la vie à louisville
J'ai grandi là-bas. Ma petite ville natale, ma petite ville bien aimée. C'était ma petite zone de confort, l'endroit où je me sentais en sécurité. Ce sentiment tellement agréable et qui renforce la confiance chez quelqu'un. Je me vois encore gambader dans les champs, parfois seul, parfois avec mes copains. La liberté à l'état pur. En fait, je crois que j'aimais être à Louisville, mais pas chez moi. Papa tenait une ferme, avec un bon troupeau de bêtes -je n'ai jamais su le nombre exact-, le chien qui les gardait regroupées. On arrivait à vivre de ses productions, c'était génial. Enfin étant petit, je m'en fichais un peu tant qu'on me fichait la paix, tant qu'on m'oubliait un peu. C'était certain que j'étais loin d'être le centre d'attention de mes parents : depuis que je leur avais dit que je ne voulais pas reprendre la ferme familiale (c'était plutôt un fardeau familial), c'était comme si je n'existais plus vraiment et que j'avais perdu toute valeur. Mais qu'est-ce que je m'en fichais… J'étais petit, je ne savais pas ce que je voulais faire plus tard. Comme tous les gosses de mon âge, je crois. A part aventurier ou astronaute, rien de bien réel. Maman trouvait les pires excuses pour me sanctionner sans arrêt et papa n'avait plus aucune fierté à mon égard. C'était triste, c'était pas digne de bons parents, bon nombre vous le diront, mais moi, c'était bien le cadet de mes soucis. Je préférais enchaîner les bêtises chez les voisins, voler des trucs et des bidules dans les magasins … parfois ça passait inaperçu et parfois j'étais pris la main dans le sac. Et là, c'était la guerre à la ferme. De toute façon, c'était comme ça tout le temps. Que je fasse une connerie ou non, maman criait sur papa, ou papa criait sur maman. Je ne savais pas pourquoi ils s'engueulaient sans arrêt mais ça me tuait les oreilles.. et mon petit coeur. Jusqu'au jour où maman a pris la porte sans que je ne comprenne pourquoi. Le pire, c'est que mon père ne m'a jamais expliqué pourquoi. Alors je lui en ai voulu pour ça et puis pour des milliers de raisons différentes. Il enchaînait les mauvaises notes, il se comportait comme un pitre idiot et principalement lorsque ça me concernait. Mais maman, je crois qu'elle n'avait pas voulu me garder alors j'avais été forcé de rester chez mon paternel. Super … Si je détestais bien une chose, c'était d'être forcé. Je n'avais rien à dire bien sûr alors je n'avais rien dit… C'était l'époque où j'encaissais sans broncher, l'époque où je n'étais qu'un vieux bout de tissu sans intérêt. Mais j'ai bien changé…

la vie à savannah
J'ai débarqué en ville à l'époque du lycée. Je ne me rappelle même plus de mon âge exact. Là-bas, j'y ai rencontré celle qui deviendra la mère de mon fils et ma fiancée. Kalei. Je n'étais jamais tombé amoureux et autant dire que c'était une sensation étrange. Bien plus qu'un sentiment d'amour, je crois que c'était le coup de foudre total. En plein dans ma tronche ! Je n'avais rien vu venir et sans que je puisse lever mon bouclier, j'étais tombé dans son piège que sont les sentiments. Puis à partir de là, je l'ai aimée sans jamais douter, des sentiments tellement forts que notre relation avait rapidement tourné à une relation du style je t'aime moi non plus. Comme chat et chien, à se chercher sans arrêt, à se crier dessus pour la pire des raisons … Mais c'était ainsi que l'on s'aimait, c'était notre façon de balancer un je t'aime à l'autre sans avoir à le lui dire avec des mots francs. Puis ma vie -ou notre vie- a pris un tout autre tournant : quand elle m'a annoncé qu'elle était enceinte. Je ne savais pas si je devais être content ou si je devais m'effondrer au sol et plus jamais me relever. C'était la pire des annonces à ce moment-là, des gosses d'à peine vingt-ans qui vont devenir parents, c'est difficile à imaginer. Et comment on allait vivre ? Comment on allait se débrouiller ? Et … comment on s'occupe d'un gosse ? C'était la question qui me trottait dans la tête pendant neuf mois, sans arrêt… Et aujourd'hui encore, j'ai cette appréhension et cette petite voix qui me dit que je suis un mauvais père. Encore des traces de ce foutu passé et de ce foutu pseudo père qui ne s'est en aucun cas occupé de moi. Je reposais toute ma haine sur ma famille, j'empirais les relations que l'on entretenait et sans que je m'en rende compte, je leur faisais du mal à tous les deux. A Kalei, et à Noa. Ils m'aimaient et moi je les repoussais. J'étais un flippé de la vie, j'étais aussi un grand énervé et capricieux, à m'énerver pour rien et à envoyer tout valser. Ma fiancée, elle n'a jamais voulu partir. Elle n'a jamais voulu m'abandonner alors que je lui donnais toutes les raisons pou le faire. Mais elle m'aimait et je l'aimais. Alors c'est pourquoi on continue encore aujourd'hui mais il m'arrive de me demander si un jour elle n'en aura pas marre… Jed le capricieux, Jed le lunatique. Ce caractère de merde empiétait sur ma vie familiale, mes sautes d'humeur, mon agressivité… Et ce boulot où je passais plus de temps qu'avec ma propre famille. Tu parles d'un chef de famille… Je n'étais que de passage en fin de journée après avoir passé mon temps les mains dans le cambouis et sous des bagnoles. Et il m'arrivait même de m'enfuir le soir pour … arrondir les fins de mois. Kalei, elle a toujours détesté ça et c'était tout justifié d'ailleurs. Ce genre d'activité quand t'as un gamin, c'est quand même moyen. Je ne voulais pas perdre Noa, car il était mon fils et que je l'aimais. Je l'aime toujours, et je l'aimerai toute ma vie, comme Kalei. J'étais obsédé de ne pas reproduire le même schéma familial que m'avait offert mon père, c'était un genre d'obsession à laquelle je m'accrochais. Une de mes idées noires parmi tant d'autres. J'étais ce type au caractère insupportable et totalement négatif. J'étais père et fiancé. J'étais et je suis, malgré moi, Jed.