Dès le début tu savais que tu serais foutue. Maman paumée, papa barré, seule gamine dans la maison, quand dans ton biberon on verse du whisky pour te faire dormir. Te faire arrêter de crier. T’aurais pu naitre dans une famille Ivy, une famille qui aurait prit soin de toi et préparé un avenir digne de ta personne. Magnifique; Merveilleux;
Mais à la place t’as eu ça. De la merde en boîte, qui se répète, encore et encore, même aujourd’hui ça te poursuit.
Ta mère c’était le genre de mannequin pour La Redoute, celle qui pose en sous vêtements à la page 256 et devant laquelle les gamins précoces s’imaginent des fantaisies dans les toilettes. Elle pensait qu’elle aurait un avenir princier, qu’elle serait le top du top, le genre de nana qu’on oublis pas.
C’était sans compter sur toi. Engrossée par un petit ami bien trop âgé, ta mère a vu sa carrière se péter la gueule en une journée, quand le résultat du test de grossesse a annoncé la couleur de la situation. Elle aurait pu se débarrasser de toi tu sais, c’est facile de nos jours, c’est même plus interdit. Pourtant elle a eu envie de te garder. parce qu’elle se disait qu’avec toi dans le ventre son jule l’épouserait. C’est ce qu’il a fait d’ailleurs, t’es née Ivy Daniels. Ivy comme le lierre, la plante préférée de ta mère. Daniels, parce que c’est du sang mélangé qui coule dans tes veines : moitié allemand, moitié américain.
A cette époque tout semblait bien parti pourtant. Et ta mère est persuadée qu’elle sera la meilleure maman du monde, bien dans sa vie, petite femme parfaite au foyer.

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T’as 4 ans Ivy, 4 ans et quelques dents. Et t’es belle Ivy, une véritable poupée avec tes cheveux noirs comme l’ébène, ta peau si blanche et tes rondeurs enfantines. t’as les cils longs et les lèvres rosées, les joues rouges comme des pommes. Et face à l’objectif tu rigole sur demande, faisant virevolter tes jupes en tulle et dentelle.
T’aime ça, le bruit du flash et les rires des autres enfants, ça t’amuse. Et ta mère te serre contre sa poitrine, te répétant à quel point elle fière de toi. T’es son trésor, la chose la plus belle qu’elle ai jamais créé, sa Dolly.
Ton père tu sais pas trop, il laisse ta mère faire ses caprices, te traîner de casting en casting, de concours en concours. Il dit rien. Bien souvent absent, accaparé par son travail dans le monde entier. C’est quelqu’un d’important Mr. Daniels. De très important. Parfois il te prend dans ses bras, te faut sauter sur ses genoux, te serre un instant contre lui. C’est fugace. Mais t’arrivera jamais à oublier, cette odeur de tabac froid et de parfum boisé. Son odeur à lui.

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T’es une star Ivy, faut dire que t’as quelque chose d’entêtant, différente des autres enfants t’es la perfection incarnée. Y a ptêtre que tes deux dents du bonheur, mais ça donne un certain charme à ton sourire, ça te rend plus vivante. Tu voyage beaucoup, de pays en pays, alors que t’as même pas 10 ans. Tu tourne dans des films à la télé, en Allemagne surtout, mais un peu aux Etats-Unis. Ca permet d’aller voir papa comme dirait ta mère.
Toi tu continue de t’amuser. Mais parfois tu te sens un peu seule, car y a personne pour jouer avec toi. Tu vas même pas à l’école, c’est ta mère qui t’apprend tout. C’est mieux ainsi. Il paraît.
Parfois le soir tu vois ta mère pleurer, hurler contre ton père, balancer des vases contre le mur. Ils pensent que t’entends pas, ils pensent que tu vois rien. Que t’es trop jeune pour comprendre ce qui se passe. Mais toi tu sais. Tu sais que papa n’aime plus maman. Il ne l’a jamais aimé apparemment. C’est ce qu’il te murmure quand tu viens le trouver, quand tu tends les bras pour qu’il te serre fort contre lui.
Il te dit que ta mère est malade, que c’est un poison et qu’il va t’emmener avec lui. Te sauver. T’offrir une vie de rêve, où tu pourras aller à l’école et manger autant de chocolat que tu veux. parce que c’est pas grave si tu pèse plus que la moyenne, si ton ventre s’arrondit un peu et que tes joues rebondissent. Parce que t’es qu’une enfant, et que tu devrais pas avoir à t’inquiéter de tout ça. Tu devrais pas avoir à calculer les calories de chaque repas.

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Ton père est parti. Il a fait ses valises et a disparu. Quand t’es revenu du tournage une semaine plus tard il n’était plus là. Toutes les promesses, toutes les paroles murmurées : envolées.
Il t’a laissé avec Elle. Le démon que tu l’appelle maintenant. Plus mère, plus maman. Juste ce foutu démon. Elle se transforme en instructeur militaire sans la moindre compassion pour sa progéniture. Marche bien droit Ivy, sinon elle abattra sa baguette sur tes doigts. Et c’est pas grave si ton dos se couvre de marques, les bleus ça se camoufle, le fond de teint ça ne sert plus qu’à ça chez toi.
On dirait pas comme ça, pourtant elle te dit à quel point elle est fière de toi. 14 ans et les gens s’arrachent tes photos. Ils aiment tes paupières, presques transparentes, caresser tes veines apparentes le long de ta peau. Si tu bouge pas, il parait que t’auras le rôle, ça rendra ta mère heureuse. Alors tu ferme les yeux Ivy. Tu te mord la langue pour pas hurler quand leurs mains se baladent sur ton corps aux courbes enfantines. Le succès a un prix. Et t’es prête à le payer.

