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 trouble (jula)

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MessageSujet: trouble (jula)   trouble (jula) EmptyMer 20 Juil - 1:52

Y a son reflet qui la fixe dans la vitre d'en face, et Lola, elle peut pas s'empêcher de lâcher un soupir. Elle ressemble à un trophée. Sa robe est aussi courte que moulante – de celles que les filles mettent quand elles ont pas envie d'rentrer seules le soir – et elle a du noir sur les yeux, du rouge sur les lèvres. Elle a tout l'attirail de la poupée et c'est bien ce qu'elle est, c'est bien ce qu'on lui demande d'être. Ce qu'il exige qu'elle soit. Cet enfoiré dont les yeux sont vrillés sur ses cartes, une ride naissant sur son front comme chaque fois qu'il se concentre durant une partie. Elle connaît ses mimiques, depuis l'temps. Elle sait quand il a du jeu et quand il n'en a pas, elle sait quand il pourra tout empocher en toute honnêteté et quand il aura besoin d'elle pour tricher. Elle déteste ça. Elle déteste connaître ses traits par cœur. Elle déteste être incapable d'arrêter de l'observer. Elle déteste se sentir à sa merci alors qu'elle fait tout pour s'rebeller, pour l'envoyer chier. Elle le déteste, lui. Et elle déteste cette putain de soirée qui la fait se sentir plus inutile que jamais. Quand elle est arrivée avec Junior, les regards se sont tournés sur elle, trahissant les questions tacites. Pourquoi elle est là. Pourquoi elle est avec un type comme lui. Pourquoi elle s'retrouve dans une soirée comme ça, alors qu'elle pourrait s'faufiler dans un club VIP loin d'ici. Elle a envie d'les envoyer chier chaque fois qu'elle perçoit leur confusion, mais elle s'retient. Elle serre les dents et elle sourit, enfilant ce rôle qui lui va comme un gant. Celui qu'elle qualifie de James Bond girl parce que ça la rassure, parce que ça lui donne un tout p'tit peu de dimension. En vrai, elle n'est que la potiche. La diversion. Le truc qui brille, qu'on utilise pour attirer les pies pendant qu'on les plume consciencieusement. Et elle est tiraillée, la donzelle. Paumée entre la satisfaction et la colère. La jubilation causée par l'attention qu'on lui porte, l'électricité que ça envoie dans son cœur à chaque œillade en coin qu'on lance dans sa direction, pour admirer ses yeux de biche ou son jeu d'jambes. La rage d'en être réduite à ça, de n'pas valoir mieux, d'être le putain de jouet d'un sale gosse à qui il manque une case, une vulgaire tête à claques qui l'exhibe à son bras comme le dernier bibelot à la mode. Quel sale petit enfoiré. Elle le voit, qui affiche sa plus belle poker face, ne laissant rien paraître devant ses adversaires. Et puis elle voit la clarté de ses yeux qui la transperce furtivement, juste le temps d'une seconde. Juste le temps de lui faire comprendre ce qu'il veut. Visiblement, il est dans la merde. La chance est pas d'son côté et il a trop misé pour perdre ce soir. Il a besoin d'elle. Et pendant une seconde, elle considère l'option de se lever, et de s'tirer de ce trou à rats. Filer d'là, ôter ses pompes qui lui font mal aux pieds et courir jusqu'à la plage comme une gamine. Mais elle sait que si elle fait ça, il la retrouvera. Il la coincera. Elle le paiera. Elle a l'impression qu'elle peut pas lui échapper et dans l'fond, elle arrive même plus à dire si c'est totalement vrai. Elle sait pas si elle est totalement prisonnière, ou si y a aussi une part d'elle qui veut le rester. Sûrement qu'il vaut mieux pas qu'elle y pense. Elle a trop peur de connaître la réponse.

Tranquillement, elle sirote les dernières gouttes de son verre de tequila, analysant les joueurs installés en cercle. Elle choisit sa cible. Trentenaire, pas bien grand ni très musclé, mais pas trop mal foutu. Teint hâlé, lunettes carrées, un air sérieux campé sur la tronche. Mais des yeux qui font des allers-retours incessant dans sa direction depuis le début, glissant toujours de ses jambes à ses épaules, sans jamais oser rencontrer son regard. Ça fait rien – elle va briser la glace elle-même. Se levant de son tabouret, elle fait tout le tour de la table à pas mesurés, ses talons claquant sur le parquet. Ils sont plusieurs à la regarder faire, d'un air à mi-chemin entre la perplexité et l'envie. Elle les ignore. Elle ne regarde que celui qu'elle a choisi, aucune hésitation dans sa démarche ni ses prunelles. Elle sait c'qu'elle fait. Elle sait c'qu'elle veut. Arrivée à sa hauteur, elle se campe à sa gauche, avant de se pencher lentement. Elle sait qu'le tissu de sa robe remonte le long de ses cuisses, s'arrêtant à la lisière de ses fesses. Elle sait qu'ils regardent – elle s'demande si Junior en fait autant. Esquissant un léger sourire, elle baisse la voix pour susurrer d'un ton charmeur, plongeant sa main dans la poche de la chemise de l'homme. « Je meurs de chaud. » Elle attrape le stylo qui trônait là, le brandissant devant lui pour qu'il puisse voir ce qu'elle lui subtilise. Et elle se cambre, cherchant à bloquer l'attention des autres joueurs. Qu'ils profitent du spectacle tant qu'ils peuvent, ces cons. « J'vous emprunte ça, pour mes cheveux. » Se redressant un peu, elle exécute ses paroles, relevant ses cheveux à la va-vite à l'aide du stylo. Sa robe est toujours trop remontée pour que ça soit politiquement correct, mais elle la laisse comme ça pour l'instant. Pour donner du temps à Junior – assez pour qu'il fasse ses magouilles en paix. Et puis elle se baisse une dernière fois, venant coller un baiser sur la joue du type, laissant une trace de rouge à lèvres derrière elle. « Merci. Vous n'aurez qu'à venir récupérer votre stylo à la fin. » Invitation tacite, comme si elle lui promettait un after rien que tous les deux. Bien sûr qu'il aura rien, bien sûr que c'est du bluff. Au final, elle fait la même chose que Junior et avec autant de dextérité, c'est juste qu'ils ont pas les mêmes armes. C'est juste qu'il a ses accessoires pour tricher, alors qu'elle n'a que sa propre chair. Une chair trop dévoilée, qu'elle camoufle à nouveau en replaçant sa robe, comme s'il restait grand-chose à cacher.

C'est là qu'la partie se termine. Elle a pas suivi, elle sait pas ce qu'il s'est passé et elle s'en balance. Tout ce qu'elle voit, c'est que Junior a gagné. Et elle retient un sourire victorieux ; parce qu'elle sait que c'est en partie grâce à elle, même si elle sait aussi qu'elle n'en sera pas remerciée. Et puis elle voit un type commencer à s'énerver. Au début, elle comprend pas trop, elle fait pas gaffe. Elle se contente d'avancer en chemin inverse, pour retrouver sa place initiale. Comme une foutue soumise. Mais elle se fait stopper dans son élan, une douleur la saisissant au bras quand elle sent des phalanges se refermer autour de sa peau. « C'est ta pute, c'est ça ? Tu t'sers d'elle pour faire diversion ? » Wow, ok. Y a plus rien qui va, là. Déjà elle se fait traiter de pute – pour qui il s'prend, ce connard – et en plus, leur combine à deux balles est découverte. Ça sent franchement l'roussi. « Lâche-moi, pendejo. » Et il s'met à la secouer, resserrant sa prise autour d'elle, imprimant la trace de ses doigts dans sa peau. Il a trop d'force pour qu'elle puisse s'en défaire et quand elle lève sa main libre pour le frapper, il l'intercepte. Elle s'retrouve donc avec les deux bras emprisonnés, coincée contre cet enragé qui la fixe en plissant les yeux. « Tu fais moins la maligne hein ? Vous avez cru qu'ce serait simple de me voler ? On m'la fait pas à moi ! » Elle continue de se débattre en lâchant un flot d'insultes en espagnol, se secouant avec toute la hargne dont elle est capable pour essayer de se libérer. En vain, visiblement. « T'es p't'être jolie mais t'es une vraie conne. J'vais t'donner une bonne leçon, gamine. » Putain. Putain, putain, putain. Tout ça, c'est la faute de Junior. Lui et ses stratagèmes à la con qui marchent même pas, et lui et son foutu chantage à deux balles pour la faire participer à ses combines. Il vient d'les enfoncer dans un nid à vipères et elle se jure intérieurement qu'elle se vengera. Comme chaque fois. Mais elle l'a toujours pas fait, ça en deviendrait presque inquiétant. Elle s'dit qu'elle attend juste le bon moment. L'occasion parfaite pour l'achever. Le faire regretter d'avoir cru qu'il pourrait la mettre à ses pieds. Tout ça parce qu'il lui a prêté un peu d'fric – bon, certes, beaucoup de fric. Mais c'est pas une excuse. Ça mérite pas qu'elle se fasse malmener par un espèce de cinglé. « MAIS LÂCHE-MOOOOI ! HIJO DE PUTA ! » Au moins, celle-là, il a dû la comprendre. Elle le sait parce qu'elle voit son expression changer. Ses yeux s'assombrissent. Sa poigne se resserre. Puis se fait plus légère, d'un côté. Comme s'il avait besoin d'avoir une main libre. Comme s'il allait l'abattre sur elle ou lui attraper les cheveux ou l'étrangler ou elle sait pas, peut-être pire, peut-être des trucs qu'elle imagine même pas, peut-être que c'est un psychopathe. Tout ce qu'elle sait, c'est qu'c'est pas bon pour elle, ça. Elle se fige, paralysée de la tête aux pieds. La v'là officiellement dans la merde.
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Crash Love

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MessageSujet: Re: trouble (jula)   trouble (jula) EmptySam 23 Juil - 13:38

Ça fait une éternité qu'on joue, j'ai l'impression d'être coincé dans cette cave humide depuis trois jours. J'sais bien que c'est pas l'cas, mais mon système nerveux commence à morfler sérieusement. J'suis pas dedans, ce soir. Déjà, parce que je n'arrête pas d'penser à Micha. J'arrête pas de m'inquiéter pour lui, dernièrement. Depuis que j'l'ai mit dans ce foyer. Et j'me demande si j'ai bien fait. Peut-être qu'il croit que je l'ai abandonné ? Non, bien sûr que non. Il sait que c'est pas vrai. Que c'est pas ça. Mais ça m'empêche pas de me faire du souci et de ruminer ça, encore et encore. Ça me déconcentre, je fais des erreurs et j'ai du mal à afficher une quelconque poker face ce soir. Je m'en rend compte, parce que le type à ma gauche n'arrête pas de me fixer, comme s'il lisait en moi. L'enfoiré. Je me tends un peu, mais je tente de garder une certaine contenance. Et puis, y a pas que ça. Ces derniers temps, j'ai de plus en plus de mal à rester focus sur mon jeu quand Lola est dans les parages. J'me fait avoir à mon propre piège. Parce que j'ai qu'une envie, c'est d'laisser mes yeux glisser sur elle. L'observer de la tête aux pieds. Lui dire que j'la trouve jolie, maquillée comme ça. Qu'elle est incroyablement sexy, apprêtée comme ça. Même si j'la préfère au naturel. Mais j'dis rien. Parce qu'elle va me rire au nez. Me dire qu'elle en a rien à foutre. Et qu'moi, j'suis dégueulasse. Alors j'la ferme. J'me contente de faire semblant de ne pas la regarder. De ne pas la voir. D'avoir jusqu'à oublié sa présence. Alors que j'pense qu'à ça. J'ai l'impression que tous les pores d'ma peau hurlent son nom. C'est sa faute. Elle a créé ce truc, cette envie en moi, en n'faisant que me fuir. Le truc tout con du suis moi je te fuis et fuis moi je te suis. Sauf que j'prend pas le risque de la fuir. J'suis pas hyper convaincu qu'elle me suivrait. J'pense plutôt qu'elle en profiterait pour s'barrer.

Putain.
J'ai encore perdu la main. J'ai encore foiré.

Je ferme les yeux une seconde et je déglutis. J'suis foutu. Je peux pas gagner à la loyale ce soir. Alors j'me contente de relever les yeux vers elle, à peine le temps de croiser son regard, pour pas qu'on s'fasse gauler. Elle sait très bien que c'est le signal. Que c'est à elle d'entrer en scène. De devenir la marionnettiste. J'adore quand elle rentre dans l'jeu comme ça. Parce que c'est bien le seul moment où on partage quelque chose. Ou on a une sorte de complicité. Même si j'suis sûr qu'elle serait prête à donner sa vie pour démentir ça. Qu'importe. Je lutte un peu pour ne pas la regarder lorsqu'elle fait son p'tit manège. Et c'est pas facile. Parce que du coin d'l'œil, j'vois bien que sa robe elle en montre trop. Et que tout le monde profite du spectacle. D'ailleurs, ça m'irrite un peu. J'inspire discrètement et j'me vide la tête. J'ai pas l'temps de penser à ça. Je lance un regard furtif aux autres joueurs et je profite du fait que personne ne me regarde pour effectuer mon tour de passe-passe. Je fais disparaitre deux de mes cartes pour en faire ressortir deux autres et m'offrir ainsi un jeu en béton armé. Je réprimande un sourire, soulagé. C'est pas ce soir que j'me ferais ruiner. Pas encore une fois, en tout cas.

- Merci. Vous n'aurez qu'à venir récupérer votre stylo à la fin.
Pardon ?

Je relève brusquement la tête vers elle et j'la dévisage. Non. Je me renfrogne aussitôt, elle joue à quoi là ? C'est quoi ce sous-entendu ? Cette promesse tacite ? Ce, ce.. non ! Y a mes doigts qui se serrent autour de mes cartes, les faisant se courber légèrement. Elle peut pas faire ça. Encore moins devant moi. Mes yeux vont et viennent à toute allure entre elle et le type, qu'est soudainement devenu l'ennemi à abattre. Qu'elle pute. J'suis sûr qu'elle est sérieuse. Qu'elle dit pas ça que pour détourner son attention. Qu'elle est sérieuse et qu'elle va grimper dans sa voiture à la fin, pour faire des trucs dégueu avec lui. Des trucs qu'elle veut pas faire avec moi. Jamais.  Mon regard se fixe sur lui et je le détaille avec minutie. Il est pas spécialement beau en plus. Si ? J'en sais rien. J'baisse les yeux une seconde, dépité. Elle doit le trouver sexy, ce mâle mâture à lunettes, avec sa peau dorée. Alors qu'moi j'ressemble à un cachet d'aspirine avec des yeux probablement trop sensibles à la gravité puisque ces cons tirent dangereusement vers le bas, me refilant une tronche pas possible. Il est bien coiffé, des cheveux bruns épais, domptés. Et moi j'ressemble à ces petits angelots sur les peintures des églises. En moins joli. Des boucles qui s'disent merde entre elles, d'une couleur indéfinissable. C'est pas blond, c'est pas châtain. C'est couleur queue-de-vache comme certains disent. Génial. J'ai plus qu'a économiser des sous et me faire un ravalement de façade.

- messieurs ? Que je finis par m'exclamer, pour ramener leur attention sur le jeu.

Parce que ouais, au bout d'un moment, ça me gonfle qu'ils soient tous là à la reluquer, comme si elle était un peu à eux. Parce que c'est faux. Elle est à moi. Enfin, ça, c'est ce qu'ils croient. Parce que la réalité est autre. Elle est pas à moi, mais même elle, elle ne le sait qu'à moitié. Toute notre relation est basée sur un putain de quiproquos. J'ai joué la menace alors qu'elle pouvait pas me rembourser. Et ça a marché, j'ai même pas eu besoin de lui prouver de quoi j'étais capable. Et c'est tant mieux, parce que la vérité, c'est que j'suis capable de rien. Si elle voulait se barrer, tout ce que je pourrais faire c'est taper du pied en la suppliant de revenir ici. Jamais j'pourrais lui faire du mal ou quoi que ce soit. Si elle me connaissait, vraiment, elle le saurait. Et ça ferait longtemps qu'elle serait parti. Mais elle croit que j'suis un gamin des rues, de ceux qui rigolent pas et qui cognent à tout va. J'ai pas le souvenir de m'être déjà véritablement battu en fait. Mais vaut mieux qu'elle l'apprenne jamais, sinon je perdrais tout crédibilité. Sinon, j'la perdrais.

