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 down with the fallen, (daivak)

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MessageSujet: down with the fallen, (daivak)   down with the fallen, (daivak) EmptySam 21 Avr - 23:34

▼▲▼

Rentre chez toi.

Le couperet était tombé, et il n'y était pas prêt. Grogner n'y avait rien changé. On se fichait de son avis, de sa détermination, de ses capacités, ou même du sang qui coulait. Tout ce qu'on voyait, c'était son état. T'es blessé, Novak. Personne ne veut voir ça. Un fait. Cruel, mais qu'il lui fallait accepter. C'était pas bon pour l'image du club. Pas bon pour ce qu'on voulait qu'il soit. Chien de garde, monstre, loup noir, monstre, soldat, monstre. Grogne, mords, tue. Monstre. On lui avait dit, ressaisis-toi. On lui avait craché, va te soigner. Repose-toi. Si on a besoin de toi, on t'appellera.

Mais pour le moment, rentre chez toi.


À partir de là, tout avait déboulé. La douleur qu'il occultait jusqu'à lors était revenue en vagues furieuses et désorganisées. Il les avait ignorées, le visage aussi impassible qu'à l'accoutumée. L'oeil noir, noir d'encre, noir de souffrance, noir du poids de ces derniers jours. Noir de l'absence de sommeil, et des cauchemars qui le tiraillaient même lorsqu'il était encore éveillé. Il s'était laissé souffrir, avait à peine tenu sa main contre son abdomen pour empêcher le sang de couler. Le cachant derrière sa veste de sa main libre. Son bras amoché pendant le long de son corps. Sang qui coule le long de son bras, de son poignet. C'est quoi le problème de t'être présenté comme ça, hein ? Il aurait dû annoncer qu'il ne rentrerait pas. Aurait dû rentrer chez lui et appeler Ivana. Mais il ne l'avait pas fait. S'était obstiné. Machine huilée, docile. Mécanisme rouillé. Persuadé qu'un passage sous les mains du Doc suffirait. Continuer de travailler, continuer de marcher, continuer d'avancer. Surtout, ne pas s'arrêter. Surtout, ne pas se mettre à penser.

Vodka. Passer devant le magasin d'alcool lui avait rappelé que la bouteille chez lui était pratiquement vide. Qu'il avait passé les trois de son stock en trop peu de temps. Qu'il lui faudrait de quoi oublier la douleur, une fois qu'il aurait appliqué sans ménagement les agrafes que réclameraient l'état de son abdomen, l'état de son bras. Comment t'as pu en arriver là ? Il y avait eu une douleur sourde, au niveau de son coude. L'impression que la peau allait se détacher, que les tendons allaient lâcher. Que ç'allait tomber. Force amoindrie. Heureusement, on ne l'avait pas privé de son bras fort. Le droit était encore intact. Seul le gauche avait morflé. Foutus connards.

Eux, il les avait vus arriver. Dans la petite ruelle, il s'était souvenu de leurs visages, souvenu de leur affiliation. Souvenu des crachats et des menaces, au pied de l'Inferno. Il savait qui ils étaient, s'était préparé à les exterminer avant même qu'ils ne se soient suffisamment approchés. Et ça lui avait pris un monumental effort de volonté pour ne pas les tuer. Pour que tous s'en sortent, salement amochés mais vivants. Pas sûr d'être capable de recommencer, si on le remettait dans cette situation. Pas sûr de pouvoir se retenir si on le provoquait.

Eux, il les avait vus arriver. Il les avait maîtrisés, non sans peine, et il avait donné le nom de leur boss à Ivana en arrivant à l'Inferno. Pensant que passer par la case Doc lui suffirait à aller travailler, avec une éventuelle heure de retard s'il le fallait. Mais rien n'y avait fait. Le serpent avait sifflé, et il avait fait demi-tour sans s'obstiner.

Eux, il les avait vus arriver. Mais la petite silhouette folle dans le magasin, elle, l'avait surpris plus qu'il ne l'aurait voulu.

