Tous les matins, je me réveillais avec le sentiment que ma vie était parfaite malgré mon handicap, que j'avais tout pour être heureux et qu'il ne manquait rien à mon bonheur. D'autres matins, c'était plus difficile, j'avais peine à sortir de mon lit et je maudissais "Katrina" d'avoir déferlé sa colère sur la Nouvelle-Orléans et de m'avoir rendu ainsi... Avant qu'on ne vienne déposer Malikai chez moi, il m'arrivait de me réveiller avec une jolie fille à mes côtés, mais bon, parfois ses femmes pouvaient en avoir après mon argent ou bien mon statut de pilot. Heureusement, elles ignoraient que j'étais le digne fils de mon père et que j'étais l'héritier de son empire de l'aviation.

Maintenant que Malikai était dans ma vie, bien des choses avaient changé. Déjà je me retrouvais père d'un gamin de 6 ans dont j'avais ignoré l'existence... je n'aurais pas dû me fier à sa mère qui m'avait fait croire qu'elle avait avorté... après tout, c'était une junky cette fille; avant et après m'avoir fréquenté. Elle était ma maîtresse pendant un temps et lorsqu'elle est tombée enceinte, elle a pris ses clics et ses clacs et elle a quitté la ville. Malheureusement pour elle, mais heureusement pour notre fils, elle est décédée d'une overdose. Le pauvre n'allait presque pas à l'école et il était obligé de s'occuper d'elle et de lui-même. Il avait les cheveux longs et il était maigre lorsqu'il est arrivé chez moi avec les services sociaux.

Depuis qu'il est avec moi, on dirait qu'il tente un peu de me copier. Je suis sans doute la première vrai figure masculine dans sa vie et il a voulu se faire couper les cheveux un peu comme moi, il a pris du poids, il mange très bien, il lui arrive même très souvent de se dessiner sur les bras pour faire comme s'il avait des tatouages un peu comme moi. D'un sens ça me faisait sourire.

Ce matin, c'était tout de même un bon jour. J'avais ouvert les yeux et j'étais seul dans mon lit. Malikai avait dormi dans son lit et il n'avait pas déplacé mon fauteuil. J'avais poussé les couvertures et j'avais pris mes jambes pour les sortir du lit faisant ensuite mon transfert vers mon fauteuil. Un petit passage à la salle de bain, où tout était ajusté à ma condition, j'avais pris une douche, je m'étais habillé et j'avais ensuite pris la route vers la cuisine, j'allais probablement faire des crêpes ou un truc du genre dès que le petit serait réveillé. Je me permis toutefois de me faire un café en attendant.

Quand j'étais petit, j'ai vite appris que si je voulais quelque chose valait mieux ne pas attendre après les adultes. Ce matin, Owen, celui qui se disait être mon père, dormait plus que profondément. Après avoir fermé la porte de sa chambre pour m'assurer de ne pas le réveiller, j'avais pris un bol de céréale puis je m'étais habillé. Avant de sortir, je regardais le cadran sur le mur, il n'était même pas 8h00 encore et pourtant, dehors, le soleil était déjà haut. Je n'irais pas bien loin, Owen n'aimait pas que je partes sans l'avertir alors, je ne quitterai pas le quartier. Bien vite, je retrouvais me ballon de soccer laissé sous la galerie d'escalier hier soir et lui donnait quelques coups pour lui donner de la vitesse. J'improvisais une partie imaginaire et j'arrivais à déjouer l'équipe adverse pour enfin mettre le ballon dans le but. Au bout d'un moment, le jeu commença à m'ennuyer alors je décidai d'aller faire un petit tour autour pour trouver des copains.

Ma quête s'avérant infructueuse, je revenais penaud et seul. La matinée avançait et je me doutais qu'Owen serait bientôt debout s'il ne l'était pas déjà. À la course contre moi-même, je me donnais le défi de revenir à la maison en un temps record. C'est ainsi que je faisais une entrée catastrophe dans le hall de notre logis. La porte derrière moi se referma dans un claquement et pour ma part, j'étais fière d'être si rapide. J'envoyais mes baskets baladées plus loin et courrait jusqu'à la cuisine où j'avais entendu du bruit.

"T'es debout! .... je veux dire... tu es sur tes roues!"  

Dis-je avec un grand sourire, j'aimais bien le taquiner puis ça semblait pas le blesser. Pour une fois que j'avais un avantage sur lui parce que sinon, malgré ses jambes paralysés, il avait toute une force au combat.

Mon café venait tout juste d’être prêt. La cafetière avait laissé tomber la dernière goutte et j’avais entendu un petit signal sonore m’indiquant que l’infusion était terminée. J’avais roulé jusqu’à la machine pour récupérer ma tasse sirotant ma toute première gorgée du matin. J’étais surpris que Malikai ne soit pas encore debout, habituellement, il l’était déjà.

Ce garçon n’était pas toujours facile à suivre; littéralement et dans tous les sens du mot! Il courrait vite et dans mon état, j’arrivais difficilement à le suivre. Puis, au niveau comportemental, il était parfois très mature pour son âge, et parfois, tout le contraire. Je me montrais patient la plupart du temps bien qu’il testait souvent les limites de ma patience.