- tapis ! que je gueule, tout fier.

Les gens se lancent des regards entre eux, méfiants. Certains abandonnent et d'autres me suivent. J'inspire un grand coup, nerveux et on retourne les cartes sur la table pour comparer nos jeux.

- OUAIS ! Je me lève en faisant tomber ma chaise au sol, les poings serrés, victorieux. Ce soir, c'est 12 000 dollards que j'empoche. Même si j'en verrais à peine la couleur. J'vais p't'être en garder 100 au total. Le reste me servira à rembourser mes nombreuses dettes.

Et pendant que j'amasse le butin, oubliant Lola pour une seconde, obnubilé par tout ce fric qui me glisse entre les doigts, j'entends que ça dégénère dans un coin. Quand j'relève les yeux, y a le type qui me fixait durant tout le jeu qui s'en prend à Lola. J'me tend aussi sec, ma mâchoire se serre et mon afflux sanguin augmente, venant cogner contre mes tempes.

- Hey, lâche-la ! Que je m'exclame, en relâchant ce que j'avais dans les mains. Mais le mec m'entend même pas je crois. Il saisit l'autre poignet de Lola tandis qu'elle se débat comme une tigresse. Putain, putain. Et j'fais quoi, maintenant ? Je commence à paniquer un peu, incapable de réagir. C'est Micha qui sait gérer ce genre de situation, pas moi. Moi j'me bat pas. Moi, j'me fais frapper. Putain, putain. J'lance un regard un peu désespéré aux autres joueurs qui restent sagement assit à regarder le spectacle. On peut pas dire que l'milieu des jeux d'argents illégaux soit le milieu le plus compatissant du monde. - LÂCHE-LA ! Que je tente, mais la voix de Lola en train de l'insulter de fils de pute en espagnol couvre la mienne. Et c'est là que j'vois le changement dans son attitude. A elle. Elle se fige, se paralyse. Elle a peur. Et là, j'réfléchis plus. Mon corps se met en mode pilote automatique et je bondis. J'fais le tour de la table pour arriver à leur hauteur et ma main gauche attrape le bras du mec, alors qu'il le levait déjà pour ensuite l'abattre sur elle. Je tire dessus pour l'obliger à faire volte face pour m'regarder et là, sans que je comprenne vraiment ce que je fais, y a mon poing droit qui vient violemment s'écraser sur son visage. Y a un sale bruit de craquement, son cri de douleur mêlé au mien, parce que je viens aussi de m'éclater les phalanges au passage. Je le libère et secoue ma main en gémissant un peu. Mais je ne m'attarde pas. Le mec a enfin relâché Lola, j'le pousse contre la table pour le faire tomber au sol. Je récupère en vitesse mes biens alors que tout l'monde commence déjà à s'lever et à remuer. En repassant au niveau du mec qui se tient son nez qui pisse le sang, j'lui refile un coup d'pied, comme un petit enfant, et je conclu l'entrevue.

- elle t'avait dit d'la lâcher, fils de pute.

Et là, j'attrape le main de Lola. Pour une fois, elle tente même pas de s'en échapper. J'pars en courant, l'entrainant derrière moi pour nous tirer de là le plus vite possible. On s'retrouve dehors en quelques secondes mais je ne m'arrête pas de courir pour autant. Sauf que j'la sens qui peine derrière moi. J'me retourne et c'est en la regardant que j'réalise qu'elle a pas les chaussures idéales pour ça. Je m'arrête et lui présente mon dos.

- grimpe ! que je lui ordonne.

Dès que j'la sens sur moi, je repars en courant, même si du coup, j'vais moins vite qu'avant. Je tourne dans les ruelles afin de les semer si jamais leur venait à l'idée de nous suivre. Après cinq bonnes minutes de course, j'finis par m'arrêter dans un petit coin tranquille et mal éclairé, histoire qu'on se fasse pas repérer. J'la fait redescendre et je tente de retrouver mon souffle. Je me redresse en grimaçant un peu et j'me tourne vers elle. Le corps encore sous l'emprise de l'adrénaline, y a ma main droite qui vient se poser doucement sur sa joue que je caresse sans hésitation, sans me soucier de sa réaction.

- ça va ? Que je lui demande, véritablement inquiet. Mes yeux glissent sur ses bras probablement encore endoloris. - j-je suis désolé, lola. J'pensais pas que quelqu'un pourrait s'en prendre à elle plutôt qu'à moi. Je voulais pas ça. Je voudrais jamais ça.
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MessageSujet: Re: trouble (jula)   trouble (jula) EmptyMar 26 Juil - 21:26

Son p'tit manège prend forme puis s'achève sur un sous-entendu, et elle peut pas s'empêcher de lancer une œillade dans la direction de Junior. Dans sa tête, Lola répète que c'est juste pour voir s'il a fini son trafic, si la voie est libre, si elle peut s'éloigner d'ces types libidineux. Mais y a pas qu'ça, et dans le fond elle le sait très bien. Elle sait qu'elle cherche son regard, qu'elle veut l'croiser, comme pour s'assurer qu'il fait comme les autres. Que lui aussi, il l'observe. Que lui aussi, il s'épanche sur sa robe trop courte et tout ce qu'elle dévoile. Que lui aussi, ça lui donne envie. Envie d'en voir plus, envie de l'approcher, envie d'la toucher. Envie d'elle. Envie de l'idolâtrer. Sur le coup, elle est pas déçue. Leurs prunelles s'accrochent, s'écorchent, comme elles le font chaque fois. Et puis elle voit la gueule qu'il tire. Renfermé, comme un gosse vexé, un ado à l'ego fragile. Y a un durcissement dans ses traits, une ombre dans ses yeux qui naviguent entre elle et sa cible. Il a presque l'air jaloux. Et elle aime tellement ça qu'elle lui lance un sourire furtif, puant la provocation, avant d'en rajouter une couche. Elle met le bout de son pouce dans sa bouche et le suçote une seconde, avant de venir le glisser contre la joue du type, là où elle a laissé une trace de rouge à lèvres. Elle l'essuie en le couvant de ce regard qui lui fait croire qu'elle le désire, alors qu'elle n'en a strictement rien à foutre de lui. Il esquisse un sourire fier, se laissant faire sans broncher. Forcément. « Messieurs ? » Junior ramène tout le monde sur terre, y compris Lola. Elle est presque déçue – elle qui commençait tout juste à s'amuser, le v'là qui vient tout casser. Faut croire que c'est une habitude chez lui, de lui pourrir la vie. Tout ça pour une sombre histoire d'argent ; une dette qu'elle s'est juré de rembourser. Elle a même commencé à mettre de côté, déterminée. Mais elle a que cinq dollars pour l'instant, et elle va sûrement devoir piocher dedans pour acheter un paquet de pâtes, une boîte de tampons, ou une connerie du genre. Ça la désespère un peu et elle a l'impression qu'elle se libérera jamais de Junior et de ses ordres d'enfant capricieux. Mets plus de rouge à lèvres. Attache tes cheveux. Rachète une robe. Souris plus. Parle moins. Séduis-les, putain. Fais ton boulot, Lola. Comme s'il était un mac et elle sa pute, comme si elle n'avait pas d'autre intérêt qu'ça. Sois belle et tais-toi : c'est un peu l'même topo, le même crédo qui lui donne envie de hurler. Parce que Lola, elle supporte pas. Et c'est son tour de se renfrogner, de faire la gueule alors que plus personne ne lui porte attention, la laissant plantée dans l'ignorance la plus totale. Tous concentrés sur leurs cartes à la con, et sur un jeu qu'elle trouve particulièrement ennuyeux. Elle a même eu l'temps de zieuter les cartes en passant derrière certains d'entre eux, et elle a soudainement l'envie de révéler à toute la table qui bluffe et qui est blindé. Histoire de foutre la merde. Histoire de redevenir le centre de l'attention, le centre du monde. Le soleil, qui s'arrête de briller dès qu'on n'le regarde plus.

La suite, ça s'passe trop vite pour qu'elle comprenne tout. Ou peut-être que c'est juste parce qu'elle s'en fiche, de leur partie de poker. Elle entend juste Junior gueuler comme un p'tit qui a gagné à son jeu vidéo favori. Luttant contre son irrésistible envie de lever les yeux au ciel, elle s'avance pour regagner sa place initiale, et attendre sagement que ce soit l'moment de se tirer. Mais elle arrive même pas à destination, coincée par un bonhomme qui ne croit pas une seule seconde à leur magouille bancale, et qui s'gêne pas pour le faire savoir. « Hey, lâche-la ! » Junior exige ce que Lola a déjà demandé, sans succès. Alors elle essaie de s'défendre comme elle peut, se débattant comme une bestiole hargneuse, toutes griffes dehors. Elle est p't'être incapable de se battre, ça l'empêche pas d'avoir la rage de vaincre. Mais ça suffit pas, elle est bien trop chétive face au colosse. Il la tient en place et elle a beau s'indigner, taper du pied ; rien n'y fait. « LÂCHE-LA ! » Deuxième tentative. Mais c'est trop tard, puisque déjà Lola a lancé la bombe. Son hijo de puta claque dans l'air et visiblement à la gueule de l'homme, qui se fige une seconde. Elle fait pareil. Parce qu'elle voit un truc dans son regard qui l'effraie, qui lui indique qu'elle a lancé le mot de trop. Elle sait voir quand elle a merdé, et là c'est un cas de force majeure. Là, elle est fichue. Elle commence déjà à s'imaginer la tronche qu'elle aura, si elle reçoit une baffe de ce gars-là. Sûrement qu'il aurait assez de force pour l'assommer du premier coup, et ça la fait paniquer. Paralysée. Elle a tout juste le temps de voir sa main se lever, prête à s'abattre sur elle, que déjà elle disparaît. Happée vers l'arrière, forçant l'ogre à se tourner dans l'autre sens, abandonnant sa proie derrière lui. Elle est pas sûre de tout comprendre jusqu'à ce qu'elle soit aux premières loges pour voir Junior envoyer son poing dans la figure de son agresseur. Elle est presque sûre de les entendre crier tous les deux et elle fronce les sourcils, un peu déconnectée d'la réalité. Soudainement en sécurité, elle se détourne un peu d'la scène, remarquant vite que tous les autres sont en train de savourer le spectacle. Bande de salopards. Et comme personne ne la regarde, elle en profite. Elle pique deux-cent dollars, qu'elle fourre dans son soutien-gorge ni vu ni connu. Quand elle retourne à la bagarre minable qui vient de lui sauver les miches, tout l'monde s'est levé, et Junior est arrivé pour récupérer le reste du fric – sans se douter qu'elle vient d'en retirer quelques billets. Puis elle voit le type au sol, et Junior lui file un coup de pied en repassant devant. Très mature, ça. Elle en déduit qu'il sait pas se battre à la loyale ce p'tit con – et elle se demande presque s'il sait se battre tout court, vu la réaction qu'il a eue après avoir filé un coup de poing à son adversaire. Mais elle a pas l'temps de tergiverser. « Elle t'avait dit d'la lâcher, fils de pute. » Et elle se retrouve agrippée par Junior, leurs mains liées alors qu'il l'entraîne à sa suite vers la sortie, loin de c'trou à rats.

Courir avec des talons ? Mauvaise idée. Si elle continue, elle va s'péter la cheville et ça n'lui fait que moyennement envie. « EH, DOUCEMENT, J'SUIS PAS UNE ANTILOPE, » qu'elle lui gueule, incapable de tenir la cadence. Du bout des doigts, elle lui indique ses pompes quand il se retourne, et il s'arrête. « Grimpe ! » L'autorité dans sa voix laisse pas la place au refus, et de toute façon, elle est bien trop contente de n'plus avoir à courir. Elle espère juste qu'il va pas s'écrouler au bout de deux mètres et la foutre par terre – elle le tuerait si ça arrivait. « T'as pas intérêt de m'faire tomber ! » D'un bond, elle se retrouve perchée sur lui, cramponnant ses bras autour de ses épaules, resserrant ses cuisses contre ses flancs. Et y a ses jambes qui se balancent dans le vide, sa robe qui remonte beaucoup trop, des mèches de cheveux qui lui viennent dans les yeux. Mais au moins, elle a plus le risque de se casser une jambe. C'est toujours ça de pris, m'voyez. Elle sait pas combien de temps ça dure mais elle a l'impression que c'est une éternité, collée à Junior comme si sa vie en dépendait. Elle a les phalanges qui empoignent fermement l'avant de son t-shirt, et elle se surprend à profiter d'cette proximité, plus que jamais. Parce qu'il la voit pas. Parce qu'il sait pas. Quand il finit par bifurquer dans un coin plus calme, elle descend de son perchoir, se rendant compte qu'elle a les fesses à l'air. Elle remet sa robe en place d'un geste rageux alors que la main de Junior vient se poser contre sa joue avec douceur. « Ça va ? » Elle le dévisage d'un air furieux, une seconde et puis deux, avant de donner un coup dans son bras pour le forcer à ôter ses doigts de là. « À ton avis ? » Si on l'aurait cru calmée quand elle était contre lui, c'était qu'un leurre. Sa fougue revient aussi vite qu'elle était partie, et elle cache pas son mécontentement alors qu'elle enlève finalement ses chaussures trop hautes. « Non, ça va pas. » Elle les abandonne au sol sans y prêter plus d'attention, ses pieds rencontrant le goudron dégueulasse. Et il la regarde, de cet air un peu paumé, un peu désarmé. Y a une partie d'elle qui est touchée. Mais ça suffit pas à l'apaiser. « J-je suis désolé, Lola. » Elle s'immobilise un instant, et on dirait presque qu'il a réussi à désamorcer la bombe. Mais il vient plutôt d'accélérer le compte à rebours. Sûrement qu'il s'en rend compte trop tard, alors qu'elle retire le stylo de ses cheveux, le lui balançant à la gueule. « J'm'en fous de tes excuses ! » Chaque mot qu'elle prononce est ponctué de grands gestes théâtraux, comme chaque fois qu'elle s'énerve un peu pour rien. Pour elle, c'est pas rien. Et puis c'est toute sa frustration, tout c'qui va pas qui ressort en même temps. Dommage pour Junior – c'est lui qui prend. « J'en ai marre de tes conneries ! J'ai pas signé pour ça, moi. J'ai jamais accepté d'me faire menacer pour ton putain d'fric. » Elle s'agite, avance et puis recule, tantôt proche comme si elle voulait le frapper, avant de lui échapper comme s'il la cramait. Elle sait pas sur quel pied danser et probablement que lui non plus, le cul entre deux chaises, pris entre deux eaux qui se déchaînent comme un foutu tsunami. Elle trépigne sur place, file un coup dans l'une de ses pompes et lâche un cri quand elle repose son pied au sol, pile sur un éclat de verre. « MIERDA ! BORDEL, C'EST QUI LE CON QUI EXPLOSE DES TRUCS SUR LA VOIE PUBLIQUE ? » C'est complètement débile, comme question. Tout l'monde fait ça. Elle avait qu'à pas se foutre pieds nus – mais comme toujours, elle préfère estimer que c'est la faute des autres. Et elle avance à cloche-pied jusqu'au mur, s'appuyant contre celui-ci en remontant sa jambe pour essayer de voir les dégâts. Sauf qu'il fait trop sombre, alors elle voit rien. Et comme si ça suffisait pas, le tissu continue de s'faire la malle dès qu'elle bouge. « Et puis tu fais chier à m'faire acheter des nouvelles fringues, cette robe sert à que dalle ! Elle fait que remonter ! » Elle passe du coq à l'âne et c'est pas facile de suivre, mais elle continue de gueuler quand même. Elle continue de passer ses nerfs sur lui, même si ça la soulage pas le moins du monde. « Va t'faire foutre Junior, putain ! » Voilà. C'est sa faute. Tout est d'sa faute. La robe, la soirée, le taré. Y compris l'éclat qui est toujours coincé dans son pied, qu'elle est en train de charcuter à l'aveuglette. Si elle finit estropiée, il a intérêt à payer la facture.
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Crash Love