Elle était . Sous ses yeux. Belle et farouche, belle et ivre. Bataillant pour se procurer une bouteille de whisky bon marché, sous le regard noir d'un commerçant estimant qu'elle avait suffisamment bu pour la soirée. Elle tempêtait. Dressée de toute la hauteur de ses longues jambes, ses cheveux roux en désordre et sa voix encore éraillée hurlant au type qu'elle allait lui fracasser la bouteille sur le crâne s'il ne la laissait pas payer et s'en aller. Elle tempêtait. Tempêtait. Tempêtait. Le cou encore bleu. La gorge encore broyée par l'étau des couleurs qui refusaient à se dissiper. Tempêtait. Tempêtait. Ne l'avait pas vu. Et avant même de se diriger vers les vodkas, il avait tourné les talons pour s'en aller. L'avait laissée tempêter. Belle et farouche. Belle et ivre. Incapable de l'approcher.

Son pas rapide l'avait ramené à son appartement, et Кербер ne s'était même pas donné la peine de l'accueillir lorsqu'il avait claqué la porte derrière lui. Au moins, elle était en vie. Il avait enlevé sa veste, se moquant éperdument de malmener son bras au passage, et il avait gardé ses chaussures au pied. Au moins, elle était en vie. Son corps lourd et blessé se dirigeant vers la cuisine, son bras intact se tendant vers la porte d'un placard. Au moins, elle était en vie.

Un verre, une bouteille. La vodka est translucide, et la vodka manque le verre. Le goulot directement à la bouche. Une rasade d'alcool. Le besoin du courage qu'elle portait. Besoin d'être à demi anesthésié pour s'occuper des blessures qu'il lui faudrait panser. Elle est en vie.

Deuxième gorgée, troisième. Puis il repose la bouteille. Gorge brûlée par la boisson, ne daignant même pas de laisser voir la douleur à ses démons. Il sent ses épaules se détendre, sa nuque chauffer. Les muscles de son cou se décrispent petit à petit, et il ferme les yeux. Marques bleues sur son cou à elle. Marques de ses mains. Marques témoin.

Témoin de sa violence.
Témoin de sa déchéance.


Rouvrir les yeux. Prendre une longue inspiration. Ignorer la mâchoire contractée, et se servir un verre — un vrai. Ne pas le boire, et l'abandonner sur le comptoir. Refermer la bouteille, et reporter son attention sur son t-shirt fendu au niveau du flanc. Le soulever, de ses doigts capables de bouger, de son coude capable de se plier. Le tissu taché se décolle lentement. Il va falloir des points de suture. C'est pas très profond, mais ça l'est assez pour foutre du sang partout. Assez pour être emmerdant. Le plus compliqué sera le bras, et il le sait. Ses yeux qui accrochent le morceau de verre encore planté à l'arrière. À moitié délogé lorsqu'il avait retiré la veste, qui n'avait jusqu'à lors fait que l'enfoncer sous les frottements. Il avait espéré que remettre le vêtement cacherait la blessure. Permettrait aux choses de se calmer. Souhaitant que le Doc soit disponible pour le lui enlever sans empirer l'état de son bras. Tant pis. Il ferait sans lui.

Va falloir enlever ça. Va falloir prendre une inspiration, et y aller. Ses doigts s'y portent, ses dents se serrent davantage encore. Mais la douleur est trop forte. La volonté qui flanche. La pensée du cou bleu de Niamh le hante. La bouffée de chaleur qui monte, et la vodka qui lui apparaît comme la meilleure solution pour la faire redescendre. Lâcher le morceau de verre. Attraper le récipient, le serrer fermement pour qu'il ne puisse pas glisser malgré le sang. Une gorgée. Ça brûle, à nouveau. Ça fait du bien. Ça va l'aider. L'aider à accepter. Oublier, ce n'est plus pour lui.

Кербер jappe. Le serbe tourne la tête, au moment où un poing s'écrase sur la porte d'entrée. Le chien l'a entendu venir. L'a prévenu. Mais trop tard. Et les yeux de Novak ne lâchent pas la porte. Il n'est pas en état de recevoir, et il le sait. Mais le poing insiste. Le poing veut qu'il ouvre. Le poing a dû sentir l'odeur du sang. Le suivre à la trace — remonter sa piste dans la rue, dans les escaliers, dans le couloir. Côté discrétion, on avait vu mieux.

