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 le bateau ivre (nur)

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River Albarn

River Albarn
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MessageSujet: le bateau ivre (nur)   le bateau ivre (nur) EmptyLun 30 Juil - 17:58

Il connaît mieux le Pacifique que l'Atlantique. Dans tous leurs déplacements à travers le pays, ses parents préféraient la côte ouest ou bien ils restaient dans les terres. Il connaît mieux les rivières que la mer, d'ailleurs. C'est ce que ses parents aimaient par-dessus tout, la campagne des cartes postales, forêts et prairies où serpentent des rivières. C'est pour ça qu'ils les ont appelés comme ça, leurs trois enfants. Creek, Brook et River. Il se souvient de nombreux beaux jours avec eux posés au bord de l'eau, à s'étaler tout nu sur des rochers chauffés par le soleil, jusqu'au moment où Creek l'éclaboussait et que Brook l'attirait avec elle dans le courant. Ils avaient le chic pour trouver les plus beaux coins secrets, ses parents. C'était plus difficile en bord de mer. Y a toujours quelqu'un sur la plage même en plein hiver, même sous la pluie. Des solitaires, des promeneurs de chien. En été, on n'en parle pas, mais ça le dérange pas sauf quand on l'embête. Y a des gens parfois, souvent des garçons plus jeunes que lui, parfois plus âgés, qui voient la victime facile en lui et en profitent pour s'amuser. Il peut pas le nier, c'est écrit sur son front qu'il a passé sa vie à se faire malmener — pas toute sa vie en fait, juste la moitié —, mais ça l'empêche pas de les détester. Ils lui donnent envie de mordre et de hurler ou bien juste de mourir, ça dépend.

Ça dépend duquel des deux River est aux commandes, ça dépend de s'il vient d'arriver ou s'il s'apprêtait à repartir, s'il est au bout du rouleau ou s'il vient de se refaire un rouleau vierge, comme neuf. Il a découvert un truc qui lui fait du bien. C'est un peu dangereux, c'est pour ça que c'est un secret. C'est un peu dangereux mais il faut que ça le soit, ça marcherait pas autrement. C'est l'impression qu'il a. Il avait pas prévu, la première fois. Il est juste venu se baigner là avec des copains et à un moment il a décidé de voir combien de temps il pouvait tenir la tête sous l'eau. Il voulait plus remonter. Il y est retourné le lendemain, tout seul, et cette fois y avait personne pour l'y obliger. Personne d'autre que lui et la limite de ses poumons, de son cerveau, il sait pas trop comment ça marche et il est pas prêt d'oser demander à Lenny de lui expliquer, sinon il devrait lui dire d'où lui vient cette question. Il a pas envie, pour l'instant c'est son truc à lui. Au début il resté sous l'eau trente secondes, puis près d'une minute, et puis deux. Il pensait pas qu'il progresserait si vite. Il a pas l'habitude de progresser, parfois s'il commence en bas de l'échelle il est même capable de creuser. C'est pas vraiment une compétence, c'est pas ça qui va l'aider à trouver un meilleur travail, mais ça l'aide à gagner un peu en confiance. Entre autres choses.

Il a découvert l'apnée thérapeutique. Depuis les premières fois, il a aussi découvert Back River Beach. C'est plus tranquille ici, quand il vient assez tôt il lui arrive même d'être tout seul. Il s'en fiche que la baignade soit pas surveillée, il va pas loin. Ce matin ça doit être la troisième fois qu'il vient là. Aujourd'hui la plage est presque déserte. Ça l'arrange. Il a vite de fait de se retrouver en short en bain, sa peau tellement plus pâle que celle des vacanciers, plus blanche que le sable blanc, et il entre dans l'eau sans hésitation. Ça a quelque chose de rituel, d'à la fois mécanique et sacré. Quand il a de l'eau jusqu'aux épaules, il s'arrête, il cale le rythme de sa respiration sur celui des vagues, et puis il se laisse couler comme s'il comptait s'asseoir sur le sable. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept... Il ne remonte pas. Peut-être qu'il ne remontera plus.