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MessageSujet: Re: trouble (jula)   trouble (jula) EmptyVen 5 Aoû - 19:02

J'la vois qui fait langoureusement glisser le bout d'son pouce entre ses lèvres pulpeuses et j'ai juste envie de crever. Là. Sur place. Instantanément. J'me dis que, putain, qu'est-ce que j'aimerais être son pouce. Et je ne réalise même pas la connerie de ma pensée. J'peux pas, je n'arrive plus à réfléchir. Complètement obnubilé par ce qu'elle fait. Il en faudrait pas beaucoup plus pour que finisse par s'échapper de ma bouche un immonde filet d'bave. C'est ridicule, putain. J'me sens pathétique et j'ai honte. Et ça ne s'arrange pas quand une jalousie maladive vient me ronger les os tandis qu'elle se ré-occupe de l'étranger, lui retirant la marque laissée par son rouge à lèvres sur sa joue. Putain, putain. Moi aussi j'veux son pouce contre ma joue. Sa main dans la mienne. Mes lèvres sur les siennes. Moi aussi j'voudrais qu'elle vienne vers moi, volontairement, de son plein gré. Et non pas parce qu'elle est forcée. J'voudrais qu'elle s'approche de moi sans avoir cette mine déconfite, dégoutée. Ça me désole et ça me blesse un peu plus chaque jour. J'me suis jamais senti beau gosse, mais depuis que je l'ai rencontré, cette sensation ne fait qu'empirer. J'en viens presque à me dire qu'il faudrait plus que je sorte de chez moi, pour épargner aux yeux des gens ma sale gueule de raté. Micha lui, il n'a jamais eu de souci pourtant, pour attirer les filles. Doit vraiment y avoir un truc dans ma personnalité qui est à chier. J'dois empester l'ennui. Ça doit s'voir à ma démarche que y a rien d'intéressant en moi. J'suis qu'une merde. Merde. Alors j'met un terme à cette connerie en rappelant tout le monde à l'ordre. On est ici pour jouer, putain. Et tout le monde se replonge dans ses cartes, tandis que j'entends les talons de Lola claquer sur le sol, s'éloignant de nous. C'est ça, casse-toi.

Et puis, j'oublie jusqu'à même son existence, jusqu'à ce qu'elle revienne s'imposer à moi de force. Jusqu'à ce que je l'entende crier et que j'vois cet enfoiré la toucher, la malmener. Pourquoi est-ce qu'il a fallut que ça tombe sur moi ? Enfin sur elle, mais du coup c'est moi qui suis censé la défendre. Des fois, j'aimerais bien que la vie ce soit comme dans un film dont je serais le héros. Parce que là, dans un tel moment, je saurais quoi faire. Je saurais trouver le courage pour réagir sans hésiter. Je saurais sauter par-dessus la table avec une classe inouïe avant de m'adonner à quelques prises complexes de karaté et de mettre l'énergumène KO à terre. Ou alors, je sors mon flingue en mode James Bond et je bute le mec avec classe. Mais non, je n'suis que Junior Healy. Petit prêcheur terrorisé par les cris, par la vie. Génial, on fait mieux comme super héros. Même Clark Kent le fragile en slip rouge est plus badass que moi. Ça craint, putain. Mais j'arrête subitement de réfléchir alors que j'le vois prêt à la frapper. Et que je la vois là, recroquevillée, les yeux fermés, prête à encaisser l'impact de sa main puissante sur son visage délicat. Et là, c'est l'instinct qui prend l'dessus. Qui frappe les femmes, franchement ? QUI ? Ça s'peut pas, putain. Même mon père il n'a jamais touché ma mère. Quoi qu'il en soit, j'déboule en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire à sa hauteur, je l'agrippe et lui envoi mon poing dans sa figure, sans avoir la moindre idée de ce que je suis en train de faire concrètement. Mais la réalité me rattrape bien vite, alors qu'une douleur fulgurante me lance dans chacune de mes phalanges. Un truc bien correct, lancinant, qui me fait grimacer et gâche ainsi tout mon élan d'héroïsme. Et comment ils font les mecs, pour se cogner dessus sans avoir envie d'pleurer leur maman à chaque fois ? Faudra qu'on m'explique. Après ça, je n'perds pas de temps, je récupère mon pognon que je fourre dans mon sac et j'me casse le plus vite possible en accrochant Lola au passage. Même si un truc au fond d'moi me démange, un cynisme puéril déclenché par cette foutue jalousie. Et j'ai presque envie de m'arrêter pour lui demander si elle ne préfère pas rester là pour aller pécho le gars de tout à l'heure. Dieu soit loué, mon envie de survivre est plus forte que mes hormones d'adolescent et je continue de courir pour sauver notre peau. Amen.

Mais à peine on s'retrouve à l'air libre, qu'elle se met à beugler, je comprendrais jamais pourquoi les gens originaires de certains pays ont cette capacité à vous griller les tympans dès qu'ils ouvrent la bouche. C'est un peu épuisant, parfois.

- EH, DOUCEMENT, J'SUIS PAS UNE ANTILOPE.

Je m'arrête et la dévisage, avec presque l'envie de l'engueuler. C'est pas l'moment de jouer à ça, bordel. Pourquoi est-ce qu'elle nous fait ralentir la cadence comme ça ? Je suis son regard du mien et c'est là que je comprends. Et j'me retiens de l'engueuler de porter des talons pareil, parce qu'au fond, c'est un peu de ma faute. Je serre les dents et déglutis, craignant que je finisse avec un de ses talons enfoncé dans le cœur si je m'aventure à lui faire une quelconque réflexion. Alors, après avoir zieuté rapidement en direction de la porte par laquelle on s'est échappée, je finis par improviser. J'ai aucune idée de si ce sera vraiment efficace ou pas, de si c'est l'idée du siècle ou non, mais tant pis, je n'ai rien d'autre qui me vient à l'instant. A quoi ça sert d'être un petit génie si je perds tous mes moyens à la moindre montée d'adrénaline ? A moins que ça ne vienne d'autre chose. Ouais.

- T'as pas intérêt de m'faire tomber ! Qu'elle râle, comme à son habitude.

Et elle ne me voit pas, mais je lève les yeux au ciel en échappant un soupire bruyant exaspéré. C'est pas l'moment putain. GRIMPE GRIMPE GRIMPE ! J'suis juste totalement flippé à l'idée qu'un des mecs sorte avec un flingue pour nous tirer dans l'dos. Alors si elle pouvait manier son cul de princesse histoire qu'on disparaisse. J'la sens qui se décide enfin à me grimper sur le dos et je détale aussitôt, comme un lapin avec un renard au cul, à la recherche d'un bon terrier. Mais très vite, j'en oublie presque le potentiel danger qui plane sur nous. Parce qu'elle s'accroche à moi, à mon t-shirt, de toutes ses forces. Et j'me sens pousser des ailes. J'me redresse et j'accélère le rythme. Y a mon myocarde qui s'emballe et mes joues qui virent au rouge. Je souris comme un con et je n'essaye même pas de m'arrêter. J'en ai rien à foutre, elle peut pas m'voir. Alors ouais, je souris comme un gosse qui a eu exactement le cadeau qu'il voulait pour Noël. Non mieux : comme un gosse qui aurait vu le Père Noël, le vrai. Je resserre l'étreinte de mes doigts autour de ses cuisses dénudées, j'ai jamais pu autant la toucher. Et j'en ai la chaire de poule. Putain, j'suis tellement heureux de cette proximité inattendue, inespérée même, que j'ai l'impression d'être capable de courir comme ça des heures durant. Juste pour pouvoir éterniser c'moment. Mais elle finirait bien par s'en rendre compte, j'le sais. Alors j'essaye même pas de la gruger là-dessus et bien vite, j'arrête ma course, les poumons en feu, mais le cœur léger. Et ça fait du bien. Même si ça ne dure pas.

J'la regarde remettre sa robe et j'suis presque déçu de ne pas être derrière elle et du coup, de rater le spectacle, encore une fois. J'ai l'impression d'être puni à répétition. Ça me gonfle un peu. J'me penche discrètement sur le côté, pour espérer apercevoir un bout d'fesse, juste la fin de leurs courbes. Mais je me ravise aussitôt, alors que son regard assassin me tue mille fois d'affilées, au moins. Apparemment, j'n'ai pas été si discret que ça. Je déglutis et regarde ailleurs, nerveux. Une fois qu'elle se calme et s'immobilise, j'trouve le courage de m'avancer vers elle et, probablement enhardis par notre dernier contact physique prolongé, je viens déposer ma main sur sa joue de poupée. Je voudrais la lui caresser, pendant des heures. En lui répétant à quel point j'la trouve belle. Parfaite. Mais ça n'arrivera pas, jamais. Et elle ne tarde pas à me le rappeler.

- À ton avis ? Qu'elle lance, mordante, avant de chasser franchement mon bras.

Il reste suspendu en l'air quelques secondes avant de finalement venir retomber mollement le long de mon corps, faisant écho à ma mine déconfite. J'baisse les yeux, blessé. C'est pas demain la veille que j'oserai à nouveau faire un pas vers elle. J'ai l'impression qu'elle vient de s'emparer de tous mes espoirs, de les rouler en boule, de les jeter par terre et de sauter dessus à pieds joints une dizaine de fois, déchainée. Bref, le message est clair. Alors j'reste silencieux, parce que la déception me cloue l'bec.

- Non, ça va pas.

Je sais. Je sais putain et je m'en veux tellement. J'avais pas imaginé que ça puisse arriver. J'imagine jamais ce genre de trucs. Je l'sais, pourtant, que la vie n'est pas rose et que les gens sont moches. Mais j'en sais rien, y a cette utopie au fond d'ma cage thoracique qui veut pas s'barrer et qui continue de me laisser espérer que les gens sont bons et que tout ira bien. Alors que y a jamais rien qui va. Jamais. Je la regarde retirer ses chaussures et au passage j'en profite pour tenter de m'excuser et c'est pitoyable, ouais. Mais je reprends bien vite un peu de contenance alors que je reçois son style en pleine figure. Je me protège lamentablement le visage et grimace en plissant les yeux, tout en repoussant l'air de mes deux mains, tandis que le stylo retombe déjà sur le sol. Je m'arrête aussi sec et toussote, un peu gêné de m'être livré à cette danse ridicule.

- J'm'en fous de tes excuses !
- Mais, hey, non ! Que j'proteste avec conviction.

On a pas le droit de s'en foutre des excuses des gens, surtout pas quand elles sont sincères. Ça a de la valeur ce que je viens de lui dire, elle peut pas tout jeter dans le caniveau comme ça. Comme si ça ne comptait pas. Comme si je ne comptais pas. J'me renfrogne et croise les bras, abandonnant mon air de petit chiot perdu et honteux. Qu'elle aille au diable, qu'elle retourne dans son putain d'pays d'merde, cette cette... j'sais même pas ce qu'elle est, putain. Mais un truc en rapport avec l'espagnol en tout cas.

- Et t'es pas obligée de brasser l'air comme ça, putain. On dirait une éolienne, sérieux. J'dis ça en râlant, boudeur, frustré. C'est nul, mais j'veux pas être le seul à m'faire attaquer.

- J'en ai marre de tes conneries ! J'ai pas signé pour ça, moi. J'ai jamais accepté d'me faire menacer pour ton putain d'fric.

Au fond, j'sais bien que, d'une certaine façon, ouais.. Elle a raison. Mais voilà, elle m'a vexé. Alors j'm'en cogne maintenant. J'échappe un petit rire nerveux et je la dévisage avec insistance et mépris, l'air de dire : t'es sérieuse, meuf ? Au bout d'un certain temps, faudrait voir à pas trop s'foutre de ma gueule non plus.

- si tu veux pas d'ennuis, faut pas emprunter du fric à des gens quand on peut pas le rembourser, sinon, y nous arrive des trucs moches, c'est la vie. Je hausse les épaules, d'un air nonchalant.

C'est vrai quoi, elle s'attendait à quoi en me prenant mon blé tout en sachant que j'en reverrais probablement jamais la couleur ? Et encore, elle a de la chance d'être tombée sur moi. Parce que je ne lui ferais jamais rien. A part lui pourrir un peu la vie et lui gâcher la vue. Elle aurait pu tomber sur des cinglés, putain, elle le sait ça ? Elle le sait la chance qu'elle a ? Non, évidemment. Faut pas rêver. J'la regarde tourbillonner autour de moi, mais j'reste impassible. Complètement figé sur place. J'ai finit par décroiser mes bras pour venir glisser mes mains dans les poches de mon pantalon. J'ai les yeux qui glissent vers ses fesses et ses cuisses à chaque fois qu'elle me tourne le dos, mais j'les remonte sagement jusqu'à son visage quand elle me fait face. J'voudrais pas paraitre grossier dans un moment pareil. Elle finit par shooter dans sa chaussure et ...

- MIERDA ! BORDEL, C'EST QUI LE CON QUI EXPLOSE DES TRUCS SUR LA VOIE PUBLIQUE ?

Elle hurle si fort que j'en ai sursauté. J'recule d'un pas et j'me tends, avant de comprendre ce qu'il vient de se passer. Je fais la moue et lève les yeux au ciel. Super, manquait plus que ça. Est-ce que ce bout d'verre à conscience du fait qu'il vient probablement de déclencher la troisième guerre mondiale ? Et que j'suis le premier pays de la carte qu'elle va rayer ? Fait chier. C'était pas du tout comme ça que j'imaginais cette soirée. Quoi que, y a toujours un avantage... Elle est pas parti avec l'autre guignol. Et ça, c'est quand même vachement cool. J'la vois qui se contorsionne pour essayer de faire le bilan des dégâts mais au final, tout ce que je vois c'est sa robe qui remonte beaucoup trop et la vue qu'elle offre. Je rougis un peu et, alors que je pourrais complètement en profiter, j'peux pas m'empêcher de détourner les yeux, avec pudeur et respect. Putain, si Micha me voyait, il me frapperait probablement.

- Et puis tu fais chier à m'faire acheter des nouvelles fringues, cette robe sert à que dalle ! Elle fait que remonter !
- Rahhh putain, mais arrête de râler, tu m'emmerdes Lola.

Ma voix est lasse, un brin désespérée et agacée également. Je soupire bruyamment et passe une main sur mon visage, excédé par ses incessantes plaintes à mon égard. Ou même de façon générale. Est-ce que c'est typique des latinos ça ? Ou c'est juste moi qui n'ait pas d'chance d'être tombé sur la pire d'entre eux ?

- Et pis tant mieux qu'elle remonte la robe, c'est un peu l'but au final, non ? Si tu te ramènes avec une toge ça va pas vraiment servir à grand-chose, réfléchis. J'tente d'argumenter ça comme je peux pour me défendre et ne pas la laisser avoir le dessus. Mais en fait, c'est con. J'essaye péniblement de remporter une bataille, alors qu'en réalité, elle a déjà gagné la guerre. Faudrait peut-être que je me rende à l'évidence et que je laisse tomber.

Elle finit par m'envoyer me faire foutre tout en faisant n'importe quoi avec son pied. Je la regarde faire quelques secondes en haussant un sourcil et j'ai presque envie de la planter là et de m'en aller. De la laisser se démerder parce que c'est tout ce qu'elle mérite. Mais j'le fais pas. J'oserai pas, jamais. J'échappe un râle désespéré. J'en peux plus de moi, c'est invivable de devoir me supporter. Puis je m'approche d'elle, résigné.