Alors, il finit par bouger. Son pas lourd qui avale rapidement la distance qui le sépare de la porte d'entrée. Son bras gauche pendant mollement le long de son corps, le morceau de verre toujours planté quelques centimètres au-dessus du coude — presque entièrement disparu dans la chair. Sa main droite actionne la poignée, prête à envoyer chier l'intrus. Et c'est alors que ses yeux se posent sur Daire. Daire et sa chevelure de feu. Daire et ses yeux embrasés. Daire.

Fais chier.
Il ne veut pas la voir, ne veut pas lui parler. Ne veut pas entendre ce qu'elle a à lui dire. Ne veut pas entendre ce qu'elle fait là. Il ne veut pas l'approcher. Ne veut pas qu'elle le touche — pour ne pas avoir à la toucher. Il a déjà blessé une rousse sur deux. Une irlandaise sur deux. La seconde n'y passera pas. La seconde, il la tiendra aussi loin qu'il le peut.

Ne même pas prendre la peine de la saluer. Garder les dents serrées, et faire volte-face pour s'éloigner vers la salle de bain. Pousser la porte du plat de la main pour la claquer derrière lui, mais ne pas rester pour l'accompagner. Ne pas rester pour s'assurer qu'elle se fermerait, et que la rouquine ne ferait rien pour l'arrêter. Il s'en moque. Le geste a dit dégage, et son indifférence face à sa présence l'a appuyé. Pour le reste, il savait qu'il n'aurait rien à décider. Elle défoncerait la porte si l'envie lui prenait. Aussi ne s'était-il donc pas attardé à vérifier qu'elle se fermerait — aucune envie d'avoir à la repayer.

S'éloigner immédiatement du battant, sans même le regarder claquer. Marcher jusqu'à la salle de bain, en commençant à soulever à nouveau son t-shirt. Plus haut, cette fois. Faut l'enlever. Faut s'en débarrasser pour être capable de recoudre. Être capable d'enlever le morceau de verre. Il entre. N'a pas de main pour allumer la lumière. Se débarrasser du vêtement et le jette à terre. Ignorer la douleur, ignorer le fragment de verre remué dans la plaie par les frottements. Y aura toujours la vodka pour aider, à défaut de pouvoir oublier.

Les doigts couverts de sang qui tachent le mur. Trouvent l'interrupteur. Les yeux qui essaient d'esquiver son reflet dans le miroir. Les oreilles qui tentent de se fermer aux beuglements de l'irlandaise. Et le coeur qui s'acharne, tant bien que mal, à rester serré. Resté fermé.

Insiste pas, Daire. Insiste pas. Prends l'ignorance pour ce qu'elle est, et tire-toi.
J'veux pas te voir.
J'veux pas te parler.
J'veux pas avoir à t'écouter.

Insiste pas, Daire.
Pas cette fois.
Cette fois, tire-toi.

Sauve-toi.
Et ne reviens pas.

(c) blue walrus
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Daire Méalóid

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MessageSujet: Re: down with the fallen, (daivak)   down with the fallen, (daivak) EmptySam 19 Mai - 22:49


Elle s’était échouée au comptoir du Michigan’s sans aucune autre volonté que d’étouffer les plaies de son âme dans un trop-plein d’alcool. Elle avait passé une bonne partie de la soirée à discuter avec Mindy, qui lui avait demandé des nouvelles des autres. Mais c’était le repère des Kids, et en l’absence de tout le monde, l’ambiance du bar n’était devenue que pesante. Elle avait trinqué en l’honneur des disparus, de ceux que le système lui avait pris, en crachant sa rancœur contre la société pour ne pas avoir à entendre les prénoms des siens qui se percutaient sans cesse dans ses pensées. Jusqu’à ce qu’un malheureux vienne la draguer, qu’elle le refoule sans même chercher en lui un exutoire. Jusqu’à ce qu’il se mette à l’insulter, qu’elle ne gueule plus fort que lui. Jusqu’à ce qu’il exprime sa mauvaise sympathie à l’égard des irlandais, de ces étrangers de merde, et qu’elle lui éclate son verre sur le crâne. Brisant l’objet, ouvrant la peau. Engendrant une bagarre, encore une fois, pour mieux épancher sa haine et sa mauvaise foi. On avait réussi à les séparer, le gars la gueule fracassée et Daire les phalanges ensanglantées – et on l’avait virée du bar sous le regard plein de pitié de la serveuse. Sauf qu’elle ne voulait pas de la pitié de Mindy, ni de personne d’autres.