Dernière édition par River Albarn le Dim 14 Oct - 14:36, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: le bateau ivre (nur)   le bateau ivre (nur) EmptyLun 13 Aoû - 0:22


Pourquoi aujourd’hui et pas les autres jours ? Pourquoi seulement maintenant et pas avant ?
Ça fait peut-être trois mois que je fais un détour tous les matins. J’passe devant la plonge, longe la promenade et reste bien planquée dans ma voiture, et pourtant déjà absorbée par les roulis de l’océan. Le spectacle me déchire de l’intérieur comme une sombre maladie. Elle s’accroche à mon cou, à ma tête, à mon dos, les mains rugueuses et aiguisées comme une charogne, les mots cruels qui reviennent entre mes oreilles pour me mordre les os. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’un oxygène filant et un staccato tremblant dans les battements de mon coeur.
Alors pourquoi aujourd’hui j’mets les pieds sur cette fichue page ? J’garde mes chaussures pour pas sentir le sable, pour pas sentir que j’meurs peut-être encore. J’ai pas besoin d’le sentir, il me hante encore trop souvent quand les nuits ressemblent trop à celle-là. Il est encore là. Seven est encore là.

Coup d’oeil incertain par-dessus mon épaule. Personne. C’est bon tout va bien, et il fait jour. J’sais pas pourquoi je m’obstine maintenant, j’sais pas pourquoi j’y arriverais aujourd’hui alors j’fais ma lâche depuis des mois. Mais j’sais ce que c’est. C’est presque médical, conséquence post-trauma, ça devrait être ma spécialité, j’devrais pouvoir me soigner toute seule, j'devrais pouvoir retrouver un peu de contrôle, au moins sur ça, une frayeur qui n’est que dans ma tête et qui n’a rien à voir avec mon coeur. J’en ai besoin. Même si j’ai l’impression de m’éteindre à petit feu plus j’avance vers l’eau. Le froid qui fâche ma peau, le vent qui étourdit le flot de mes pensées. J’sens même plus que j’pleure peut-être. Ça y est, c’est fichu, les vagues qui veulent me manger et moi qui m’retrouve à nouveau divisée. L’envie de fuir, l’impossibilité de partir. J’suis coincée, blocs de plomb aux chevilles, y a rien à faire, j’ai peur et y a personne pour m’aider. Besoin de personne pour sombrer.

Sauf que ce qui me coupe la respiration, c’est pas mon imagination, c’est la percée de la réalité, ce que je n’ai pas réellement vu tout de suite. Tâche blanche comme la lune dans l’eau, qui se laisse fondre, engloutir, et-qui-ne-re-mon-te-pas. Même pas besoin de me noyer pour faire de l’apnée, j’me suis figée. Mes pensées sautent d’une seconde à l’autre. J’ai mal vu, il n’y avait personne versus, il y avait quelqu’un et ce quelqu’un se noie devant moi. C’est quoi cette putain de blague ?! Il remonte pas ? Vraiment pas ? Ça fait combien de temps ? même rien n’est une science exacte… 3 minutes, tu ne peux pas t’en sortir si ton cerveau n’a plus d’oxygène au bout de ce laps de temps. Mais pourquoi il ne se débat pas ? Avec ou sans bourreau, à cette étape, je paniquais déjà... avant d’atteindre la petite puis la grande hypoxie. Ça va bien plus vite que trois minutes. Fichu cerveau de médecin, le voir et le vivre, c’est totalement différent, ça n’arrange rien, c’est tout aussi terrifiant. J’ai perdu l’compte des secondes, mais quand vient celle d’après, j’ai déjà plongé, j’ai déjà sombré. Le courant et le mouvement de l’eau sont comme les mains de Seven sur mon corps, beaucoup trop solides, beaucoup trop envahissantes. J’bois la tasse un nombre incalculable de fois avant de réussir à avancer. C’est peut-être pas lui qui va devoir être sauvé. Ou alors on crèvera tous les deux. J’sais pas. J’sais pas comment j’peux faire pour continuer.

Le prochain plongeon, le prochain moment où j’ouvre les yeux sous l’eau, il est là, presque translucide, immobile, comme si il n’appartenait pas à ce monde. Être éthéré… Est-ce qu’il a arrêté de se battre ?

Son corps semble frêle, pourtant il contient le poids de toutes mes peurs. J’ai bien cru que je n’arriverais pas à sortir de l’eau avec lui. Corps naufrages, paumés dans un orage et une tempête qui me dépassent, à s’enfoncer lentement dans la mer, à laisser les sables se faire mouvants… Mes forces se sont vidées quand j’ai assuré sa tête sur le sol et loin des vagues mortelles. J’sais même pas comment j’fais pour encore respirer alors lui ? Hey ! Tu m’entends ?! Son pouls est faible alors que le mien fébrile, mais il est encore là, quelque part. Sa cage thoracique se soulève à peine, il faut que je le protège jusqu’à ce qu’il reprenne conscience et que j’appelle les secours. Et c’est comme si je me parlais à moi-même lorsque je le positionne sur le côté. Allez tu restes avec moi… Reviens à toi.
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