- Arrête tes conneries. Que j'dis, blasé.

Sans lui demander son avis, je l'attrape et la soulève en la maintenant fermement juste en-dessous des fesses, et je viens l'asseoir sur le rebord d'une fenêtre d'un immeuble qui a l'air abandonné. Je m'assure auparavant qu'il n'y ait pas un bout d'verre posé dessus qu'elle pourrait se planter dans l'cul, sinon, ça va encore être de ma faute.

- Laisse-moi voir.

Je m'accroupis pour me retrouver à la hauteur de son pied que j'attrape tout doucement. Je tique un peu en voyant la blessure, c'est pas très beau. Mais j'ai surtout peur que ça s'infecte carrément en fait. Je déglutis et saisit fermement son pied de ma main gauche, pour l'immobiliser.

- Bon, je vais te le retirer... ça va p't'être faire mal alors, S'IL TE PLAIT.. évite de me foutre un coup d'pied dans la tronche, d'accord ? Tu m'diras, ça la remettra peut-être en place, ma tronche.

Et sans lui laisser le temps d'y réfléchir, j'attrape le bout de verre et tire dessus, un grand coup sec histoire que ça se fasse rapidement et le moins douloureusement possible. Sauf que voilà, maintenant, forcément, y a son pied qui saigne. Pas énormément, rien de grave, mais quand même. Je me mets à tâter mes poches sans succès. Je relève les yeux vers elle, m'apprêtant à lui demander si elle n'a pas un mouchoir et puis je réalise qu'elle a déjà à peine une robe, alors faudrait peut-être pas trop en demander non plus. Mais j'peux pas la laisser saigner comme ça, bordel, ça va vraiment s'infecter sinon. C'est avec un certain désespoir et un désespoir certain d'ailleurs, que je baisse les yeux vers mon t-shirt. Adieu, je t'aimais bien. Non sans rechigner, je viens tirer sur l’extrémité et le déchire péniblement. Tous mes muscles se contractent sous l'effort et je fronce les sourcils, concentré. Je finis par parvenir à arracher un long morceau que je viens ensuite enrouler autour du pied de Lola. Je serre bien, je le noue et je me relève tout en jetant un regard triste à mon haut. J'ai l'air malin comme ça moi encore, putain.

- J'vais te ramener chez toi. Que je dis à voix basse, un peu dépité. T'as du désinfectant chez toi, où faut qu'on en achète au passage ? Je demande, soucieux de son bien-être.

Et je la fixe, pas très tranquille, j'ai peur qu'elle me repousse encore. Qu'elle me dise qu'elle peut rentrer toute seule et que j'peux bien aller me faire mettre ailleurs. Qu'elle n'a pas besoin de moi. Enfin, ce genre de choses. Toutes ces choses qu'elle me répète encore et encore, inlassablement. Comme si y avait un risque que je les oublie. Mais qu'elle se rassure, aucun risque. Chacune des saloperies qu'elle me sort est fermement ancrée sous ma peau. Comme une marque indélébile et douloureuse. Ouais, très, douloureuse.
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MessageSujet: Re: trouble (jula)   trouble (jula) EmptyVen 19 Aoû - 16:54

Ses mains tirent sur sa robe pour la remettre en place, et c'est là qu'elle le voit s'pencher. Le regard baladeur, à la recherche d'un morceau de peau, d'la moindre parcelle offerte à sa vue. Elle se fige sur place, le cœur battant. Dans le fond, elle a presque envie de sourire, parce que c'est la preuve qu'elle le laisse pas indifférent et que lui aussi, il pourrait tomber dans ses filets. La preuve qu'elle lui fait de l'effet, qu'il peut la désirer, qu'il voudrait y goûter. Et si en temps normal, elle en profiterait pour l'allumer, là elle est beaucoup trop en colère. Alors elle le fusille du regard, croisant les bras sous sa poitrine. « Non mais vas-y, te gêne pas surtout ! CABRON. » Elle continue sur sa lancée, parce que ça va pas, parce qu'elle est pas contente de la tournure qu'ont pris les choses. Et comme toujours, quand elle est contrariée, elle le fait savoir. Mais Junior, il fait un truc auquel elle s'attendait pas. Il s'excuse, d'un air mal assuré, tellement sincère que Lola est presque déstabilisée. Elle a pas l'habitude de l'voir comme ça – ou peut-être que si, peut-être qu'il a souvent cet air de gosse perdu, mais qu'elle préfère juste faire comme si elle voyait rien. Là, ça la heurte de plein fouet. Le regret dans ses prunelles, la tendresse dans ses gestes, ce truc qui lui vrille les tripes parce que ça veut dire : j'tiens à toi. Et Lola, elle comprend pas, elle comprend plus. C'est elle qu'est perdue. C'est pas censé être comme ça. Il a pas l'droit. Il peut pas lui toucher la joue comme si elle était faite de verre, il peut pas s'inquiéter pour elle, il peut pas être doux et prévenant. Ça va pas. Ça nique tout le scénario, il joue pas l'bon rôle et elle s'est noyée dans son script. Il est où, le salaud qui lui fait du chantage ? L'enfoiré fini qui se joue d'elle et qui l'a faite prisonnière ? Le sale type contre qui elle peut pas se battre, le connard qui la retient à coups de menaces ? Il est pas là. Sûrement qu'il a jamais été là ; lui aussi, c'est un acteur. Lui aussi, il ment. Mais Lola choisit de rester aveugle parce que c'est plus simple à gérer, parce qu'elle peut tout lui mettre sur le dos. Le blâmer lui, alors que c'est elle qui a plus vraiment envie de s'échapper. Alors ça la fout en rogne. Parce qu'elle se prend tout en pleine gueule, parce qu'il met à mal toute l'histoire qu'elle s'est tissée, parce qu'il veut pas rester dans sa case du méchant voyou. Elle fait c'qu'elle fait de mieux : elle crie, elle l'envoie chier. Elle lui balance un stylo dans la tronche – le stylo du type qu'elle allumait quelques instants plus tôt – et elle le regarde faire des mouvements décousus pour tenter de l'éviter. Il a l'air profondément ridicule, mais même ça c'est pas assez pour la dérider. Elle continue sur sa lancée et elle crache sur ses excuses, comme si ça valait rien, comme si elles étaient pas assez biens. Comme si c'est lui, qui était pas assez bien. « Mais, hey, non ! » Comme si sa protestation lamentable pouvait lutter contre le courroux de Lola. Il sait bien que non, mais ça l'empêche pas d'avoir l'air déterminé. Un peu vexé, peut-être. « Et t'es pas obligée de brasser l'air comme ça, putain. On dirait une éolienne, sérieux. » Définitivement vexé. Et elle éclate de rire, mais ça pue le sarcasme, c'est plus nerveux qu'autre chose. C'est soit ça, soit elle cherche autre chose à lui jeter à la gueule. Elle écarte les bras – voyant pas qu'elle lui donne raison – et elle plisse les yeux en le fixant d'un air mauvais. « Tu peux parler, t'es même pas foutu d'esquiver un stylo. Loser. » Comme pour appuyer ses mots, elle s'met à refaire la petite danse de Junior tout à l'heure, exagérant ses gestes pour que ça soit encore plus pathétique. Puis elle s'arrête brutalement, avant de lever son majeur bien haut, avec l'air d'une sale gosse trop fière et insolente. Elle reprend sur sa lancée, elle continue de l'engueuler. Mais Junior n'a visiblement plus envie de l'écouter. Y a du mépris dans son regard et ça lui va tellement pas que Lola voudrait lui dire, mais il lui laisse pas le temps. « Si tu veux pas d'ennuis, faut pas emprunter du fric à des gens quand on peut pas le rembourser, sinon, y nous arrive des trucs moches, c'est la vie. » Il a d'la chance d'être hors de portée, sinon elle l'aurait giflé. Mais tout ce qu'elle peut faire, c'est pincer les lèvres d'un air mauvais, en l'tuant avec ses yeux. Elle sait bien qu'il a raison, en vrai. Mais ça lui ferait trop mal de l'avouer. De l'accepter. Elle avance comme ça depuis vingt-cinq ans, alors c'est pas lui qui va venir lui apprendre la vie. Pourtant il a visé juste, puisqu'elle est vexée. « Et si t'étais pas un enfoiré doublé d'un pervers, j'aurais trois fois moins d'ennuis. Mais ouais, c'est la vie. »

Faut croire qu'la situation est pas assez merdique comme ça, puisque tout continue à empirer. Elle s'agite, tourne en rond, trop absorbée par sa colère pour faire attention au reste. Jusqu'à poser le pied sur un éclat de verre. Elle gueule, claudique, peste et tente de voir l'étendue des dégâts. Mais elle voit que dalle, alors elle fulmine encore plus, blâmant sa robe, blâmant surtout Junior. Parce qu'évidemment, tout est d'sa faute. Ça lui donne une bonne excuse pour continuer de lui cracher dessus en toute impunité, tant pis si elle est clairement dans l'excès. C'est pas nouveau. « Rahhh putain, mais arrête de râler, tu m'emmerdes Lola. » C'est une blague ? Elle lève les yeux et les plante dans les siens, stoppant tout mouvement pour une seconde. « Je t'emmerde ? MOI ? Non mais tu te fous d'ma gueule. C'est ma faute si on en est là peut-être ? J'crois pas non. » Elle continuerait bien en s'mettant à l'insulter, mais la douleur dans son pied la rappelle à l'ordre et la fait grimacer, alors qu'elle colle sa main sur la plaie comme si ça pouvait faire pansement. Bien sûr c'est l'effet inverse qui se produit, puisqu'elle enfonce un peu plus le corps étranger dans sa chair, lui arrachant un gémissement de douleur alors qu'elle ôte ses doigts de là. Putain, manquait plus que ça. « Et pis tant mieux qu'elle remonte la robe, c'est un peu l'but au final, non ? Si tu te ramènes avec une toge ça va pas vraiment servir à grand-chose, réfléchis. » Il se fout vraiment d'sa gueule, à ce stade. « Ouais t'as raison, j'suis conne. La prochaine fois je viendrai à poil directement, ça ira plus vite. » Histoire d'illustrer ce qu'elle dit, agissant sous le coup de la colère, elle remonte sa robe jusqu'à son ventre, dévoilant sa culotte sans la moindre gêne. Finir en petite tenue pour allumer, ça l'a jamais dérangée – c'est juste la suite qui est plus compliquée. Mais là, elle le fait même pas pour tester son emprise sur lui. Elle est juste énervée, et son côté drama queen vient prendre le dessus. « HEIN, COMME ÇA C'EST MIEUX ? PINCHE ESTUPIDO. » Elle redescend sa robe aussi vite qu'elle l'a remontée, rageusement. S'improvisant championne du docteur maboule, elle essaie de triturer son pied pour en sortir le morceau de verre, choisissant d'ignorer Junior. Mais ça fait un mal de chien et elle a pas l'impression d'améliorer la situation, alors elle serre les dents en se retenant d'exploser. Mais faut croire que Junior finit par avoir pitié, puisqu'elle le voit approcher, même s'il a pas l'air ravi de le faire. « Arrête tes conneries. » Elle a pas le temps de protester qu'il la choppe sous les fesses pour la soulever et l'asseoir sur le rebord d'une fenêtre. Elle se laisse faire en se tenant à ses épaules pour garder l'équilibre, le lâchant une fois qu'elle est bien installée. Mais pour la forme, elle continue quand même de faire la gueule. « Laisse-moi voir. » Elle dit rien, l'observant s'accroupir sans broncher. Elle lâche tout juste un soupir étouffé quand il attrape son pied, resserrant ses doigts autour du rebord de la fenêtre. « Fais gaffe.. » Bizarrement, c'est pas un ordre. Ni une protestation. Ça sonne juste comme la supplication d'une gamine en mauvaise posture, qui sait qu'elle a besoin d'aide. Pour une fois qu'elle l'envoie pas chier. Au final, elle se contente juste de le regarder faire, appréhendant un peu la suite. « Bon, je vais te le retirer... ça va p't'être faire mal alors, S'IL TE PLAIT.. évite de me foutre un coup d'pied dans la tronche, d'accord ? » Elle prend pas la peine de répondre, fronçant juste les sourcils en s'mordant la lèvre, alors que ses yeux lui crient de se dépêcher. Il s'exécute, arrachant l'éclat d'un coup, comme on l'ferait avec une bande de cire. La douleur lui arrache un cri, mais au moins elle a pas bougé, elle lui a pas mis de coup de pied. Maintenant que c'est fait, elle est prête à descendre de son perchoir et repartir, mais elle sent qu'ça saigne et elle voit Junior chercher quelque chose. Sur le coup, elle pige pas, jusqu'à ce qu'il se mette à déchirer son t-shirt. « Tu fous quoi ? » Elle l'observe faire – ne loupant pas le spectacle de ses muscles qui ressortent, même si elle aimerait mieux crever que l'avouer. Puis il lui fait un bandage de fortune, alors qu'elle s'met à rire quand il se relève. Il a l'air vraiment con, avec un pan de son t-shirt arraché, laissant apparaître le bas de son ventre. « Déchire-le un peu plus et t'es prêt pour rejoindre les village people. » Elle se fout d'sa gueule, certes, mais cette fois c'est bienveillant. C'est comme on l'ferait avec quelqu'un qu'on apprécie.

« J'vais te ramener chez toi. T'as du désinfectant chez toi, où faut qu'on en achète au passage ? » Leurs regards se croisent et elle peut pas s'empêcher de froncer les sourcils, un peu perplexe face à tant de p'tites attentions. Ça la perturbe tellement qu'elle répond machinalement, comme un robot, sans le quitter des yeux. « J'en ai, c'est bon. » Puis elle tend les bras devant elle pour l'inviter à s'approcher, les enroulant autour de son cou lorsqu'il est suffisamment près d'elle. Elle descend de son rebord en se cramponnant à lui, avant de finalement revenir à terre, reculant pour s'éloigner. Elle va ramasser ses pompes avant de se tourner à nouveau vers lui, puis de le doubler. « Bon, tu viens ou quoi ? » Elle fait quelques pas, utilisant la pointe des pieds pour celui qui est blessé, mais elle s'rend vite compte que c'est pas possible. Elle a mal quand même, et elle a trop peur de se foutre un autre truc dans son pied valide. Alors elle s'arrête, lâchant un soupir exaspéré. Puis elle fait face à Junior, une moue sur le visage. D'un côté, ça l'emmerde de lui demander son aide. De l'autre, elle crève d'envie d'être contre lui à nouveau. Elle choisit de faire taire les deux, essayant de se convaincre qu'elle a pas le choix si elle veut pas finir définitivement estropiée. « Tu peux m'porter ? J'ai mal au pied. » Obligée d'se justifier, pour pas qu'il pense qu'y a une autre raison. Elle attend pas vraiment sa réponse avant de se rapprocher, comme si le non n'était même pas une option. Elle vient se caler derrière lui, attendant qu'il se baisse pour grimper sur son dos à nouveau, serrant ses cuisses contre ses hanches, ses bras autour de son cou. « C'est vraiment une soirée d'merde. » Elle soupire, cramponnée à lui même si c'est pas nécessaire, comme si elle avait quand même peur de tomber. Ses phalanges enroulées dans son t-shirt, son abdomen fermement collé à son dos. « J'espère pour toi que mon pied ira mieux demain, sinon j'peux plus marcher, j'peux plus sortir, j'peux plus travailler. Et faudra qu'tu restes pour m'aider, et t'faire pardonner. » Comme si c'était vraiment d'sa faute, comme si c'était lui qui devait souffrir des conséquences de cet incident. Faut dire qu'elle le tient pour responsable – encore plus maintenant qu'il s'est porté garant pour la soigner. Il a pas l'droit de se louper, sinon elle le loupera pas. C'est aussi injuste qu'injustifié, mais c'est la spécialité de Lola. Le seul truc positif dans tout ça, c'est les deux cent dollars qu'elle a piqué au butin, qui trônent fièrement dans son soutien-gorge. Ça la console un peu, lui arrachant un sourire qu'il ne verra pas, alors qu'elle lève les yeux vers le ciel dégagé pour profiter d'la vue. « J'crois que j'ai mérité un verre de tequila. Voire deux, ou trois. » Ça aussi, elle en a chez elle. Et c'est sûrement le premier truc qu'elle prendra en arrivant.
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Crash Love

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MessageSujet: Re: trouble (jula)   trouble (jula) EmptyDim 28 Aoû - 10:26

- Non mais vas-y, te gêne pas surtout ! CABRON.