Plus elle s’éloignait du quartier, plus ses pensées accrochées aux siens s’abandonnaient sur le macadam. L’étouffement de sa poitrine s’amenuisait, elle trouvait un second souffle dans la fraîcheur de la nuit. Mais plus ses pas la menaient au loin sans aucun but précis dans le dédale des rues, plus la colère refluait dans son organise et ses poumons s’étouffaient à nouveau dans sa névrose. Elle était enfermée dans un cercle vicieux que son taux d’alcoolémie n’améliorait pas, et elle s’enlisait dans son magma à chacune de ses foulées. Daire errait sur le béton avec ses déboires, une cigarette aux lèvres, l’autre main dans la poche de sa veste en cuir, alors que ses phalanges la démangeaient sans vergogne. Elle avait l’allure d’une énervée, alors que son squelette n’était que celui d’une désespérée. Des miettes fébriles à l’intérieur, oubliées par tout le monde. L’océan en tourment au fond de son regard, le même qui dissuadait n’importe qui de lui adresser la parole. Perdue parmi les âmes esseulées de la ville, à une heure encore correcte de la soirée. À tirer nerveusement dessus, ses poumons n’avaient même pas le temps de s’enivrer de leur poison et ses yeux ne prenaient plus le temps de se perdre dans la fumée échappée vers le ciel. Elle enchaîna trois clopes de cette manière, jusqu’à ces que les néons d’une enseigne brisée se reflétèrent sur son visage tacheté. Elle n’avait aucune idée de la rue dans laquelle elle se trouvait, sûrement qu’elle y avait déjà mis les pieds mais la supérette qui lui faisait face lui était étrangère. Ouverte tardivement sur son chemin, c’était un signe qu’elle ne pouvait pas laisser échapper. La rouquine jeta son dernier mégot d’infortune dans les égouts et vint tâter ses poches, pour se rendre compte dans la poignée de secondes suivant qu’elle n’avait plus son portefeuille. Plus ses papiers, plus ses quelques billets verts – à supposer qu’ils n’avaient pas tous été utilisés au bar. Elle l’avait certainement oublié au Michigan’s, peut-être même que Mindy avait essayé de la joindre pour la prévenir mais la batterie de son téléphone s’était déchargée depuis longtemps. Alors qu’elle pénétra dans la petite boutique, elle se dit qu’elle irait demain, ou peut-être plus tard, à l’heure de la fermeture. Le problème, c’était que l’alcool était derrière le gérant, et qu’elle ne pouvait même pas essayer de voler une bouteille. Elle jaugea la situation, les quelques clients présents, en même temps qu’elle s’avançait entre les rayons. Elle glissa naturellement une sucette caramélisée dans l’une de ses poches, et ressortir de l’endroit avec une moue boudeuse pour dissuader le gérant de trop s’attarder sur elle. L’attention accaparée par le gars qui venait de sortir, un soulard qui ne marchait plus très droit. Ce n’était certainement pas la meilleure victime pour un vol à la tire – mais ce gars en costard laissait entendre qu’il se noyait dans un chagrin d’amour ou une perte d’argent conséquente, pas qu’il vivait dans la misère. Et elle n’avait pas la charité dans l’âme, pas ce soir. Elle voulait seulement répandre son venin sur les autres, et suffire à ses besoins de contrariété. L’irlandaise accéléra le pas, ne s’attarda pas à sa hauteur et s’empara de son sac en papier avant d’accélérer réellement son allure. Elle comprit qu’elle avait sous-estimé l’ivrogne quand sa poigne s’enferma sur son bras pour la faire basculer en arrière. Il l’insulta, lui lâcha quelques mots pâteux qu’elle ne comprit pas, mais son emprise était d’une force qui contrastait largement avec sa prestance pathétique. Il voulut récupérer son bien, elle feula comme une lionne en cage. Il la menaça, elle fit exactement la même chose en gueulant plus fort, pas le moins du monde intimidée. La faute à l’alcool, la faute à l’éducation, la faute à son existence de l’avoir laissée se prendre pour la reine de son monde de cendres. Elle avait son couteau papillon dans une poche, le crâne et les poings solides, elle pouvait largement se défendre contre un soulard. Sauf qu’il ne l’avait même pas attaquée, quand son poing vint s’abattre sur son nez dans un craquement significatif. Il la lâcha sous la violence alors que le sang gicla instantanément de son visage, et elle en profita pour se casser en courant sans aucun regard en arrière, la bouteille de vodka solidement accrochée entre ses doigts. Il n’avait rien fait, le misérable. Sa seule erreur avait été de lui parler, de la retenir, de la laisser l’amener dans sa chute.

