Cris, pleurs, culpabilité et énormément de douleur. Sans doute... pas nécessaire. Elle se l'était infligée chaque jour, cette peine, elle l'avait laissé la ronger de l'intérieure jusqu'à épuisement. Toute cette bataille invisible, silencieuse, elle l'avait supporté, guerroyant sans cesse contre ses souvenirs. Elle n'avait pas eu le droit d'en parler lorsqu'elle en avait le plus besoin. Kelia s'en était elle-même privée. Il était peut-être plus simple en apparence, de ne pas en parler, d'en faire un spectre pourtant bien présent dans leur quotidien familial.

Devenue fille unique malgré elle. Un rêve pour n'importe quel enfant avec des frères, de devenir, comme par magie, le centre d'attention de maman et papa. Ce privilège avait, cependant, un goût amer. Chaque repas de famille à trois, lui rappelait leur absence. Ce calme, ce silence qui régnait dans la maison, la faisait frissonner, elle n'en voulait pas. Jack lui manquait, Joe et ses bêtises aussi. Tout aurait pu être comme avant, mais ça ne l'était pas.

Le temps a finit par faire son devoir, elle s'était laissée porter par ses obligations d'étudiante, se réfugiant dans les livres. Ce déni, cet acharnement à ne jamais vouloir évoquer ce qui la chagrine autant a eu certaines conséquences dans sa vie plus tard.

« Un, deux, trois, quatre, cinq et..six » Le grincement de la porte de la voiture qui s’ouvre et se referme six fois avant d’y accéder. Tapoter la vitrine six fois avant de l’ouvrir. Inspirer, expirer, six fois pour calmer son esprit, poser son doigt six fois sur le volant avant de le manipuler. Son entrée à NYU a été accompagnée par le développement de ces TOCS qu’elle ne saurait expliquer. Elle passait des nuits entières à se frapper six fois à la tête, à pleurer, voulant échapper à ce cercle vicieux dans lequel elle était entrée sans réellement s’en rendre compte. Etudier la psychologie n’a pas réussi à l’aider à s’en débarrasser, elle tentait de le cacher, tant bien que mal. De ne rien montrer, toujours ne rien montrer, quoiqu’il arrive. Paraître normale, ça devenait presque une obsession, qui devenait de plus en plus difficile à atteindre. Elle s’est réfugiée dans l’alcool pendant un moment, jusqu’à ce qu’elle soit contrainte par ses amis à aller consulter, à suivre une thérapie. Sans cela, elle n’aurait jamais pu finir ses études.

Troubles obsessionnels, quête de perfection, ambition et apparence maîtrisée. Tout ceci la décrirait parfaitement. Elle ne cherchait jamais à se faire remarquer, calme en apparence, mais toujours en ébullition à l’intérieure. Un tumulte continuel auquel elle a finit par s’habituer. Un déni constant auquel elle n’a jamais pu faire face jusqu’au moment de son départ pour Savannah. Pour le regarder droit les yeux et oser l’affronter sans ciller.