J’ai presque envie de m’excuser à nouveau, mais je me retiens. Faudrait voir à pas pousser non plus sur les excuses. Elle finirait par trouver ça louche. Quoi que. Elle n’en a rien foutre des excuses, elle jette les miennes comme si elles ne valaient rien. Et j’ai l’impression que c’est moi qu’elle jette finalement. Et elle a beau me jeter continuellement, je n’arrive pas à m’y faire, à m’y habituer. Ça fait toujours aussi mal  à chaque fois. Une douleur lancinante qui me vrille la poitrine. Alors j’me contente de serrer les dents et de lever les yeux au ciel, pour feinter l’exaspération, alors que j’ai juste envie de lui hurler dessus, lui demander pourquoi elle ne m’apprécie pas, le tout sur un ton dramatique digne de moi. Mais elle ne connait pas cet aspect-là de ma personnalité. En fait, elle ne connait rien de moi. Elle ne voit qu’une fausse image que j’me suis construit, à moins que ce ne soit elle qui me l’ai construite. J’suis plus vraiment certain de quoi que ce soit. Mais cette pensée me pousse dans une réflexion plus inquiétante. Et si je ne connaissais rien d’elle, moi non plus ? Et si cette Lola n’était qu’une illusion ? J’la dévisage, perplexe, inquiet. Parce que j’n’ai pas envie qu’elle soit différente. J’ai pas envie de découvrir que, finalement, la lionne est en réalité un adorable chaton. J’ai pas envie que la folle furieuse devant moi devienne une fille sympa et raisonnable. C’est comme elle est maintenant qu’elle me plait, aussi douloureux soit-il. Et cette réflexion me pousse à m’interroger encore plus. Elle ne m’aime pas ainsi. Peut-être que si j’me révélais sincèrement, elle m’apprécierait enfin ? Je fronce les sourcils et chasse immédiatement cette pensée de mon esprit. Qu’elle fille sensée craquerait pour un abruti ramollo du myocarde, petit génie fébrile mit en PLS par la vie ? Aucune, évidemment. Suffit de voir le succès de Micha et le mien. Y a pas photo. C’est lui qui gagne et haut la main. J’suis condamné à être le raté, le minable. Celui qui fait fuir ces dames. Parfait.

- Tu peux parler, t'es même pas foutu d'esquiver un stylo. Loser.

Je grimace mais m’interromps dès lors que j’la vois m’imiter lamentablement. Super le niveau, on doit atteindre les trois ans d’âge mental là. J’me vexe comme pas possible et retrouve ma gueule des mauvais jours. Celle que j’fais quand j’me perds dans mon rôle de « méchant ».

- Arrête. Que j’lui intime fermement.

Et elle arrête, mais je sais pertinemment que ce n’est pas parce que je viens de lui ordonner. C’est simplement le coup du hasard et elle me le confirme en me brandissant son majeur. Je me mets à l’applaudir lentement, méprisant, fâché.

- Génial la maturité Lola, très digne de toi.

Une partie de moi voudrait la vexer en insinuant à quel point je la considère comme une gamine capricieuse, comme une sale gosse qui n’en vaut pas la peine et à qui on peut faire endurer d’la merde sans que ça ne vienne me perturber le sommeil ensuite. Mais j’trouve que ça sonne faux. J’ai l’impression que tous les pores de ma peau lui hurle à quel point c’est pas vrai, à quel point j’en pensais rien et que j’suis désolé. Que j’espère ne pas l’avoir vexée, parce que ce n’était pas le but.
SI, PUTAIN. Si, c’était le but. Mais non, rien à faire, y a cette partie tellement faible dans ma poitrine qui me fait regretter mes mots, comme si j’avais dit quelque chose d’atroce. Comme si mon avis sur elle comptait à ses yeux. Alors qu’on sait tous que non. Même le chat qui passe rapidement entre les poubelles derrière nous le sait. Même les poubelles le savent. Mêmes les déchets dans les poubelles le savent, PUTAIN. J’ai envie de me foutre des baffes, à moi  qui ne peux pas m’empêcher d’espérer, comme un con. Alors j’essaye de retrouver un peu de contenance en jouant les indifférents. J’la toise et lui sors cette phrase tellement bateau, tellement clichée que ça en devient risible. Mais visiblement, Lola, elle n’a pas envie de rire elle. Elle me fusille du regard, tellement intensément que j’ai presque l’impression qu’elle va réussir à me flinguer l’palpitant. Je plisse légèrement les yeux, méfiant. Faudrait vraiment qu’elle songe à prendre des cours de gestion de la colère. Ça pourrait probablement sauver des vies.

- Et si t'étais pas un enfoiré doublé d'un pervers, j'aurais trois fois moins d'ennuis. Mais ouais, c'est la vie. Qu’elle scande, presque hautaine.

Et là, c’est la phrase de trop. Je m’emporte. Je serre les poings, tellement vexé qu’elle puisse dire ça, penser ça. Parce qu’elle est totalement dans le faux, bon sang. Pourquoi elle refuse d’ouvrir les yeux ? Pourquoi elle refuse de voir ce qui est pourtant évident ? Ça m’fout en l’air, ces conneries. Ses conneries. Je fais deux pas dans sa direction et j’me redresse, me faisant menaçant, me complaisant dans ce rôle que je joue et qui me va pourtant si mal. Si Micha me voyait, nul doute que ça le ferait rire jusqu’à en crever tellement je n’ai aucune crédibilité. Mais pour elle qui ne me connait pas, j’ai peut-être encore une chance. Quoi que, l’attitude c’est une chose, mais si l’discours vient tout gâcher, c’est raté.

- T’es sérieuse ?! Putain, si t’étais tombée sur quelqu’un d’autre que moi, des ennuis, tu pourrais en avoir TROIS FOIS PLUS j’te signal ! J’hurle.

Je m’égosille. J’suis devenu rouge et j’ai le souffle haletant tellement ça me comprime les poumons tout ça. J’ai envie d’lui foutre des baffes, puis de l’embrasser. Ou l’inverse, j’sais plus trop. J’suis tellement confus, le cerveau retourné, le cœur en chantier. J’échappe un râlement de frustration, me passant les doigts dans mes cheveux. Mes doigts tellement tendus par la nervosité qui me ronge que ça en devient douloureux. Mes muscles sont secoués par des spasmes, trahissant le fait que j’étouffe bien trop d’chose dans ma poitrine. Que j’me retiens, que je bride mes émotions, mes mots, mes gestes. Je ferme les yeux et inspire bruyamment avant d’expirer lentement et discrètement pour tenter d’évacuer tout ce qui me dévore à l’intérieur. Mais ça ne marche qu’à moitié. Je ne retrouve qu’un semblant de calme et j’finis par pester contre elle alors qu’elle se plaint encore. Elle n’arrête jamais, putain. Si y avait des JO pour ça, elle serait championne olympique chaque année, aucun doute. Médaillée d’or pour l’éternité.  

- Je t'emmerde ? MOI ?
- Oui, TOI ! Que j’réponds d’un ton excédé. J’écarte les bras et affiche une mine presque soulagée, comme content qu’elle s’en soit ENFIN rendu compte.
- Non mais tu te fous d'ma gueule. C'est ma faute si on en est là peut-être ? J'crois pas non.

Mes bras retombent bruyamment le long de mon corps, sidéré. Tellement de mauvaise foi dans une si petite personne, elle doit se sentir bien à l’étroit là-dedans. C’est peut-être pas de sa faute si ON en est là ce soir. Mais c’est bien de sa faute si ELLE est là ce soir. Logique implacable qui fait écho à ma précédente remarque. Dépité, j’me contente de secouer la tête sans rien répondre, ayant la vague impression de tourner en rond. De parler à un mur. J’me confronte à elle sans aucune chance de l’emporter. Elle est bloquée dans ses convictions, dans ce petit monde qu’elle s’est créé et dans lequel elle se complait lâchement. Et j’ai pas le courage de la sortir de là, de la foutre en face de ses responsabilités. Je risquerais d’y laisser trop d’plumes en chemin. Déjà qu’il ne m’en reste plus beaucoup, me clouant au sol, oisillon tombé du nid. Mais elle ne s’arrête pas là, l’enragée. Elle continue de me déplumer.

- Ouais t'as raison, j'suis conne. La prochaine fois je viendrai à poil directement, ça ira plus vite.

J’échappe un petit soupire plaintif, levant les yeux au ciel, serrant les dents. Bon dieu, elle va m’tuer si elle continue. J’en peux plus.

- C’que tu peux être vul… Mais pas l’temps de finir ma phrase.

La voilà qui soulève sa robe, sans la moindre honte, ni pudeur. Mes yeux s’écarquillent en découvrant le spectacle mais y a quelque chose de gênant là-dedans, qui m’fait détourner les yeux aussitôt. J’finis même par les fermer et faire demi-tour en secouant les mains en l’air, désemparé, pas d’accord avec c’qui s’passe. C’est pas que ça me dégoute de voir ça, c’est exactement l’inverse en fait. C’est juste que je n’imaginais pas en découvrir autant dans une telle situation et ça ne me convient pas. J’suis sûrement trop romantique, ouais. Et je l’entends qui me hurle dessus, qui m’insulte en espagnol et je devine vaguement où elle veut en venir. Mais je ne m’attarde pas dessus, bien trop concentré sur mes propres émotions mises à mal à cet instant. Elle bouscule tout dans ma tête. Elle fout un bordel monstre et moi j’me retrouve ensevelit par tout ça, immobilisé, le souffle coupé. Je rouvre les yeux, dos à elle et j’hésite presque à m’en aller. Là, maintenant. La planter là, me tirer, tenter de l’oublier. Parce que j’suis tellement épuisé. Mais comme d’habitude, je fais exactement l’inverse. J’me retourne vers elle et je m’approche pour l’aider. Y a des moments, comme ça, ou je ne me comprends vraiment pas. Je ne fais aucune remarque sur ce qui vient de se passer, je ne préfère pas. J’ai trop peur qu’elle interprète mal tout ce que j’puisse dire. Alors autant ne rien dire. Mais j’suis sûr qu’elle trouverait un truc à me reprocher concernant mon silence. Elle est douée pour gratter la merde, Lola.
Peut-être un peu trop.


Et je finis agenouillé devant elle, en train de tenter de la soigner. Et c’est avec plaisir que je constate qu’elle s’est radoucie. Elle m’épargne même de son pied dans ma gueule quand je lui retire le bout d’verre. Et j’suis soulagé, parce que j’étais pas rassuré. J’me voyais déjà avec un œil au beurre noir et le nez en sang. Les miracles existent, finalement. Mais la seule chose qui saigne, c’est son pied et j’improvise un bandage pour la protéger. Je ne réponds rien quand elle me demande ce que je fous, trop concentré à m’appliquer. Et de toute façon, elle voit très bien ce que je fais. Une fois terminé, j’me relève et j’la vois qui observe les dégâts, moqueuse. J’ai envie de disparaitre tellement j’ai honte. La simple idée qu’elle puisse voir un p’tit bout d’moi, de mon ventre, c’est à la limite du supportable. J’suis comme terrifié à l’idée qu’elle trouve mon ventre hideux, encore plus que ma gueule. Que ça la dégoute encore plus de moi. Alors je tire nerveusement sur mon t-shirt, dans l’espoir vain de le déformer pour venir camoufler la misère. Ce qui est sûr, c’est que je ne m’attendais pas à ça :

- Déchire-le un peu plus et t'es prêt pour rejoindre les village people.

J’arque un sourcil, étonné. Mais rapidement, je me renfrogne, sans vraiment être fâché pour autant. Je plisse les yeux et grimace un peu.

- Hinhin, trop marrant. Que je grommelle, malgré tout un peu vexé.

Faudrait pas qu’elle aille s’imaginer des choses .Si elle s’met à penser que j’puisse être gay, j’suis foutu. Grillé à vie. Le 1% d’espoir qu’il me reste pour le fait qu’elle finisse par un jour m’envisager volerait totalement en éclat. Il ne resterait plus rien. Et j’refuse que ça arrive. C’est franchement pas dans mes plans.
Finalement calmé, j’lui annonce que je vais la ramener chez elle et j’lui demande si elle a de quoi nettoyer tout ça. J’lis sans mal la surprise sur son visage et d’une certaine façon, ça m’enchante. J’sais pas exactement pourquoi, parce que sa surprise ne veut pas forcément dire que son avis sur moi a changé. Ni même que ce soit positif. Mais c’est à cause du 1%, c’est toujours à cause de lui. Je m’y accroche désespérément. Elle me dit qu’elle en a mais j’écoute à peine, parce que je vois ses bras qui se tendent dans ma direction, me réclamant. Et je crois mourir. Est-ce qu’elle est en train de réclamer un contact physique ? J’sais bien que c’est une demande purement utile et que y a rien de sentimental derrière, mais putain. J’implose totalement. Je bug un peu, le palpitant en feu. Mais je finis par m’approcher d’elle et l’entourer de mes bras, alors qu’elle, elle entoure mon cou. Et j’crois mourir, complètement emporté par tout ça. Je dois  rêver. Et ma prise sur elle se transforme en étreinte sans que je n’puisse contrôler quoi que ce soit. Mes yeux se ferment et, heureusement, elle ne peut pas le voir. Je fais durer le plus possible sa descente mais ça reste bien trop rapide et déjà, je rouvre les yeux et la libère, encaissant alors une horrible frustration. J’la fixe quelques secondes, luttant furieusement contre l’envie de me jeter sur elle, la serrer à nouveau, l’embrasser au-delà de la décence. Mais elle me libère de tout ça en me passant devant sans un regard. Et j’en déduis qu’elle ne veut pas d’moi.

Je passe dans la transe à la déception, la descente est violente, l’atterrissage sanglant. Je reste bêtement planté sur place, retour à la réalité. Junior, souviens toi putain. Elle s’en fout de toi. Ouais. Ouais, j’me souviens très bien. Je déglutis, blessé. Mais une fois encore, il s’passe un truc que je n’attendais plus.

- Bon, tu viens ou quoi ?

Q-quoi ? Je redresse légèrement la tête et cligne des yeux, avant de pivoter pour la regarder. Est-ce qu’elle vient réellement de me demander de venir ? Est-ce qu’elle sous-entend que j’peux venir chez elle, pour m’occuper d’elle ? Est-ce que pour la première fois depuis que je la connais, je vais aller chez elle parce qu’elle le veut et non pas parce que je m’impose ? J’écarquille grand les yeux, stupéfait. Et j’ai toujours pas bougé. A tel point que ça en devient suspect, mais j’peux rien y faire. Mes pieds refusent de bouger. Comme s’ils craignaient que ce soit une mauvaise blague. Que dès que je lui emboiterais le pas, elle se mettrait à rire en m’disant : mais tu y as vraiment cru ? Avant de partir en se moquant. Qu’est-ce que j’dois faire, qu’est-ce que je dois faire ? La réponse s’impose d’elle-même lorsque Lola me relance.

- Tu peux m'porter ? J'ai mal au pied.

OUI !
Putain, oui.
C’est la tempête dans ma cage thoracique mais je reste impassible à l’extérieur. J’ai l’impression que c’est Noël. J’me met même à douter un peu. Et si ce n’était pas réel tout ça ? P’t’être que j’suis en train de dormir et que j’rêve de tout ça ? Ça me semblerait tellement plus logique. J’met sûrement trop d’temps à répondre et à réagir, ou peut-être juste qu’elle s’en fout de ce que je pense, de mon avis. Alors elle ne perd pas de temps et vient se placer derrière moi, comme un ordre silencieux. Baisse-toi. Et j’me baisse.