Les grandes enjambées lui firent du bien, temporairement, l’apaisement des veines en ébullition n’était qu’éphémère. Alors elle se laissa porter par ce rythme sur plusieurs rues encore, jusqu’à ce qu’elle reconnaisse l’une d’entre elle et qu’elle cesse de courir. Elle avait clairement traversé toute la ville dans son énervement depuis qu’elle avait quitté le bar irlandais de son quartier. C’était dans un ces immeubles qu’habitait Novak et la nébuleuse de sa conscience semblait vouloir qu’elle s’échoue dans son repère. Peut-être parce qu’il était présentement la seule âme sur laquelle elle pouvait défouler toute sa rancune, toute sa haine, toute sa frustration. Novak qui n’avait jamais flanché sous ses tempêtes, qui ne manquait pas de la recadrer. Novak qui avait étranglé Niamh, pourtant, et ses muscles se contractèrent au souvenir du ruban bleuté étendu autour du cou de son amie, de son regard éteint qui était venu la trouver chez elle quand la solitude l’avait accablée. Ses foulées se firent brûlantes sur l’asphalte dans un mouvement d’humeur, si bien qu’elle manqua les tâches de sang sur une bonne longueur. Elle ne les remarqua qu’à quelques mètres de sa destination, constatant qu’elle suivait le même chemin ; cette pensée l’amusa quelque part au fond de la mêlée de son cerveau imbibé, inconsciente – ou désintéressée – du mauvais présage qui pouvait les accompagner. Une flaque vermeille s’était formée sur le seuil de la porte de l’immeuble, marquant le temps d’arrêt de l’individu. Elle fit de même, seulement pour entamer sa bouteille acquise par la force – comme pour se donner du courage envers ce qu’elle allait affronter, son instinct lui soufflant que la soirée prenait une tournure inattendue. Daire passa la porte, grimpa les escaliers dans sa mauvaise humeur, associant définitivement la traînée ensanglantée à Novak, ou alors il se traînait simplement un cadavre derrière lui. Elle s’arrêta devant sa porte, n’hésita pas une seconde pour venir abattre son poing dessus. Une première fois, une autre, et ainsi de suite, avec toujours plus de force dans le coup. Elle se fichait complètement d’attirer l’attention du voisinage, elle pourrait assassiner n’importe qui de son regard des mauvais jours, elle voulait seulement qu’il daigne lui ouvrir. Son regard percuta le sien à la seconde où il apparut dans son champ de vision. « Enfin ! » À peine le temps d’assimiler qu’il avait une sale gueule, qu’il lui refermait déjà la porte dessus sans émettre un bruit. Une des règles de survie des Kids était de ne jamais refermer la porte sur Daire, jamais. Mais elle n’était qu’un moustique pour le colosse et cette attention devait lui paraître dérisoire. Ce fut l’huile jetée sur le feu, le geste l’énervant encore plus. « NOVAK ! » Son pied s’interposa contre la porte avant qu’elle ne se referme sur elle, afin qu’elle puisse pénétrer dans l’appartement. Elle l’ouvrit avec une humeur, s’avança sans s’annoncer – enfin ses grands éclats le feraient à sa place – et claqua la porte pour la refermer, d’une force familière à celle de son propre appartement. La silhouette disparut dans la salle de bain avant qu’elle ne puisse poser son regard dessus, mais ça n’allait pas l’empêcher de la suivre. « Trop d’crevards ce soir, p’tain » Elle maugréa, lâcha quelques insultes, croisa le chemin de Кербер qui essaya de l’éviter – mais pas de chance pour la pauvre bête, la rouquine se prit les pieds dedans en essayant au mieux de ne pas lui faire trop mal. Elle s’accroupit à sa hauteur pour lui caresser la tête et s’excuser, le ton soudainement plus calme, le chien comme une accalmie dans tout ce désastre. Puis, l’irlandaise se redressa et se dirigea à nouveau vers la salle de bain éclairée, la tempête dans ses pas dans sa voix. « Ne m’ferme plus jamais la porte sur la gueule », et elle s’afficha dans l’encadrement de la porte.

