01. un pays : la république tchèque. trois couleurs. bleu, partagé entre rêve et mélancolie. réassurance. bleu, des images de la famille perdue, d'une enfance voilée, d'une vie gâchée. rouge pourpre, sang et passion. nadja, elle le voit souvent, le sang s'écouler sur les visages fracassés, sur les membres décousus. et elle l'oublie aussi souvent, déchaînant un corps qui ne lui appartient même plus. blanc, comme elle. weiss, les notes d'un nom qui perd de son sens. blanc, pur et neige. blanc, une nadja qu'on a souillée, comme des empruntes crasseuses dans un sol immaculé. un pays porteur d'une histoire, de la sienne. nadja, elle a l'accent qui roule au bout des lèvres, les formes et les couleurs d'une fille de l'est. nadja, elle a l'héritage marqué sur sa peau. 02. un sentiment : l'espoir. nadja, elle a tout connu, tout vécu. la douceur et la douleur. une vie de malheur, parsemée de moments de bonheur. nadja, elle a connu la guerre et la pauvreté, les âmes qu'on préfère oublier. de sa vie, nadja, elle a jamais donné cher. et pourtant, elle est là, encore aujourd'hui, le coeur entre les mains, l'âme barbelée qu'elle tente tant bien que mal de libérer. et de tous ça, nadja, elle n'en retient que le plus important, que ce qui l'aide à mieux dormir la nuit : des jours meilleurs l'attendent à la ligne d'arrivée, elle en est certaine. ou tout du moins, elle s'en persuade. 03. un principe : la famille. nadja, elle a vu papa se faire descendre pour de sales histoires, maman se faire lapider pour l'avoir défendu. nadja, elle a vu les âmes tomber une à une, jusqu'à ce qu'elle se fasse enlever, à son tour, arrachée à une famille en lambeaux. nadja, y a la grand-mère à laquelle elle pense chaque jour, vaillante, détruite, chaque fois qu'elle embrasse la croix qui orne son cou. mais elle aussi, elle en est privée, restée au pays avec le reste de son village. nadja, y a qu'à sa jeune soeur à laquelle elle tient comme sa propre vie. une âme innocente à défendre contre le reste des atrocités de ce monde, une responsabilité dont elle se pare, même si c'est la dernière qu'elle se donne. 04. une sensation : le toucher. au jeu des sens, c'est à celui-là qu'elle gagne. elle aime, nadja, faire glisser ses mains le long des vallées et des montagnes du corps, sentir la pulpe de ses doigts rencontrer les peaux, provoquer des frissons le long des échines, caresser les vieilles blessures et les plus jeunes. nadja, parfois, elle sent son coeur battre un peu plus fort de la proximité des corps, et de celles des souffles. y a que comme ça qu'elle se sent un tant soit peu exister. pas quand elle sent. quand elle ressent. 05. un rêve : la liberté. le désir le plus cher qu'elle garde bien précieusement pour elle. nadja, elle n'a pas droit à la liberté, c'est comme ça. nadja, elle est destinée à pourrir ici, avec le reste du gang de lazar, peut-être bien à y mourir, aussi. alors si elle est contrainte à laisser le gang décider de ses actions, décider de son avenir, elle couve quelque part l'idée d'un jour s'en déchaîner. et qui sait, peut-être, juste peut-être, voler de ses propres ailes. 06. une passion : la danse. nadja, elle avait l'habitude de virevolter dans les airs. nadja, elle se laissait si facilement emporter par la mélodie. elle était douée. elle aurait pu l'être encore plus, si on l'avait laissée pratiquer comme elle le souhaitait. mais c'est pas comme ça que ça fonctionne, dans son monde. 07. un signe distinctif : une cicatrice. elle n'est pas la seule à orner le corps de ces marques blanchâtres laissées par les coups, les lames ou pire. nadja, elle est parsemée de ces souvenirs gerbants, comme un rappel incessant : elle est à eux. il y a eu la lame glissant presque langoureusement juste à côté de l'oreille, la brûlure de cigarette sur l'avant bras droit et la côte fêlée dont elle garde un affreux souvenir chaque fois qu'elle prend une trop grande inspiration, qui lui rappelle incessamment que les messieurs ne sont pas de ceux à être mécontentés. elle essaye nadja, de toutes ces forces. parfois, ce n'est pas suffisant. nadja, au fond, c'est rien d'autre qu'une poupée brisée. 08. une qualité : la discrétion. elle a les yeux grands ouverts, nadja. sur le monde. sur les gens qui l'entourent. nadja, elle observe, jamais sans oublier quoi que ce soit. elle sait que chaque information est cruciale, parfois vitale. nadja, y a que comme ça qu'elle tire son épingle du jeu. nadja, y a qu'en manipulant les informations à sa guise, qu'elle réussit à s'en sortir. nadja, c'est celle qui voit tout, et celle qui ne dit rien. 09. un défaut : la faiblesse. nadja, elle se dit souvent qu'elle tiendra pas. que c'est une vie trop dure pour une femme comme elle. nadja, jamais elle s'en sortira, pas toute seule en tout cas. nadja, elle a du mal à se regarder dans le miroir. elle ne se reconnait pas. elle déteste ce qu'elle voit, rien que le reflet d'une vie volée. nadja, elle est malade de tout ça. fébrile, à l'idée d'aller vendre son corps au plus offrant, jusqu'à parfois en avoir des sueurs froides. nadja, ça lui donne la nausée d'être une poupée trimballée de mains en mains, mais nadja, elle sait tout aussi bien qu'elle n'a pas le choix. 10. une peur : le noir. nadja, elle a les souvenirs qui résonnent dans un coin de la tête, ceux qui la réveillent à bout de souffle, certains soirs d'insomnies. nadja, elle sait ce qui arrive aux filles désobéissantes, elle l'a vu faire un million de fois, l'a redouté un million d'autres. les boîtes, à la cave, dans lesquelles elles restent prisonnière des heures, parfois même des jours. nadja, on l'y a traînée il y a des années, un soir de rébellion et depuis, cela hante encore ses nuits. 11. un regret : l'amour. nadja, elle a aimé. une fois, une seule. elle se souviendra toujours, de celui qu'elle a aimé si fort qu'elle aurait pu en perdre la vie. nadja, elle se souviendra des premières fois, de celles qu'elle a découvert avec lui, des autres qu'ils ont partagé. elle se souviendra, des rires et regards, des sourires et des baisers. nadja, elle a aimé, et elle est bien sûre qu'elle n'aimera plus, plus jamais autant, plus jamais comme avant. si seulement tout avait été différent.