- Ouais. Réponse tardive qui n’a plus de sens.

Et dès l’instant où elle se retrouve à nouveau sur moi, j’oublie tout ce qui ne va pas. J’oublie tout. J’pense plus qu’à elle. Plus qu’à sa peau contre mes mains. Ses jambes autour de ma taille. Son torse collé à mon dos, son visage près de mon crâne. J’commence presque à me dire que c’est le plus beau jour de ma vie. Et en bon destrier, je me mets en marche pour rejoindre la grande rue qu’on vient de fuir. Je ne pense plus au danger. J’me sens invincible de toute façon. Comme un ado en pleine crise. Et y a tout qui se bouscule dans mon corps. J’ai le souffle court et une montée de chaleur. Heureusement, elle n’est pas là pour voir mes joues qui deviennent rouge et mon regard qui se transforme. Je redeviens un gosse. Emerveillé. Heureux. Et je savoure mille fois cet instant, bien conscient que ça ne se reproduira pas de sitôt. Bien conscient que la vie ne me redonnera pas cette chance deux fois. J’sais même pas ce que j’ai pu faire pour mériter ça et je me promets à moi-même d’aller à l’église dès que je pourrais pour remercier Dieu de ce cadeau divin.

- J'espère pour toi que mon pied ira mieux demain, sinon j'peux plus marcher, j'peux plus sortir, j'peux plus travailler. Et faudra qu'tu restes pour m'aider, et t'faire pardonner.

Putain, si elle savait. Si elle savait à quel point ça peut m’enchanter. A quel point j’ai pu prier pour qu’elle me dise un truc dans ce genre-là. J’suis prêt à m’faire pardonner toute ma vie s’il le faut. Mais faut surtout pas qu’elle le sache. Ou pas trop, en tout cas. Alors je ne laisse rien transparaitre du brasier qui m’anime à cet instant. J’me contente de hausser mollement les épaules et de râler, comme si elle me saoulait. Comme si ça m’emmerdait.

- Si tu peux plus travailler, tu m’es d’aucune utilité, j’vois pas pourquoi j’viendrais perdre mon temps chez toi. Menteur.

On se retrouve dans la grande rue et je ne traine pas, prenant rapidement le chemin de son appartement. Je connais le chemin par cœur, j’y suis allé tellement d’fois. C’est pas la porte à côté, mais aucune importance, j’pourrais la porter jusqu’au bout du monde si elle me le  demandait. T’es pathétique, Junior. Que Micha me  dirait. Et sans doute qu’il aurait raison.

- J'crois que j'ai mérité un verre de tequila. Voire deux, ou trois.

J’échappe un petit rire dépité. Elle vient de se blesser et tout c’à quoi elle pense, c’est d’foutre de l’alcool dans son gosier. Foutus latinos. Ou qu’importe ce qu’elle soit. Et j’ressens comme un besoin viscéral de continuer à rétablir la balance cosmique de notre relation. J’ai fait bien trop d’choses gentilles envers elle pour la soirée. Alors j’arrête ça et je reprends mon rôle de pseudo enfoiré insupportable. Même si, en réalité, j’le suis bien moins qu’elle le prétend.

- Pas certain de vouloir voir ça. T’endurer sobre c’est déjà une putain d’corvée, alors bourrée : non merci. Le ton est sec, la voix tranchante. J’dis pas ça pour plaisanter.

D’une certaine façon, c’est pas entièrement faux. Mais d’un autre côté, j’aimerais bien la voir ivre. Non pas pour pouvoir profiter d’elle, parce que j’oserai jamais faire un truc pareil. Bien trop réglo pour m’abaisser à ça. C’est juste pour voir si ça révèle en elle un aspect de sa personnalité que je ne connais pas. Et d’un coup, ouais, j’ai terriblement envie de rester pour la regarder boire. On finit par arriver à bon port et il était temps, mes reins commençaient à me tirer horriblement et mes jambes ne parviennent plus franchement à la porter. Faut dire qu’en tant que SDF, j’ai pas franchement l’alimentation idéale pour pouvoir faire des efforts physiques prolongés. On s’engouffre dans son immeuble et je la porte encore jusque devant sa porte d’entrée, là, j’relâche ses jambes pour l’inciter à retrouver la terre ferme.

- Terminus, tout l’monde descend.

Putain, est-ce que j’ai réellement dit ça ? Vite, faut que j’trouve un truc pour redorer mon image de pseudo gangsta. Mais j’ai pas l’temps. Parce que quand je me retourne pour lui faire face, sa robe a bougé au niveau du décolleté, dévoilant légèrement son soutien-gorge. Et là, va falloir m’expliquer pourquoi la taille de ses seins semble avoir étrangement augmentée. Et pourquoi y a un bout d’billet qui s’en échappe ? Je vois rouge en comprenant l’arnaque. Est-ce qu’elle vient d’me voler ? J’suis pris d’une pulsion incontrôlée et j’deviens incontrôlable. J’la plaque contre le mur, oubliant son pied douloureux dont je ne me soucie plus et ma main pénètre outrageusement dans son sous-vêtement, pourtant sans aucune ambiguïté. J’en extirpe l’argent, fou de rage.

- DEUX CENT BALLES, SERIEUSEMENT ? Que je lui crie dessus après avoir brièvement survolé son butin.

Je secoue les billets sous son nez, mon visage collé au sien, le regard enflammé. Je ne réalise même pas ce que je viens de faire. Que ma main vient de toucher ses seins. J’suis trop fâché pour capter l’information. Je bouillonne, j’en peux plus. Je ne sais même pas pourquoi j’suis tellement énervé. Un psy dirait sûrement que j’me sers de ça comme excuse pour extérioriser tout ce qui me consume et que je n’ose pas exprimer. Je froisse les billets et dans un geste rageur je les balance sur elle, sur son visage et aussitôt, ils se mettent à voleter de tous les côtés, emplissant le couloir.

- J’ME CASSE ! J’explose.

J’fais volte-face, la libérant de ma présence et commence à dévaler les escaliers. Et puis, j’pense au pognon. J’peux quand même pas lui laisser. Elle ne le mérite pas. Elle m’a volé putain, elle m’a volé. Elle a clairement abusé d’ma confiance et ça, j’arrive pas à l’encaisser. Elle a tout gâché, putain. Elle a tout gâché. Je fais demi-tour à nouveau et remonte avant d’me mettre à ramasser les billets un à un, sans un regard pour elle. Et j’me sens perdu. Je ne sais même plus contre quoi ou contre qui ma colère est dirigée. J’suis complètement dépassé. J’me suis engagé dans un truc hors de ma portée. J’ai pas les épaules pour gérer ça. Pour la gérer elle et tout ce qu’elle réveille en moi.
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MessageSujet: Re: trouble (jula)   trouble (jula) EmptyJeu 8 Sep - 19:47

« Arrête. » Quoi ? De gueuler ? S'énerver ? Se foutre de lui ? L'imiter ? Faut préciser, s'il veut avoir une chance d'obtenir ce qu'il veut. Mais même s'il le faisait ce serait mal barré, et sûrement qu'il le sait très bien. Il tire une gueule de six pieds d'long, et Lola, elle a compris. Elle l'a vexé. Encore. À croire que c'est son talent caché, ou que c'type est juste victime d'un ego fragile, atrophié, trop facile à écraser. Quand elle s'arrête enfin, c'est pas pour lui obéir. C'est pour mieux brandir son majeur en signe de protestation. Histoire qu'il comprenne bien qu'il l'emmerde, qu'elle l'emmerde, que c'est l'merdier complet. « Génial la maturité Lola, très digne de toi. » Et ça, ça veut dire quoi ? Putain elle déteste quand il fait ça, ses allusions pourries qu'elle supporte pas. Elle comprend bien qu'il sous-entend qu'elle n'est qu'une sale gosse, et elle voudrait lui gueuler qu'il est pas beaucoup mieux avec sa gueule d'ado attardé, mais elle s'retient. Parce que faire ça, ce serait juste lui donner raison, lui prouver combien elle peut être puérile – la susceptibilité d'une gamine insupportable. Ça lui prend toute l'énergie du monde, parce qu'elle a pas l'habitude, Lola. Elle se bride pas souvent, elle est d'ceux qui crachent ce qu'ils ont sur le cœur à la seconde où ça leur vient, ceux qui n'ont pas de filtre entre le cerveau et la bouche. C'est drôle ; c'est que les trucs positifs, qu'elle censure. Les trucs biens, les trucs sentimentaux, les trucs qui la mettent à nu et qui donnent un accès direct aux fissures. Pas pour rien qu'elle lui dit jamais d'trucs gentils, à Junior. « Merci, tu fais un super prof. » Putain. Elle peut pas s'en empêcher, hein, c'est plus fort qu'elle. Ça l'énerve de pas savoir tenir sa langue. Le silence aurait fait tellement plus d'effet, elle le sait. Mais elle a jamais été capable de se taire, la pauvre. Et ça continue, ils s'lancent des piques en veux-tu en voilà, juste pour l'plaisir, juste pour cracher, juste pour faire chier. Juste parce qu'y a un trop plein de tension, de non-dits, de quiproquos qui vrillent la tête et les tripes. Faut croire que Lola a vraiment l'chic pour toucher les points sensibles, parce qu'elle voit le changement que ça opère chez Junior. Ses traits qui durcissent, ses poings qui se serrent, sa peau qui rougit alors qu'il hausse le ton. « T’es sérieuse ?! Putain, si t’étais tombée sur quelqu’un d’autre que moi, des ennuis, tu pourrais en avoir TROIS FOIS PLUS j’te signale ! » C'est qu'un gueulard, un môme vexé qui sait plus comment se justifier. Elle fait mine de n'pas l'écouter, levant les yeux au ciel en utilisant sa main pour mimer une bouche qui piaille. « Blablabla. » Le summum de la maturité, y a pas à dire. Mais la vérité, c'est qu'elle entend tout ce qu'il dit. Bien sûr qu'on le lui répète à longueur de temps, Junior ne fait pas exception à la règle. Pourtant elle sait qu'il a raison. Elle sait qu'il est pas si terrible qu'elle veut le croire et le faire croire, au fond elle sait qu'il est même carrément gentil vu la façon dont elle lui tient tête, sans qu'il ne riposte plus que ça. Elle sait. Elle sait, putain, et c'est ça l'pire de tout. C'est ça qui la pousse à jouer à la gamine, à faire comme si elle n'en avait rien à foutre alors que chaque mot résonne de sa boîte crânienne à sa cage thoracique, comme un boomerang qui la dégomme de l'intérieur en rebondissant de tous les côtés. Elle peut pas l'arrêter. Il continue de cogner encore et encore, sans que personne ne vienne l'attraper, sans que Junior ne daigne s'arrêter. Il n'est qu'un foutu boomerang qu'elle a marre de voir faire des allers et venues incohérentes, qui l'rendent difficile à suivre tellement il a l'air de se battre contre lui-même en permanence. Parfois, elle a l'impression qu'il est pas seul dans sa tête, qu'il a un dédoublement d'la personnalité ou une connerie du genre. Ça expliquerait l'enflure qu'elle déteste parfois, et l'gars un peu paumé qui la heurte de plein fouet chaque fois qu'il fait son apparition – trop rarement si vous voulez son avis. Mais ce soir elle n'a affaire qu'à l'enflure, qui scande qu'elle râle trop et qu'elle lui tape sur le système. Ça lui fout tellement les nerfs en pelote qu'elle se sent obligée de répéter, incrédule, comme pour voir s'il va assumer ce qu'il dit. « Oui, TOI ! » Il s'démonte pas. Il l'exaspère. Et elle aussi, à en juger par la tête qu'il fait alors qu'elle continue sur sa lancée. C'est qu'un dialogue de sourds, une discussion sans queue ni tête, qui prend la direction du concours de celui qui gueulera le plus fort. À ce jeu-là, nul doute qu'elle gagnera. Reine de la connerie ouais, et comme pour s'assurer sa place sur le trône, elle s'laisse emporter par son sale caractère pour tomber dans les excès. Agacée de toute cette histoire autour de sa robe, et de la satisfaction qu'elle soupçonne Junior de tirer. « C’que tu peux être vul… » Il a pas idée, alors qu'elle soulève sa robe pour lui montrer. Quoi ? Elle sait pas. Lui montrer que ouais, elle peut être vulgaire si ça lui chante. Lui montrer c'qu'il essayait désespérément d'apercevoir un peu plus tôt. Lui montrer qu'elle l'emmerde, une bonne fois pour toutes. Mais il a pas la réaction attendue. Il la fixe pas, il profite pas du spectacle, il essaie même pas d'en tirer un avantage quelconque. À peine les yeux posés sur sa culotte qu'il se défile et ferme les yeux, avant de carrément lui tourner le dos. Désemparée, Lola se fige, prunelles vrillées sur les mains de Junior qui brassent l'air inutilement. Elle s'attendait à tout, sauf à ça. Alors quoi, elle lui plaît pas ? Il la trouve laide, c'est ça ? La vision est si insupportable qu'il est obligé de la fuir ? Elle comprend pas et ça la vexe, beaucoup plus profondément que ça n'le devrait, qu'elle n'est prête à l'accepter. D'un coup sec, elle se couvre à nouveau, blessée et perdue. « Bon bah c'est bon, arrête de faire ta vierge effarouchée. » Elle a même pas trouvé la force de crier, tellement elle est vexée. Ça s'entend dans sa voix mais elle fait tout pour n'rien laisser paraître, bras croisés sur sa poitrine et yeux mitraillettes. Elle attend qu'il la regarde à nouveau pour le fusiller. Le trouer comme une passoire, d'la même façon qu'il vient de le faire avec elle et ses certitudes.