Elle avait toujours pensé le serbe invincible. Il ne lui faisait pas vraiment face mais elle avait une vue assez saisissante sur l’ampleur des dégâts, entre le reflet que lui renvoyait le miroir et le bout de peau qu’elle avait en face d’elle. Il avait enlevé son t-shirt, révélant sous la lumière les tâches carmins, là où le sang avait coulé, là où il s’était accumulé. Ses prunelles céruléennes évaluèrent le corps en supplice, la bouteille toujours dans la main et la colère toujours perdue dans les veines. De la plaie sur son abdomen au morceau de verre enfoncé dans son bras, sur lequel elle s’attarda sous la surprise. Son cœur se contracta à cette vision, comme à chaque fois qu’elle percevait la douleur dans les traits de ceux auxquels elle tenait. Pourtant, ce soir, Daire n’avait que de la haine à revendre, que de la rage à descendre, que la détresse d’une amie à défendre. « Au moins, on t’a pas étranglé. » Son regard se fracassa sur sa carcasse, sans fléchir. Défiance brûlante de l’effrontée, de celle qui se battait pour ses valeurs, même en crachant sur les autres. Tant pis s’il fallait qu’il lui brise la mâchoire pour l’empêcher de parler, elle ne cesserait jamais de dénoncer.

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MessageSujet: Re: down with the fallen, (daivak)   down with the fallen, (daivak) EmptyLun 21 Mai - 3:55

Daire n'a pas de pitié. Elle est rentrée dans l'appartement malgré la porte qui se refermait sur elle. N'a pas attendu avant de gueuler le prénom du serbe, et de s'enfiler à sa suite. Le battant a claqué avec trop de force pour que le simple élan que lui avait donné ne puisse en être responsable. Et comme de fait, il n'entendit continuer de gueuler. Sourde-oreille, concentré sur sa tâche désagréable. Concentré sur ce foutu morceau de verre, fiché à l'arrière de son bras, qu'il lui faudrait enlever sans amplifier les dégâts.

Ses yeux fuient le miroir. Ses dents restent serrées, son regard noir et fermé. Mais sa respiration saccadée, elle, traduit l'état dans lequel il se trouve. Autour de lui, tout est en train de glisser. Niamh qu'il a failli tuer. Ces gars qui ont manqué de le descendre, lui. Ivana qui le renvoie chez lui. Daire qui lui gueule après. Et au milieu de tout ça, le morceau de verre continue de lui lacérer davantage la chair à chaque mouvement. La peur de perdre l'usage de l'avant-bras. La peur de devoir le retirer et de sectionner un tendon au passage. Mais il n'y échappera pas, et il le sait. C'est trop tard pour reculer. Bien trop tard. Ça fait des années qu't'aurais dû y penser.

