« Fais pas chier putain » elle insiste, encore, et lui qui tourne la tête, la soupe qui se renverse sur ses genoux. « Pourquoi t’es comme ça » elle tourne la tête, pour cacher la fatigue, la lassitude. « C’est Noël tu pourrai faire un effort. Je sais que t’es déçus qu’Atticus ne vienne pas mais tu pourrais juste une fois non ? » non. Il peut pas. Il peut jamais. Il peut plus. En fait il a jamais pu. Des efforts il connait pas les mots pas vrai ? Et Alice qui soupire, s’écarte légèrement faisant rouler son fauteuil plus loin.
Combien d’années déjà ? Trop. Et pourtant ils sont toujours là, tous les deux, contre toute attente. Ils ont tout raté, surtout lui, elle, elle résiste encore. Même si son corps menace de craquer un peu plus chaque jour, chaque matin quand elle se hisse sur son fauteuil pour avancer. C’est loin derrière eux les années folles, la jeunesse à crier sur scène, à s’en crever les poumons de haine, de rage, d’envie. De survie.
Mais à quoi ça sert si c’est ça survivre ? Rester coincé dans un fauteuil roulant à moitié immobilisée ? Mariée avec un homme qui ne pense qu’à se tuer à chaque instant. Et qui rate, inlassablement. Combien de fois déjà ? Trop. Trop nombreuses les tentatives. Qui le laissent un peu plus diminué. Parfois elle se dit que ça serait un acte de pitié que de l’achever. Mais ça serait perdre aussi. Putain de vie.
Putain de vie.
Pleure pas Alice. C’est Noël. On pleure pas à noël non ? Non. A noël on passe le temps avec les gens, les amis, les parents. Mais ils sont seuls. Y a qu’eux deux dans leur foutue maison trop vide, décorations lacérées, sapin renversé. Respire. C’est quoi tout ça hein ? Si l’argent fait le bonheur il est où ce putain de bonheur ? Elle l’attend toujours, depuis trop d’années maintenant qu’elle court après sans réussir à le capturer. « Juste une fois Nemo, j’te demande juste une fois » sa voix qui se brise, un peu, elle qui ferme les yeux en essuyant son visage, en essuyant ses genoux, la soupe renversée. Elle voudrait repartir en arrière, avant, dans les rues de Savannah à battre le pavé à 3h du matin, les cernes sous les yeux et le cœur à l’abandon. C’était bien. Puis y avait Rhoan, y avait Tito, y avait STELLARR avant la chute, avant la fin. Moment de gloire qu’elle peut encore toucher du bout des doigts mais qui s’évanouit trop vite dans l’air. « On a fait quoi Nemo hein ? » pourquoi tout ça, pourquoi eux deux, pourquoi cette foutue vie. « Quand est-ce que ça s’arrêtera » ? Demain si Dieu le veut bien, ou alors comme un cadeau. S’il te plait Papa noël c’est pas compliqué pourtant non ? Fermer les yeux, supplier, prier, que le miracle de noël se réalise. Elle y croit encore un peu Alice, juste un peu. On peut pas lui enlever ça