Apparemment, le petit était encore sorti dehors sans m’avertir et pourtant il était encore tôt. Je le réalisai vraiment lorsque j’entendis la porte claquer dans l’entrée de la grande villa. Puis, il y eut deux petits boums; ça devait être ses souliers qu’il venait de retirer. Il connaissait la règle; pas de chaussures à l’intérieur.

Il courut jusqu’à la cuisine pour me rejoindre. Malikai me lança une petite pique en lien avec mon handicap. J’étais debout dans le sens que j’étais réveillé, mais j’étais dans mon fauteuil.

" Petit Comique! Oui, je suis réveillé…. Tu as sûrement déjà déjeuné… dommage, j’aurais fait des crêpes. Qu’as-tu envie de faire de ta journée ? "

Je prenais quand même en compte son opinion après tout, il était parfaitement capable de me dire ce qu’il voulait ou non. Toutefois comme il n’a que six ans, c’est tout de même moi qui a le dernier mot.

" J’ai un vol à faire cette semaine! Ça t’intéresserait de venir avec moi? "

Depuis qu’il était avec moi, je lui avais procuré un passeport. C’était toujours pratique surtout que je ne pouvais pas le faire garder par n’importe qui.

Le mot crêpe ne tomba pas dans l'oreille d'un sourd. Ses yeux exprimèrent très bien l'envie et il se sentit même saliver. En général, son estomac n'avait pas de fond. En plus d'être en croissance, il avait toujours peur de manquer de nourriture. À son arrivé chez Owen, il était légèrement trop maigre et souffrait de malnutrition. Au début, il refusait de manger tous les aliments inconnus. Chez lui, sa mère lui servait du macaronie au fromage, des saucisses, du steak haché et des céréales. Parfois ça leur arrivait d'avoir de la pizza et trop souvent, des mets surgelés. Dès le moment ou que sa confiance en Owen s'était épanouie, il s'était mit à tout dévorer, du poisson jusqu'au brocoli. Il aimait l'aider à cuisiner et savoir comment faire les choses lui-même et par dessus tout, il aimait le sucre, les crêpes, les muffins, les barres tendres...

"J'ai couru beaucoup, je peux manger une ou deux crêpes! On peut les faire ensemble, je peux couper les fruits et mélanger les trucs et toi tu vas t'occuper de faire cuire! Après on pourrait aller nettoyer le garage et jouer avec ta moto!"

Il aimait s'asseoir sur la moto et faire semblant de la conduire. Le nettoyage du garage était optionnelle. Il allait chercher le carton de jus dans le frigidaire quand il entendit la proposition d'Owen. Il le regarda, pas certain, excité mais hésitant.

"Je sais pas!"

Il n'avait jamais pris l'avion et il trouvait ça un peu effrayant.

"J'ai pas envie de faire comme à la tv et de mourir dans un avion!"

Il était tombé sur une émission de Grey's anatomy en rediffusion et ça l'avait marqué.

Je ne pus m’empêcher de sourire en voyant les yeux de mon fils s’illuminer à la simple mention des crêpes. Je lui avais fait découvrir un tas de bonnes choses depuis qu’il était avec moi et j’étais bien heureux qu’il ait pris du poids avec moi. Le médecin avait même dit qu’il s’approchait pas mal du poids qu’il devait avoir pour son âge ce qui me rassurait. Je m’assurais toutefois à ce qu’il ne mange pas trop de cochonneries pour ne pas se rendre malade ou bien qu’il ait de l’embonpoint. Il m’expliqua rapidement qu’il avait couru pas mal et qu’il pouvait manger une crêpe ou deux. Il se proposa même à m’aider en cuisine. J’aimais bien lui montrer des choses bien qu’il soit encore jeune. Il n’était jamais trop tôt pour montrer à un enfant à bien se nourrir et à bien préparer les aliments.

"Tu es certain que tu vas te débrouiller avec le petit couteau? Te rappelles-tu quels ingrédients ça nous prend pour faire des crêpes ? Tu pourrais les sortir de la dépense pour commencer !"

Mon fils mentionna rapidement son envie d’aller nettoyer le garage, mais surtout à s’asseoir sur la moto. Ça me faisait plaisir de le voir assis dessus. Ça me manquait terriblement d’en faire et j’avais l’intention de m’acheter une moto T-Rex très bientôt. On pourrait ainsi faire de la moto tous les deux.

"Ça serait une très bonne idée!"

Il eut un petit air excité mais effrayé à la fois lorsqu’il me dit ensuite qu’il n’avait pas envie de mourir dans un avion comme à la télévision, je restai un peu surpris.

"Tu n’as pas à t’inquiéter Malikai! Ça fait des années que je pilote des avions et je ne me suis jamais écrasé. As-tu confiance en moi ? Ça pourrait être super et tu pourrais voir un autre endroit où tu n’es jamais allé… Et puis, vu d’en haut, c’est vraiment magnifique surtout quand on passe au-dessus des caraïbes."

Je m’étais approché un peu de lui et j’avais posé une main sur son épaule après lui avoir ébouriffé un peu les cheveux.

"Et puis tu as encore le temps d’y penser ! On va se faire ces bonnes crêpes pour commencer la journée! "