« Ne m’ferme plus jamais la porte sur la gueule. » C'est une tornade qui claque. C'est sec et sans appel. Daire n'a pas aimée être rejetée. Novak l'entend. Novak comprend. Novak s'en moque. Du coin de l'oeil, il aperçoit le reflet de l'irlandaise dans le miroir. Elle se tient dans l'encadrement de la porte. N'a pas l'air de vouloir s'en aller. Y a quelque chose d'autre qui l'anime. Et son instinct sait ce que c'est. Refuse de l'admettre. Refuse de l'avouer. Se concentre sur le morceau de verre qu'il tente d'attraper sans glisser. Les dents serrées. Retenant à grand-peine la colère sourde, noire, et les grognements. La douleur qui fait monter une bouffée de chaleur le long de son échine. Daire respecte encore son silence, et il l'en félicite sans un bruit. Ça ne prendrait pas grand-chose pour le faire déraper, et il connaît suffisamment l'irlandaise pour savoir que ça arriverait. Qu'elle le pousserait, et qu'il lui faudrait résister. Respirer. Laisser la douleur refluer. Fermer les oreilles sur ses mots-couteaux, et continuer comme si de rien n'était. Ne pas se laisser submerger par la colère qui menaçait de déborder. Respire, Novak. Respire. Tes doigts sur le morceaux de verre. Faut tirer. Faut l'enlever. Respire, putain.

Respire.


« Au moins, on t’a pas étranglé. » Et brusquement, c'est trop. Trop pour le géant au corps et au coeur malmené. Trop pour cette carcasse brisée, qu'on continuait de marteler en attendant de voir s'effondrer. Ses doigts lâchent le morceau de verre, et son corps se retourne brusquement. Sa main barbouillée de sang qui s'élance vers Daire, trop vite pour qu'elle ait le temps de réagir. Trop soudainement pour qu'elle ne puisse prévoir un tel retournement. Novak ne s'énerve pas. Jamais. Novak ne s'en prend pas à ceux qu'il apprécie. Novak protège, Novak respire, Novak reste calme. Mais Novak a failli tuer celle que jamais il n'aurait souhaité approcher. Et tout a basculé.

La tête de Daire frappe violemment le cadre de la porte, emportée par la paume qui s'est posée sans ménagement sur son profil, avalant sa pommette, son oreille, sa tempe. Les doigts en un étau autour du crâne, pour qu'elle ne puisse s'échapper. Pas besoin du deuxième bras pour lui faire payer la colère qu'elle venait de déclencher. Le corps du monstre s'est rapproché du corps de l'irlandaise. Et sa main tient fermement la tête contre la plinthe de bois. Il pourrait lui broyer la boîte crânienne. Et la rage noire qui lui emplit le coeur, à cet instant précis, fait tout pour l'y inviter. Le choc a été violent, et son corps s'assure de maintenir sa position de supériorité. Pas un mot ne s'échappe d'entre ses lèvres. Il n'a rien à dire. Rien qui ne puisse s'articuler. Dis pas ça. Tu sais rien. Tu ne sais pas.

Mais il n'y a rien d'autre à savoir. Il a étranglé Niamh. Il a failli la tuer. Il lui a flanqué une peur qu'elle n'était pas prête d'oublier, et l'avait projetée dans un état dont il lui faudrait du temps pour se tirer. Il a failli la tuer. Et à chaque seconde qui passait, cette pensée lui empoisonnait davantage le coeur. L'âme. Il ne restait plus rien. Plus de bonté, plus de sérénité. Plus d'entendement. Plus de raison de continuer. Il pourrait la tuer, là. La tuer comme il n'a pas tué Niamh. La tuer pour de simples mots. Ignorer qu'il avait toujours tout fait pour la protéger. Parce qu'elle lui ressemblait — la verve en bonus. Qu'il le voyait. Ne pouvait le nier. Mais ç'aurait été si facile de l'écraser. Elle aurait eu beau se débattre, rien n'y aurait fait. Il maintenait son bras en arrière pour l'empêcher d'atteindre sa plus grande faiblesse de l'instant. Et malgré la douleur qui pulsait de la plaie à son abdomen, il ne ploierait pas. Ne ploierait jamais. Se tenir debout, c'était tout ce qui lui restait.