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T’as jamais su aimer Ivy. Parce qu’on t’a jamais appris comment. C’est pas le démon qui sait comment te l’enseigner de toute façon. C’est pas ton père qui t’as lâchement abandonné. Alors tu te noie dans ton succès, dans l’affection que le public te porte. T’enchaine les rôles, jamais toi même, quand tu parade sur le podium, les sourcils colorés et le dos cambré. La nuit tu grandis, tu deviens femme. Sans aucune affection pour ta propre personne tu les laisses te souiller. T’abuser. C’est violent, c’est dégueulasse. Mais tu connais pas d’autre façon de te libérer, d’évacuer un peu ce dégoût ambiant qui circule en toi, dans tes veines. Tu noies tes idées noires dans l’alcool et leurs baisers, les laissant te flatter pour mieux te capturer. Pour mieux te massacrer. Tu mérite pas mieux de toute façon. C’est ce qu’Elle te crache dès qu’elle te ramène à la maison.

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Aujourd’hui t’as rencontré un drôle d’oiseau. A Berlin dans un bar un peu miteux, lui sur les planches et toi dans le public. Il est beau Meo, avec ses cheveux bouclés et ses sourcils froncés quand il crache sa haine dans le micro.
Et pour la première fois tu ressens quelque chose, dans la poitrine. C’est petit, c’est diffus. Mais c’est bien là. Comme une piqûre désagréable. Et tu sais que t’es foutue Ivy. Il t’as prise dans ses filets.

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Meo est entré dans la famille, simplement, doucement, il s’est glissé dans son coeur sans un véritable avertissement. Ta mère aussi l’aime bien, ce ptit guitariste à la gueule d’ange. Ca fait jaser les papiers, on parle de toi un peu partout et de ton nouveau Romeo.
Il dit t’aimer, et toi t’es éblouie, par tant de sentiments, d’amour dégoulinant. Tu t’accroche à lui Ivy, comme le lierre s’accroche au mur, plantant tes racines dans sa chaire, pomper son énergie, parasiter ce cadeau que t’as fais la vie.
Tu lui passe tout Ivy. Ses guitares, ses vêtements, de l’argent pour qu’il t’accompagne un peu partout, qu’il te suive sans jamais t’arrêter. Et dans ta tête se glisse des idées. T’as cette manie de trop paniquer qui revient. Pourtant, t’allais si bien avant ça, les médecins t’avaient autorisés à sortir, t’avais tes cachets, tes pilules pour tout contrôler.
Mais avec Meo plus rien ne va, tes peurs ressortent, les sentiments résonnent et les peurs suintent à travers les murs de ta chambre. Nauséabondes, néfastes. Et s’il disparaissait lui aussi ?

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Ya eu cet accident, décisif. Tu t’y vois encore, dans la voiture quand tout a dérapé. La main de Meo sur ton cou, les frissons le long de l’échine, l’envie d’arriver à la maison et de l’embrasser. Encore et encore. Pour s’oublier dans ses bras, entre ses doigts.
Mais la vie a pas voulu que ça se passe comme ça.
Y a cette putain de voiture qui vous a percuté. Ta tête contre le pare-brise, t’as encore une fine cicatrice aujourd’hui, là, sur ton front. mais c’est rien comparé à ce que Meo a subi. T’as crus que t’allais le perdre à jamais, tout ce sang, sa main, sa jambe. Handicapé à jamais qu’ils ont dit ces foutus médecins, ces connards incapables de le soigner.
Et t’as cru Ivy, que c’était fini.
Mais Meo t’as pris par la main, et vous avez fuit.  Une maigre valise tirée derrière vous, un mot sur le frigo, vous avez pris l’avion direction Savannah. Pourquoi là bas ? Parce que tu sais que ton père s’y trouve. Du moins t’espère. Parce qu’on dit que tout est possible aux USA, parce que l’Europe c’est plus possible pour vous.

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Ca fait deux ans que vous êtes là, à Savannah. dans votre petit appartement, votre cocon comme t’aime parfois l’appeler. T’as plus d’argent Ivy, parce que le Démon s’est vengé. Mais ça t’as trop peur de l’avouer à Meo. Alors t’enchaine les boulots stupides pour joindre les deux bouts, continuer à tout payer, comme avant.
Et puis ya Meo et toi. C’est plus vraiment ça, il te parle plus comme avant, il ne t’aime plus comme avant; Il est putain de distant. Et à chacune de tes attaques,il te renvois la balle. C’est votre nouveau jeu ça. Voir qui blessera le plus l’autre. C’est plus marrant comme ça pas vrai ? Parce que l’amour c’était trop beau pour être vrai. Pourtant tu t’y attache. Tu continue d’espérer. Même si tu sais que tu vas tout faire foirer, tu peux pas t’empêcher de t’accrocher.
La laisse pas Meo, la laisse pas. Elle a tellement besoin de toi, de ta voix et de ton amour. Parce qu’Ivy c’est qu’une poupée, une poupée toute craquelée, au coeur fissuré. Y a que toi pour la réparer tu sais Meo ? Ouai. Y a que toi. Alors la laisse pas.