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 guilty (nutie)

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Arthur Teague

Arthur Teague
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MessageSujet: guilty (nutie)    guilty (nutie)  EmptyVen 7 Sep - 18:55

Teague, la chambre 166 t’attends. Qu’elle me gueule depuis l’autre bout du couloir. Le téléphone coincé entre mon épaule et mon oreille, un dossier dans les mains, je lui fais un bref signe de tête que j’arrive, et reprend aussi sec ma discussion : M’sieur Carter, donnez-moi au moins le nom de son médecin, que j’puisse lui parler. Il refuse, en bloc. Dix minutes que j’essaie d’avoir des nouvelles de Bo. Tu sais Arthur, Bo n’en serait pas là s’il avait été pris en charge immédiatement. Je claque mon dossier contre ma cuisse dans un mouvement d’humeur et soupire un grand coup. Mais il a été pris en charge ! J’suis médecin, j’le surveillais 24 sur… Pour le moment, j’aimerais que tu restes en dehors de tout ça, d’accord ? Noooon, non pas d’accord. J’envoie le dossier à l’infirmière la plus proche pour qu’elle le range et me dirige vers la chambre 166 avec mauvaise humeur. C’est mon meilleur ami vous pouvez pas m’empêcher de le voir. Faut lui dire que j’appelle pour prendre de ses nouvelles. Vous lui dites hein ? Non, bien sûr que non. Ce connard maniaque du contrôle ne le fait pas. Il ne m’aime pas de toute façon. Je dois te laisser, j’apprécie ta sollicitude, mais arrête de nous appeler tous les deux jours, d’accord ? J’ouvre la bouche pour protester, mais il a déjà raccroché. Putain d’merde. Comment il peut dire ça ? Gnégnégné c’est un problème familial. C’est moi la famille de Bo. Moi et rien que moi. Je range mon portable dans la poche de mon ensemble d’interne et débarque dans la chambre de ce certain Grant Falcon. J’attrape son dossier, une infirmière est en train de changer sa perf. Alors monsieur, ça va ? Question stupide et en plus de ça, j’écoute même pas la réponse, parce que mes yeux se sont déjà perdus sur son dossier. Il m’explique quelque chose que je n’entends pas. Mes pensées sont embrouillées par les 36 heures de garde et cet appel avec le père de Bo. Finalement, je le coupe en pleine phrase et relève ma tête vers lui : Ok on va augmenter un peu les doses, votre corps réagit pas assez au traitement. Je note sur son dossier et le tend à l’infirmière. Pose une perf, 10 mL par heure sur 4 heures. Elle me regarde d’un drôle d’air. Un air auquel j’accorde autant d’attention que j’en ai accordé à Grant. Vous êtes sûr ? qu’elle me demande. Je la regarde même pas et j’assure que oui, en sortant de la chambre.

On se croise tout le temps avec Nur, à l’hôpital. Et clairement aujourd’hui j’ai pas le temps de tenter quoi que ce soit. Je la vois de loin entrer en chambre de garde, et fais demi-tour aussitôt, mon paquet de bonbons dans la main, parce que j’ai pas la force pour la supplier à nouveau de me pardonner. La méthode Teague quand ça va pas, c’est d’éviter le problème. Si on l’évite, il nous atteint pas. Cette méthode a fait ses preuves plus d’une fois. Pourquoi se faire chier à assumer quoi que ce soit quand on peut faire comme si de rien n’était, hein ?

Et puis y a d’autres cas. Y a ceux où le problème vous fonce en pleine gueule et que, malgré tous vos efforts d’équilibriste, vous n’avez aucune chance d’en ressortir vivant. Je me suis planqué au dispensaire avec mon paquet de bonbons j’ai donné un énième teste de grossesse à une énième ado, qui enfermé dans les toilettes pour femme. J’attends devant, me faisant passer pour un type qui en a quelque chose à foutre, le fait est que je préfère faire mes heures de consult ici plutôt que gérer quoi que ce soit d’autres aujourd’hui. Je regarde l’horloge. Trois heures. Dans trois heures je serais libre de m’enfoncer sous ma couette. Mon biper sonne au moment où l’ado sort victorieuse : elle n’est pas enceinte. J’envoie l’infirmière lui apporter capotes et adresse du planning familial le plus proche et je retourne aux soins intensifs en trotinnant.