Il pourrait la tuer, mais il ne le fait pas. Faut croire qu'au fond de lui, la raison poursuit sa lutte acharnée avec la rage. Ça ne prendrait qu'un rien pour le faire glisser d'un côté ou de l'autre. Et il s'attend à ce que ce soit la violence qui l'emporte, à tout instant. La violence qui l'enveloppe définitivement, et sa main qui se déplace de la tempe à la gorge de la petite Méalóid, pour serrer. Finir ce qu'il avait commencé avec une autre. Fasse craquer sa nuque, pour rien. Rien d'autre qu'une phrase qu'il ne pouvait supporter d'entendre. Rien d'autre qu'une vérité abjecte, qui faisait ressortir son pire côté de lui-même, au coude à coude avec le franc dégoût qu'il se vouait. Respire, Novak.

Il pourrait la tuer, mais il ne le fait pas. Une poignée de secondes sont passées. Elles ont suffi à ses oreilles pour se déboucher de la colère qui les obstruait. Et les aboiements de Кербер ont fini par lui parvenir. De moins en moins lointains. De plus en plus enragés. Après sa brève immobilité, sa tête se tourne et ses yeux croisent ceux de la bête. L'animal est à moins de trois mètres de là. La bave aux lèvres, les babines retroussées. Aboyant comme un forcené après ce maître qui venait de perdre pied. Éructant, pour tenter de le ramener à la réalité. Regarde, Novak. Regarde c'que tu fais.

Son regard se repose sur Daire, et sa main quitte immédiatement sa tête. Un pas en arrière lui suffit à se retrouver à l'autre bout de la minuscule salle de bain. Une distance sécuritaire pour elle. Distance de contrôle pour lui. Ses iris se vrillent sur le carrelage taché de rouge, et ses dents se serrent plus encore que lorsqu'il l'attaquait. Les aboiements de Кербер continuent. Les griffes qui cliquètent sur le parquet, et le chien qui apparaît aux côtés de Daire. Ventre à terre. Oreilles aplaties. Crocs toujours sortis. Le maître le regarde, mais ses yeux ne peuvent remonter jusqu'à l'irlandaise. Le dégoût a infiltré ses veines, et son esprit tente bien que mal de distiller la colère. Ne plus la laisser l'emporter. Ne plus la laisser gagner. C'est Daire, qui est là. Tu ne l'approcheras pas. Tu ne la toucheras pas.

Tu ne la tueras pas.


« Désolé. » Ça tombe lourdement. C'est pénible à articuler, mais il a besoin de le dire à elle. Il n'a pas été capable de le dire à Niamh, et il regrette — regrette tant. Ne veut pas avoir à se sentir bouffé par le même silence, en ce qui concerne la deuxième irlandaise. Alors ses cordes vocales usées par le silence se sont actionnées. Le laissant la mine basse, planté dans son coin de salle de bain. Les dents serrées, les yeux qui ne peuvent s'éloigner du sang sur le carrelage. Juste histoire de regarder autre chose qu'elle. Le morceau de verre dans son bras le fait souffrir. La lame fantôme dans son abdomen aussi. Et la chaleur qui assaille ses muscles se mue finalement en un léger vertige. Invisible pour celle qui lui fait face — mais lui le ressent. Et ça l'aide à se calmer. Ça aide sa respiration erratique à s'apaiser. Ressaisis-toi, Novak.

« Tu devrais partir. » Il ne lui fera pas plus de mal, mais l'idée de le risquer ne lui plait pas. Il sait que Кербер veille, mais déteste la pensée de Daire piquant une nouvelle colère, et réussissant à le faire retomber dans la sienne. Il vaudrait mieux qu'elle parte. Vaudrait mieux qu'elle s'en aille. Et il commence à lui tourner le dos. Le miroir sera toujours moins cruel que les yeux océan qui le guettent et le jugent. C'est mieux comme ça. La violence finalement verrouillée au fond de son coeur. Un cadenas faible, qu'il essaie de protéger. Essaie de ne pas faire sauter, quelques secondes à peine après l'avoir installé. Concentre-toi, Novak. Concentre-toi.

Le morceau de verre.
Niamh.
Le morceau de verre.
Daire.
Le morceau de verre.

Pourquoi est-ce que tu ne peux pas t'empêcher de les blesser ?

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