit, contre les murs, empilé. Ça la dépasse, alors, elle rembobine, elle se repasse le film de la journée d'hier dans la tête. A commencer au petit matin. Café. Clope. Son antre aux pierres. L'attente. L'ennui. Les coups de crayons minables sur des feuilles blanches qui ont fini en boule, chiffonnées au fond de la poubelle. La poubelle. Non quand même ? Elle la renverse, fouille parmi les débris de feuilles, sans succès. Crotte. Elle se laisse retomber dans son siège et regarde le plafond en soupirant. Rembobine. Elle est allée manger un bout dans la cuisine à midi. Peut-être ? Elle se lève et elle va voir. Ça l'angoisse, ça la stresse. Elle n'a rien à cacher, c'est pas le problème, mais il lui avait coûté un certain montant ce foutu téléphone et rien que l'idée de ne pas savoir où il se trouve, ça fait grimper son stress à un taux incroyable. Alors, direction la cuisine. Elle ouvre les tiroirs, le frigo, les placards. Elle fouine, elle pousse un peu tout, écarte du bout de ses doigts qui tremblent sous l'anxiété les quelques paquets qui obstruent sa vision. Mais sa recherche est encore infructueuse. Elle soupire et couine un peu. « Mais… » Sourcils froncés, elle rembobine encore. Elle était remontée dans sa chambre, était allée voir Chief dans la sienne, puis elle était redescendue dans son antre. Mais elle n'avait pas le souvenir d'avoir eu son téléphone avec elle là-haut. Quoiqu'elle pourrait aller jeter un œil à l'étage. Elle soupire encore et en entendant la musique qui pulse à fond depuis la cave, elle se doute bien qu'il s'est réfugié dans son coin à lui. Bon, il n'en saura rien, alors elle tente et elle grimpe jusque sa chambre. Poussant la porte discrètement, elle regarde s'il n'y a réellement personne, puis elle s'y glisse. Elle ne farfouillera pas tellement, puisqu'il y a pas de chance que son téléphone se soit glissé on ne sait où. Elle refait l'itinéraire qu'elle avait fait la veille, regarde derrière et sous les meubles. Sans succès, encore une fois. « Mais c'est pas possible… » murmure-t-elle. Alors elle redescend. Véritable épopée que cette recherche de mobile. De retour dans la cuisine, elle s'arrête et réfléchit à nouveau. Après être allée à l'étage, elle avait suivi Chief dans sa cave et avait dorloté ses plantes à sa manière, glissant, en offrande, quelques petits pierres qui font le fond de ses poches, dans les pots des plantes bien-aimées d'Oz. Ta gueule Chief !! Elle glousse. La voix provient de l'étage et a tellement tonné que même la musique s'éteint au sous-sol. Sans doute Caïn qui n'en peut juste plus de la voix aux accents forts de casserole de son ami. Lapiz, elle, ça ne la dérange pas plus que ça, entendre Chief qui s'amuse dans sa cave, ça la rassure, en un sens. Ça lui confirme qu'il est là, entre ces murs et elle se sent en sécurité.

Elle se dirige donc vers la serre souterraine, vers le monde d'Oz et descend à pas feutrés les quelques marches qui l'y mènent. Il s'est calmé, il n'est plus en train de chanter, il s'est même remis à travailler. Quoique peut-être travaillait-il déjà quand il chantait ? Il l'a sûrement entendue arriver puisqu'il s'est tourné vers elle… son téléphone dans les mains. Elle esquisse un sourire et soupire, soulagée. Son anxiété s'est envolée. Approchée, elle tend la main pour le récupérer quand elle le voit lui échapper. Chief a reculé la sienne, elle fronce brièvement les sourcils, lui a ce foutu sourire de quand il a une sacré idée derrière la tête, déformé par ces tatouages qui lui mangent le visage. « C’est qui ? »  Elle blêmit. Hein ? Il a regardé dans son téléphone ? Mais Chief… « Ce… Léo ? » Elle ouvre grand les yeux et détourne le regard en grimaçant. Elle tord ses doigts entre eux et évite le regard de son ami. C'est pas cool… Non. Même, ça se fait franchement pas. Mais Robin n'est pas du genre à se fâcher. Leo. C'est un nom de garçon. Chief a sûrement regardé pour être sûr qu'elle ne lui cache rien de potentiellement dangereux, hein ? Ça doit être ça.

« C'est… un garçon... »

Elle fronce le nez. Elle sait que ça ne sera pas suffisant. Chief, à ce niveau-là, il est comme Caïn. Il va vouloir en savoir plus. Mais elle sait que c'est pour son bien. Ils connaissent tous les deux son histoire, elle sait qu'elle peut compter sur eux pour la protéger. Alors, ils sont prudents. Pour elle. Elle ne l'a peut-être pas été suffisamment, finalement ?

« C'est un garçon que j'ai rencontré. »
Elle a cette moue des enfants que l'on a pris en flagrant délit de bêtise et elle regarde ses pieds. Ça la gène énormément de dire ça à Chief. Ça aurait été Caïn, ça aurait été différent. Mais là… C'est Chief. C'est différent. Elle veut pas non plus qu'il se dise qu'elle rencontre des garçons, comme ça, comme n'importe quelle autre fille et … oh. C'est quoi ça ? Ses joues rosissent. Elle veut pas qu'il se dise qu'il ne serait plus forcément l'un des seuls hommes dans sa vie. Un des seuls, avec Caïn ( et Gavroche de très loin ) qu'elle laisse approcher. C'est vrai, en un sens, qu'ils étaient les seuls, mais… Grâce à eux, grâce à Serena, grâce à leurs relations privilégiées, elle arrive peu à peu à sortir de sa coquille. A sortir du Troisième Œil. Alors oui, forcément, elle rencontre d'autres personnes. Mais ce n'est pas pareil…