C'est trop absurde, comme scène. Tellement que l'univers décide d'en rajouter une couche, ou p't'être que c'est juste le karma qui lui revient dans les dents. Elle sait pas, Lola. Mais ça fait mal. Le pied percé, elle finit par se radoucir quand Junior vient à sa rescousse, en bon samaritain. Elle s'demande s'il le fait par bonté, ou si elle lui fait juste pitié. Elle préfère pas connaître la réponse. Et quand il finit par déchirer son t-shirt pour lui faire un bandage de fortune, elle peut pas s'empêcher de s'moquer. Mais c'est pas vicieux, c'est pas mauvais comme elle sait si bien le faire quand elle veut le vexer. Y a presque de la complicité dans son sourire railleur, même si l'autre fait mine de bouder. « Hinhin, trop marrant. » Elle en tous cas, ça la fait rire et elle se gêne pas pour le faire à gorge déployée. Puis elle le réclame pour descendre de son perchoir, et une fois prisonnière de ses bras, elle peut jurer que c'est plus que ça. C'est pas juste la porter vite fait pour la remettre au sol. C'est une étreinte, elle le sent dans la façon dont il pose ses mains sur elle, dans la douceur de son geste. Ça la déstabilise un peu – elle s'attendait pas à ça – mais elle s'en formalise pas. Elle vaque à ses occupations et le double, avant d'être obligée de l'appeler pour qu'il lui emboîte le pas. Mais elle s'rend vite compte que les pas, justement, c'est trop compliqué avec son pied blessé. Il bronche même pas lorsqu'elle demande à être portée, avant de s'imposer à lui sans trop lui laisser le choix de toute façon. Elle écoute pas sa réponse positive, se contentant de grimper sur lui comme elle l'a fait un peu plus tôt. Pompes à la main, bras enroulés autour de ses épaules, elle se laisse aller contre lui. Il s'dira qu'elle est fatiguée, elle taira la sensation de sécurité que ça lui provoque. Elle se sent obligée d'parler pour se donner contenance, le blâmant une fois de plus, même si c'est fait sur un ton léger – presque de la plaisanterie. « Si tu peux plus travailler, tu m’es d’aucune utilité, j’vois pas pourquoi j’viendrais perdre mon temps chez toi. » Et voilà le grand retour du p'tit con. Il lui avait pas vraiment manqué. Elle lève les yeux au ciel même s'il peut pas le voir, et elle serre les cuisses autour de ses hanches un peu plus fort en se redressant, utilisant une main pour frotter la tête de Junior. Il peut pas s'défendre sans la lâcher, alors elle en profite. « Parce que c'est ta faute, déjà. Et parce que t'façon, sans moi, tu fais comment pour tricher ? » Elle ne mentionnera pas le nom de Jedediah et elle espère fortement qu'il le fera pas non plus, sinon ça va l'énerver. Elle lui malmène les cheveux encore une seconde ou deux, avant de s'avachir à nouveau sur lui en pensant à la tequila qui l'attend sagement chez elle. Ça l'fait rire, mais elle comprend vite qu'il a pas envie de plaisanter avec elle, l'enfoiré. « Pas certain de vouloir voir ça. T’endurer sobre c’est déjà une putain d’corvée, alors bourrée : non merci. » Elle se renfrogne et se décolle un peu de lui, comme pour lui faire comprendre qu'il fait chier. Qu'il l'a vexée – encore, à croire qu'ils font un concours. « J'te rassure, t'es pas un cadeau non plus cabrón. » Son ton est aussi froid que celui de Junior, pas l'ombre d'un sourire dans sa voix. Ils finissent quand même par arriver à destination en un seul morceau, sans s'être bouffé la gueule, et c'est déjà pas mal en soi. « Terminus, tout l’monde descend. » Elle continue de faire la tronche alors qu'elle laisse tomber ses chaussures par terre sans délicatesse, avant de suivre leur chemin. Et elle s'tourne vers Junior, avec un regard presque dépité. « T'es vraiment un putain d'ringard. » Puis elle se désintéresse de lui, plongeant une main dans son soutien-gorge pour en extraire la clé de chez elle, puisqu'elle avait nulle part ailleurs où la ranger. Elle remarque pas que les yeux de Junior ont suivi le mouvement, ni qu'un morceau de billet dépasse de son sous-vêtement. Elle voit rien, continuant de parler comme si de rien n'était. « J'crois qu'il me reste des enchiladas et... » Sa voix retombe alors qu'elle l'observe. Ok, c'est pas exactement ce qu'elle attendait. Elle est en train de sous-entendre qu'elle accepte de lui filer d'la bouffe de son plein gré, et il fixe son décolleté avec un air constipé, prêt à exploser. Elle le comprend définitivement pas, ce pauvre garçon.

Prête à lui signaler qu'il a un sérieux problème, elle lâche un cri de surprise quand il la chope et la plaque au mur, sans lui laisser le temps de prononcer un seul mot. Son pied s'écrase au sol et ça appuie sur la plaie alors qu'elle gémit en protestation, mais c'est rien. C'est rien, en comparaison de c'que Junior fait. Elle sent sa main plonger dans son soutien-gorge sans la moindre retenue, et elle se fige, la gorge nouée, le cœur loupant un battement. Putain, il fout quoi ? IL FOUT QUOI ? Complètement paumée, elle met un temps à comprendre qu'il ne fait que choper l'argent, reprenant les billets qu'elle a dérobés. « DEUX CENT BALLES, SÉRIEUSEMENT ? » Elle est tellement choquée qu'aucun son ne veut passer la barrière de ses lèvres, alors que son regard passe de Junior à l'argent puis de l'argent à Junior. Elle cligne des yeux, bouche ouverte, comme un putain de poisson à l'agonie. « Q-Quoi ? » Paralysée. Elle sait ni quoi dire, ni quoi faire. Lola la grande prestidigitatrice a perdu sa langue et son insolence. La situation lui paraît aussi violente que s'il lui avait collé son poing dans la gueule ; elle a même du mal à respirer. Il est trop près, collé à elle, leurs visages tellement proches qu'elle voit flou. Elle se colle au mur de tout son long, comme si elle cherchait à disparaître en lui, l'expression d'une biche apeurée collée sur ses traits. Sur le moment, ouais, elle a peur. Elle a jamais vu Junior comme ça et elle sait pas comment gérer ça, elle sait pas quoi lui répondre. Il s'est jamais mis dans un état pareil. Et quand il lui jette les billets au visage, elle ferme les yeux de toutes ses forces, baissant la tête comme si elle se préparait à ce qu'il la gifle en prime. Dans le fond, elle s'dit même qu'elle l'aurait pas volée. « J'ME CASSE ! » Il tourne les talons alors qu'elle rouvre les yeux, l'observant disparaître au coin du couloir. Et, tremblante, elle se laisse glisser à genoux au sol, toujours aussi abasourdie. Son cerveau a tellement de mal à tout encaisser qu'elle se met à agir par automatisme, commençant à ramasser les billets sans trop s'en rendre compte. Ce qui la heurte en premier, c'est la douleur. Celle que Junior ait osé enfoncé sa main dans son sous-vêtement comme ça, celle du regard qu'il lui a lancé, celle qui serre encore son cœur. Et la colère, qu'il ait pu faire ça, qu'il l'ait malmenée, qu'elle se soit laissée faire sans broncher. Et puis la honte, toujours la sensation de sa main dans son décolleté, l'espèce de trahison dans ses yeux, l'instinct qui l'a poussée à agir comme ça. Elle est encore en train de tout intégrer alors qu'il revient d'un pas décidé, teinté de sa colère et son désarroi. Elle cesse tout mouvement en l'observant arriver, toujours agenouillée, quelques billets collés entre ses doigts. Mais il la regarde même pas, se mettant à ramasser le reste du pactole frénétiquement, alors qu'elle l'observe en silence. Elle est partagée. Elle a envie de s'excuser, et de l'gifler. S'mettre à gueuler, et s'faire pardonner. Elle sait pas si elle doit le cogner ou se mettre à pleurer, et au final ça fait que l'énerver. Sa respiration s'accélère alors qu'elle continue de le fixer, incapable de détacher ses yeux de lui. Elle contrôle plus rien quand sa main attrape l'une de ses chaussures, avant de la lancer sur Junior. Et quand il s'tourne vers elle, elle tend le bras, lui offrant les billets qu'elle avait commencé à ramasser. « Tiens, puisque t'y tiens tellement. » Mais avant qu'il ne puisse les attraper, elle les lui envoie dans la tronche, comme il l'a fait avec elle quelques secondes plus tôt. Tant bien que mal, elle trouve la force de se relever, même si elle reste à cloche-pied. Elle le quitte toujours pas des yeux, et ça bouillonne en elle, ça tourbillonne comme une tornade qui s'prépare, comme les prémices d'une catastrophe. « T'es vraiment un sale enculé. » C'est sorti tout seul, et sûrement qu'elle devrait regretter, sûrement qu'elle devrait retirer. Mais non. Au lieu d'ça, elle continue sur sa lancée. « Tu l'sais au moins ? Ça t'plaît ? » Elle claudique d'un pas dans sa direction, pas décidée à se laisser démonter. « Ça t'plaît de jouer au gros dur avec moi ? D'me plaquer contre le mur et foutre ta main dans mon soutif comme si t'avais le droit ? Tu kiffes ? » Elle s'approche encore, assez pour qu'il soit dans son champ de portée à présent. Et elle le pousse, même si ça la fait tanguer un peu. Après c'qui vient de se passer, elle se sent soudain minuscule face à lui, mais elle veut surtout pas lui montrer. « Tu t'crois puissant parce que t'as plus de force que moi, c'est ça ? Ça t'fait bander ? » Cette fois, elle le pousse de toutes ses forces, mais son équilibre est tellement précaire qu'elle est juste obligée de rester accrochée à son t-shirt pour pas tomber. Alors elle reste là, à s'tenir à lui en le fusillant du regard, tremblant de tous ses membres à cause de la rage et la honte et la peur et le besoin de rester agrippée à lui – au sens littéral comme au figuré. « HEIN JUNIOR ? T'AIMES ÇA, ÊTRE UN CONNARD ? » Elle le secoue un peu mais ça sert à rien, parce qu'elle a les phalanges enroulées dans son t-shirt, parce qu'elle est incapable de le lâcher. Elle a juste l'air pathétique. « Prends-le ton putain d'fric, et casse-toi ouais. » Ses yeux se plantent dans les siens avec un air de défi, avec une fissure planquée derrière l'insolence feinte. « Me touche pas. » Elle dit ça mais elle le lâche toujours pas, et c'est ridicule. Elle lui dit des trucs mais ses gestes crient le contraire, et y a un tel chaos à l'intérieur qu'elle a trop peur de tomber si elle arrête de se tenir à lui. Alors elle reste campée là, divisée entre son envie de fuir et celle de continuer à lui cracher dessus, entre la haine qu'elle veut lui hurler et l'incapacité à le laisser partir. Elle sait qu'elle a tort aussi dans cette histoire, au moins autant que lui, mais elle est pas encore en mesure de l'admettre. Tout juste bonne à lutter pour pas s'écrouler.
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Crash Love

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MessageSujet: Re: trouble (jula)   trouble (jula) EmptyJeu 15 Sep - 10:38

- Merci, tu fais un super prof.

J'me contente de lever les yeux au ciel, à la fois blasé et exaspéré par ce genre de répartie. Je ne réponds rien, je n'ajoute rien, n'ayant aucune envie de me lancer là-dedans et d'entretenir le niveau puéril de cette conversation. Avec Lola, c'est terrible, à chaque fois j'ai cette horrible impression d'être de retour dans la cour de récrée, à l'école primaire. Lorsque les gosses se tirent la langue et se disputent à base de c'est celui qui dit qu'y est. Faut vraiment avouer qu'on ne vole pas bien plus haut avec Lola. Le vocabulaire est à peine plus recherché. Y a juste le contexte, qu'est différent. On s'bagarre pas pour savoir qui a volé le goûter de l'autre. Non, nous, c'est à base de liasses de billets. Mais ça ne rend pas la chose plus sérieuse, honnêtement.
Mais le ton finit rapidement par monter, parce que je perds patience, devant son attitude de gamine. Parce que je ne supporte pas de la voir se voiler la face comme ça. De la voir me foutre dans une case où je n'ai pas ma place. Je sais que c'est de ma faute, que j'entretiens tout ça. Mais j'en sais rien. Au fond, j'me rassurais toujours en me disant qu'elle avait bien compris qui j'étais réellement. Mais là, je n'suis plus sûr de rien. Alors je m'emballe, au même rythme que mon myocarde qui tambourine dans ma poitrine, d'impatience, de frustration et de déception. Mais elle ne fait qu'aggraver la situation. J'la vois qui se bouche les oreilles et qui me lâche des blablabla, pour ne pas m'entendre. Ne pas m'écouter. Et j'en reste estomaqué. Je me tais, me calme et la dévisage, stupéfait. Est-ce qu'on en est réellement arrivé là ? Est-ce qu'on est vraiment tombé si bas ? Il semblerait, ouais. Et ça me déprime totalement. J'me contente de détourner le regard, déçu, agacé. Si on ne peut même plus parler, se disputer convenablement, on fonce droit dans le mur. Ou plutôt, je, fonce droit dans l'mur. Parce que, elle, elle s'en fout. De moi. De nous. A ses yeux, y a pas d'nous, justement. Y a juste moi, l'enfoiré qui lui gâche la vie. Parfait.

Et j'ai l'impression que ça tourne de pire en pire. Prise d'un excès de rage, la voilà qui soulève sa robe, dévoilant tout ce que je cherche à découvrir depuis le départ. Ce corps qui me fait tellement envie mais que je n'ai jamais le droit de toucher, d'approcher. Sauf que là, c'est trop violent, trop inattendu. C'est fait salement. C'est pas pour moi, pas comme ça, non. Alors j'me détourne rapidement, j'fais celui qui a rien vu, alors que mes rétines me brûlent. A la fois de plaisir et de gêne. J'ai envie de mourir, tellement elle est belle. Pourtant, mon cerveau s'efforce à rayer ça de mon esprit, supprimer cette vision, ne m'en laisser aucun souvenir. Parce que, tout ce que j'espère, c'est pouvoir, un jour, redécouvrir ce corps. Mais d'une autre façon. D'une façon plus douce. Plus belle. Parce qu'on en aura envie tous les deux. Et non pas là, dans une ruelle minable, sur un coup de tête enragé, pour me faire fermer mon clapet. Dos à elle, j'attends son flot d'insultes, j'attends d'entendre sa voix qui me hurle dessus, encore un tas de choses stupides, qui ne valent rien et qui, pourtant, me meurtrissent à chaque fois. Et pourtant, rien ne vient. Juste le silence, ponctué finalement par la voix basse de Lola.

- Bon bah c'est bon, arrête de faire ta vierge effarouchée.

J'attends encore une seconde, puis deux, puis trois. Rien ne suit. Attend, c'est tout ? Je fronce les sourcils et me retourne lentement, avec prudence, la zieutant du coin de l’œil pour m'assurer que tout est revenu à la normale. Oui, c'est bon. Elle s'est rhabillée et elle semble faire la gueule. Comme d'habitude. Mais son silence me décontenance complètement et je reste muet à mon tour. Je ne vais quand même pas lui demander si ça va, si tout va bien, parce que je m'inquiète subitement de son calme, étant donné que ça ne lui ressemble pas et que je m'attendais déjà à avoir son talon de chaussure planté dans le dos.

D'ailleurs, en parlant de chaussures. Lola est toujours pieds nus dans cette ruelle dégueulasse et c'est presque sans trop de suspens, qu'elle finit par se planter un truc dans l'pied. Bravo Lola. Y avait une connerie à faire, tu l'as faite, je t'applaudis. Je prends rapidement les choses en main, parce qu'elle fait n'importe quoi et que si elle continue, elle va finir par s'ouvrir tout le pied, c'est cruche. Étonnamment, elle se laisse faire et ça se passe même plutôt bien. Je ne me reçois aucun coup de sa part et elle semble même s'être radoucie. Je me prends malgré tout quelques remarques salées en pleine figure, qui ne font que me faire douter encore plus de ma virilité et de l'attirance qu'elle pourrait avoir pour moi. Attirance qui, clairement, ne semble exister que dans mes rêves. Je soupire, un peu tristement. Tout était tellement plus simple quand Bee était encore là. Mon cœur se serre à cette pensée et le temps d'un instant, je pose le regard sur Lola et je la dévisage. Réalisant subitement que j'craque pour une fille aux antipodes de Bee. De grande blonde, je suis passé à petite brune. De rayon de soleil, je suis passé à tempête. Bee, cette douceur de la nature, ce sourire ambulant, ce cœur sur la main, ce rire qui ne finit jamais. Et Lola, cette teigne enragée, la mine renfrognée, les yeux revolvers, et la voix agressive. Clairement, ce n'est pas un hasard. Je crois que je n'ai pas encore la force d'affronter une fille qui puisse me rappeler Bee d'une façon ou d'une autre. Avec Lola : aucun risque.

Elle finit par grimper sur mon dos et nous voilà repartit en direction de son appartement. Et toutes ces pensées avec Bee m'ont perturbé. J'me sens plus l'envie d'être sympa et enjoué. Alors je réagis mal aux paroles de Lola, retrouvant mon sale rôle. Ce rôle que je n'aime même pas jouer. C'est ridicule. J'suis minable. Je m'braque un peu, contrarié par je ne sais quoi et je lui réponds sur un ton pour le moins désagréable. Aussitôt, je la sens se raidir contre moi et très vite, y a sa main qui vient me frotter le cuir chevelu.

- Hey, mais.. aïeuh ! Que je proteste lamentablement, en rentrant ma tête entre mes épaules, comme si ça allait pouvoir changer quoi que ce soit.
- Parce que c'est ta faute, déjà. Et parce que t'façon, sans moi, tu fais comment pour tricher ?