Chambre 166. C’est l’effervescence, Jenkins ma responsable d’internat est en pleine action, Grant est en train de lâcher, il se vide là, devant nous. Il hémorragie interne généralise, choc hypovolémique. Ca s’affiche en néon dans ma tête, je bloque devant la porte. BOUGE TOI TEAGUE ET POSE LA PERF DE SERUM PHI. Je secoue la tête et fonce pour l’installer pendant que Jenkins l’intube et que l’infirmière le transfuse. Qu’est-ce qui s’est passé ? J’ai les mains qui tremblent. J’arrive même plus à parler. J’sais pas. Je me repasse la scène dans ma tête, mais rien, nada, je sais plus ce qui s’est passé. Grant allait bien, tout allait bien. Y a une heure il était stable, qu’est-ce que t’as fait ? Je lève les yeux vers elle complètement perdu. J’ai augmenté son dosage de… Elle me tend le ballon d’oxygène et je prends la suite pendant qu’elle vérifie le dossier. Je sais ce qu’elle va dire, au fond de moi, mais on cerveau bug complètement. Je suis trop occupé à faire en sorte qu’il respire. 10 mL par heure ? Mais t’es malade ou quoi ? Mon coeur s’arrête, chute de tension. Je bloque. Non je… j’ai pas dit ça. Elle tourne le dossier vers moi. C’est mon écriture. C’est ma prescription. C’est moi qui ai fait ça. Pourtant je sais qu’il faut pas. Je sais que ces dosages sont déconnants. Mais ma connerie est marquée noir sur blanc sur le dossier. Ma mâchoire se décroche et je sais même pas quoi dire. Ne touche plus à ce patient, tu vas dans un coin et tu bouges plus.

Vingt minutes.
Vingt minutes à essayer de l’empêcher de mourir.
Vingt minutes avant que Jenkins ne lâche un grand soupir et ne retire ses gants en latex imbibé de sang.

Je suis dans mon coin, j’bouge pas comme on m’a ordonné de le faire et j’ai le regard fixé sur ce type. Il a quoi ? La trentaine peut-être, je me souviens plus de l’âge qui est noté dans son dossier. Le sang s’est arrêté de couler par tous les orifices de son corps et il est là, inerte. On dirait un putain de film d’horreur. Mon cerveau fonctionne plus, j’entends plus rien. Je percute pas. Je percute plus. La seule chose qui repasse en boucle dans ma tête, depuis vingt minutes, c’est les ordres que j’ai donné à l’infirmière, et sa question “vous êtes sûr ?” j’ai même pas repensé à ce que je venais de dire. Parce que oui, j’étais sûr de moi. Je me suis même pas entendu prononcé le dosage. J’aurais aussi bien pu lui injecter du cyanure directement dans les veines. Teague, heure du décès. Mes yeux me piquent, j’arrive plus à respirer. Elle répète, Jenkins, en criant. Je regarde ma montre connectée. Heure du décès, cinq heures quarante-cinq. Le soleil ne va pas tarder à se lever maintenant. Et moi je suis dans un néant absolu. Plus rien ne passe. Jenkins se poste devant moi. Faut que je tienne, faut que je tienne le temps qu’elle sorte de la pièce. Donna va s’occuper du corps. Je vais aller parler à la famille et tout faire pour éviter qu’on te foute un procès au cul. Putain, putain, putain, putain. Toi tu rentres chez toi. J’ai la voix qui tremble quand je me risque : J’ai la relève de garde dans une heure. Elle secoue la tête, est secouée d’un rire nerveux. T’as tué quelqu’un aujourd’hui Arthur. J’pense que t’en as assez fait, non ? L’explosion est si forte qu’elle arrête tout mes organes en même temps. J’acquiesce et elle sort de la pièce. Donna, l’infirmière me lance un regard triste et coupe les machines. Je reste immobile quelques secondes. Et je sors de la pièce à grand pas.

La nouvelle prend de plus en plus de place dans mon corps, comme un poison qui s’infiltrerait partout. Je fonce vers la sortie du service, mais j’me rend bien compte que j’y arriverais jamais. J’arrive même plus à voir ce qu’il y a devant moi. J’arrive plus à respirer.

Je disparais dans le premier placard que je trouve et m’effondre dès que la porte est fermée. Merde. que je laisse échapper dans un hoquet suraiguë, en donnant un coup sur une étagère. Merde, merde, MERDE ! Ma voix se brise et je tremble de tout mon corps, les larmes envahissent mes joues et mon cerveau est en surchauffe. T’as tué quelqu’un aujourd’hui Arthur. J’peux pas avoir tué quelqu’un, c’est pas possible. Même si on vous prévient en étude de médecine, on vous dit que ça peut vous arriver. Mais pas comme ça. C’est pas comme si j'avais tenté de faire quelque chose et que ça n’avait pas marché. Pas comme si j’étais pas arrivé à temps. Pas comme si j’avais foiré une technique. Pas comme s’il était de toute façon condamné. Non, j’ai tué ce mec parce que j’ai pris une mauvaise décision. Une décision impossible à défendre. Parce que j’avais la tête ailleurs. Parce que j’étais fatigué.

Ce mec est mort parce que j’ai mal dormi.

Mon bras part tout seul et renverse toute une étagère de compresses. Je me plaque les deux mains sur mon crâne et tente d’assourdir le sifflement qui me perce les tympans. Et puis la porte s’ouvre à la volée.

