Azaël a l’impression de connaitre cette pièce par cœur. Le jeune homme de bientôt vingt-six ans se trouve dans la salle d’attente du cabinet de psy qu’il re fréquente depuis six mois plus ou moins. Entre le vieux poster au-dessus des magazines ou les vieilles chaises, il a l’impression que la décoration n’a pas changée depuis qu’il est petit. C’est très vieillot dans le coin et pourtant, c’est le seul en qui il a confiance pour parler et se confier sur ses problèmes. Regardant l’heure sur sa montre, il est en avance et il réfléchit à une excuse qu’il pourra sortir si jamais on lui demande où il se trouvait. Personne ne sait qu’il revoit le psychologue qu’il voyait lorsqu’il était plus jeune. Personne ne sait non plus la tristesse qu’il ressent. Certains doivent s’en douter et pourtant il n’en parle pas, que ce soit ses collègues, ses amis, sa femme ou encore sa famille. Il n’arrive pas à parler de ce qu’il ressent depuis qu’il a perdu un enfant, même avec sa femme Ondine il n’arrive pas à communiquer. Il a essayé à plusieurs reprises mais rien à faire, il n’y parvient pas. Elle devrait être celle à qui il se confie pourtant, elle est celle en qui il a le plus confiance et elle est aussi celle qui est passé par les mêmes épreuves que lui. Pourtant, leur relation n’est plus ce qu’elle était et Azaël ne veut pas non plus la saouler avec ça, c’est assez difficile à vivre comme cela. « Monsieur Costa, entrez je vous en prie, le Dr Johnson va voir recevoir, installez-vous ! » Lui annonça la secrétaire alors qu’il commençait à s’impatienter dans cette salle qui lui rappelle de mauvaises choses. Entrant donc dans le cabinet, comme à son habitude il alla directement s’installer sur le canapé alors que le psychologue est venu le rejoindre quelque temps plus tard. « Bonjour Azaël, comment vas-tu aujourd’hui ? » Le vieil homme pas loin de la retraite le connaît depuis tellement longtemps qu’il le tutoie et n’a pas changé cette manière de lui parler malgré la longue pause qu’il y a eu entre deux séances. Azaël a commencé à venir ici vers l’âge d’onze ans alors que sa famille et lui sont venus vivre à Savannah. Auparavant ils vivaient tous à Denver mais on a conseillé à son père de changer de lieu de vie pour sa femme qui n’allait pas bien et qui était suivi par des psychiatres. C’est d’ailleurs pour cette situation qu’Azaël a commencé à venir. Il n’a pas très bien vécu de voir sa mère changer. Il ne la voyait pas beaucoup auparavant puisqu’elle travaillait à l’armée mais lorsqu’elle est revenue, elle n’était pas la maman qu’il avait connue. C’est comme si elle s’était éteinte, elle ne souriait plus, avait le regard dans le vide constamment et ne parlait plus. Elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. Alors son père a emmené son fils chez le Dr Johnson, à sa demande alors que sa mère venait de se faire interner pour la première fois. Son psychologue l’a aidé à aller mieux et c’est pour cette raison qu’il a cessé d’y aller au bout de quelque temps même si sa mère elle n’a pas changé. « Bien ! » Dit-il simplement alors que, allongé sur le sofa il fixait un point sur le plafond. Il était bavard auparavant mais là il a une boule dans la gorge. Il ne sait franchement pas quoi dire. Pourtant, il en a des choses à dire mais il n’arrive pas à parler. « Comment ça va avec votre femme ? Vous lui en avez parlé ? » Il n’aurait pas dû lui parlé d’Ondine la dernière fois qu’il est venu il y a deux semaines car il ne veut pas forcément reparler de ses problèmes de couple. Quand il l’a rencontré, il n’a vu qu’elle, il se voyait passer sa vie avec elle et pourtant, maintenant leur couple bat de l’aile à cause des mauvaises choses qu’ils ont vécues. Ils ne parlent pas de ces dits problèmes et c’est sans doute cela qui les a éloigné. Le silence a pris sa place dans leur chambre. « Non, ça ne va pas, on n’a pas parlé, je ne sais même pas si on le fera un jour » Il n’arrive pas à se dire qu’ils vont réussir à en parler. Ils sont trop éloignés pour se dire qu’un jour ils arriveront à être le couple heureux et unis qu’ils étaient il y a quelques années à peine. En tout cas, parler de ses problèmes de couple le fit se redresser sur le sofa. « Je n’arrive pas, je n’arrive pas à en parler pourtant j’y pense tout le temps ! » Il pense à ses filles qu’il a perdues. Il pense à Célia, l’enfant qui est mort avant de montrer le bout de son nez, il pense aussi à Aoline qui est morte dans sa couveuse. Toutes les nuits il entend le bruit reliait à sa fille, ce bruit strident qui lui remémore encore et toujours lorsqu’on petit corps s’est arrêté, la vision des médecins essayant de refaire partir le cœur sans succès. C’est d’ailleurs quand il a commencé à faire des nuits blanches qu’il a pris son téléphone pour contacter le Dr Johnson et prendre rendez-vous. Il veut prendre des médicaments pour réussir à dormir alors au début, il est venu lui parler de la raison qui le pousse à venir pour qu’il puisse avoir des ordonnances mais le psychologue lui a dit qu’il fallait qu’il vienne ici pour guérir ses maux. Pourtant, il ne sait pas s’il peut guérir, deux enfants c’est juste insupportable, on ne peut pas arranger les choses, on ne peut pas oublier. Il a accepté, c’est pour cela qu’il vient parfois et pourtant, comme avec ses proches, il n’en parle pas. La seule différence c’est qu’avec son psy, il ne cache pas sa peine, il refuse juste d’en parler alors il reste parfois l’heure à le fixer dans le blanc des yeux, sans dire un mot puis repart à sa vie qui est bien monotone. « Vous ne voulez toujours pas en parler ? » Son psy continu a essayé de le faire parler mais c’est une chose impossible. Il se connaît, quand il va commencer à parler de sa fille qu’il n’a pas pu prendre dans ses bras, l’autre qu’il n’a pas pu voir, il ne va pas s’arrêter de pleurer et surtout, il va sentir les gouttes couler le long de ses joues. Il ne veut pas être faible même si l’homme en face de lui l’a déjà vu dans de mauvais états. Finalement, une nouvelle fois Azaël resta immobile pendant le reste de la séance avant de finalement se partir à la fin de l’heure et prendre rendez-vous. Il paye pour ne pas parler mais dans le fond ça lui fait du bien. S’il ne parle pas, au moins il ne fait pas semblant que tout va bien comme son sourire peut essayer de cacher ses maux. C’est un bon acteur mais avoir une coupure de temps en temps ça lui fait du bien. « A la semaine prochaine » Dit-il finalement en saluant son psychologue avant de partir et rentrer chez lui à pied, ce qui lui permit une nouvelle fois de vider son esprit même si en voyant de jeunes enfants il ne pouvait s’empêcher de penser au fait qu’il pourrait être là, avec Ondine et leurs enfants à jouer au parc. La plus grande aurait trois ans, la plus petite six mois, ils seraient heureux. Au lieu de cela il n’y a plus que sa femme et lui et c’est la première fois depuis longtemps qu’Azaël se sent aussi seul.