J'peux pas m'empêcher de ricaner à sa remarque, comme un sale gosse. Mais mon rire tourne vite au ridicule, car il est entrecoupé sans cesse par ma respiration maladroite, toujours à cause de sa main qui malmène mon crâne et qui me perturbe. Je secoue la tête tant bien que mal, agacé.

- Déjà, je trichais bien avant de te connaître ! - mais arrête putain - j'exerce un petit claquement de langue irrité. - Et ensuite, j'm'en sortirais très bien avec Jed, pas b'soin de toi.

C'est vrai qu'en fait, en théorie, je n'ai pas besoin d'elle. Je ne gagne pas franchement plus souvent depuis qu'elle est là. Même si je me plais à lui laisser croire le contraire. J'ai juste changé de tactique depuis qu'elle me seconde, mais ça, elle n'en sait rien. Avant, je comptais les cartes et ça me faisait gagner de façon régulière, je m'en sortais bien et toujours indemne. Sauf quand j'avais trop bu avec Micha avant d'aller jouer, ouais. Mais depuis qu'elle est là, j'ai comme l'envie de l'impressionner. Alors je m'adonne a des tours de passe-passe ridicules et manque de me faire griller deux fois sur trois. Et je perds beaucoup plus souvent. Mais j'en sais rien. Je n'ai pas envie d'être moi devant elle. Je n'ai pas envie d'être ce foutu surdoué qui réussi tout ce qu'il entreprend. Je n'ai pas envie qu'elle me foute dans la casse "gros intello relou et pas intéressant". Les filles, elles aiment les bad boys. Enfin, à ce qu'il parait. Et j'suis quasiment sûr qu'un petit génie qui joue du piano - et de n'importe quel instrument en fait - et qui fait ce qu'il veut des chiffres, ça n'est pas un bad boy.
Elle cesse enfin de molester ma tête et se remet à m'insulter, encore et encore. Si bien qu'à la fin, ça ne me vexe même plus.

- J'te rassure, t'es pas un cadeau non plus cabrón.

Je lève les yeux au ciel et soupire bruyamment, histoire qu'elle m'entende.

- Cabrón, cabrón, cabrón... T'en as pas d'autres en stock ? ça devient lassant, franchement.

J'pense que je n'ai pas vraiment eu l'idée du siècle en lui soufflant cette remarque, parce que cabrón finalement, ça m'allait bien. C'était pas trop méchant, je m'y était habitué, c'était comme une douce mélodie. Si elle change, j'ai un peu peur de ce que je vais me prendre dans la gueule. Mais qu'importe, il est déjà trop tard de toute façon, j'ai encore parlé sans réfléchir, histoire de faire le malin. Et je vais encore le regretter. C'est un peu l'histoire de ma vie, finalement. On finit par arriver devant chez elle et c'est avec déception que je me contrains à la relâcher, alors que l'avoir tout contre moi me donnait la force d'oublier tous les mauvais traitements qu'elle m'inflige. D'oublier Bee, aussi. Parce que quand Lola est là, je n'suis plus capable de penser à qui que ce soit d'autre. Elle prend trop d'place. Elle prend toute la place.

- T'es vraiment un putain d'ringard.

Je me contente de faire la moue et de hausser les épaules, avant de fourrer mes mains dans mes poches de pantalon, feintant le désintérêt total pour ce qu'elle vient de me dire, alors qu'à l'intérieur, j'suis à deux doigts de pleurer et de me foutre des gifles, désespéré par mon propre cas. Mais mon désespoir s'envole bien vite, alors que mon regard tombe nez à nez avec des billets qui s'échappent de son soutien-gorge. Est-ce que c'est une putain d'hallucination ? J'aimerais. J'aimerais tellement. Mais non, cette petite conne m'a réellement piqué du blé. Et en quelques fractions de seconde, ça vrille dans ma tête. Je n'entends même plus ce qu'elle me dit, j'ai le regard bloqué dans son décolleté, alors que j'ai encore du mal à assimiler qu'elle ait fait ça. Et puis, emporté par la vague de colère qui vient de s'abattre sur ma gueule, je réagis au quart de tour, ne mesurant pas l'impact de mes gestes sur elle. Je ne pense plus à rien, ma raison a foutu l'camp et j'agis uniquement sous le coup de mes pulsions, de ma colère. J'me sens trahi. J'en ai marre qu'elle me prenne pour un con. J'EN AI MARRE. Marre d'être Junior, le gentil petit teubé a qui on peut faire n'importe quoi sans rien risquer. Marre d'être moi, finalement. Alors je récupère mon dû et je hurle, fou de rage. Je balance tout, je gesticule et je ne vois pas. Je ne vois pas dans quel état elle est là. J'suis totalement aveuglé par mes propres émotions. Je ne vois pas la peur, l'appréhension et l'incompréhension qui se mêlent et se heurtent dans son regard, sur son visage. C'est tout son corps qui me hurle d'arrêter, qui me supplie de cesser cette crise excessive, mais je n'entends rien. Mon corps tout entier vibre de fureur et ça raisonne de partout, saturant mes tympans. Je fulmine, le cœur en surchauffe, à deux doigts de l'explosion. Les muscles tendus, si fort que ça me fait mal. Et soudain, je réalise que je dois partir. Ou sinon, ça va mal finir. Pour elle, pour moi, pour les murs, j'en sais rien. Mais j'me sens au bord de la rupture. Et je n'avais encore jamais vécu ça avant. Ça m'effraie. Alors je fais demi-tour et j'me tire, cherchant à respirer à nouveau, tandis que ma gorge s'était contractée sous l'effet de mon indignation.

Et puis, ça fait tilt dans mon cerveau. Le fric. Alors je pivote, je fais demi-tour. Et sans un regard pour elle, je me mets à ramasser ce qui m'appartiens de droit. Je refuse de la regarder. Et je n'arrive pas à identifier pourquoi exactement. Je ne sais pas si j'ai peur de voir les dégâts que j'ai causé sur elle. Ou si j'ai peur de me radoucir devant elle, incapable de rester en colère plus de vingt secondes contre elle. Alors que, putain, je veux rester en colère. Je veux lui en vouloir. Je veux qu'elle comprenne qu'elle peut pas me traiter comme ça. Que, putain, j'suis pas une merde, un moins que rien qu'on peut ne pas respecter, comme si je ne valais rien. Je ne veux pas ne rien valoir à ses yeux. C'est trop douloureux. J'encaisserais pas. Alors mon corps tout entier la fuit, l'évite et s'arrange pour ne pas se tourner dans sa direction. Mais elle va m'y forcer. J'échappe un grognement plaintif lorsque je me reçois en plein dans le dos l'une de ses chaussures. Je me redresse et viens passer une main dans le bas de mon dos en serrant les dents. Putain d'excitée.

- Tiens, puisque t'y tiens tellement.

Je pivote vers elle et me contente de regarder sa main tendue et les billets au bout, continuant de fuir son regard. Mais à peine ai-je fait deux pas dans sa direction qu'elle m'envoie dessus les billets, les faisant valser de tous les côtés. Putain. Je serre les dents et mes poings et je ravale un flot de rage et d'insultes. J'inspire un grand coup et garde le silence, avant de me remettre à ramasser les billets, comme si de rien était. Comme si elle n'était pas là. Comme si elle n'existait pas.

- T'es vraiment un sale enculé. Je ne réagis pas, je l'écoute à peine. - Tu l'sais au moins ? Ça t'plaît ? Je soupire d'exaspération et souffle : - ouais, ouais, si tu veux. Espérant qu'elle saisisse bien à quel point j'en ai rien à foutre de ce qu'elle me dit. Que ça ne me touche pas. Et que je ne rentrerais pas dans son petit jeu de gamine. Que j'vaux mieux que ça. Mieux qu'elle. Elle et ses caprices. Elle et ses délires. Elle et son hystérie.

- Ça t'plaît de jouer au gros dur avec moi ? D'me plaquer contre le mur et foutre ta main dans mon soutif comme si t'avais le droit ? Tu kiffes ?

Et là, je bug un peu. Ma main reste deux secondes bloquées en suspend dans les airs, avant de se remettre à ramasser les billets. Putain. Est-ce que j'ai vraiment fait ça ? Est-ce que j'ai réellement foutu ma main dans son soutif ? Ouais. Apparemment. Et jusque-là, je n'avais pas réalisé. Je l'ai tellement fait sous le coup de la colère, que je ne me suis rendu compte de rien. Quel con. Un sentiment de honte, puis de culpabilité s'immisce en moi et me donne encore plus envie de fuir. Et pourtant, je la sens qui se rapproche de moi, de plus en plus et c'est tout mon corps qui s'électrise. Dégage, putain, dégage. Plus elle s'approche et plus j'ai l'impression que ma peau brûle. C'est à la limite du supportable. Alors je me redresse brusquement, attrapant au passage le dernier billet. Là, je rassemble tout mon courage et je plante mon regard dans le sien. Un petit sourire de sale con vient déformer mon visage.

- Voyons, Lola. Fais pas ta vierge effarouchée.

Que j'lui lance salement, faisant écho à ses propres mots, ceux qu'elle m'a balancé un peu plus tôt. Et même si j'en ai l'air, au fond d'moi, j'suis pas fier de cette répartie. Parce qu'elle a raison. J'suis allé trop loin. J'avais pas le droit de faire ça. Pas le droit de franchir la barrière de son intimité. J'lui ai clairement manqué de respect. Et j'm'en veux. Horriblement. Mais y a ce truc au fond de ma poitrine, qui refuse de s'éteindre, ce truc qui entretient mes émotions négatives et qui m'empêche de me radoucir. Incapable de redevenir raisonnable. Ce sont toutes ces années de mauvais traitement, par mes parents, par les autres, qui refont surface violemment et qui emplissent mon crâne et ma cage thoracique. Ça s'installe sous ma peau, faisant de moi cette marionnette excitée, révoltée. Et c'est Lola qui prend. Alors qu'elle n'y est pour rien, elle. Elle me pousse en arrière, mais ça me fait à peine reculer. Je range les billets dans les poches de ma veste, tout en la dévisageant, avec autant de hargne qu'elle.

- Tu t'crois puissant parce que t'as plus de force que moi, c'est ça ? Ça t'fait bander ? Je fronce les sourcils et lui jette un regard méprisant.
- T'es complètement ravagée comme gonzesse.

Ma voix est froide, mon ton dur. Et à l'intérieur, c'est le chaos. Je ne sais plus ce que je ressens. Je ne sais plus comment je devrais réagir. J'me sens tellement dépassé par les évènements. Elle me pousse à nouveau, avec plus de forces et je titube de deux pas en arrière, retrouvant sans mal mon équilibre. Alors que pour elle, ça semble plus difficile. Elle s'accroche à moi et ça me fait le même effet qu'un électrochoc. Mes yeux dévient de son regard pour se poser sur ses mains qui refusent désormais de me lâcher. Putain, mais qu'est-ce qu'elle fout ? A quoi elle joue ? Elle se met à me secouer, à tirer sur mon t-shirt n'importe comment et surtout, à gueuler.

- HEIN JUNIOR ? T'AIMES ÇA, ÊTRE UN CONNARD ?

Et son hurlement c'est comme une violente gifle. Ca fait remonter en moi toute la colère que j'essaye de faire taire depuis tout à l'heure. Brusquement, mes deux mains viennent se saisir de ses poignets et je me mets à faire pression dessus, en gueulant à mon tour.

- LÂCHE-MOI PUTAIN !

Ouais, lâche-moi, va-t-en. Lâche-moi, parce que c'est insupportable. Parce que j'te déteste. Parce que ton regard sur moi m'écorche. Lâche-moi, parce que t'es tellement belle. Parce que je voudrais t'attraper et t'embrasser. Parce que tu me rends complètement dingue. Lâche-moi, parce que j'en peux plus de cette relation sans queue ni tête, qui ne nous mène nulle part, si ce n'est à ma perdition. FOUS-MOI LA PAIX. SORS DE MA TÊTE. Laisse-moi. Laisse-moi.
Mais elle ne me laisse pas. Elle reste accrochée à mon t-shirt, comme une moule à son rocher. Et j'ai peur de la briser en tirant plus fort sur ses poignets. Alors mes mains s'agrippent lentement aux siennes, la pression se fait moins forte, mes pouces s'enroulent autour de ses paumes et je relève les yeux vers elle. J'me sens tellement faible face à elle. C'est terrible. Ça m'effraie vraiment, ce pouvoir qu'elle a sur moi. Je voudrais empêcher ça. Mais j'vois pas comment faire. C'est déjà trop tard. Il m'a suffit d'un regard sur elle et ça y est, j'étais foutu. Condamné.

- Prends-le ton putain d'fric, et casse-toi ouais. J'voudrais, Lola. J'voudrais tellement faire ça. Mais j'n'y arrive pas. - Me touche pas. Et aussitôt, mes mains libèrent les siennes, je laisse retomber mes bras le long de mon corps.

Et on reste plusieurs secondes comme ça, un peu comme suspendu hors du temps. J'ai baissé les yeux, parce que je ne sais plus où regarder, alors que tout s'embrouille dans ma tête. Et alors que je lutte contre l'envie de l'entourer de mes bras et de la serrer contre moi, pour lui dire que tout va bien désormais, que c'est terminé, que j'suis désolé. Y a cette boule de feu dans ma poitrine qui revient à la charge. Et j'ai à nouveau l'impression d'entendre le rire de Michael raisonner dans mon crâne, se foutant clairement de ma gueule. T'es trop con Juju, elle fait ce qu'elle veut d'toi, regarde-toi ! Qu'il me répète, hilare. Et il a raison, bon sang. Il a tellement raison. Alors, subitement, je me renfrogne. Mes sourcils se froncent et mon regard s'assombrit. Dans des gestes secs et puissants, je viens l'obliger à me lâcher et je recule de plusieurs pas pour réinstaurer une distance de sécurité entre nous. Et j'échappe un long râle de frustration. Mes mains glissent dans mes boucles et rapidement, je reviens vers elle. Ma main gauche se pose fermement sur son épaule, que j'emprisonne sans délicatesse et de ma main droite, je viens la pointer du doigt, mon index flottant près de son visage.

- J'crois que tu as oublié dans quelle situation tu t'trouvais, Lola. J'crois que t'as oublié que j'suis pas ton pote. Que j't'ai pas dépanné 20 balles pour une pizza. Tu m'dois un sacré paquet de fric et j'crois que j'me suis montré suffisamment tolérant et patient avec toi jusque-là. Mais là.. Ouais, là t'as dépassé les limites. Alors les choses vont changer. Je presse encore plus fort son épaule. - Ne me refais jamais un coup comme ça. Jamais.

Je la libère enfin et extirpe deux billets de ma poche. Avec un air arrogant et sûr de moi, je viens les glisser dans son décolleté.

- Tiens, pour les dommages psychologiques.

Puis, je la contourne et repars en direction des escaliers.

- Soigne toi bien Lola, je reviens vite.

Et je disparais dans les escaliers, me retrouvant vite dehors. Là, tout sourire, je m'étire, victorieux. Putain si Micha voyait ça, il serait fier de moi ! Et là, les bras en l'air, je me stoppe. Mon visage se décompose. Micha serait fier de moi. Je rebaisse lentement les bras alors que mon regard se voile de honte. Qu'est-ce que j'ai fait, putain ? Qu'est-ce que j'ai fait ?! C'est pas moi, ça. Ce qui vient de se passer, c'est pas moi. J'aurais jamais fait ça. Micha, oui. Moi, non. Et je réalise soudainement que c'est une horrible chose que Micha puisse être fier de moi pour ça. J'ai été odieux, horrible. Et c'est pas moi, PUTAIN. Qu'est-ce qui m'arrive, merde ?
Je me remets à marcher, pour m'éloigner au plus vite de l'immeuble de Lola, alors que j'me sens oppressé. J'ai les jambes flageolantes et le cœur à l'envers. Ça va pas putain, ça va pas. J'me sens changer et j'suis pas sûr que ce soit une bonne chose. Je ne suis plus sûr de rien en fait. Pas même d'être encore moi.
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