Nur. Je me retourne d’un coup pour lui cacher mes larmes que je tente vainement d’essuyer. C’est… c’est pas trop l’moment là. Le moment de quoi ? j’en sais rien. Je sais plus rien. Je sais juste que ma vie ne sera plus jamais la même qu’avant et que j’arrive pas encore à réaliser.
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Nur Al Shaikhly

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MessageSujet: Re: guilty (nutie)    guilty (nutie)  EmptyMer 19 Déc - 22:09


Putain de vie de merde. Y a ces moments où on sent qu’elle nous échappe totalement. Quand on est là, complètement dissociés de ce qui se passe juste parce qu’on n’est pas en capacité d’accepter et gérer ce qui arrive. Le choc est trop lourd. On n’a pas la force sur le moment, et on sent bien qu’on risque de se faire écrabouiller si on laisse les choses nous atteindre. Parce que cette chienne peut autant nous faire rire, que nous faire pleurer. Elle nous fait boire la tasse, nous fait croire qu’on va crever, puis elle t’attrape par les cheveux et te dépose plus loin. J’en sais quelque chose. Elle nous écrase les pieds ou nous fait valser. Alors on pleure sur soi, on accuse les autres dans des éclats orageux, on boit, on prend des petites pilules pour amortir le choc qui s’fera toujours son chemin jusqu’à nous -malgré tous nos stratagèmes. En tout cas, c’est comme ça pour moi. Et il y a de fortes chances pour que ça tourne ainsi aussi pour Artie.

À l’hôpital, y a toujours de nouvelles procédures, de nouvelles règles, des changements impétueux d’organisation. Y en a presque tous les jours, et on met tous plus ou moins longtemps avant d’en être informés. Mais les erreurs et les rumeurs… elles ont un canal de com’ bien plus efficace. Tout se sait vite. Trop vite. Alors évidemment, quand l’interne réputé pour son tempérament solaire et sa petite tête de con trop bien faite fait une bourde mortelle, ça se sait tout aussi vite. Et dans ces cas-là, il y a ceux qui savent que ça arrive, que ça fait partie de l’apprentissage… Quel est le prof qui nous disait qu’on tuerait tous au moins un patient à nos débuts ? Ils ne disent rien mais seront là si besoin. Et il y a les vipères qui se croient infaillibles, parfaites dans leur art. Elles descendent les autres à la moindre incartade et, en fonction de leur influence, peuvent stopper net une carrière. C’est celles-là qu’il faudra occuper, flatter ou pousser à bout pour les détourner d’Arthur. La vieille génération dont tout le monde se passerait bien. J’ai d’jà envie d’en décapiter une ou deux au passage. Comme si elles ne se souvenaient pas de ce que c’était que d’être interne et d’avoir un milliard d’autres choses en tête en plus de la médecine. Y a rien d’mal à ça, c’est juste humain. Et c’est tout ce que je vois quand je le trouve enfin, réfugié dans un des placards à fourniture. Les compresses au sol et un Arthur cassé, qui s’fait bouffer par la panique.
C’est… c’est pas trop l’moment là. Une, deux secondes filent. Je le laisse faire mine de. Je sais. On m’a dit ce qui s’est passé. Et je m’approche, refermant doucement la porte dans mon dos, comme pour ne pas le faire fuir et le voir s’éloigner. J’suis pas là pour moi ou parler de nous. Parce que oui je pourrais encore lui demander d’m’ôter un doute, lui demander si, dans la liste des conneries à ne jamais faire, il croit qu’il va encore en trouver une, ou est-ce qu’il pense les avoir toutes épuisées. Et j’pourrais aussi lui rappeler de s’le garder son petit sourire de merde parce que je le soupçonne d’avoir été conçu juste pour m’embrouiller. Alors oui, j’pourrais rappeler tout ça. Encore et encore. Sauf que le petit sourire de merde a été remplacé par des larmes. Et qu’il y a malheureusement une nouvelle connerie qui écrase toutes les autres. J’suis là pour toi Artie. C’est pas parce que tu m’as blessée que j’veux d’une amitié qui consiste à ne pas ménager la personne que l’on adore, que j’veux débusquer l’endroit où ça fait mal pour enfoncer un pieu fatal. J’peux être brutale et méchante, mais pas à ce point. Pas quand ça le concerne directement. Il y a des gens trop précieux, même si j’sais pas bien montrer l’affection que j’éprouve pour eux. Tu veux en parler ? … Dis-moi ce que je peux faire. Y a une main qui se glisse autour de la sienne, comme si j’pouvais m’enrouler autour de lui et bloquer toutes ses pensées, comme la fumée d’une cigarette qui s’foutrait d’ses lèvres. Le couper, rien qu’un instant, de ce qui va l’écraser et laisser des traces. Lui donner un peu de temps, un peu de force… Faire pouce… Et juste lui donner ce qu’il faut, ce dont il a besoin pour traverser son erreur… L’aider à supporter le patient qui le hantera. Dis-moi, j’suis là., que le coeur voudrait lui murmurer, comme si ça pouvait le rassurer et tout effacer. J’sais bien que ça serait trop facile si c’était aussi simple… Si ça suffisait…
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